Le Bossu de Notre-Dame
Du Roman au Film
Avant-propos
Le Bossu de Notre-Dame a une place à part sur Chronique Disney, considéré par certains membres du site comme leur film préféré, notamment par son créateur. En 1997, ce dernier écrivait d'ailleurs, dans le cadre de ses études d’ingénieur, un mémoire qui compare le roman Notre-Dame de Paris au film Le Bossu de Notre-Dame et tente de démontrer le parfait respect de l'esprit de Hugo dans cette adaptation. Publié trois ans avant la naissance même de Chronique Disney, il peut être considéré comme les prémices du site. Plus de vingt ans après, le temps a passé et sa naïveté et son style doivent être pardonnés. Le voici, tel que publié à l’époque...
Le mémoire
En l'an de grâce 1482, les cloches de Notre-Dame rythment la vie du peuple de Paris. Mais qui est donc celui qui fait chanter la cathédrale ? Là haut, tout là haut dans les tours de Notre-Dame vit un être difforme. Qui est-il ? D'où vient- il ? Moi, Clopin, je vais vous le conter : c'est l'histoire, l'histoire d'un homme... et d'un monstre !
Les studios Disney ont décidé, par le prologue ci-dessus, de présenter leur dernier film d'animation, Le Bossu de Notre-Dame, comme un conte moyenâgeux raconté par un troubadour. Pour la cinquième fois, ils s'inspirent d'une histoire française. Cette fois, il s'agit d'un des chefs d'oeuvre de notre littérature : Notre-Dame de Paris de Victor Hugo.
Mon étude s'efforcera de comparer et d'analyser le film d'animation des studios Disney avec l'oeuvre de Hugo. J'essayerai de montrer et de décrire les différents éléments qui font de ce film un chef d'oeuvre de l'animation, pas si éloigné somme toute de l'esprit de Hugo. Mon dossier s'articulera de la manière suivante : tout d'abord je résumerai l'histoire du roman et du film et donnerai mes impressions, puis je ferai une description des personnages principaux, je continuerai par l'analyse des décors principaux et des personnages secondaires, enfin j'étudierai les contrastes lumineux très présents dans le film grâce à trois moments importants du film.
L'histoire commence au début du mois de janvier 1482, dans la Grande Salle du Palais de Justice de Paris où se joue une pièce de théâtre en l'honneur des ambassadeurs flamands. Cette pièce a été écrite par le poète Pierre Gringoire, fier de montrer pour la première fois son oeuvre. Mais c'était sans compter sur le véritable événement de la journée : la Fête des Fous. Gringoire va voir son mystère ignoré par la foule à cause de l'élection du pape des fous en la personne du difforme sonneur de cloches de Notre-Dame : Quasimodo et également des danses envoûtantes de la bohémienne "La Esmeralda" accompagnée de sa chèvre savante Djali.
Gringoire, déçu de l'insuccès de sa pièce, flâne dans les rues de Paris. Il va voir l'archidiacre Claude Frollo punir Quasimodo pour avoir participé à la Fête des Fous. Plus tard dans la soirée, il va être témoin de la tentative d'enlèvement d'Esmeralda par Frollo et Quasimodo mais sauvée in extremis par le capitaine des gardes Phoebus de Châteaupers. Il va continuer à errer jusqu'à ce qu'il arrive malencontreusement à la Cour des Miracles, repère des gitans et des voleurs de Paris. Clopin Trouillefou, roi des bohémiens, décide de pendre l'intrus. Gringoire serait mort si la coutume chez les brigands n'était de demander si une femme voulait du condamné à mort pour mari. Car en effet, Esmeralda, par pitié pour le poète, décide de l'épouser. Mais ce n'est pas un mariage consommé car cette dernière est tombée, peu de temps avant, amoureuse de son sauveur.
Seize ans plus tôt, Claude Frollo recueillit un enfant difforme de quatre ans qui avait été déposé dans la cathédrale. Il le nomma Quasimodo à cause de sa difformité. En effet, Quasimodo était bossu et devint vite sourd à force de faire sonner les cloches de Notre-Dame. Claude Frollo qui voyait son frère cadet Jehan fréquenter les vauriens, décida, quand il devint archidiacre, de faire vivre Quasimodo dans la cathédrale pour qu'il reste aussi pur que le saint édifice.
De retour en 1482, Quasimodo injustement accusé de désordre lors de la Fête des Fous est enchaîné à un pilori sur une place publique. Esmeralda prend pitié et vient lui donner de l'eau. Quasimodo apprécie grandement ce geste surtout après ce qu'il lui avait fait la veille. Parallèlement, on apprend de deux femmes venant de Reims, que seize ans plus tôt des "Egyptiens" enlevèrent une belle petite fille à sa pauvre mère et qu'ils avaient également avec eux un enfant difforme. La mère de la jeune fille est venue à Paris et reste dans le trou aux rats, lieu de pénitence pour effacer ses péchés ; les Parisiens l'appellent la recluse.
Frollo est également tombé amoureux d'Esmeralda mais pour lui c'est une fatalité ; il grave ce mot en grec sur un pylône de la cathédrale. Ce mot est fatalité. Il se sent damné à cause de cette tentation mais également pour ses goûts pour l'alchimie. A partir de ce moment, il décide de la condamner à mort pour avoir l'âme en paix. Quant il voit qu'Esmeralda est amoureuse de Phoebus, il prépare un attentat et assassine le capitaine. Il fait accuser la bohémienne de meurtre contre le capitaine. Celle-ci se fait accuser du meurtre de l'homme qu'elle aime, mais qui ne l'aimait pas et qui avait l'intention de se marier avec une jeune fille riche.
Esmeralda est condamnée car il manque des preuves l'innocentant et les magistrats, à cause des dires de l'archidiacre, pensent que c'est une sorcière. Elle est enfermée dans un cachot en attendant sa pendaison. Claude Frollo vient la voir et lui demande de choisir entre lui et la corde. Aimant toujours Phoebus et croyant avoir été aimée de lui, elle choisit la corde. Le jour de l'exécution arrive. Esmeralda est escortée dans Paris. Le cortège s'arrête devant le parvis de Notre-Dame pour que les prêtres lui donnent la bénédiction. Frollo réitère sa proposition ; Esmeralda refuse de nouveau. Quand tout à coup, Phoebus apparaît à une fenêtre de la place de Notre-Dame au bras de sa fiancée ; Frollo comprend qu'Esmeralda ne cédera jamais et donc la condamne définitivement à mort ; Esmeralda, voyant qu'elle a été injustement accusée de meurtre et voyant que son aimé est avec une autre femme, s'évanouie, l'émotion étant trop grande. Le cortège allait repartir quand Quasimodo suspendu à une corde vient enlever Esmeralda et l'emporte en escaladant la façade de la cathédrale. Il s'arrête, regarde la foule de Paris à ses pieds et crie trois fois : "Asile !".
Le droit d'asile de Notre-Dame était sacré et personne dans le royaume ne pouvait le transgresser. Esmeralda est sauve mais obligée de vivre enfermée dans les tours du lieu saint : une bien magnifique prison. Quasimodo la nourrit et veille sur elle. Elle le trouve repoussant mais apprécie tout ce qu'il fait pour elle. Un soir, alors que la gitane commençait à reprendre confiance, l'archidiacre vient harceler la jeune femme. Effrayée, elle appelle le bossu de Notre-Dame à son aide. Il chasse Frollo pensant que celui-ci était un quelconque individu. Frollo devient alors jaloux de son fils adoptif et se jure de tout faire pour qu'elle ne soit à personne.
Gringoire croise, plusieurs jours plus tard, son ancien professeur : Claude Frollo. Celui-ci obtient du poète de l'aider à faire évader la gitane en échange de la chèvre savante emprisonnée avec sa maîtresse. Les truands de la Cour des Miracles se préparent également à venir sauver La Esmeralda. Ils se dirigent vers Notre-Dame, armés de tout ce qu'ils ont pu trouver. Ils prennent d'assaut la cathédrale. Quasimodo protège le saint édifice du mieux qu'il peut, n'hésitant pas à faire tomber des pierres et du plomb fondu sur les assaillants. Dans la bataille, il tue Jehan. Le roi, Louis XI, qui est à Paris ce jour-là entend qu'on attaque Notre-Dame. Il ordonne donc qu'on arrête les brigands et qu'on pende l'instigatrice de ces méfaits : la bohémienne. Les gardes viennent donc à la rescousse et font fuir les brigands. Dans son combat contre les gardes royaux, Clopin est tué. Quasimodo retourne dans la pièce d'Esmeralda pour fêter sa victoire ; il la trouve vide.
En effet pendant l'assaut des brigands, Gringoire et Frollo font évader l'Egyptienne et sa chèvre. Gringoire s'éclipse vite avec la chèvre. Frollo emmène la gitane sur la place publique. Il lui refait sa proposition qu'elle refuse une nouvelle fois. Fou de rage, il la confit à la recluse du trou aux rats pendant qu'il va chercher les gardes royaux. Par hasard, la recluse va reconnaître en la gitane, qu'elle déteste tant, sa fille enlevée il y a seize ans. Mais malheureusement les gardes arrivent pour pendre la jeune fille. La recluse essaye de les en empêcher, mais elle meurt dans sa tentative. Frollo, du haut des tours de Notre-Dame, assiste au spectacle. Quasimodo, inquiet du devenir de la gitane, se glisse derrière son père et voit la pendaison d'Esmeralda. Fou de rage et comprenant la véritable nature de son père, il pousse celui-ci dans le vide. Quelques années plus tard, on trouve dans une cave de Paris deux squelettes entrelacés : celui d'une femme et un autre difforme.
Paris se réveille en cette matinée de l'an 1482. Au coin d'une rue nous retrouvons la roulotte d'un bohémien habillé tel un bouffon. Ce troubadour du nom de Clopin raconte à des enfants l'histoire d'un homme et d'un monstre. Son histoire commence près des quais de Notre-Dame. Quatre gitans essayent de rentrer dans Paris clandestinement, parmi eux un couple avec un enfant. Mais un piège a été tendu aux bohémiens par le terrible juge Claude Frollo. Il fait emprisonner les hommes, mais pensant que la femme tient un butin volé, il essaye de lui prendre le paquet des bras. Elle s'enfuit mais Frollo arrive à la rattraper grâce à son cheval. Elle était arrivée sur le parvis de Notre-Dame pour demander droit d'asile. En lui arrachant son paquet des mains, Frollo provoque la chute mortelle de la femme. Sans remords, il regarde le paquet. Voyant que c'est un monstre bossu, il décide de le jeter dans un puits. Mais l'archidiacre l'en empêche et lui ordonne d'élever l'enfant. Frollo accepte à condition que l'enfant reste enfermé dans les tours de Notre-Dame. Il pensa qu' après tout cet être pourrait bien lui servir un jour. Frollo appela l'enfant Quasimodo en raison de sa difformité. Vingt années ont passé et Quasimodo est devenu le sonneur des cloches de la cathédrale.
Quasimodo est resté cloîtré durant toute sa vie dans les tours de Notre-Dame. Ses seules confidentes sont des gargouilles de la cathédrale qui a ses yeux sont des êtres vivants et pensants : ce sont La Muraille, La Rocaille et La Volière. Ce matin-là, dans la ville, c'est la préparation de la Fête des Fous. Chaque année, du haut de ses tours, Quasimodo assiste au spectacle. Mais cette année, il voudrait bien y participer. Les gargouilles lui conseillent d'y aller déguisé sans que son maître n'en sache rien. Son maître, le juge Frollo, arrive discrètement et surprend l'envie de son protégé d'aller à cette fête.
Frollo lui dit qu'il doit rester dans la tour pour qu'il puisse le protéger du monde extérieur hostile aux monstres, en particulier de ces êtres malfaisants que sont les gitans et dont sa propre mère, n'a eu aucun remords à abandonner son fils parce qu'il était bossu et difforme. Quasimodo lui dit qu'il n'ira pas mais son plus profond désir est de sortir un jour hors de ses tours.
Phoebus revient à Paris après vingt ans d'absence. Capitaine des gardes, il a été rappelé de la guerre par le juge Frollo. Sur le chemin du palais de justice, il croise une belle gitane accompagnée d'une chèvre qu'il aide à échapper aux harcèlements de deux soldats. Arrivant au palais de justice, il rencontre le juge Frollo qui lui confie sa mission : trouver la Cour des Miracles, le repère des gitans et les éliminer tous pour que Paris retrouve sa quiétude. Mais les premiers sons du carnaval résonnent, tous deux se rendent à la Fête des Fous.
Quasimodo désobéit finalement et se rend à la fête. Il se retrouve bien malgré lui entraîné par la foule et le maître de cérémonie : Clopin. Par maladresse, il rentre dans la tente d'une belle gitane qui, à sa grande surprise, le regarde sans dégoût. Retournant à la fête, il voit Clopin annoncer la venue d'une créature céleste : Esmeralda qui n'est autre que la belle gitane que Phoebus et Quasimodo ont rencontré plus tôt dans la journée. Après sa danse envoûtante, vient alors le moment le plus attendu du festival : l'élection du roi des fous. Quasimodo est choisi et devient le nouveau roi. Tout d'abord acclamé par la foule, il est ensuite hué, attaché à un pilori et criblé de légumes après que des soldats se soient moqués de sa laideur. Frollo, furieux de la désobéissance du bossu, refuse d'arrêter les cruels agissements de la foule. Seule Esmeralda se porte au devant du malheureux en venant lui essuyer le visage et lui couper ses liens. Mais Frollo n'apprécie pas l'affront que lui fait la bohémienne et envoie ses gardes à ses trousses. Avec panache, elle arrive à disparaître après avoir échappé aux soldats. Quasimodo, honteux retourne dans la cathédrale.
Quelques instants plus tard, Esmeralda se glisse furtivement dans la cathédrale. Phoebus, qui avait pour ordre de l'arrêter, la suit. Frollo voit la gitane et vient la capturer mais Phoebus aide la bohémienne en disant à son supérieur qu'elle demande droit d'asile. Frollo ne peut rien faire surtout lorsque l'archidiacre vient plaider la cause d'Esmeralda. Mais il poste des gardes à chaque sortie. Esmeralda est en train de prier quand elle aperçoit Quasimodo. Elle le suit jusqu'à sa tour où elle est ébahit par sa tanière. Elle essaye également de lui faire comprendre que son maître a peut-être tort à propos de son peuple et de lui. Quasimodo lui propose de l'aider à son tour. Pour cela, il escalade la façade de l'église en portant la gitane et sa chèvre, et arrive à faire fuir clandestinement Esmeralda. Pour le remercier, elle lui donne un talisman, clé de la cité des gitans.
Quasimodo est devenu amoureux d'Esmeralda mais il n'est point le seul, Phoebus ainsi que le juge sont épris de la bohémienne. Frollo prie d'ailleurs la vierge Marie pour enlever cette pensée impie de son esprit mais la tentation est trop grande. Il se jure que la gitane sera à lui ou elle brûlera et il n'hésitera pas à mettre Paris à feu et à sang pour la retrouver.
Frollo, accompagné de ses garde ainsi que de Phoebus, traque et questionne les gitans sur Esmeralda. Mais les bohémiens ne veulent pas trahir une des leurs. Frollo ordonne qu'ils soient emprisonnés. Ils arrivent chez le meunier, Frollo est persuadé que celui-ci a caché des gitans malgré qu'il clame son innocence. Il les met en résidence surveillée et enferme le meunier et toute sa famille dans leur demeure. Puis, il ordonne à Phoebus de brûler la maison pour faire un exemple. Ecoeuré des pratiques de son supérieur celui-ci se rebelle et est pris en chasse par la garde. Blessé, il tombe dans la Seine mais Esmeralda qui a assisté à toute la scène vient le sortir des eaux.
Esmeralda emmène Phoebus se faire soigner par Quasimodo. Ce dernier surprend alors la gitane et le capitaine en train de s'embrasser. Il comprend alors qu'il ne sera jamais aimé d'Esmeralda. Par contre, il sait qu'il pourra compter sur son amitié. Esmeralda quitte Notre-Dame précipitamment car Frollo approche. Quasimodo a juste le temps de cacher le corps de Phoebus avant l'arrivée de son maître. Celui-ci lui reproche l'aide qu'il a fournie à la bohémienne mais lui promet qu'il sera bientôt débarrassé d'elle. En effet, à l'aube il attaque le repère des gitans, qu'il a enfin trouvé avec un millier d'hommes. Après le départ de Frollo, Quasimodo décide de partir avec Phoebus prévenir Esmeralda et les gitans en s'aidant du talisman que lui a donné la bohémienne.
Le talisman, qui n'est autre qu'un plan, les conduit dans un ancien cimetière où un passage secret les emmène dans les catacombes. Là, un piège leur est tendu par les gitans. Clopin, roi de la Cour des Miracles, pensant avoir capturé deux espions de Frollo, va les pendre quand Esmeralda l'en empêche en garantissant leur bonne foi. Mais Frollo apparaît soudainement avec toute sa troupe. Il jubile d'avoir enfin trouvé la Cour des Miracles, capturé tous les gitans, son capitaine des gardes qu'il croyait mort et enfin la gitane effrontée. Il remercie Quasimodo de l'avoir emmené jusque dans la tanière des bohémiens : il savait bien qu'il lui serait utile un jour.
Frollo organise l'exécution publique sur le parvis de Notre-Dame. Il fait une proposition à Esmeralda : choisir entre lui ou le feu. Comme réponse, elle lui crache à la figure. Il la condamne à mort pour sorcellerie. Quasimodo est enchaîné sur les tours de la cathédrale. D'abord désemparé, il devient ensuite fou de rage quand Frollo allume le bûcher. Il se libère alors de toutes ses chaînes, prend une corde et s'empresse de secourir la gitane en survolant la foule de Paris. Puis il escalade la cathédrale et porte Esmeralda au dessus de sa tête en criant trois fois : "droit d'asile". Frollo veut récupérer la bohémienne, pour cela il prend d'assaut la cathédrale. Phoebus arrive à se libérer et exhorte la foule à se rebeller contre Frollo et ses soldats. Quasimodo pour défendre Notre-Dame envoie du haut de ses tours des poutres de bois et du plomb fondu. Mais Frollo arrive à pénétrer dans la cathédrale. Il est bien décidé à tuer la gitane et le bossu. Quasimodo essaye de protéger Esmeralda. Son maître lui avoue alors qu'il a tué sa mère. Frollo, en essayant de porter le coup de grâce à ses victimes, se penche, trébuche et tombe du haut de la cathédrale.
Sa protégée sauvée, Quasimodo accepte l'amour d'Esmeralda et de Phoebus. Ceux-ci l'emmènent hors de la cathédrale. Là, une petite fille lui caresse le visage pour le remercier. La foule, alors acclame le bossu et le porte en triomphe dans les rues de Paris.
J'ai intitulé cette partie ΑΝΑΓΚΗ (fatalité) car ce mot est à l'origine du roman et donc du film. En effet Victor Hugo nous dit qu'il trouva, en furetant dans les tours de Notre-Dame, ce mot gravé en grec dans les murs. Il pensa tout de suite que ce mot fut gravé au Moyen Age. Depuis, nous dit-il, ce mot a disparu. C'est ce mot qui est à l'origine du roman. Je trouve qu'il résume parfaitement l'histoire de Notre-Dame de Paris. Tous les personnages sont accablés par la fatalité. Tout d'abord, Quasimodo est prisonnier de son apparence physique et ceci lui confère dès sa naissance un handicap qui le coupera du reste du monde. Frollo pense que sa passion pour Esmeralda est une fatalité et qu'il est de toute manière damné, alors il n'hésite pas à vouloir la bohémienne exclusivement pour lui-seul et sa passion crée d'autres sentiments chez lui qui l'emmèneront jusqu'au meurtre. Esmeralda est belle mais la fatalité a voulu qu'elle se fasse enlever à sa mère par des gitans et que l'archidiacre tombe amoureux d'elle et l'harcèle jusqu'à sa mort. La fatalité est également très présente dans le roman car tous les personnages meurent à l'exception de Gringoire et de Phoebus. Dans Le Bossu de Notre-Dame par contre c'est l'inverse : les scénaristes de Disney ont voulu montrer que rien n'est fatalité et que même si on est soit disant affreux, on peut être utile et se faire accepter par la société ; mais ceci ne se fait pas sans mal et ce n'est pas en restant enfermé dans sa tour que l'on peut y arriver mais en prenant des risques.
A travers le passionnant roman historique et le psychodrame qu'est Notre-Dame de Paris, Hugo expose ses points de vue sur la "modernisation" des bâtiments gothiques, l'alchimie, le satanisme, les gitans et l'histoire française. Mais ce livre, pétri de la fascination que Hugo vouait à l'histoire, à l'étrange, au mystérieux et à l'occulte, est aussi un hymne au style gothique, foisonnant d'émotions, passionné, sombre et méditatif. Il s'agit là d'un modèle de romantisme qui regorge d'images intenses et nous révèle un auteur qui touche l'humanité toute entière.
Nous pouvons voir donc que l'esprit du roman et celui du film sont plutôt divergents. Mais l'histoire l'est également. Tout d'abord, les studios Disney l'ont dit clairement : l'histoire de Hugo était trop complexe pour qu'ils puissent en faire une adaptation fidèle, ils ont donc décidé de recentrer l'histoire sur Quasimodo. Pour eux, c'était un véritable défi de transformer l'histoire sombre et dramatique de Hugo en une histoire plus légère et plus enfantine tel que le verrait Walt Disney.
Cependant, bien que l'histoire soit plus légère et plus enfantine, le film est sûrement l'un des plus sombres et des plus adultes jamais produits par les studios Disney. Esmeralda est sûrement l'héroïne la plus opulente et la plus sensuelle de Disney ; elle est courageuse et ne se plaint jamais de son sort, au contraire elle fait tout pour changer sa condition et celle de son peuple et n'hésite pas à défier Frollo. L'attirance de Frollo pour Esmeralda est explicitement sexuelle en particulier dans une chanson : Une douce lueur / Infernal que j'analyserai plus tard. Le film est aussi très imprégné de religion par l'intermédiaire de la cathédrale, qui comme dans le roman est très personnifié, de l'archidiacre et enfin de tout les choeurs latins qui rythment tout le film.
Le film plaide aussi la cause des bannis, des exclus de la société en la personne de Quasimodo mais également à travers les gitans dont je parlerai plus longuement plus tard. En voyant le film qui nous parle d'exclus et de droit d'asile, on ne peut que penser à l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard. Le film est donc bien d'actualité, ce qui est rare pour une grosse production hollywoodienne et en particulier pour un film d'animation.
Et c'est cette noirceur qui explique le relatif échec commercial du film aux Etats-Unis, le film a rapporté environ 100 000 000 $. Relatif échec en effet car en lui même ce chiffre est bon car il couvre largement les dépenses du film. Seulement une dizaine de film par an dépassent la barre des 100 million de dollars. Mais c'est tout de même un échec, car ce score est trois fois moins élevé que celui du Roi Lion et s'inscrit dans une courbe descendante (Pocahontas, une Légende Indienne a rapporté 150 000 000 $ ). Cet échec s'explique car les américains n'ont pas retrouvé leur repère, en effet pour eux un film de Disney est synonyme de bonne humeur, de magie et de retour à l'enfance. C'est sûr, on est loin de la magie d'Aladdin et de la bonne humeur du Roi Lion. De plus, c'est une histoire française peut-être méconnue du peuple américain.
Pourtant, les artistes de Disney ont veillé à ne pas choquer le public américain. Ils ont changé quelques détails du roman pour cela : Frollo est devenu un juge à la place d'un archidiacre. Les américains sont très puritains, ils n'auraient pas apprécié de voir un prête corrompu surtout dans un film destiné aussi aux enfants. L'archidiacre est celui qui apporte la bonne parole et dans le film il apparaît plusieurs fois pour montrer ce qui est juste et ce qu'il ne l'est pas : sa seule arme est sa parole. Ils ont également changé la fin pour la rendre moins noire que dans le roman.
Ce qui me frappe le plus dans les modifications apportées, c'est la fin. Celle du film est totalement différente du livre : en effet dans le film seul Frollo meurt. Mais c'est une mort "normale" car Frollo est mauvais, il a péché et a porté atteinte à la cathédrale. Il mérite ce qui lui arrive. Ce genre de raisonnement n'est pas inédit chez les artistes de Disney, il vient en fait des contes qu'ils retranscrivent. La violence, apportée par la mort du méchant, passe inaperçue devant le message que nous apporte cet acte : on paye nos méfaits. Cependant, ce n'est pas, comme dans le livre, Quasimodo qui tue son maître par colère mais celui-ci, en voulant tuer le sonneur de cloches, trébuche et tombe dans le vide. Quasimodo, étant le héros du film, est sensé être bon et gentil et ne doit pas être à l'origine de la mort de son maître. Ce raisonnement est typique chez Disney : dans Le Roi Lion, Scar n'est pas tué par Simba mais par les hyènes qui comprennent que le vieux lion les a trahies ; dans La Belle et la Bête, Gaston, bellâtre amoureux de Belle et jaloux de la bête, tombe dans le ravin en ayant essayé de tuer la bête dans le dos.
Les autres personnages, donc, restent vivant. Esmeralda et Phoebus sont finalement ensembles. Les scénaristes n'ont tout de même pas fait se0marier Quasimodo avec Esmeralda. Finalement , la fin apporte une note d'optimisme tout en restant réaliste. Cette note d'optimisme est la suivante : c'est très bien d'être vous-même, quand bien même que vous ne seriez pas normal ou beau au yeux du reste du monde. En privilégiant le personnage de Quasimodo, les artistes de Disney ont créé une oeuvre plus poétique et plus tendre que le roman de Hugo mais plus sérieuse et plus adulte que tout ce qu'ils ont fait auparavant. Dans le film, ce n'est pas la magie qui rend le monde meilleur. Mais le film est le triomphe de Quasimodo et de ce qu'il est capable de faire. Et la force qui guérit le monde et notre héros vient de son coeur et de son âme.
Peut-être la scène finale est-elle la plus belle de tout le film. Quasimodo a enfin brisé les chaînes qui l'ont humilié des années durant. A présent, toutes les entraves, symboliques et réelles, ont disparu. L'archétype du père abusif a été vaincu. Encouragé par ses amis Esmeralda et Phoebus, Quasimodo quitte d'un pas hésitant les ténèbres de la cathédrale, seul foyer qu'il est jamais connu, et sort à la lumière du jour. La foule murmure. Une petite fille s'approche. Va-t-elle se moquer de lui ? Va-t-elle s'enfuir de peur ? Elle lui touche le visage et le regarde ; et ce regard sans préjugés est une acceptation. Quasimodo, acclamé par la foule qui l'avait repoussé et maltraité, est enfin "dehors", prêt à prendre sa place dans un monde plus grand, plus effrayant, mais aussi plus accueillant que celui dont il vient.
Ce qui est étonnant, c'est que tous ces changements apportés pour plaire aux américains n'ont pas suffit pour qu'ils aiment le film et on aurait pu penser que tous ces changements auraient au contraire déplu aux français. En fait non, avec plus de 6 700 000 entrées, Le Bossu de Notre-Dame est le film qui a fait le plus d'entrées en 1996. Le chauvinisme doit y être pour beaucoup, en effet c'est une histoire française adaptée par des américains, et dont une partie a été faite en France. En effet , les studios Disney ont ouvert des studios à Montreuil et vingt minutes du film ont été faites par des français dont le prologue musical entre autre. Une autre raison est que les français aiment bien les films d'animation de Disney : c'est la quatrième année consécutive que le meilleur film américain de l'année est un Disney. Enfin, la dernière raison c'est sûrement la beauté du film lui même : ses décors et ses effets spéciaux (nous y reviendrons plus tard) qui retranscrivent l'esprit gothique de Hugo, l'histoire qui a gardé les scènes les plus mémorables du livre et enfin la magnifique musique avec ses beaux choeurs latins qui font que le film est construit plus comme un opéra que comme une comédie musicale.
Quasimodo est sûrement un des personnages les plus caricatural qu'ait dépeint Hugo. Il le décrit en ces mots : "...Une grosse tête hérissé de cheveux roux ; entre les deux épaules une bosse énorme dont le contrecoup se faisait sentir par devant ; un système de cuisses et de jambes si étrangement fourvoyées qu'elles ne pouvaient se toucher que par les genoux, et, vues de face, ressemblaient à deux croissants de faucilles qui se rejoignent par la poignée ; de larges pieds, des mains monstrueuses ; et avec toute cette difformité, je ne sais qu'elle allure redoutable de vigueur, d'agilité et de courage..." (livre I, chapitre V) et en particulier son visage : "...Nous n'essaierons pas de donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit oeil gauche obstrué d'un sourcil roux en broussailles tandis que l'oeil droit disparaissait entièrement sous une énorme verrue, de ces dents désordonnées, ébréchées ça et là, comme les créneaux d'une forteresse, de cette lèvre calleuse sur laquelle une de ses dents empiétait comme la défense d'un éléphant..." (livre I, chapitre V).
Dans le roman, Quasimodo symbolise pour moi le mal inavoué de son gardien, Claude Frollo, et je le vois aussi comme un bouc émissaire qui sert à exorciser les craintes et les superstitions de la populace médiévale. Quasimodo est limité non seulement par ses restrictions physiques mais aussi par l'opinion que les autres avaient de lui . Les gens de cette époque, et malheureusement de la notre également, craignaient tout ce qui était différent, et Quasimodo incarne ces craintes qu'alimentaient les superstitions et le dogme de l'église. Pour eux, un extérieur hideux supposait une âme toute aussi laide.
Les artistes de Disney ont développé et dramatisé cette lutte intérieure de Quasimodo contre la honte, l'insécurité et la haine de soi (sentiments que Frollo lui a inculqués) ainsi que la vision qu'il a du monde extérieur et inversement comment le monde extérieur le perçoit. Il est un enfant maltraité, qui souffre bien moins de ses disgrâces physiques que des railleries de Frollo (l'image paternelle) qui le traite de monstre indigne de paraître aux yeux du monde. Dans le roman, Quasimodo est presque un personnage secondaire alors qu'il est au centre du film. Disney est resté très proche physiquement de Hugo comme on peut le voir sur les différents dessins, ils lui ont gardé également le même âge que dans le roman : vingt ans. Par contre, ils l'ont changé psychologiquement. Dans Notre-Dame de Paris, Quasimodo est "... méchant, en effet, parce qu'il était sauvage ; il était sauvage parce qu'il était laid..." (livre IV, chapitre III). Dans le film, Quasimodo est beaucoup plus innocent, c'est simplement un être maltraité au coeur d'or, malgré son apparence et ses carences affectives. Dès que Quasimodo apparaît à l'écran, exhortant tendrement un jeune pigeon effrayé à s'échapper de Notre-Dame, je perçois le personnage comme un être compatissant, attirant, maltraité psychologiquement ( une victime suppliante et pleine de coeur).
Disney aime utiliser les chansons pour faire passer un maximum d'information en un minimum de temps. Et c'est le cas par exemple dans la chanson: Rien qu'un jour . Plusieurs aspects de sa personnalité, de ses rêves, de ses espérances, de son quotidien et de son entourage sont décrit d'une façon habile grâce à la belle mélodie d'Alan Menken, à la voix de Francis Lalanne et aux paroles de Stephen Schwartz.
La chanson se divise en deux parties. La première met en scène Frollo et Quasimodo. Graphiquement, les deux personnages sont très différents. Quasimodo est dessiné avec des courbes qui le distinguent des autres personnages ou des lignes droites de la cathédrale. On voit que sa manière de marcher est différente des autres, de plus lorsqu'il est avec Frollo ce défaut est accentué par la crainte de celui qu'il appelle "mon maître". Il ne prend pas Frollo comme son père adoptif mais plutôt, il se sent comme un chien qu'un humain aurait recueilli et qui serait mort sinon. D'ailleurs Frollo lui parle dans ce sens. Cet aspect est d'ailleurs retrouvé dans la description que fait Hugo quand il parle de Frollo et de Quasimodo en ces termes : "...le chien et son maître..." (livre IV, chapitre IV). Quasimodo, dans le film, prend des positions montrant sa soumission comme le ferait un chien. Il est souvent recroquevillé. Le fait qu'il se penche est une métaphore qui indique son désir de se cacher. Il fallait qu'il puisse se replier complètement sur lui-même pendant ses moments les plus terribles.
Dans la deuxième partie de la chanson, Quasimodo se retrouve seul et va nous exposer ses rêves, ses espoirs. Il chante en se baladant sur la cathédrale. On sent qu'il connait la cathédrale, qu'il est chez lui. On le voit escalader les tours, courir sur le toit. Notre-Dame est sa confidente. Il se sent à l'aise, on le remarque graphiquement avec les couleurs chaudes employées. On peut voir alors que malgré sa difformité, il est agile. Hugo souligne dans son roman les rapports étroits liant Quasimodo à Notre-Dame : "...Tantôt on apercevait avec effroi au plus haut d'une des tours un nain bizarre qui grimpait, serpentait, rampait à quatre pattes, descendait en dehors sur l'abîme, sautelait de saillie en saillie..." ou "...Et la cathédrale ne lui était pas seulement la société, mais encore l'univers, mais encore toute la nature..." ou encore "L'Egypte l'eût pris pour le dieu de ce temple ; le Moyen Age l'en croyait le démon ; il en était l'âme..." (livre IV, chapitre III). Ses confidentes sont les gargouilles, son bonheur : les cloches. Dès le début du film, on voit Quasimodo faire chanter les cloches de la cathédrale. D'ailleurs, Disney leur a dédié la chanson du prologue pour montrer le lien qui unit Quasimodo et la ville de Paris avec les cloches de Notre-Dame. Mais Quasimodo a une relation particulière avec les cloches. On le voit quand il fait visiter son espace à Esmeralda. Il leur donne des noms, et leur montre de la tendresse comme des parents le feraient pour leurs enfants. Mais cet aspect est encore plus prononcé dans le roman : "...Ce qu'il aimait avant tout dans l'édifice maternel, ce qui réveillait son âme et lui faisait ouvrir ses pauvres ailes qu'elle tenait si misérablement reployées dans sa caverne, ce qui le rendait parfois heureux, c'étaient les cloches. Il les aimait, les caressait, leur parlait, les comprenait..."(livre IV,chapitre III). Grâce aux trois gargouilles du film, on voit Quasimodo de manière plus chaude et plus drôle que en présence d'autres personnages. Elles sont à la fois ses confidentes, ses conseillères et celles qui arrivent à le détendre. Ce sont ses amies. Nous reviendront plus longuement sur les gargouilles plus loin.
Son rêve qu'il nous expose est de passer un jour parmi la foule qu'il observe du haut de son clocher. Dans la chanson, il dit :
...A l'abri des fenêtres et des parapets de pierre,
Je regarde vivre les gens d'en bas.
Chaque jour j'envie leur vie, moi qui vis solitaire,
Mais leur histoire, je ne la connais pas.
J'apprends leurs chansons, leurs rires, leurs visages,
Moi je les vois mais eux ne me voient pas.
Je voudrais tour à tour rencontrer ces personnages,
Rien qu'un seul jour, aux pieds des tours...
Bien qu'il aime son clocher, il est frustré de rester enfermé dans sa tour d'ivoire. Il veut simplement être comme tout le monde, être accepté tel qu'il est. Mais avant que les gens l'acceptent, il faut d'abord qu'il s'accepte lui-même.
A propos de Claude Frollo, l'archidiacre inquiétant et rempli de contradictions, Victor Hugo écrit : "...C'était un prêtre austère, grave, morose..."(livre IV,chapitre V). Cet homme qui est traité avec une grande précision psychologique et beaucoup de force, ne parvient pas à concilier les forces célestes et animales qui s'opposent en lui. Hugo le décrit comme : "... un personnage imposant et sombre devant lequel tremblaient les enfants de choeur en aube et en jaquette, les machicots, les confrères de Saint-Augustin, les clercs matutinels de Notre-Dame, quand il passait lentement sous les hautes ogives du choeur, majestueux, pensif, les bras croisés et la tête tellement ployée sur la poitrine qu'on ne voyait de sa face que son grand front chauve..." (livre IV, chapitre V). En apparence, le gardien terrible et respecté de Quasimodo, est un homme pieux et juste. Mais derrière ce masque, se trouve un homme impitoyable, cruel, manipulateur, et dévoré par le désir ; en un mot : un monstre. Hugo écrit : " ...Quel était ce feu intérieur qui éclatait parfois dans son regard, au point que son oeil ressemblait à un trou percé dans la paroi d'une fournaise?..." (livre IV, chapitre V).
Lorsque Frollo apparaît pour la première fois, il est en train d'observer Esmeralda, qui danse avec son tambourin : "...Il tenait ses yeux sans cesses attachés sur la bohémienne, et tandis que la folle jeune fille de seize ans dansait et voltigeait au plaisir de tous, sa rêverie, à lui, semblait devenir de plus en plus sombre..." (livre II, chapitre III). Bien qu'Esmeralda soit parfaitement étrangère aux sombres desseins que nourrit Frollo à son égard, celui-ci croit fermement que sa destruction et celle des gitans assainira Paris et purifiera son âme. Les artistes de Disney vont bien développer cette idée dans la chanson Infernal que j'analyserai dans la quatrième partie. Dans le livre, d'autres personnes connaissent le conflit terrible et destructeur qui le ronge. Hugo décrit ainsi la réaction d'un citoyen de Paris qui observe la passage de Frollo et de Quasimodo : "...Hum! en voici un qui à l'âme faite comme l'autre a le corps..." (livre IV, chapitre VI).
Lorsque Frollo apparaît dans le film, il est sur le point de jeter Quasimodo dans un puit, après avoir causé la mort de sa mère, une gitane. Mais l'archidiacre de Notre-Dame survient et l'en empêche. C'est cet affrontement entre ces deux personnages sur le parvis de la cathédrale, qui met en branle la machine infernale et établit les rapports entre Quasimodo, Frollo et Notre-Dame. L'archidiacre permet à Disney de montrer la manifestation des aspects positifs de l'église, avec la force nécessaire pour s'opposer à Frollo et empêcher ses actes maléfiques en lui disant qu'il risque d'être damné à tout jamais s'il tue l'enfant. L'église, dans le film, gagne la face et n'est pas discréditée comme dans le livre.
Outre son racisme et son incapacité à aimer, la passion de Frollo pour Esmeralda demeure, tout comme dans le livre, l'une des explications les plus fortes de ses actes ignobles. Hugo écrit : "...C'est cette idée fixe qui revenait sans cesse, qui le torturait, qui lui mordait la cervelle et lui déchiquetait les entrailles..." ou "...Vers l'heure où le soleil déclinait, il s'examina de nouveau, et il se trouva presque fou..." (livre IX, chapitre I). Le livre est imprégné d'une certaine tension psychosexuelle, et Frollo est pour beaucoup dans cette tension. Il veut bannir les gitans de Paris mais tombe amoureux d'une gitane, malgré sa haine et son dégoût.
Et ce qu'il hait le plus au monde est ce qui l'obsède et qui le ronge. Lorsqu'il répond à Esmeralda et qu'il la trouve, naturellement belle et séduisante, la sensation qu'il éprouve lui paraît si étrange qu'elle en devient perverse, monstrueuse et effrayante. C'est un être tragiquement pervers qui a honte de ses qualités humaines, si bien qu'il se fabrique un personnage saint afin de réprimer sa propre humanité.
Pour le dessin de Frollo, les animateurs ont conçu un personnage long, mince et anguleux. J'y vois une métaphore visuelle qui dépeint son autoritarisme et son austérité. L'habit le plus détaillé et le plus sensuelle du film est celui de Frollo, malgré son abnégation et sa piété apparentes ; ainsi l'arrogance, l'hypocrisie, la corruption et le narcissisme du personnage sont subtilement évoqués.
L'équipe de Disney a fait de Frollo un juge puissant et redouté, plutôt que le prêtre de Hugo. Ceci je pense car il voulait que leur film soit relativement politiquement correct. En effet, comme il a été dit auparavant, les américains sont très puritains et n'auraient pas apprécié de voir un homme de foi se voir corrompre par ses passions. Bien que Frollo soit le plus humain et le plus recherché psychologiquement des méchants de Disney, ceux-ci sont tout de même bien définis par rapport aux héros de l'histoire. Mais il est vrai que Frollo a déjà le pouvoir ; et ce n'est pas pour obtenir la puissance, la gloire, que Frollo est méchant comme le sont les autres méchants de Disney, mais pour essayer de purifier son âme de sa passion, passion qui le rend encore plus cruel. En fait dans son âme, c'est un véritable cercle vicieux dont il ne peut se sortir et qui l'entraîne directement, tel un tourbillon, vers sa perte.
Sur un style purement impressionniste, Hugo dépeint l'héroïne de Notre-Dame de Paris : "...Voilà donc... ce que c'est que La Esmeralda ? une céleste créature ! une danseuses des rues ! tant et si peu ! ..." (livre II, chapitre VII). Innocente, mystérieuse, belle, exotique et impulsive, Esmeralda l'éthérée n'est qu'un simple pion dans le jeu obsédant et cruel de Frollo ; et elle est la victime de son attirance folle et naïve pour le vaniteux Phoebus. Gringoire la décrit dans le roman comme : "... une nymphe,une déesse..." (livre II, chapitre III), et Hugo la peint toujours en mouvement : "...Autour d'elle tous les regards étaient fixes, toutes les bouches ouvertes ; et, en effet, tandis qu'elle dansait ainsi, au bourdonnement du tambour de basque que ses deux bras ronds et purs élevaient au-dessus de sa tête, mince, frêle et vive comme une guêpe, avec son corsage d'or sans pli, sa robe bariolée qui se gonflait, avec ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs, ses yeux de flamme, c'était une surnaturelle créature..." (livre II, chapitre III). Il s'agit là plutôt d'un assemblage d'attributs idéaux que d'une créature en chair et en os. Dans le roman de Hugo, Esmeralda est une étrangère exclue du système médiéval de castes que domine Frollo. Mais bien que son appartenance à un groupe méprisé et opprimé lui coûte cher, sa position lui permet de se glisser entre les deux univers.
Hugo traite de nombreux personnages par l'ironie et la satire, mais Esmeralda m'est essentiellement sympathique dès le départ. Sur le pilori, elle soulage Quasimodo de sa soif et de son tourment, en bravant la dérision de la foule. Hugo décrit l'effet de son acte, simple et humain produit sur Quasimodo : "...Alors, dans cet oeil jusque-là si sec et si brûlé, on vit rouler une grosse larme qui tomba lentement le long de ce visage difforme et longtemps contracté par le désespoir. C'était la première peut-être que l'infortuné eût jamais versée. Cependant il oubliait de boire..." (livre VI, chapitre VI). Mais les conséquences du geste d'Esmeralda sont bien plus profondes. Quasimodo étant peu habitué à la gentillesse, sa gratitude se transforme en dévouement aveugle, tout comme la gratitude d'Esmeralda, qui devient amour pour le capitaine Phoebus parce qu'il la sauve de l'emprise de Quasimodo.
A l'instar de Notre-Dame, Esmeralda inspire, enivre, réconforte et blesse Quasimodo. Comme lui, elle a perdu ses parents et se voit, jugée, persécutée, en raison de son apparence et de sa place dans la société.Comme lui encore , elle conserve une forme de liberté et demeure par delà même innocente et enfantine. Dans le roman, Esmeralda inspire une dévotion tragique, mais les artistes de chez Disney ont fait de cette passion un béguin d'adolescence. Il lui est reconnaissant d'être la première personne à le traiter en être humain et doit accepter que la femme qu'il adore en aime un autre.
Dans le roman, Hugo donne seize ans à Esmeralda. Dans la version de Disney, elle a plutôt une vingtaine d'années. Disney est resté par contre très proche du livre en ce qui concerne son physique. Les animateurs ont fait d'elle un être qui semble pouvoir résister à sa condition sociale et à un environnement brutal, de persécution. Le graphisme de son personnage accentue les courbes et les formes rondes, qui suggèrent, avec les vêtements amples et colorés, une liberté et une vivacité opposées à la rigidité et à la pâleur gothiques des personnages tels que Frollo.
Les scénaristes ont donné, par contre, à Esmeralda un caractère plus franc, plus assuré et moins naïf que dans le livre. Il s'agit d'une fille intelligente et vive, qui a de la repartie, beaucoup de verves, des ressources physiques : quelqu'un qui a vécu et qui est devenu plus fort. Elle a aussi une grande spontanéité : dans une situation dangereuse, elle agit instinctivement et ne pense pas aux conséquences de ses actes. Dans le roman, elle est bien plus chétive et s'oppose bien moins à Frollo. Elle refuse sa proposition plus par dégoût que par volonté de le défier ou de le combattre.
Dans le film, les motivations d'Esmeralda, en tant qu'étrangère et fugitive, vont au-delà de l'amour : elle veut mettre fin à la persécution des siens. Elle constate l'inégalité et revendique la justice. Elle veut simplement ce dont les siens ont besoin. Elle s'identifie avec Quasimodo lorsque la foule participe à son supplice, et cet incident l'incite à prendre position contre l'autorité : elle dit en s'adressant à Frollo : "Vous le maltraitez comme vous maltraitez mon peuple. Je crois qu'on a élu le mauvais roi des fous, car le véritable fou, ici, c'est vous". Esmeralda, en fait, possède à la fois la force et la douceur, mais au fond c'est une personne foncièrement sincère et émotive dont son seul tort est de rechercher le bonheur pour les siens : le peuple des gitans comme les exclus de la société.
Le film de Disney, comme le roman de Hugo, ne présente pas Phoebus comme un héros romantique traditionnel. Dans les deux oeuvres, le capitaine Phoebus enchante, séduit et attire Esmeralda, et celle-ci enchante, séduit et attire à son tour Quasimodo. A propos du nom du personnage, l'auteur écrit : "... C'est un mot latin qui veut dire soleil... C'est le nom d'un très bel archer, qui était dieu..." (livre II, chapitre VI). Le Phoebus du roman est beau, et c'est un archer de talent ; mais c'est aussi un coureur de jupons vaniteux, stupide, peu loyal et superficiel. Hugo en parle en ces termes : "...un jeune homme d'assez fière mine, quoique un peu vaine et bravache, un de ces beaux garçons dont toutes les femmes tombent d'accord...", "... il était d'humeur inconstante... et de goût un peu vulgaire...", "... Il n'était à l'aise que parmi les gros mots, les galanteries militaires, les faciles beautés et les faciles succès..." (livre VII, chapitre I). Lorsque le Phoebus de Notre-Dame de Paris rencontre Esmeralda, à l'occasion d'un rendez-vous nocturne, il l'écoute s'épancher sans manifester la moindre émotion. Plus tard, alors qu'Esmeralda est condamnée, à tort, pour sorcellerie et pour le meurtre de Phoebus, celui-ci, bien vivant, observe froidement les préparatifs de l'exécution publique.
Dans le dessin animé, Phoebus n'est plus tout à fait le mufle du roman. Capitaine des gardes aux ordres de Frollo, Phoebus est un homme mûr et terre à terre, bien éloigné du personnage du livre. Dès le début du film, Phoebus n'hésite pas à venir en aide à Esmeralda quand celle-ci avait des ennuis avec les gardes. Un peu plus tard, Phoebus redonne à la gitane déguisée qu'il avait reconnue, la monnaie qu'elle avait perdue. Par ses actions, les scénaristes de Disney montrent la bonté et la générosité du capitaine. En fait, ils ont créé un personnage qui est digne de la bohémienne.
Phoebus, dans le film, est en fait une sorte de flic honnête dans une sale ville. C'est un homme ordinaire en fait. Phoebus possède des défauts qui lui confèrent un certain charme et une modestie séduisante mais c'est tout de même un personnage massif et fruste, un écervelé intrépide. Il a déjà fait ses preuves dans la vie : il a fait la guerre, son nez est brisé et il a reçu des blessures au combat : c'est un héros mûr qui a du cœur.
Au début du film, il obéit à son supérieur : Frollo mais il ne se méprend pas sur le compte du juge. Cependant, par la suite, il refuse de se laisser corrompre et devient lui-même un fugitif. En effet, en refusant d'obéir à Frollo, qui lui ordonne de mettre le feu à la maison d'une famille soupçonnée d'avoir hébergé des gitans, Phoebus devient un exclu, mais il brise ainsi les chaînes d'obéissance de la vie militaire que le destin lui avait réservées et s'ouvre, grâce à son action généreuse et téméraire, les portes du cœur d'Esmeralda.
Hugo utilise beaucoup de contrastes dans Notre-Dame de Paris. J'ai fortement remarqué que dans son roman, Paris est un personnage vivant et complexe. Et comme tout personnage vivant, elle possède de multiples facettes opposées et variées, cependant complémentaires. Si Notre-Dame est calme et silencieuse comme une forteresse ou un sanctuaire religieux, les rues de la ville, en revanche, vivent au rythme de la foule. Quant aux parties souterraines de la ville, elles évoquent le tréfonds de l'enfer. C'est pour cela que j'ai décidé de parler dans cette partie de deux facettes opposées de la ville de Paris, qui sont très présentes dans le roman et que les studios Disney ont très bien mises en valeur, qui sont la cathédrales et "la Cour des Miracles". La cathédrale symbolise Dieu et est un lieu de paix, de tranquillité et d'asile pour les habitants de Paris. "La Cour des Miracles" représente pour les parisiens de l'époque le quartier général des voleurs, des truands et surtout des gitans. En résumé, si on se promène dans Paris, on peut passer, sans s'en apercevoir, du paradis à l'enfer.
Toute la dimension historique magistrale de Notre-Dame de Paris me permet parfois d'imaginer, comme s'il s'agissait d'un documentaire, la vie parisienne au Moyen-Age. La description des édifices les plus impressionnants de la ville est très précise ; leur aspect et leurs fonctions sont parfaitement détaillés. Mais le roman n'est en aucune façon un voyage touristique dans le passé. Hugo voulait que Notre-Dame, le centre de l'histoire, apparût comme un personnage à part entière, aussi vivant, varié, complexe et changeant que les autres. Notre-Dame se dresse au milieu de la ville de Paris. La cathédrale représente un symbole de force pour Quasimodo, pour les gitans et pour les citadins, mais c'est une menace aux yeux de Frollo. Dans cette histoire, il s'agit réellement de la présence de Dieu sur Terre.
Comme je l'ai dit dans la deuxième partie, la cathédrale avait une grande influence sur Quasimodo mais l'inverse était également vrai. Et à travers les relations exceptionnelles que Quasimodo entretient avec Notre-Dame, Hugo renforce l'humanité du lieu saint. Quasimodo donne vie aux cloches, les pierres elle-mêmes semblent partager la vie et les sensations de Quasimodo : "... La présence de cet être extraordinaire faisait circuler dans toute la cathédrale je ne sais quel souffle de vie. Il semblait qu'il s'échappât de lui, du moins au dire des superstitions grossissantes de la foule, une émanation mystérieuse qui animait les pierres de Notre-Dame et faisait palpiter les profondes entrailles de la vieille église. Il suffisait qu'on le sût là pour que l'on crût voir vivre et remuer les mille statues des galeries et des portails..." (livre IV, chapitre III).
Les artistes de Disney ont utilisé l'éclairage, le dessin, la mise en scène et la musique pour donner l'impression que la cathédrale possède autant de force et de vie que dans le roman de Hugo. J'ai cru que la cathédrale réagissait différemment en fonction des personnages du film. Par exemple, lorsque les yeux des grandes statues des saints, dans la cathédrale, semblent traquer Frollo avec un air de reproche. Lui, perçoit l'église comme le témoin et le juge de ses actes. Les couleurs employées sont sombres et le dessin rend aux statues un effet autoritaire leur conférant un regard accusateur. Ou encore, lorsque Esmeralda pénètre dans l'église, émerveillée, respectueuse et apeurée, la lumière qui pénètre par les vitraux semble l'envelopper et l'encourager, quelles que puissent être ses croyances religieuses. La lumière est chaude, apaisante et transmet une impression de compréhension et d'amour comme une mère le ferait à son enfant. Pour souligner musicalement la puissance de telles scènes, Disney n'hésita pas à créer des chansons à consonance religieuse en utilisant des sons de cloches, des choeurs latins et parfois de l'orgue.
Les rues enchevêtrées du Paris médiéval que nous présentent les studios Disney, m'évoquent un labyrinthe, une image qui s'oppose de façon frappante à l'idée que je me fait de Notre-Dame. Avec l'éclairage, les angles des prises de vue et les formes, j'ai l'impression qu'il s'agissait d'un endroit où les gens avaient du mal à vivre, parce qu'ils étaient entassés et qu'ils manquaient d'espace et d'argent. Notre-Dame représentait un asile pour échapper à l'agitation de la ville. Je crois que pour souligner cela les studios Disney ont développé les lignes droites pour Notre-Dame et pour les bâtiments de Paris, de manière à les rendre plus grands aux yeux des habitants et à renforcer ainsi l'effet de claustrophobie. Grâce à l'atmosphère de certaines scènes, à l'éclairage des décors et à l'ambiance musicale, Disney a bien restitué la lutte entre l'ombre et la lumière très présente dans le roman de Hugo.
Mais Disney ne pousse pas la personnification de la cathédrale aussi loin que l'écrivain français. En effet, toutes les descriptions précises, et profondément gothiques, de Notre-Dame, semblent prouver que Hugo voulait donner aux événements extraordinaires qu'il décrivait des arrière-plans épiques. Mais ces descriptions étaient aussi censées soulever des polémiques et servir une croisade esthétique. Il faut savoir que les hommes du temps de Hugo préféraient l'architecture romane ou classique à l'architecture gothique, laquelle était souvent associée à un excès de simplicité, à la vulgarité. Hugo, dans le chapitre I du livre III, nous décrit Notre-Dame comme on devait la voir en 1482 et il nous montre à quel point elle a été détériorée au fil des siècles. J'ai remarqué un petit détail, dans ce passage.
Hugo nous dit qu'à l'époque, le seuil de Notre-Dame était plus haut de onze marches par rapport au sol de Paris et qu'il n'y était plus à son époque. En observant les dessins de Notre-Dame fait par Disney, on remarque ces marches ce qui peut prouver qu'ils sont vraiment bien restés fidèles à Hugo ou du moins à Notre-Dame. La question est : est-ce que ces marches ont été reconstruites après la publication de Notre-Dame de Paris grâce à la mobilisation de Hugo et donc auraient juste été reproduites par Disney, ou n'existent-elles pas aujourd'hui prouvant la fidélité des studios pour l'oeuvre française ?
Hugo imite et glorifie le style gothique, qui représente pour lui l'homme ordinaire, le caprice, l'espoir, la liberté et la rébellion. Hugo a permis grâce à son roman de sauver la cathédrale du changement et a pu faire comprendre aux gens l'importance de conserver notre architecture. Il nous expose les raisons du manque d'intérêt, pour les français de l'époque, pour l'architecture dans le livre IV au chapitre II. Il y dit que l'architecture, qui au Moyen-Age était le moyen d'expression de l'humanité, qui permettait de conserver la mémoire humaine au travers des temps, a été tuée par l'imprimerie. En effet, les livres sont devenus le moyen de faire circuler et de conserver les différentes idées. A partir de la Renaissance, l'architecture se meurt et ce grand art se divise en de nombreux "petits", tel la peinture, la sculpture... L'architecture était un tout, elle est devenue un art unique. Elle est maintenant plus un moyen d'expression d'un artiste plutôt que l'art collectif d'une population. Le livre garde actuellement la mémoire humaine. Mais n'est-il pas en train de se faire détrôner à son tour ? La télévision et les vidéos, dans un premier temps, et maintenant l'informatique et le réseau Internet sont en train de remplacer le livre. Tout comme l'architecture, il y a plusieurs siècles, le livre n'est plus le moyen de transmettre toutes les pensées humaines. Par exemple le livre sur François Mittérand a été interdit, mais on le retrouve sur Internet. Peut-être que dans quelques siècles, il ne restera de Notre-Dame que quelques photos dans un site du web, ou le seul exemplaire de Notre-Dame de Paris se trouvera sur Internet car les livres auront disparu ? Je trouverai cela dommage car rien ne vaut se trouver dans le lieu saint pour admirer la beauté de la cathédrale, pour ressentir le respect qui nous porte à la piété devant cet édifice merveilleux dédié à la plus pure de toute les femmes.
Les éléments qui, tout au long du film, permettent de raconter l'histoire avec l'humour et la légèreté, sont les gargouilles. Ce sont des personnages qui n'existent pas dans le roman et qui correspondent parfaitement à la tradition Disney. De nombreux petits personnages apparaissent régulièrement dans leurs films et sont toujours à l'origine des moments comiques : Meiko, le raton laveur, dans Pocahontas, une Légende Indienne ; Abu, le singe, et le tapis volant dans Aladdin ; Lumière, le chandelier, et Big Ben, l'horloge, dans La Belle et la Bête... Dans Le Bossu de Notre-Dame, les gargouilles sont plutôt proches de Jiminy Cricket, dans Pinocchio, car elles expriment certains aspects de la conscience de Quasimodo : d'abord, le côté sauvage qui veut sortir et faire des folies, puis le côté sage et loyal, et enfin le côté un peu snob. Néanmoins, les cinéastes ont choisi de ne pas utiliser la magie ; et les gargouilles sont le fruit de l'imagination de Quasimodo.
Dans le roman, l'idée que les gargouilles parlent est en partie suggérée par Hugo : " ... Les autres statues, celles des monstres et des démons, n'avaient pas de haine pour lui Quasimodo. Il leur ressemblait trop pour cela. Elles raillaient bien plutôt les autres hommes. Les saints étaient ses amis, et le bénissaient ; les monstres étaient ses amis, et le gardaient... " (livre IV, chapitre III).
De gauche à droite : La Muraille, Quasimodo, La Rocaille et La Volière
Les trois gargouilles ont des caractères différents : La Rocaille est la plus grande et la plus volubile, La Muraille est totalement le contraire : c'est le comique de la bande, La Volière est la doyenne malicieuse virevoltant autour de ce duo bavard : elle est la confidente et la conseillère de Quasimodo. Nous pouvons voir cette dernière page suivante
La folie s'exprime lorsque les gargouilles chantent Un gars comme toi pour encourager Quasimodo, accablé par l'amour sans retour qu'il voue à Esmeralda. En essayant de lui remonter le moral, elles jouent le rôle d'un conteur, d'un pianiste éblouissant, d'un chanteur de salon et d'un homme à femmes, et elles poussent Quasimodo à retrouver ces facettes en lui-même. Ce passage est amusant car les gargouilles nous dépeignent Quasimodo bien autrement de comment le perçoit l'homme de la rue.
Les gargouilles permettent à Disney d'exprimer les conflits intérieurs de Quasimodo et d'en faire partager le spectateur. Elle amène également une certaine légèreté et bonne humeur qui s'oppose au reste du film, et surtout à la populace, aux voleurs, aux gitans, à la "Cour des Miracles" du Paris médiéval.
Victor Hugo compare Clopin, le roi miteux des gitans opportunistes, extravagant et charlatan, à "... une chenille sur une orange..." (livre I, chapitre IV). Dans le roman, Clopin fait sa première apparition importante lorsqu'il se présente, avec Quasimodo, à l'élection du Pape des Fous. Hugo écrit à propos de Clopin : "... Dieu sait qu'elle intensité de laideur son visage pouvait atteindre... " (livre I, chapitre V). Clopin est un exclu, persécuté, qui a appris à survivre en marge de la société ; c'est un menteur hors pair, un tricheur, un farceur, qui est passé maître dans l'art du déguisement. Hugo en fait l'un des mendiants du palais de justice, et le maître absolu de la "Cour des Miracles ", ce repaire sinistre où les gitans, les proscrits et les canailles se retrouvent.
Clopin, qui est lui aussi un exclu et un fugitif, se déplace et s'exprime avec une liberté et une aisance libres de toute notion de classe, qui s'opposent radicalement au comportement de Frollo ; bien qu'il appartienne au groupe le plus méprisé de la société, il s'efforce de rester un peu au-dessus de la canaille et cherche à capter l'attention et le respect, soit en animant la fête des fous, soit en distrayant les enfants de la rue. Le fait de se trouver ainsi un peu à l'écart lui permet de croire qu'il peut changer son destin. L'histoire se déroule à une époque où les gens se distinguaient par leur apparence, par leurs vêtements, par leur appartenance à un groupe. Clopin et les gitans, qui font partie d'un peuple méprisé, constituent un repère social qui nous permet de voir qu'elle est la place exacte de Quasimodo dans la société. Si les gitans et Quasimodo deviennent alliés à la fin du film, c'est parce qu'il appartient à la même couche sociale qu'eux, celle des proscrits.
La façon dont Clopin est dessiné souligne l'agilité et la souplesse que doivent posséder les gitans pour vivre : alors que Frollo et les siens sont conçus verticalement, Clopin et les gitans sont sinueux ; leurs mouvements sont rythmés et leurs formes sont plus étranges.
Personnellement, Clopin est mon personnage préféré dans le film. Il a un rôle ambigu qui lui donne une certaine sympathie. C'est un personnage secondaire, mais on le voit dans de nombreuses scènes ; inutile à l'action du film, il est pourtant le moteur du déroulement de l'histoire en nous l'introduisant et en la concluant ; ni bon ni mauvais, il n'hésiterait pas à pendre Frollo ou Quasimodo. En fait, Clopin représente tout à fait le coté adulte du Bossu de Notre-Dame car on y voit une personne ordinaire ni bonne , ni méchante qui essaye uniquement de survivre dans un monde cruel.
Tout simplement le fait de prononcer le mot de "gitan" évoque d'innombrables images : diseuses de bonne aventure, mendiants, enlèvements d'enfants, escroqueries et mensonges ; nomades mal compris, les gitans évoquent aussi, par tradition, la magie et l'occulte (avec leurs vêtements colorés, leurs boucles d'oreille tintinnabulantes, leurs tambourins bruyants et la musique ardente de leurs violons). Dans Notre-Dame de Paris, les gitans, incarnés par Esmeralda, Clopin et les leurs, sont des proscrits, des vagabonds. Dénués de tout droit, ils font l'objet de fascination, de malentendus et de persécution.
Notre-Dame de Paris relève un grand nombre d'idées reçues et de superstitions concernant les gitans. Dans le livre VI, chapitre III, trois femmes sont en route pour offrir un gâteau à une recluse lorsque l'une d'elle saisit le bras de son fils et s'exclame : "... Dieu m'en garde ! elle me volerait mon enfant ! ..." . Plus loin, la même femme dit que les gitans ne sont qu'une bande d'excommuniés d'Egypte dont les femmes sont encore plus laides que les hommes et dont les enfants auraient fait peur à des singes. Puis elle revient une nouvelle fois à la charge : "... Il courait cependant sur eux de méchants bruits d'enfants volés, de bourses coupées et de chair humaine mangée...".
Disney, dans son film, a mis en valeur également ce racisme envers les gitans mais ce ne sont pas les parisiens qui les rejettent, c'est seulement l'autorité. Frollo est raciste et veut se débarrasser des gitans, race de voleurs par excellence. Disney montre tout de même les préjugés des parisiens au tout début du film : une mère gronde son enfant pour être en train de regarder Esmeralda danser et lui dit que les gitans sont des bons à rien. Dès le début, on voit que les gitans sont persécutés. Comme dans le roman, ils représentent les bohémiens comme la classe sociale la plus basse et la "Cour des Miracles" comme l'enfer de la capitale. Il est agréable de voir que Disney n'a pas mis sous silence cet aspect du roman en ayant peur de montrer le racisme et les préjugés des gens en général. Car je pense que, pour Disney, les gitans sont les noirs, et les parisiens sont les américains. Ils voulaient dénoncer le racisme latent qui règne aux Etats-Unis.
Mais nous, Français, pouvons également nous sentir concernés. Nous ne savons pas d'où viennent les gitans sauf qu'ils sont apparus en France durant le Moyen Age. Depuis, que de préjugés, de mépris, de mensonges ont été dits sur ce peuple. Car perçus comme un défi à l'ordre établi, les gitans étaient souvent chassés des terres inhabitées par des vagues successives d'envahisseurs. Lorsqu'ils arrivaient dans un pays, on les acceptait parfois comme réfugiés, mais ensuite, ils étaient ordinairement traités comme des voleurs, des sorciers et des antichrétiens. Depuis lors, ils n'ont jamais cessé d'errer.
Autre chose, Hugo voyait les gitans comme des êtres sauvages, pittoresques, néfastes, libres et capables d'attendre dans les souterrains de Paris, déguisés, pour mieux surprendre leurs victimes. De ce fait , une teinte sombre enveloppe la séquence qui décrit la "Cour de Miracles". Voici la description qu'en fait Hugo : " ... Il y avait un cabaret dans la salle basse, et le reste dans les étages supérieurs. Cette tour était le point le plus vivant et par conséquent le plus hideux de la truanderie. C'était une sorte de ruche monstrueuse qui y bourdonnait nuit et jour..." (livre IX, chapitre III).
Dans le film de Disney, l'emplacement et l'ambiance de la "Cour des Miracles" s'éloignent radicalement de la description de Hugo. Je dirai même que par certains côtés, elle est plus sombre, plus noire que chez Hugo. Le repère des gitans est caché dans les catacombes et dans les souterrains de Paris. Les bohémiens peuvent alors s'y cacher et échapper à la persécution de Frollo. Cependant, bien que les gitans soient obligés d'aller sous terre, un endroit peu agréable, ils sont tout de même chez eux. La séquence des catacombes reflète l'aspect chaotique mais humain de l'endroit où vivent ces exclus : les gitans ont amené leur vie colorée dans ce sous-sol ; et malgré l'absence d'arbres et de plantes, ceux-ci parviennent à donner un aspect organique à leur espace vital en accrochant des tapisseries un peu partout par exemple.
Dans ce passage du film, Clopin nous fait trembler avec une chansonnette plutôt macabre : La Cour des Miracles dont voici des extraits des paroles :
...Peut-être connaissez-vous ce repaire,
Que les gueux de Paris ont choisi pour tanière ?
Ce lieu est un tabernacle,
Qu'on baptise : la Cour des Miracles !
Joyeux spectacle !
Où les boiteux dansent, où l'aveugle voit.
Les morts font silence.
Le silence de mort, les morts ont toujours tort.
Nous protégeons les espions en intrusion,
Ce nid de fripons comme font les frelons.
Ce serait à la Cour des Miracles,
Un miracle étonnant, si vous en sortiez vivants !...
Dans cette séquence, humour et gravité sont étroitement liés : lorsque les gitans se préparent à pendre Phoebus et Quasimodo qu'ils ont attrapé après leur avoir tendu un piège lorsque ceux-ci venaient les prévenir d'un danger imminent, ils sont plutôt impitoyables car ils pensent avoir à faire à des espions mais fidèles à leur nature, ils abordent cette exécution avec un sens de la fête. Ils ne sont pas méchants, ce sont juste des survivants qui se cachent sans cesse, car ils se savent pourchassés et ils sont donc obligés de tendre leurs propres pièges pour se défendre de tous les agresseurs.
Dans le roman, il existe une multitude de personnage que Disney n'a pas fait apparaître dans son film par faute de temps ou pour ne pas alourdir le scénario. J'ai choisi de les présenter brièvement dans cette partie, car ce sont tous des proscrits, des exclus plus ou moins liés à la "Cour des Miracles" et à l'enfer de Paris. Tout d'abord, Gringoire, poète et écrivain à ses heures, il est lié à la Cour des Miracles par son mariage avec Esmeralda. C'est le premier personnage auquel on s'attache dans le roman : c'est l'acteur principal des deux premiers livres. Il est étonnant qu'il ne soit pas apparu dans le film car c'est tout de même un personnage important. Ensuite, je peux citer Jehan Frollo, le frère de l'archidiacre, vaurien et presque voleur, il est vite rentré au sein du repère des gitans. Enfin, il y a la recluse, qui n'est autre que la mère d'Esmeralda, qui vit dans le trou aux rats, véritable trou de l'enfer.
Ces personnages sont tous de même relativement important, mais si Disney a choisi de ne pas les mettre, à mon avis c'est pour que ses personnages principaux n'aient pas de famille ( mis à part Quasimodo dont on voit la mère au début). Cela met plus en avant la notion d'exclusion de savoir que ces personnages n'ont personne vers qui se tourner et qu'ils seront obligés de se débrouiller eux-même, avec plus ou moins de réussite, pour pouvoir sortir de leurs enfers.
Hugo, dans son roman, a inventé un langage cinématographique d'ombres et de lumières que les artistes de Disney ont recréé à l'écran. Lorsqu'il décrivait un rayon de lumière passant à travers un vitrail, ou bien l'âme tourmentée du pieux Frollo, Hugo évoquait métaphoriquement les paradoxes qu'il imaginait dans le monde de Quasimodo, où le mal se travestit en bien et où la laideur dissimule la profondeur d'esprit. Dans cette partie, je vais essayer de montrer, l'important du contraste entre l'ombre et la lumière dans l'oeuvre de Hugo et dans le film de Disney, à travers trois moments importants du film : la chanson Une douce lueur / Infernal qui nous présente la différence des esprits du juge et du sonneur de cloches, la fête des fous et l'assaut de Notre-Dame. Ces deux derniers sont très colorés mais l'un est joyeux et représente la lumière ; et l'autre est sombre et représente l'ombre.
Toute la dynamique puissante des lumières et des ombres intervient dans plusieurs séquences musicales. Elle est employée de façon impressionnante lorsque Quasimodo chante Une douce lueur et lorsque Frollo, plus dramatique, interprète Infernal. Ces deux chansons intègrent des instruments médiévaux et font référence à la messe, aux psaumes et aux thèmes ecclésiastiques.
La séquence débute avec Quasimodo, qui espère être aimé d'Esmeralda. Malheureux et frustré, il perçoit l'abîme qui les sépare. Dans le livre il dit : " ... Jamais je n'ai vu ma laideur comme à présent. Quand je me compare à vous, j'ai bien pitié de moi, pauvre malheureux monstre que je suis ! je dois vous faire l'effet d'une bête, dites. -Vous, vous êtes un rayon de soleil, une goutte de rosée, un chant d'oiseau ! - Moi, je suis quelque chose d'affreux, ni homme, ni animal, un je ne sais quoi plus dur, plus foulé aux pieds et plus difforme qu'un caillou ! ..." (livre IX, chapitre III).
Et dans le film, il chante :
...Et ce matin, un Ange,
Sur mon chemin,
D'un sourire a effacé mes chagrins.
Elle m'a donné sans peur,
Ce baiser sur mon coeur,
Qui bat le carillon pour elle.
J'étais une ombre sans soleil,
J'ai vu la lumière du Ciel...
En effet, cette scène est douce et accueillante d'abord par la douceur du ton de Quasimodo, mais également par le jeu d'ombres et de lumières employé. La couleur dominante est le bleu ; en fait, ce sont les rayons de la lune qui viennent se refléter dans le clocher de Quasimodo. J'ai remarqué que dans beaucoup de dessins animés, japonais entre autre, le bleu représente les gentils, les héros, et le rouge les méchants. Et c'est ce qui se passe ici, Disney nous présente en fait la même idée de deux manières différentes : Quasimodo pense à Esmeralda avec douceur et mélancolie alors que Frollo y pense avec passion et violence.
Nous sommes du haut du clocher avec Quasimodo, puis la caméra descend et pénètre dans la cathédrale où l'on célèbre la messe du soir. Puis, elle traverse la place et découvre Frollo, dans une chambre froide et nue du Palais de Justice. Il se tient devant la cheminée et ne parvient plus à refouler sa passion pour Esmeralda. Dans le chapitre I, intitulé "Fièvre", du livre IX du roman Frollo rit : "... affreusement, et tout à coup il redevint pâle en considérant le côté le plus sinistre de sa fatale passion, de cet amour corrosif, venimeux, haineux implacable, qui n'avait abouti qu'au gibet pour l'une, à l'enfer pour l'autre : elle condamnée, lui damné... ".
Dans la séquence bouleversante du film, pleine de sauvagerie et d'imagination, Frollo chante :
...Beata Maria,
Mon coeur a bien plus de droiture,
Qu'une commune vulgaire foule de traîne-misère.
Mais pourquoi, Maria, quand elle danse l'insolente,
Ses yeux de feu m'embrasent, et me hantent.
Quelle brûlure, Quelle torture,
Les flammes de sa chevelure,
Dévorent mon corps d'obscènes flétrissures.
Infernale, bacchanale.
L'Enfer noirçit ma chair,
Du pêché, de désir,
Le Ciel doit me punir ...
La chanson de Frollo est l'endroit du film où les artistes ont condensé consciemment la tension sexuelle autour de laquelle le livre s'articulait. Tandis que Frollo se tient devant la cheminée, il se confesse et chante ses pensées obsédantes et incontrôlées, tout en caressant le foulard de sa bien-aimée ; et les images sont de plus en plus cauchemardesques, déformées et irréelles. Dans la cheminée,Frollo voit une Esmeralda lascive en train de danser. Et soudain, sous ses pieds, des silhouettes sans visage jaillissent par files entières, menaçantes, comme les statues des saints de Notre-Dame l'avaient fait auparavant. A la fin de la scène, Frollo, complètement bouleversé, décide qu'Esmeralda doit se soumettre à lui ou périr sur le bûcher.
Les flammes de la cheminée de Frollo prennent la forme d'Esmeralada, devenue sensuelle et envoûtante.
Dans cette séquence, la couleur dominante est le rouge, couleur associée au sang, au mal et à l'enfer. La pièce est sombre au début mais au fur et à mesure que Frollo est entraîné par sa passion, l'ambiance devient plus chaude, plus rouge. C'est comme si on était entraîné dans une véritable chute libre directement vers l'enfer. Effet renforcé par ces moines sans visages qui, tel le purgatoire, donne l'impression de juger et de condamner Frollo. Sa prière envers Marie, n'est qu'un leurre pour la partie de son esprit qui est encore lucide. Car grâce à ça, il peut se faire croire qu'il fait le bien alors qu'il fait le mal. Et Frollo projette sa culpabilité sur les autres à chaque fois qu'il fait quelque chose de mal ; à ses yeux, Esmeralda est la coupable, parce qu'elle est responsable de la folie qui le consume. Cette folie va le conduire à mettre Paris à feu et à sang et attaquer Notre-Dame, symbole de celle à qui était adressée sa prière.
Dans Une douce lueur / Infernal, on voit bien l'importance des lumières et des ombres. Quand les flammes prennent l'apparence d'Esmeralda et dansent de manière sensuelle, nous obtenons une des scènes les plus réussies du film et, de plus, très suggestives : du jamais vu chez Disney.
Il y a dans la fiction comme dans la vie, des débuts qui importent. Hugo fait débuter l'action de Notre-Dame de Paris en janvier de l'an 1482, "... au bruit de toutes les cloches sonnant à grande volée dans la triple enceinte de la Cité, de l'Université et de la Ville..." à l'occasion de "... la double solennité, réunie depuis un temps immémorial, du Jour des Rois et de la Fête des fous..." (livre I, chapitre I). Il faut savoir que Hugo s'est inspiré de la réalité historique. La fête des fous jouait un rôle très important au Moyen Age. Dans un système féodal compartimenté où le rang, la condition sociale et les aspirations de chacun étaient strictement déterminées, les tensions politiques et religieuses étaient très fortes. Par ailleurs la gaîté et le jeu faisaient partie intégrante de la société médiévale. Mais derrière tout cette joie se cachait une pensée subversive qui dénonçait l'arbitraire du pouvoir, des privilèges et des lois, et qui prônait l'expression occasionnelle de la sensualité, de la liberté et de la folie.
Lors de la fête des fous, les participants couronnaient souvent un pape des ribauds, qui était nommé Pape des fous, Faux Roi ou Seigneur du Désordre. Hugo en parle en ces termes : " ... Au centre de cette foule, les grands officiers de la confrérie des fous portaient sur leur épaules un brancard plus surchargé de cierges que la châsse de Sainte Geneviève en temps de peste. Et sur ce brancard resplendissait, crossé, chapé et mitré, le nouveau pape des fous, le sonneur de cloches de Notre-Dame, Quasimodo le Bossu... " ( livre II, chapitre III ).
Les artistes de Disney ont apporté avec la scène de la fête des fous, un spectacle musical prodigieux qui donne au film un air de carnaval et le rend moins sombre qu'il ne le serait autrement. C'est sûrement la séquence la plus joyeuse du film. Parée de couleurs éclatantes, il y règne une grande agitation à peine contenue ; et l'imagerie est quelque peu étrange : un chien promène son maître au bout d'une laisse, un cheval à deux queues fait des cabrioles, et un poisson géant, courroucé, attrape un pêcheur sur une barque...
L'orchestration de la fête met très bien en valeur la musique et les rythmes endiablés des cloches, des orgues et de la parade de cirque. La chanson est interprétée par Clopin et fait appel à des instruments d'époque, tels le violon, la trompette et le tambour :
...Tous les ans, nous fêtons cet évènement,
Tous les ans, Paris est en chambardement.
Les manants sont Rois, les Rois sont clowns et rient,
Dans Paris, c'est l' Grand Charivari !
Les démons qui sommeillent dans nos cœurs s'envolent,
Les bourgeois, les curés sont traités d' guignols,
Tout Paris chavire, ravi, à la fête des Fous ! ...
Cette chanson est la plus folle et la plus légère de tout le film. Cette séquence nous montre une pluie de confettis tourbillonnants et multicolores qui tombent sur des milliers d'acteurs occupés à se promener, à sauter et à s'agiter. Les artistes de Disney ont créé, pour l'occasion, une foule vivante et imprévisible. Les couleurs sont très présentes dans cette séquence. Tout d'abord, Quasimodo est perçu comme le diable, il est de couleur terne ; puis il est élu pape des fous par Clopin et alors ses couleurs deviennent brillante et enfin quand il reçoit des tomates dessus, les couleurs s'assombrissent. Nous pouvons voir également une différence de couleur entre le peuple de Paris, les gitans et Frollo : Frollo est en noir et rouge, les gitans ont des couleurs criardes comme le violet et le jaune, enfin les parisiens ont plutôt des couleurs d'automne tel le marron et le kaki. Ces couleurs sont en rapport soit avec leur niveau social, soit avec leur caractère. Bien que ce soit la fête des fous, chacun reste inconsciemment à sa place. Cela permet également à Disney de mettre certains de ses personnages en avant : Frollo, par sa noirceur, et les gitans, par leur gaîté et par leur sens de la fête.
Dans la fin du roman de Hugo, six mille vagabonds conduits par Clopin attaquent la cathédrale pour libérer Esmeralda ; mais ils doivent affronter des troupes menaçantes de soldats, Quasimodo, qui leur jette des poutres et leur déverse du plomb fondu, et enfin la colère de la vieille église. Dans son roman, réputé à juste titre pour ses décors, Hugo décrit la bataille avec des images et des émotions puissantes. La foule, " ... un effrayant troupeau d'hommes et de femmes en haillons, armés de faux, de piques, de serpes, de pertuisanes dont les milles pointes étincelaient... " (livre X, chapitre IV), pousse Quasimodo a mettre tout en oeuvre pour protéger Notre-Dame. Contre cet assaut, même les statues de la cathédrales se rebellent : "... Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l'oeil. Il y avait des guivres qui avaient l'air de rire, des gargouilles qu'on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée... " ( livre X, chapitre IV ).
Les animateurs de Disney ont retrouvé et renforcé le spectacles de ces scènes mémorables, leur résonance émotionnelle, pour les transposer dans une bataille qui se joue sur plusieurs plans : une bataille un peu loufoque chez les gargouilles, un vrai combat sans merci, et la lutte intérieur de Quasimodo. Cette séquence possède des plans épiques, un peu comme dans Ben Hur et toutes les grandes épopées hollywoodiennes, avec des foules qui se précipitent en avant et un grand nombre de combattants engagés dans la bataille.
Les animateurs nous suggèrent au moyen de couleurs infernales et d'images de panique et de fureur, les conséquences dévastatrices du racisme, de la passion refoulée et de l'hypocrisie de Frollo . "... Il faut mourir, la belle ou être à moi ! ... " dit Frollo à Esmeralda, lorsqu'il est sur le point de la condamner à mort. Elle lui crache au visage. Et l'étrange logique de Frollo devient claire : s'il ne peut avoir Esmeralda, elle mourra dans les flammes. Lorsqu'elle est sauvée du bûcher, il veut se venger en brûlant Notre-Dame et la ville de Paris. Les flammes jaillissent alors des bouches des gargouilles, et le jeu d'ombre et de lumières leur confère des expressions presque humaines.
Le feu est beaucoup utilisé dans cette séquence, c'est même lui qui est à l'origine de tous les jeux d'ombres et de lumière. Il est ici ample et puissant, mais en temps suggestif ; il s'agit d'un déferlement d'énergie que d'un simple incendie. Quand on voit le plomb fondu tombé sur la foule de Paris, on peut penser que c'est toute la tristesse, le malheur emmagasiné par Quasimodo au sein de la cathédrale qui se déverse et qui éclate. Dans la fête des fous, c'est les couleurs chaudes qui apportent toute la gaîté de la scène ; ici le feu a une telle intensité dramatique qu'il nous fait sentir mal à l'aise : on sent un reproche : ne pas avoir vu le racisme latent de Frollo ? ne pas avoir senti la pureté d'un coeur caché derrière une hideuse vision ?
Notre-Dame vit, Notre-Dame pense, Notre-Dame juge. Et Notre-Dame punit et va entraîner Frollo où il voulait entraîner Esmeralda et les gitans : vers les feux de l'enfer.
Nous pouvons donc voir à travers ces trois séquences que les contrastes avec l'ombre et la lumière ont bien été utilisés dans le film. Mais il faut dire que Hugo avait un style très cinématographique, et quand on lit son roman, on s'imagine parfaitement les scènes qu'il décrit. Ce que j'ai beaucoup apprécié dans le film, c'est toute les apparitions de la cathédrales. Car grâce à leurs jeux de lumières, Notre-Dame n'est pas seulement un édifice fait de briques et de pierres. C'est un personnage à part entière, ayant sa personnalité et jugeant les hommes et leurs actes. Disney n'est pas resté fidèle à l'histoire, pourtant l'esprit de Hugo est très présent dans le film. Le graphisme, les jeux d'ombres, la musique font qu'on retrouve beaucoup de Notre-Dame de Paris dans Le Bossu de Notre-Dame.
En comparant les deux œuvres, on trouve naturellement des différences, imposées par des choix commerciaux ou idéologiques. Cependant, si on va plus loin on voit bien que les studios Disney ont adapté l'œuvre de Hugo avec un profond respect et une grande humilité par rapport à l'auteur français. De nombreux petits détails rendent hommage au style et aux idées de cet écrivain romantique. Et c'est par ces petits détails que les animateurs de Disney ont fait du Bossu de Notre-Dame un chef d'œuvre de l'animation. En poussant plus loin les limites technologiques et en faisant des œuvres personnelles mais cependant fidèles à l'originale, j'espère qu'ils continueront à faire des films d'animation de qualité : nous le saurons prochainement avec Hercule.
Personnellement, Le Bossu de Notre-Dame est sûrement le film de Disney que je préfère. Dans le film, ce n'est pas la magie qui triomphe du mal, mais la force et la volonté de l'esprit. Et ce mal est plus adulte, plus énigmatique, plus hypocrite que tous les méchants que Disney a jamais dépeint. Et c'est ce qui rend l'âme de Quasimodo encore plus belle, car par delà les apparences physiques, il a réussi à montrer au monde et surtout à lui-même sa beauté intérieure. Et on la voit à la fin du film, révélée dans toute sa splendeur, et on comprend que derrière chaque laideur apparente peut se cacher un cœur et une âme nobles et harmonieux comme la mélodie que font les cloches qui carillonnent à Notre-Dame.
Pour réaliser cette étude, je me suis aidé des documents suivants :
- Notre-Dame de Paris, Victor Hugo, Éditions Carrefour : ce livre, passionnant et plein d'intérêt, a été un vrai plaisir à lire même si parfois certaines descriptions sont un peu lourdes,
- Préface de Notre-Dame de Paris, Victor Hugo : elle m'a beaucoup aidé à retrouvé et à comprendre l'esprit de Hugo quand il a écrit ce livre, ainsi que l'origine du roman,
- Le Bossu de Notre-Dame : le Livre du Film, Stephen Rebello, Dreamland Editeur : un livre très intéressant et fortement illustré qui nous instruit sur le long cheminement pour arriver à créer un long-métrage, et tout le travail fournit par des centaines d'artistes.
Jusqu'en 1923, les adaptations de Notre-Dame de Paris reléguaient Quasimodo au second plan et misaient tout sur La Esmeralda. "Jusqu'à ce que, nous dit le magazine Première, les acteurs s'aperçoivent que Quasimodo est à leur carrière ce que Notre-Dame est à Paris : un sommet... "
Voici la liste, non exhaustive, des films ayant été inspirés, de près ou de loin, par le roman de Victor Hugo :
- 1906 • La Esmeralda d'Alice Guy et de Victorin Jasset, avec Denise Becker,
- 1911 • Notre-Dame de Paris d'Albert Capellani, avec Stacia de Napierkowska,
- 1913 • Notre-Dame de Paris d'Ernesto Maria Pasquali,
- 1916 • The Darling of Paris de J.Gordon Edwards, avec Theda Bara,
- 1923 • Notre-Dame de Paris de Wallace Worsley, avec Lon Chaley ; c'est la première fois que Quasimodo tient le premier rôle,
- 1939 • Quasimodo de William Dierterle, avec Charles Laughton et Maureen O'Hara ; la première des adaptations à avoir la parole et la plus proche de Hugo en ce qui concerne l'histoire,
- 1956 • Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy, avec Anthony Quinn et Gina Lollobridgida, la plus connue des adaptations cinématographiques,
- 1996 • Le Bossu de Notre-Dame des studios Disney, c'est la première adaptation en long métrage d'animation.
Né le 26 février 1802, Victor-Marie est le troisième fils du futur général Hugo. La vocation littéraire lui vient très vite, elle est d'ailleurs encouragée par toutes sortes de prix et de récompenses. Il se marie avec Adèle Foucher en 1822. Hugo fait déjà figure de jeune poète officiel, et bientôt sacré chef de file de l'école romantique par sa pièce Cromwell. 1830 est l'année de la révolution mais aussi de sa séparation conjugal, après la naissance d'un cinquième enfant. Il rencontre bientôt Juliette Drouet qui sera sa maîtresse pour la vie. En 1843, il est assombri par la mort de sa fille Léopoldine. Hugo se rallie au parti républicain après la révolution de 1848. Lors du coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonanaparte, il choisit un exil qui va durer près de vingt ans. Lorsque le patriarche rentre à Paris, après la chute de l'Empire, c'est un homme immensément populaire. Une congestion cérébrale le frappe en 1878. A sa mort, en 1885, les cendres du poète sont portées au Panthéon.
Principales œuvres :
- 1822 • Odes
- 1827 • Cromwell
- 1829 • Les Orientales
- 1830 • Hermani
- 1831 • Les Feuilles d'Automne
- 1831 • Notre-Dame de Paris
- 1831 • Marion de Lorme
- 1832 • Le Roi s'Amuse
- 1833 • Marie Tudar
- 1835 • Les Chants du Crépuscule
- 1837 • Les Voix Intérieurs
- 1838 • Ruy Blas
- 1840 • Les Rayons et les Ombres
- 1853 • Châtiments
- 1856 • Contemplations
- 1859 / 1883 • La Légende des Siècles
- 1862 • Les Misérables
- 1866 • Les Travailleurs de la Mer
- 1869 • L'Homme qui Rit
- 1874 • Quatre-Vingt Treize