Le Bossu de Notre-Dame
Titre original : The Hunchback of Notre-Dame Production : Walt Disney Animation Studios Date de sortie USA : Le 21 juin 1996 Genre : Animation 2D |
Réalisation : Gary Trousdale Kirk Wise Musique : Alan Menken Stephen Schwartz Durée : 90 minutes |
Le synopsis
En l'an de grâce 1482, à Paris, Quasimodo, un jeune homme au physique ingrat qui vit reclus dans le clocher de la majestueuse cathédrale Notre-Dame, a pour seule et unique compagnie trois drôles de gargouilles. Rythmant la vie de la cité aux sons des cloches, il est en effet confiné depuis son plus jeune âge dans l'édifice religieux par le cruel Juge Frollo, son maître, au motif fallacieux de le protéger du monde extérieur... |
La critique
Le Bossu de Notre-Dame, 34ème long-métrage des Walt Disney Animation Studios, est un chef-d'œuvre. C'est dit. Il s'agit ainsi assurément du film des studios le plus ambitieux aussi bien graphiquement, scénaristiquement que musicalement. Adaptant le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, un des classiques de la littérature française, les artistes des studios de Mickey se sont certes éloignés de la trame principale mais n'ont pas renié l'âme du livre de l'auteur français. Via ses multiples thèmes et ses tout aussi nombreux non-dits, le film d'animation est en effet le plus sombre et plus adulte jamais produit par Disney. Comportant des scènes d'une puissance visuelle incroyable, le long-métrage est d'abord une ode à la différence et à la générosité. Mais il est aussi un sévère pamphlet contre l'exclusion, le racisme et le génocide quand il n'aborde pas, en filigrane, la place de la religion dans la vie de chacun et même le fameux péché de luxure.
Né le 26 février 1802, Victor-Marie est le troisième fils du futur général Hugo. La vocation littéraire lui vient très vite toute encouragée qu'elle est par une ribambelle de prix et de récompenses décrochées tôt. Jeune adulte, il se marie avec Adèle Foucher en 1822. Il fait alors déjà figure de jeune poète officiel, et se voit bientôt sacré chef de file de l'école romantique par sa pièce Cromwell. 1830 est l'année de la révolution mais aussi de sa séparation conjugale, après la naissance de son cinquième enfant. Il rencontre dans la foulée Juliette Drouet qui restera sa maîtresse pour la vie. En 1843, il est affecté par la mort de sa fille Léopoldine. Côté vie sociale, il se rallie au parti républicain après la révolution de 1848 puis choisit après le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, un exil qui va durer près de vingt ans. C'est durant cette période qu'il publie en 1862 son œuvre la plus célèbre, le roman Les Misérables. Lorsque, patriarche, il rentre à Paris après la chute de l'Empire, il est un homme immensément populaire. Mais il est désormais un vieillard qu'une congestion cérébrale viendra frapper en 1878. A sa mort survenue en 1885, la Nation lui fait l'honneur de porter ses cendres au Panthéon.
L'origine du roman Notre-Dame de Paris remonte à 1828 quand l'éditeur parisien Gosselin propose à Victor Hugo d'écrire un livre dans la lignée de l'auteur écossais Walter Scott (Rob Roy, Ivanhoé...) très à la mode en France, et dont le poète était un fervent admirateur. Acceptant très vite le projet et les avances sur recettes, tout semble alors bien parti. Mais voilà. Les retards s'accumulent et les rapports entre Hugo et Gosselin se détériorent considérablement. En mai 1830, après des menaces de procès de la part de son éditeur puis plusieurs médiations, l'auteur s'engage à terminer le roman au plus tard le 1er décembre 1830, sous peine de devoir verser des indemnités de retard. Or, fin juillet 1830, il commence à peine la rédaction du premier chapitre lorsque la Révolution de Juillet éclate à la suite des ordonnances impopulaires prises par le roi Charles X. Il parvient alors à négocier un nouveau délai de deux mois, portant l'échéance au 1er février 1831. La rédaction du roman est finalement achevée le 15 janvier pour une parution le 16 mars 1831, précédée d'une brève préface où Hugo évoque l'inscription « ΑΝΑΓΚΗ » (« Fatalité » en grec) qu'il aurait vue dans un recoin obscur de l'une des tours et qui lui aurait inspiré le roman. Dans cette préface, il mène une critique brève mais sévère contre les restaurations hâtives dont sont victimes les monuments historiques en général et Notre-Dame de Paris en particulier. Le succès populaire du livre fera de Victor Hugo, le romancier du peuple, statut qui se confirmera avec Les Misérables, trente ans plus tard.
L'immense popularité du roman de Notre-Dame de Paris fait qu'il se voit souvent adapté. Au XIXème siècle, de nombreuses versions sur scènes sont montées que cela soit des opéras ou des ballets. Avec l'avènement du cinéma, le roman est également beaucoup mis en image. Le premier film sort ainsi en 1906 avec La Esmeralda d'Alice Guy et de Victorin Jasset avec Denise Becker. Il a droit ainsi à de nombreuses adaptations dans la période du muet et noir-et-blanc dont Notre-Dame de Paris en 1911 d'Albert Capellani avec Stacia de Napierkowska ; Notre-Dame de Paris en 1913 d'Ernesto Maria Pasquali et The Darling of Paris en 1916 de J.Gordon Edwards avec Theda Bara. Jusqu'en 1923, les adaptations de Notre-Dame de Paris relèguent Quasimodo au second plan et misent toutes sur La Esméralda jusqu'à ce que les acteurs s'aperçoivent enfin que Quasimodo est à leur carrière ce que Notre-Dame est à Paris : un sommet... Ainsi, en 1923, le Notre-Dame de Paris de Wallace Worsley avec Lon Chaley voit pour la première fois dans un long-métrage Quasimodo tenir le premier rôle. En 1939, Quasimodo de William Dierterle avec Charles Laughton et Maureen O'Hara est la première des adaptations parlantes et la plus proche de Hugo en ce qui concerne l'histoire. Enfin, Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy avec Anthony Quinn et Gina Lollobridgida en 1956 est assurément la plus connue des versions cinématographiques. Le classique animé de Disney, très populaire, en sera une autre tout comme, en France du moins, une production scénique qui fait sensation : l'opéra-rock, Notre-Dame de Paris, comédie musicale de Luc Plamondon et Richard Cocciante qui révèlera au grand public des chanteurs comme Patrick Fiori, (Phœbus), Julie Zenatti, (Fleur-de-Lys), Garou (Quasimodo) et Hélène Ségara (Esméralda).
L'origine de l'adaptation par Disney remonte au début de 1993. David Stainton, alors vice-président chargé de la création, a en effet le premier l'idée de mettre en chantier le film. Il avoue avoir lu une version illustrée du roman durant son enfance puis redécouvert le classique durant ses années lycée. En cherchant des pistes pour un film d'animation musical, il relit le roman et y trouve de nombreux éléments à grandes capacités visuelles. De plus, il sait les personnages remarquablement forts et délimite déjà les contours du potentiel d'émotions contenues dans l'histoire, sans parler du lieu aussi romantique que dramatique. David Stainton estime que les Walt Disney Animation Studios sont prêts à relever le défi et finit par proposer son idée à Jeffrey Katzenberg, alors Président de Walt Disney Studios, qui accepte avec l'aval de Michael Eisner.
Jeffrey Katzenberg décide
alors de confier la réalisation à deux réalisateurs qui ont fait leur preuve
dans un film, basé aussi sur un monstre français, La Belle et la Bête
: Gary Trousdale et Kirk Wise.
Gary Trousdale est né le 8 juin 1960. Prévoyant de devenir architecte, il décide
finalement de rentrer à la CalArts. Il
est bien vite embauché au sein des studios d'animation Disney en 1985 pour
travailler en tant qu'intervalliste sur les effets spéciaux de
Taram et le Chaudron Magique. Par la suite, il
s'occupe de certains effets spéciaux du film Touchstone Pictures
à prises de vues réelles, Les
Aventuriers de la Quatrième Dimension, mais aussi de l'animation de la
séquence d'ouverture de Cranium Command, la défunte attraction du
pavillon désormais fermé Wonders of Life, Epcot à Walt Disney
World en Floride. Cela fait, il coopère aux histoires d'Oliver &
Compagnie, La Petite Sirène,
Le Prince et Le Pauvre et
Bernard et Bianca au Pays des Kangourous mais aussi aux premières ébauches
d'Aladdin et du
(Le) Roi Lion. Enfin, il débute de main de maître
dans la réalisation avec La Belle et la Bête,
seul film des studios à être nommé pour l'Oscar du Meilleur Film, puis enchaine
avec Le Bossu de Notre-Dame. Atlantide, L'Empire
Perdu marque alors sa troisième réalisation avant son départ des studios
Disney en 2003 pour rejoindre DreamWorks Animation où il se contente de
réaliser des courts-métrages dérivés des franchises du studio à la lune.
Kirk Wise, quant à lui, est né le 24 août 1963. Comme son futur collègue, il
intègre la CalArts pour ensuite
rentrer chez Disney au milieu des années 80. Il s'affaire sur l'animation de Basil, Détective Privé,
Footmania pour Dingo,
Le Petit Grille-Pain Courageux et Oliver & Compagnie.
Il fait ses débuts à la réalisation sur la séquence d'ouverture de Cranium
Command puis travaille sur les histoires du
(Le) Prince et Le Pauvre et
de
Bernard et Bianca au Pays des Kangourous. Il est choisi avec Gary Trousdale
pour coréaliser La Belle et la Bête. Ils
deviendront un tandem inséparable pendant dix ans coréalisant ensemble également
Le Bossu de Notre-Dame et
Atlantide, L'Empire
Perdu. Après le départ de son acolyte de Disney, Kirk Wise semble avoir
quitté les studios de Mickey et stoppé toutes activités artistiques.
Les deux artistes, après avoir pris des vacances sabbatiques bien méritées à la suite de La Belle et la Bête, planchent naturellement sur un nouveau projet : Orphée, une adaptation du héros de la mythologie grec. Le président des studios leur demande pourtant d'abonner séance tenante tout ce qu'ils faisaient pour se consacrer exclusivement aux travaux sur Le Bossu de Notre-Dame. En octobre 1993, Gary Trousdale et Kirk Wise partent ainsi avec une petite équipe visiter Paris pendant dix jours dont trois sont consacrés à une visite privée de la cathédrale Notre-Dame. Finalement, un mois plus tard, ils présentent une première ébauche aux décideurs qui valident le film, même si un malaise se fait jour avec les sujets plutôt adultes qui ressortaient du scénario...
Cette histoire française permet en outre aux studios Disney de donner plus de
responsabilités à la dernière succursale du studio, la première à être située en
dehors des États-Unis.
En septembre 1989, Disney, qui ambitionne alors de monter une succursale
permanente en Europe, rachète en effet Brizzi Films, une société
spécialisée dans la production d'émissions de télévision internationales. Ses
locaux sont situés à Montreuil, en petite couronne parisienne, tandis que la
nouvelle structure prend le nom de Walt Disney Animation (France) S.A.
Son tout premier projet se fait alors pour Walt Disney Television
Animation avec La Bande à Picsou - Le Film : Le Trésor de la Lampe Perdue
en 1990. Le studio français travaille, par la suite, sur plusieurs épisodes de Super Baloo, Myster Mask,
La Bande à Dingo, le court-métrage
Ça C'est le Bouquet tiré de
la série Bonkers, le téléfilm
Winnie l'Ourson : Noël à l'Unisson
ainsi qu'un deuxième long-métrage, toujours pour le compte de Walt Disney Television
Animation, Dingo et Max.
En 1994, en phase avec les objectifs de Disney, le studio français est considéré
comme assez mature pour travailler sur les projets de Burbank. Il prend dès lors
le nouveau nom de Walt Disney Feature Animation (France) et se voit
affecté, à divers niveaux, sur
Mickey Perd la Tête,
Le Bossu de Notre-Dame,
Hercule, Tarzan, L'Oiseau de Feu de
Fantasia 2000,
Kuzco, l'Empereur Mégalo, Atlantide, l'Empire
Perdu, La Planète au Trésor - Un Nouvel Univers,
Frère des Ours ou
Destino. Coup d'arrêt
brutal au début des années 2000 ! Suite au manque de rentabilité de ses
longs-métrages animés, et à l'abandon prévu de l'animation 2D, la Direction de
Disney d'alors (avec à sa tête Michael Eisner) décide, en effet, de liquider
tous ses studios en dehors de Burbank : le premier à cesser son activité étant
le site de Paris qui ferme définitivement ses portes en 2003.
Mais bien avant cela, Le Bossu de Notre-Dame est le projet idéal pour
devenir le premier long-métrage des
Walt Disney Animation Studios auquel participe le
studio de Montreuil. Qui de mieux que des artistes travaillant - étant nés pour
certains - dans la capitale française et étant au fait de l'Histoire et l'Art de
France pour conseiller les artistes de Burbank ? Même si la participation du
studio français est restée au final fort limitée, il se charge de près de neuf
minutes d'animation du film dont l'ouverture, le combat final entre Frollo et
Quasimodo ainsi que l'embrasement de Paris. De plus, les frères Paul et Gaëtan
Brizzi vont storyboarder plusieurs scènes, en particulier celle où Quasimodo
rêve d'Esméralda et où Frollo est devant sa cheminée. Toute une organisation a
dû être mise en place pour faciliter la communication entre Paris et Burbank. Et
de nombreux obstacles ont dû être surmontés comme le décalage horaire, la
barrière de la langue et autres différences culturelles : fort heureusement, la
pratique de la visioconférence a permis de rapprocher les points de vue dans des
échanges quotidiens, mettant dès lors la qualité du film à l'abri de toutes
péripéties organisationnelles...
Dès le début de la production, le compositeur Alan Menken et le parolier
Stephen Schwartz sont associés au projet. Ils vont d'ailleurs se surpasser en
proposant ce qui est assurément la bande originale la plus riche musicalement
des films d'animations Disney. Les harmonies, les mélodies, les voix aussi bien
en anglais qu'en français sont autant de petits bijoux qui s'assemblent
divinement comme les fils dans une grande tapisserie. Pour parvenir à souligner
au mieux par la musique la puissance du film et sa couleur médiévale, les
artistes visitent l'Europe où ils enregistrent pêle-mêle, sons de cloches, chœurs
et autres chants typiques. Les chœurs sont notamment enregistrés dans une
ancienne église de Londres tandis que l'orgue capté est celui de la cathédrale
St Paul de Londres. D'autres instrument médiévaux sont aussi utilisés donnant
grandeur, authenticité et puissance à l'ensemble.
Le Bossu de Notre-Dame est ainsi une vraie comédie musicale. Il s'agit
peut-être même du film des
Walt Disney Animation Studios ayant le plus de
scènes chantées. Et toutes les chansons méritent des louanges Si les meilleures
seront analysées plus longuement un peu plus loin tellement les scènes qu'elles
servent sont extraordinaires et méritent des explications approfondies, les
moins bonnes (si jamais cette expression a un sens ici) sont tout autant
admirables. La plus faible, Un Gars comme Toi, voit donc les gargouilles
essayer de réconforter Quasimodo. Si la chanson fait un peu hors de propos avec
le reste du film (sa présence a pour but d'alléger un film au final très
sombre), elle se moque façon cabaret de certaines excentricités françaises. Il
sera notamment apprécié La Muraille comparant la forme de Quasimodo à un
croissant au beurre. La Cour des Miracles est également une petite
chanson sans prétention mais qui présente à merveille le lieu secret où se
cachent les gitans. Enfin, même les chansons du générique sont à souligner.
Un Jour chanté en français par Ophélie Winter est, en effet, plutôt réussie
mais c'est surtout Les Cœurs sans Logis, magnifiée en français par
Maurane, qui mérite attention : le sens des paroles a d'ailleurs été légèrement
changé dans la langue de Molière leur donnant encore plus de portée.
Chose notable, Le Bossu de Notre-Dame est une adaptation qui s'inspire
plus du roman qu'elle ne cherche à suivre le récit du livre de Victor Hugo. Les
artistes de Disney, avec en tête Tab Murphy qui écrit le scénario, ont fait sur
lui un travail incroyable. Car le film s'éloigne indéniablement beaucoup de la
trame originelle. D'abord, de nombreux personnages sont oubliés dont
Fleur-de-Lys, la fiancée de Phœbus, et Jehan Frollo, le frère du méchant. Le
personnage de Pierre Gringoire, narrateur dans le roman, est fusionné avec celui
de Clopin, le chef des bohémiens de La Cour des Miracles. Certains personnages
évoluent également : Esméralda n'est plus une jeune fille naïve, Phœbus n'est
pas plus le bellâtre égoïste et Claude Frollo laisse tomber ses habits
d'archidiacre de la cathédrale pour celui de juge (Disney n'est en fait pas
capable là d'assumer une critique si virulente contre la religion). Enfin, la
conclusion de l'opus est naturellement changée : il est hors de question pour
les studios de Mickey de faire mourir Quasimodo et Esméralda ! Pour autant, le
film conserve bien l'essentiel du livre car tout le romantisme et la dramaturgie
du romancier français transpire dans chaque scène pour donner au final un des
longs-métrages les plus ambitieux des
Walt Disney Animation Studios. Déjà, les artistes
de Disney gardent un élément très présent dans le roman : la dualité. Elle se
retrouve bien évidemment dans la comparaison menée entre Frollo
et Quasimodo via la simple interrogation "L'homme est-il un monstre ou le
monstre un homme ?
". Mais pas que ! Le spectateur prend ainsi la mesure de la différence entre la
Cour des Miracles dont l'entrée se trouve dans un cimetière sombre et glauque
donnant sur les catacombes, le tout prenant des airs du tréfonds de l'enfer, et
la cathédrale qui fait elle le pont vers le ciel et le paradis. Les artistes
n'ont pas non plus voulu forcément enlever toute la complexité du roman. Il y a
de nombreux non-dits dans le film. Jamais un long-métrage d'animation Disney
n'avait placé autant de métaphores pour parler de sujets sérieux, voire graves.
Un exemple parmi d'autres : lorsque Frollo
rencontre Phœbus et illustre la prolifération des bohémiens dans la ville de
Paris, au lieu de lui formuler ce qu'il attend de lui, il écrase des fourmis.
C'est une scène fort simple mais sa signification est d'une force incroyable
pour illustrer le génocide qui se prépare. Le film aborde également deux sujets
a priori impensables de voir traités un jour au sein d'un Disney : la religion
et l'attirance sexuelle ! Jamais aucun film Disney ne s'était permis de traiter
directement de religion, et de la place de chacun face à sa foi, ses principes
et à sa fidélité à la morale. De même, les allusions sexuelles sont très
présentes via essentiellement le personnage de Frollo
comme dans ce dialogue
d'une précision hallucinante sans pour autant que le mot ne soit jamais lâché :
"[Frollo] J'étais en train d'imaginer une corde autour de cette superbe
gorge !
[Esméralda] Je sais bien ce vous vous voulez !
[Frollo] Voyante et clairvoyante ! C'est typique de votre race
d'altérer la vérité pour troubler les consciences avec des pensées impies."
Il faut d'ailleurs souligner la version française, qui en préférant un langage
soutenu par rapport à la version anglaise, accentue encore plus le côté
moyenâgeux mais aussi les paraboles du récit.
Le Bossu de Notre-Dame aborde également ses propres thèmes. L'exclusion et le droit à la différence sont ainsi des notions très fortes dans le film. Quasimodo se sent ainsi exclu de la société de par son physique ; Esméralda et les gitans de par leur race et Phœbus, chassé de l'armée, de par sa rébellion. Les gargouilles sont tout autant abandonnées et n'ont même pas la possibilité d'être exposés sur la cathédrale. Le film est ainsi un cri du cœur pour les exclus de tout bord superbement mis en image lors de la chanson Les Bannis ont Droit d'Amour où Esméralda prie Dieu de protéger les plus démunies. Le rejet de la différence est ainsi dénoncé principalement via le personnage de Quasimodo qui est caché dans les tours de la cathédrale des yeux du monde. Esméralda est d'ailleurs la seule qui essaye de lui faire comprendre qu'il n'est pas un monstre et qu'il faut se méfier des généralités que disent les gens sans réellement le connaitre. Le film est tellement émouvant qu'il touche au cœur chaque personne qui se sent plus ou moins exclue de par son identité, son orientation sexuelle ou sa religion. Il est devenu auprès des fans Disney le film étendard de l'acceptation de soi et l'acceptation des autres. La scène finale en porte toute la symbolique avec cette petite fille qui s'avance vers Quasimodo enfin décidé à quitter sa tour d'ivoire, sa prison. En la prenant dans ses bras, sans une once de peur ou de rejet, elle montre la voie aux adultes pour accepter cet être bon sous sa carapace difforme qui a sauvé pas moins que la ville de Paris !
Certaines scènes chantées méritent une explication en tant que telle de par leur magnificence et leur réussite. La première d'entre-elle est incontestablement l'ouverture du film portée par la magnifique chanson Les Cloches de Notre-Dame. L'introduction posait d'ailleurs de gros problèmes aux artistes de Disney, surtout à partir du moment où il fut décidé que Frollo serait un juge et non plus un archidiacre. Le début du film nécessitait une grande explication qui, en dialogue, risquait de devenir longue et fastidieuse. Stephen Schwartz propose alors de le faire en chanson tandis que la séquence sera storyboardée par les Français Paul et Gaëtan Brizzi. C'est le déclic ! L'ouverture du (Le) Bossu de Notre-Dame devient alors sans aucun mal la plus belle jamais conçue pour un film Disney. D'une richesse incroyable et d'une inventivité extraordinaire, elle s'appuie sur une animation à couper le souffle avec une musique particulièrement ambitieuse. La séquence arrive ainsi à introduire tout à la fois le personnage de Clopin en tant que narrateur de l'histoire, le secret de la naissance de Quasimodo, son rapport à Frollo et le pourquoi de son adoption par le juge, mais aussi la crainte, mêlée de respect, que Notre-Dame lui inspire surtout quand l'archidiacre lui ouvre les yeux sur ses péchés. Le découpage est superbe avec Clopin jouant avec sa cape et permettant de passer du présent au passé. De plus, l'ouverture donne le ton du film : il sera sombre comme le montre le meurtre de la mère de Quasimodo et le quasi infanticide que s'apprête à faire Frollo. Et puis que dire du tempo ! La salle est encore dans le noir que les cloches se mettent à sonner et les chœurs latins résonnent pour laisser ensuite apparaître le château du label Walt Disney Pictures, quand tout s'emballe avec la cathédrale qui semble sortir des nuages ou du… Paradis. Le spectateur plonge alors dans les rues de Paris où Clopin les attend. Il raconte ainsi son histoire qui explose à la fin par une note aiguë impressionnante alors que Quasimodo fait sonner les cloches de la cathédrale. Du grand art ! Une des rares scènes qui donne le frisson à chaque fois qu'elle est visionnée.
Rien qu'un Jour est la deuxième chanson à mériter un arrêt. Elle expose parfaitement un élément expliqué un peu plus haut : la dualité. La première partie est ainsi chantée par Frollo et prône l'enfermement dans un ton grave empli d'autorité. Une prison physique puisque le père adoptif de Quasimodo veut qu'il reste cloîtré dans la cathédrale mais aussi psychologique puisqu'il le manipule en lui inspirant la méfiance des autres les dénonçant comme tous intolérants et méchants. Dans la deuxième partie de la chanson, Quasimodo livre ses espoirs et ses envies de quitter sa tour et de voir le monde. Rien qu'un Jour s'arrête alors sur une autre dualité : celle de Quasimodo et de la cathédrale. Le bâtiment semble n'avoir aucun secret pour le bossu qui utilise ses talents d'acrobate et sa force physique, tels que décrits par Victor Hugo dans son roman, pour se balader d'un endroit à un autre de l'édifice religieux.
La troisième chanson du film est Charivari. Elle est primordiale à plus d'un titre. D'abord, c'est la seule chanson où tout le casting apparaît : Quasimodo, Esméralda, Phœbus, Frollo, Clopin et les Gargouilles, sans oublier les Parisiens. La scène est aussi importante car, comme le prologue, elle fait énormément avancer l'action : Quasimodo sort pour la première fois de sa tour, découvre le monde, rencontre Esméralda et décroche le titre de Roi des Fous ; Esméralda envoute la foule (y compris le juge Frollo) mais commet une terrible erreur en pensant que le bossu porte un masque, le soumettant alors à la vindicte populaire ; Phœbus tombe littéralement sous le charme de la bohémienne ; Claude Frollo constate impuissant le tout premier acte de désobéissance de son "protégé" et voit des sentiments contradictoires l'envahir au contact d'Esméralda ; enfin, la foule de Paris rencontre le bossu pour la première fois et, appréhension passée, finit par l'élire Roi des Fous sous l'influence de Clopin, lui-même roi des gitans. Charivari, traduction ingénieuse de l'anglais Topsy Turvy, tire son inspiration directement de Victor Hugo. L'auteur commence, en effet, son roman par la fête du 6 janvier (comme le précise la chanson) qui servait de défouloir à la population de Paris, où les faibles pouvaient se moquer des puissants. Autre fait notable, le préfixe "La" est rajouté par Clopin pour désigner Esméralda comme Victor Hugo la désigne lui-même dans le roman (La Esméralda). Enfin, techniquement la séquence de la chanson est une prouesse. Il y a ainsi ce plan de caméra inventif où le spectateur voir l'action via le reflet d'une flaque d'eau ou encore l'utilisation judicieuse de l'animation par ordinateur pour créer une pluie de confettis et tout autant une foule mouvante et crédible, même si avec le temps, le rendu est désormais perfectible...
Un dernier (et double) air mérite enfin des louanges : Une Douce Lueur / Infernal. Si une chanson doit, en effet, gagner la palme de la plus adulte, la plus mature et la plus osée des Walt Disney Animation Studios, c'est clairement celle-ci ! Encore une fois, la séquence soutient le thème de la dualité avec ses deux manières différentes de penser à la belle Esméralda. Quasimodo est lui plein d'espoir et chante les lumières douces du paradis. La première partie s'inscrit donc logiquement dans les tons de bleus, apaisants et tranquilles. La caméra bouge et descend alors de la tour où loge Quasimodo pour se retrouver dans le cœur de la Cathédrale là où l'archidiacre et les prêtes chantent un psaume en latin à la gloire de Marie. La caméra traverse ensuite un vitrail où est représentée la Sainte Vierge pour se diriger vers le Palais de Justice où Frollo est à la fenêtre et prie aussi. Il se dirige alors vers le feu de la cheminée. Et là, la chanson change du tout au tout : au lieu de parler d'espoir et d'amour, le juge aborde le péché, le désir charnel et l'envoutement par la sensuelle Esméralda qui prend forme, langoureusement, dans la fumée de la cheminée. Les feux de l'Enfer et la damnation attendent l'homme de justice ! Car il a fait son choix : soit la bohémienne le choisit lui, soit elle meurt ! Et dans les deux cas, il se voit condamné au purgatoire. Cette deuxième séquence est donc totalement différente de la première. Bâtie sur des tons de rouge, très abstraite, la séquence possède une extraordinaire mise en scène, parfaitement écrite par les frères Brizzi. Le texte comme les images n'en disent pas trop, rien n'est explicite mais la métaphore est tellement forte que le message est limpide.
La grande force du (Le) Bossu de Notre-Dame vient assurément de ses
personnages et de l'incroyable qualité de leurs définitions.
Quasimodo a tout de suite représenté un immense défi pour les artistes de
Disney. Comment, en effet, rendre un personnage difforme attachant et, mieux
encore, lui accorder le premier rôle. Une chose est certaine : ils ont réussi
leur pari et pour cela, ils ont l'excellente idée de faire évoluer à la fois son
physique et son caractère. Quasimodo, chez Disney, n'est pas l'être bourru du
roman mais est un artiste manuel qui gagne en sensibilité. Il parle ainsi
normalement là où il pousse des grognements dans le livre. De plus, il est doté
d'une intelligence normale. En revanche, comme dans l'œuvre d'Hugo, il conserve
sa force hors norme et son exceptionnelle agilité. Bien qu'affreux, il n'est pour
autant pas repoussant. Il tire son indéniable charisme de son statut de symbole
des exclus : n'importe qui a été rejeté, un jour, pour quelques raisons que cela
soit, se retrouve donc dans le personnage. Les artistes de Disney ont, en outre,
l'intelligence de conserver, pour ce qui le concerne, un vrai sens de la réalité
: Quasimodo ne finira donc pas avec la belle Esméralda ! Au lieu de trouver
l'amour, il trouvera en fait l'amitié vraie et au-delà l'estime de soi. Toute la
sensibilité du personnage est merveilleusement portée par Tom Hulce en anglais
et un incroyable et touchant Francis Lalanne en français.
Esméralda, quant à elle, est également une exclue de la société mais qui a la
chance de disposer d'une grande beauté et d'une humanité à toute épreuve. Elle
possède ainsi un vrai sens de la compassion pour son prochain tout en restant
toujours vive, spontanée, franche et décidée. C'est d'ailleurs la seule à venir
soutenir Quasimodo sans hésiter et ce, alors même qu'il est répudié par la foule
: elle est aussi la seule à s'opposer à Frollo
dans une tirade qui donne des frissons. Car Esméralda rejette d'abord et avant
tout l'exclusion des gens différents, qu'ils soient difformes ou gitans, par la
société, la population ou l'État. D'une vingtaine d'année, elle est une des
premières héroïnes Disney à être réellement adulte : ce n'est manifestement pas
une vierge désirant sortir de sa prison dorée. Danseuse sexy et sensuelle, elle
est le personnage Disney féminin le plus voluptueux que les studios Disney n'ait
jamais proposée (Jessica Rabbit n'a pas en effet eu cette honneur puisque
Qui Veut la Peau de Roger Rabbit est sorti chez
Touchstone Pictures). Son animation, comme Belle dans La Belle et la Bête,
est malheureusement imparfaite. Elle peut ainsi être incroyablement belle et
aguicheuse comme dans sa robe rouge lors de la chanson Charivari où ses
formes ressortent comme jamais, ou, au contraire, disposer d'un visage aux traits hésitants
comme dans sa chanson Les Bannis ont Droit d'Amour. Sa voix, par contre,
que cela soit en anglais par Demi Moore ou en français par Rebecca Dreyfus, ne
souffre d'aucune critique.
Claude Frollo est assurément le méchant
masculin le plus réussi et le plus complexe de Disney. Sa force est d'ignorer
son état et d'être toujours persuadé de se situer du côté du bien. Il pense en
effet agir selon les préceptes de la justice et de sa foi. Or, il accueille
Quasimodo non pas par gentillesse et compassion mais par peur du purgatoire
alors qu'il était à deux doigts d'accomplir un infanticide au nom de la
religion, certain de se débarrasser d'un enfant de Satan. De la même manière, il
est persuadé de faire régner la justice, l'ordre et la morale religieuse en
chassant et emprisonnant les gitans. En réalité, seuls le racisme et la
xénophobie motivent ses
actes n'hésitant pas à effectuer un génocide et à brûler tout Paris pour
assouvir son envie de pureté. Paradoxe suprême, il ne recherche pas Esméralda
pour son statut d'Egyptienne mais bien car il est attiré physiquement par elle.
Sauf que cette attirance pour le péché de luxure le déstabilise totalement en
contredisant ce que lui dicte sa foi, qu'il a la faiblesse de penser inébranlable
; son aversion pour les gitans fait le reste. Au final, froid et calculateur Frollo
préfère condamner son âme à la damnation et mettre tout en œuvre pour assouvir
son désir. Il laisse alors déborder sa haine à la toute fin quand il se rend
compte que Quasimodo a sauvé la bohémienne. L'animation du personnage est juste
parfaite tandis que sa voix est tout aussi impressionnante (en anglais par Tony
Jay et en français par Jean Piat).
Le Phœbus de la version disneyenne n'a finalement que peu de choses à voir avec
celui du roman mis à part son côté bellâtre. Dans le livre, il est, en effet
vaniteux et égoïste, courant deux lièvres à la fois : sa fiancée Fleur-De-Lys
pour la position sociale et Esméralda pour assouvir un simple désir physique.
Chez Disney, il devient un capitaine des gardes efficace et fidèle mais finit
par se rebeller contre l'ordre ne supportant plus les atrocités commises au nom
de la loi, quitte à devenir un paria. Dans une scène incroyable où il sauve le
meunier et sa famille d'un assassinat pur et simple, il devient, il est vrai, à
son tour un exclu ! Lui aussi tombe sous le charme d'Esméralda mais
contrairement à Frollo, son amour est
vrai et sincère et lui permet de devenir ce preux soldat qui prend le cœur de la
belle gitane. Son design ressemble étrangement à celui de John Smith dans
Pocahontas, une Légende Indienne même s'il
revêt une barbichette (une première chez un héros Disney !). Il est bizarrement
plus attachant que son alter-égo anglais car il conserve un côté plus bourru,
typiquement parisien. Du côté de la voix, il est parfaitement interprété par
Kevin Kline en anglais et par Emmanuel Jacomy en français.
Clopin est un personnage qui se voulait mineur dans le film (il l'est encore
plus dans le livre !). Pourtant, force est de constater qu'il dégage une
prestance et une présence incroyable ! Chef des gitans, il est avant tout le
narrateur et interprète de pas moins de quatre chansons dont celles d'ouverture
et de fermeture, une reprise des (Les) Cloches de Notre-Dame. Gitan de
son état, il est de fait un exclu mais conserve un côté de meneur qui fait qu'il
sait s'imposer en maître de cérémonie lors de la Fête des Fous ! Superbement
animé, il jouit en outre d'une voix chantée tout bonnement incroyable aussi bien
en anglais par Paul Kandel qu'en français par Bernard Alane. Alors même qu'il
est peu présent dans le film, Clopin a su se construire toute une communauté de
fans qui lui voue un véritable culte.
Les personnages qui ont fait couler beaucoup d'encre et qui sont détestés par un
bon nombre de spectateurs sont les trois gargouilles : La Muraille (Hugo en
anglais), La Rocaille (Victor en anglais) et La Volière (Laverne en anglais).
Leur humour comme leur présence ont tout de go été considérés comme incongrus,
pénalisant par trop le ton dramatique du film. Mauvais procès que celui-là !
Leur existence et leur présence dans le film se justifient déjà par le fait que,
dans le roman, Victor Hugo décrit Quasimodo parlant aux statuts de pierre de la
cathédrale qui constituent en réalité ses seules amies. De plus, ces petits
personnages comiques sont une véritable marque de fabrique des longs-métrages
d'animation Disney : à destination des enfants, leurs interventions permettent
d'alléger le film et de faire retomber la tension entre deux scènes sombres.
Deux choses sont toutefois à regretter tant elles sont à l'origine de la
détestation des personnages par le public. La première est que l'humour porte
parfois inutilement un peu trop sur les flatulences ; une mode suivie chez
Disney à l'époque depuis le personnage de Pumbaa dans Le Roi Lion.
La seconde, bien plus gênante, est à rechercher dans leurs absences de jambes
rendant leurs démarches chaotiques et grotesques. S'ils ne méritent pas la volée
de bois vert qu'ils subissent, La Muraille, La Rocaille et La Volière n'en
restent pas moins la véritable seule fausse note du film.
Si le casting du (Le) Bossu de Notre-Dame est parmi l'un des plus
beaux de tout le cheptel Disney, un autre élément du film mérite toutes les
éloges : les décors absolument magnifiques !
Parmi eux, Notre-Dame est tout simplement splendide. La cathédrale peut jouer
ainsi, comme dans le roman, un rôle primordial en étant un personnage à part
entière. Elle peut être juge quand elle fixe Frollo
alors qu'il s'apprête à commettre un infanticide ; cosy quand elle donne un chez
lui à Quasimodo ; accueillante et chaleureuse quand elle permet Esméralda de s'y
réfugier pour demander le droit d'asile ou enfin vengeresse quand elle punit Frollo
pour ses crimes en l'envoyant dans les tréfonds de l'enfer. Mais surtout,
Notre-Dame est toujours imposante et majestueuse, des caractéristiques soulignés
par les artistes Disney avec l'utilisation de lignes droites. Enfin, que dire de
cette superbe scène où la cathédrale se défend contre les troupes de Frollo
en déversant du plomb fondu sur ses assaillants ? Vraie prouesse technique, la
séquence est à la fois impressionnante visuellement et d'une incroyable beauté.
Les artistes Disney se sont manifestement surpassés et rendent un superbe
hommage à Notre-Dame, que cela soit à l'intérieure via ses marbres ou ses
vitraux ou à l'extérieur avec ses statuts et ses reliefs. Preuve de la recherche
historique minutieuse, le spectateur remarque les marches qui se trouvent sur le
parvis : présentes à l'époque où se déroule le film, elles ont ensuite disparu
ramenant la cathédrale au niveau du sol.
Enfin, un petit mot sur le Paris médiéval qui est aussi beau que la cathédrale.
Plus sombre et sale que le Paris décrit dans Les
Aristochats, le décor se veut plus authentique. Des catacombes au palais de
justice, le Paris du film n'a ainsi rien de romantique. Le but est de montrer
les bas-fonds de la capitale décrits par Victor Hugo dans son roman, s'opposant
à la magnificence et la sérénité de la cathédrale. L'effet est encore plus
saisissant quand Paris est incendiée sous les ordres de Frollo.
La critique américaine accueille le film avec bienveillance saluant le côté
adulte mais reprochant de s'être si éloigné du roman français. Etonnamment, la
presse française est beaucoup moins virulente que la presse anglo-saxonne et
apprécie que le film rende finalement bien hommage au discours gothique et social
de Hugo, et surtout mette aussi bien en valeur la cathédrale Notre-Dame. Alors
certes, certaines voix dans l'élite culturelle regrettent que Disney, vu comme
représentant l'impérialisme américain, ose utiliser et adapter à sa sauce un
classique de la littérature française. Mais ce genre de reproche
d'anti-américanisme primaire s'avère finalement assez rare. La seule note
négative vient en réalité de la famille Hugo. Elle proteste, dans une tribune
écrite cinq mois après la sortie, contre la récupération par Disney, à des fins
commerciales, du classique de la littérature qu'est devenu
Notre-Dame de Paris et de la
standardisation de la culture qu'entraînent les adaptations de ce type. Mais la
famille ne parle pas d'une seule voix : Pierre Hugo, l'un des
arrière-arrière-petits-fils de Victor Hugo, publie dans un autre quotidien une
lettre où il exprime un avis différent jugeant le film admirable. Il met
également en avant le fait qu'il se vendait déjà, bien avant Disney, des poupées
de chiffon à l'effigie de Quasimodo et Esméralda, et ce même du vivant de
l'auteur grâce au succès du roman.
Pourtant, malgré sa récolte de louanges, Le Bossu de Notre-Dame ne sera
récompensé d'aucun prix. Certes, il est nommé pour la Meilleure Musique à la fois
au Golden Globes et aux Oscars mais n'obtient rien. Une première pour un Disney
depuis La Petite Sirène où chaque partition des
Walt Disney Animation Studios avait raflé un Oscar
(La Belle et la Bête, Aladdin,
Le Roi Lion et
Pocahontas, une Légende Indienne). Pire, le film n'est même pas nommé pour
la meilleure chanson ! Bien que la partition et les chansons d'Alan Menken aient
été saluées comme les plus riches et les subtiles du compositeur par la
critique, l'intelligentsia hollywoodienne se lassait de voir Disney faire
toujours des comédies musicales et emporter à chaque fois les prix. Le Bossu
de Notre-Dame est donc une victime collatérale d'un ras-le-bol généralisé
vis-à-vis de Disney et se voit bouder au niveau des récompenses.
Le film a droit à une avant-première grandiose le 19 juin 1996 à La Nouvelle
Orléans, la ville la plus française des États-Unis mais aussi reine du carnaval
et meilleure représentante de l'esprit charivari de l'opus. Le Bossu de
Notre-Dame sort deux jours plus tard dans tout le pays et prend la deuxième
place avec 21.3 millions de dollars. Le résultat est correct mais se situe à
mille lieux de celui du
(Le) Roi Lion ou de
Pocahontas, une Légende Indienne (déjà
qualifié de déception pour Disney par les analystes). Le film finit ainsi juste
au-dessus de 100 millions de dollars et donc, quoiqu'en disent les
esprits-chagrin, assez pour être considéré à l'époque comme un blockbuster.
Au niveau mondial, Le Bossu de Notre-Dame signe un score bien plus
satisfaisant avec un total de 325 millions de dollars. Il est le cinquième film
de l'année, et le deuxième pour The Walt Disney Company battu de 10
millions de dollars par
Rock. Avec un budget de 100 millions
de dollars (un record à l'époque pour un film d'animation) et malgré un
marketing estimé à 40 millions de dollars, Le Bossu de Notre-Dame est
donc considéré comme un succès financier qui engendre des bénéfices estimés à
500 millions de dollars quand les produits dérivés sont ajoutés dans la balance.
En France, il réalise un véritable triomphe. Avec plus 6.8 millions de
spectateurs, il est premier du box-office français cette année là, loin devant
le second Independence Day à 5.6 millions d'entrées. C'est l'un des
meilleurs résultats de Disney des années 90 derrière
Le Roi Lion (10.7 millions d'entrées) et Aladdin
(7.2 millions d'entrées). Par la suite, toujours dans les années 90, seul Tarzan
fera mieux avec 7.8 millions d'entrées. Dans les années 2000, deux Pixar
battront aussi Quasimodo :
Le Monde de Nemo (9.5 millions d'entrées) et Ratatouille
(7.8 millions d'entrées).
Malgré son succès, Le Bossu de Notre-Dame n'arrive pas à exister
au-delà de sa sortie initiale. Au contraire, son côté sombre freine Disney à
l'utiliser comme une franchise sur le long-terme. Dès lors, il se voit
malheureusement, en dehors des fans Disney, plutôt oublié du grand public et des
cinéphiles. Néanmoins, quelques petits projets, plus ou moins heureux,
permettent de le faire revivre, ici et là. Sa suite,
Le Bossu
de Notre-Dame 2 : Le Secret de Quasimodo, produite par
DisneyToon Studios et sortie directement en vidéo
doit tout simplement être ignorée tellement le produit fini est une ignominie faisant
honte au film d'origine.
Côté parc, un spectacle musicale au Disney's Hollywood Studios, The
Hunchback of Notre Dame - A Musical Adventure est proposé de 1996 à 2002.
Le Bossu de Notre-Dame sert également de thème pour les cinq ans de
Disneyland Paris avec de nombreux Personnages
comme Clopin, Quasimodo, Esméralda, Phœbus et Frollo.
Depuis, seul le méchant revient régulièrement pour Halloween notamment.
L'utilisation la plus significative du film reste la création de la comédie
musicale, façon Broadway, par Disney Theatrical Productions.
Proposé en 1999, sous le titre, Der Glöckner von Notre Dame, c'est le
premier spectacle à être présenté d'abord en dehors des États-Unis. Si le
musical reprend les chansons du film avec d'autres écrites spécialement par Alan
Menken et Stephen Schwartz, le ton y est bien plus sombre, allant jusqu'à faire
mourir Esméralda ! C'est encore plus vrai quand le show est monté aux États-Unis
à partir de 2013 où les personnages des gargouilles sont carrément supprimés et
celui de Jehan, le frère de Frollo, présent dans le roman, rajouté. Enfin, la
fin se rapproche de celle du livre. La version américaine connait sa première en
avril 2013 à The King's Academy à West Palm Beach en Floride puis a droit
à des représentations du 28 octobre au 7 décembre 2014 à La Jolla Playhouse
à San Diego en Californie et du 4 mars au 5 avril 2015 au Paper Mill
Playhouse à Millburn dans le New Jersey. Encore une fois, le ton sombre du
musical, malgré de bonnes critiques, freine Disney qui renonce à le proposer à
Broadway, de peur que le public rejette un spectacle ne correspondant pas à
l'aura de sa marque.
Le Bossu de Notre-Dame est un film à la beauté époustouflante, à la thématique riche et ambitieuse et aux personnages charismatiques et attachants ; le tout bâti sur un ton sombre et adulte comme jamais aucun Disney ne l'avait fait auparavant. Rien d'étonnant qu'il soit devenu pour certains spectateurs, le film des Walt Disney Animation Studios qui dénonce le mieux l'exclusion et le rejet sous toutes ses formes. Quasimodo comme les gitans ou même Phœbus sont, en effet, des personnages qui parleront à toute personne sortant de la norme et qui a vécu le rejet qu'il vienne d'un handicap, d'une religion, d'une culture, d'une race ou d'une orientation sexuelle. Le Bossu de Notre-Dame est LE film qui prône la tolérance et l'acceptation de soi.
Le Bossu de Notre-Dame est un des plus beaux chefs-d'œuvre de Disney, si ce n'est son chef-d'œuvre absolu !
Le Bossu de Notre-Dame a une place à part sur Chronique Disney, considéré par certains membres du site comme leur film préféré, notamment par son créateur. En 1997, ce dernier écrivait d'ailleurs, dans le cadre de ses études d'ingénieur, un mémoire qui compare le roman Notre-Dame de Paris au film Le Bossu de Notre-Dame et tente de démontrer le parfait respect de l'esprit de Hugo dans cette adaptation. Publié trois ans avant la naissance même de Chronique Disney, il peut être considéré comme les prémices du site. 18 ans après, le temps a passé et sa naïveté et son style doivent être pardonnés. Le voici, tel que publié à l'époque :