Pinocchio
Titre original : Pinocchio Production : Walt Disney Animation Studios Date de sortie USA : Le 7 février 1940 Genre : Animation 2D |
Réalisation : Hamilton Luske Ben Sharpsteen Musique : Leigh Harline Paul J. Smith Ned Washington Durée : 88 minutes |
Le synopsis
Geppetto, un vieil artisan, sculpte le bois et fabrique des jouets. Il partage sa solitude avec Figaro le chat et Cléo le poisson rouge. Il rêve d'avoir un fils. Il imagine ainsi de créer une marionnette à l'image d'un garçonnet, qu'il baptise Pinocchio. Pour célébrer son arrivée, il organise une fête... À la nuit tombée, la Fée Bleue visite la maison de Geppetto et d'un coup de baguette magique, insuffle la vie à la marionnette. Elle lui procure même une conscience morale : Jiminy le criquet.
Geppetto, comblé, envoie Pinocchio à l'école. En route, deux escrocs, Grand coquin le renard et Gédéon le chat, interceptent le garçon et s'empressent de le vendre à Stromboli, le montreur de marionnettes. Il faudra toute l'astuce de Jiminy et l'intervention de la Fée Bleue pour sortir l'enfant de ce mauvais pas. La liberté reconquise, Pinocchio se fait manipuler, une fois de plus, par les deux horribles coquins qui le persuadent, lui et d'autres garçons, de se rendre dans un parc d'attraction situé dans une île enchantée. Les enfants se voient bien vite transformés en ânes. Jiminy s'aperçoit de la supercherie et sauve son protégé. Geppetto, fou d'inquiétude, prend la mer à la recherche de l'enfant. Monstro, une baleine, l'avale avec Figaro et Cléo. Pinocchio file à leur secours sur un radeau. Il est lui aussi happé par la gloutonne baleine...
La critique
Après le fabuleux succès de Blanche Neige et les Sept Nains, qui a réussi le difficile pari de prouver qu'un long-métrage d'animation pouvait attirer les foules et enchanter la Critique, Walt Disney met en chantier parallèlement plusieurs films : Bambi, Dumbo, Peter Pan et même un court-métrage où Mickey se transforme en apprenti sorcier ! Parmi ses nombreux projets, se trouve également celui qui constituera son deuxième chef-d'œuvre, empli de grâce et d'enchantement : Pinocchio.
Ces ambitieux projets nécessitent, bien évidemment, de nouveaux moyens humains et techniques. La Compagnie aux grandes oreilles est, en effet, désormais à l'étroit dans son seul studio de l'avenue Hypérion de Los Angeles. Walt Disney décide donc de déménager sa société toute entière sur les hauteurs de la ville et l'installe sur les collines de Burbank. Perfectionniste jusqu'au bout des ongles, le Maître de l'animation se paye même le luxe de faire construire des bâtiments dans un style qu'il affectionnait tout particulièrement, l'art-déco. Les travaux s'achèvent en 1940. Les studios ont conservé, depuis, leur apparence originelle.
Pinocchio est en fait à l'origine un conte italien écrit, en 1881, par le florentin Carlo Collodi, de son vrai nom Lorenzini, sur commande de Ferdinando Martini, alors directeur de la revue pour enfants, Giornale per i bambini. L'histoire est ainsi construite en 36 chapitres édités de juillet 1881 à janvier 1883. Elle fait ensuite le tour du monde, Pinocchio ayant acquis sans mal le statut de personnage universel.
Walt Disney s'empare des droits sur l'œuvre qu'il considérait idéale pour un
deuxième long-métrage alors même que Bambi en était déjà dans une phase préparatoire avancée. Ses
scénaristes se sont ainsi attelés à faire un tri sur le foisonnement de
personnages présents dans le roman et toutes les aventures du héros. Le film
est, à ce titre, plus une adaptation qu'une retranscription fidèle du feuilleton
littéraire.
De nombreux personnages sont ainsi supprimés, d'autres sont étoffés comme Jiminy
Cricket et Figaro, quand ils ne sont pas purement et simplement créés de toutes pièces, telle Cléo. Cette libre interprétation de Pinocchio ne se fera
d'ailleurs pas sans heurt avec la famille de l'auteur qui intentera, en vain, un
procès à Walt Disney pour dénaturation de l'œuvre.
Il est donc essentiel de bien comprendre que la vision de Pinocchio
présenté par Walt Disney est, avant tout, la sienne et qu'elle ne doit pas être,
au delà de sa grande qualité, considérée comme correspondante à celle de Carlo
Collodi, même s'il convient d'admettre que le "rouleau compresseur" du
merchandising de la Compagnie de Mickey a fait de sa propre version la référence
de l'œuvre auprès du grand public.
Alors que Pinocchio est à l'origine un petit garnement enclin à faire sans cesse
des bêtises et, somme toute, insupportable, Disney le présente sous un jour
autrement plus favorable, de bambin naïf et influençable. C'est Milt Kahl, alors
jeune homme, mais membres bien plus tard du cercle enviable des
"neuf vieux messieurs", qui se charge de l'animation du personnage après que
l'élaboration du pantin soit resté au point mort pendant prés de six mois.
Son confrère, Ward Kimball, s'occupe lui de Jiminy Cricket dont les traits ne
lui plairont décidément jamais. Il lui reprochait en effet de ne "ressembler à
rien" et surtout pas à un insecte, mis à part bien sûr sa taille. En fait, c'est
Walt Disney lui même qui imposa sa vision à Ward Kimball, en exigeant que la
conscience du pantin soit suffisamment distincte d'une créature vivante (insecte
ou animal) pour la rendre à la fois attachante auprès du grand public tout en
étant distante de la réalité. Le choix du Maître de l'animation s'avèrera
être le bon. Les spectateurs plébiscitent, en effet, le personnage de Jiminy Cricket si
bien que la compagnie le met bien vite à l'honneur d'autres productions,
dont un long-métrage
Coquin de Printemps et une série télé du
Mickey Mouse
club : I'm no Fool... [traduite littéralement par Je suis
prudent avec...].
Figaro a eu droit, également, pour sa part, à un autre des
futurs "vieux messieurs" en guise de créateur : Eric Larson. Ce personnage, qui prend de la consistance
dans la version "disneyenne" de Pinocchio, est, à l'inverse de Jiminy cricket,
terriblement crédible tant il semble être réel, de par son comportement et ses
mimiques. Il amène ainsi beaucoup de légèreté au film, y compris dans les scènes
émotionnellement intenses en jouant, avec merveille, son rôle d'être "terre à
terre", tout entier tourné sur sa petite personne. Le potentiel de Figaro sera
tellement bien mis en valeur qu'il aura droit non seulement à des apparitions
dans trois cartoons de Pluto mais aussi à sa propre série composée de trois
épisodes : Figaro and Cleo en 1943, Bath Day
en 1946 et Figaro and Frankie en 1947.
Les autres personnages servent, quant à eux, le récit en amenant, tour à tour,
l'émotion (Geppetto), la grâce (Cléo), la magie (la fée bleue), le comique (Gédeon
et Grand Coquin), l'action (la baleine) ou la peur (le cochet et Strombolli).
Fort d'un scénario étoffé et de personnages attachants, Pinocchio vaut aussi par sa technique d'animation 2D. Il est sans aucun doute l'apogée de l'art de Walt Disney. Aucun film ne pourrait en effet aujourd'hui bénéficier d'autant de soins et de moyens. Le papa de Mickey voulait, en fait, réaliser un nouveau long-métrage d'animation tellement époustouflant qu'il reléguerait son, pourtant mythique, Blanche Neige et les Sept Nains au rang d'expérimentation. Il se moquait des sommes folles investies dans Pinocchio car il surfait sur les bénéfices tirés de l'exceptionnel succès de son premier long-métrage. Le Maître de l'animation s'est dont non seulement autorisé plusieurs tâtonnements avant la version définitive des personnages mais aussi de réels "caprices" visuels que la beauté de la scène de Pinocchio se rendant à l'école résume à elle seule. La caméra se promène, en effet, du clocher vers le bas, puis en travelling, tourne sous un porche pour finir, plus bas à droite, chez Geppetto - le tout avec trois différents niveaux d'animation. La scène, qui dure à peine une minute, utilise tous les atouts de la caméra multiplane dont le coût est pourtant exorbitant, plus encore quand on sait que le spectateur profane ne captera que 10% de la prouesse technique. Walt Disney, après cette aventure gargantuesque financièrement, se jura d'être, à l'avenir, beaucoup plus raisonnable dans l'élaboration d'un long-métrage animé.
La musique, quant à elle, joue une place prépondérante dans Pinocchio même si l'ensemble de la bande originale aura moins de retentissements que celle de Blanche Neige et les Sept Nains. Elle se verra, néanmoins, auréolée de deux Oscars : l'un pour la Meilleure Musique et l'autre pour la Meilleure Chanson (Quand On Prie la Bonne Étoile). Cette dernière, devenue un immense hit, a été pris pour hymne par la Walt Disney Company tout entière, utilisée pour l'ouverture de l'émission télé des années 50, Disneyland, mais aussi pour ses parcs à thèmes, à travers le monde.
Pour les spécialistes de l'animation, Pinocchio est assurément "Le" film d'animation s'étant le plus rapproché de la perfection et dont la qualité n'a jamais été égalée depuis. Les critiques furent unanimes pour l'encenser, plus encore qu'elles ne l'avaient été pour Blanche Neige et les Sept Nains. Même les grands pontes d'Hollywood, et adversaires à peine voilés de Walt Disney, durent s'avouer vaincus devant la capacité du Maître à innover et à rechercher de nouvelles et grandes histoires. Le public sera également conquis. Seuls les résultats financiers furent décevant. La deuxième guerre mondiale a stoppé net la carrière internationale de Pinocchio. Si le public américain découvrit le film en 1940, le marché européen, pesant prés 40% de recettes du studio à l'époque, lui resta fermé jusqu'à la fin du conflit. Le long-métrage ne put, dans ces conditions, se rentabiliser. Les studios Disney entrent alors dans une phase financière délicate qui durera une décennie.
A noter :
En l'an 2000, Disney réalise un téléfilm musical,
Geppetto, en
prises de vues réelles sur l'univers de Pinocchio tout en l'axant
essentiellement sur le personnage du père.