Harvey Toombs

Au fil des années, certains artistes de Disney sont parvenus à se faire un nom au point d’être adorés par toute une communauté de fans. C’est notamment le cas des Neuf Vieux Messieurs. Mais dans l’ombre de ces géants de l’animation, gravitaient également de très nombreuses personnalités tout aussi prolifiques et talentueuses. Parmi elles, figure notamment le dessinateur Harvey Toombs, un véritable couteau suisse capable de tout animer et qui marqua profondément la filmographie des studios, principalement au cours des décennies 1940 et 1950.

Cliff Nordberg, Bob Carlson, George Kreisl, Harvey Toombs et Jerry Hathcock

Harvey Franklin Toombs voit le jour le 6 février 1909 à Kansas City, au nord-est du Kansas. Fils de Frederick Boggs Toombs et d’Helena Hamilton, il est le cadet d’une fratrie de trois garçons également composée d’Ernest, l’aîné, et de Floyd, le benjamin. Passionné depuis l’enfance par le dessin, il suit un cursus en art avant de décrocher un poste aux studios de Max et Dave Fleischer. Travaillant sur le long-métrage Les Voyages de Gulliver (1939), il n’y reste cependant que quelques mois avant de répondre à une offre d’emploi publiée dans la presse par Walt Disney à la fin des années 1930. À l’époque, les studios sont devenus une véritable ruche. Suite au succès incroyable de Blanche Neige et les Sept Nains (1937), Walt a en effet immédiatement cherché à transformer l’essai en lançant la production de plusieurs projets. Toombs est en particulier attaché à la création de Pinocchio (1940). Encore jeune animateur, il s’occupe notamment de la marionnette qui s’entretient avec Stromboli après son triomphe sur scène. Il anime également le petit héros qui s’approche de la falaise puis noue un rocher autour de sa queue d’âne. Toombs crée enfin une partie des touchantes retrouvailles entre Pinocchio et Geppetto, coincés dans le ventre de Monstro.

Pinocchio (1940)

Après Pinocchio, Harvey Toombs est associé à la production de Fantasia (1940). Sous la direction de Norman Ferguson et T. Hee, il planche sur la séquence inspirée de La Danse des Heures d’Amilcare Ponchielli et dessine en particulier les éléphants qui font des bulles avec leur trompe. L’un des pachydermes s’étonne alors de voir un poisson nager dans l’une desdites bulles. Après avoir animé Hyacinth Hippo en train de joliment flotter dans les airs avant de retomber sur la terre ferme, Toombs s’amuse à faire tourner les éléphants au-dessus de la tête des alligators.

Fantasia (1940)

Harvey Toombs est rapidement associé à une autre histoire d’éléphant, Dumbo, son film préféré adapté de l’œuvre d’Helen Aberson (1941). Obtenant pour la première fois son nom au générique d’un film Disney, l’artiste ne s’occupe toutefois pas des pachydermes et livre à la place de très jolies séquences montrant les animaux du cirque endormis durant les chansons La Cigogne et Mon Tout Petit. Très ponctuellement, il croque Timothée qui, totalement ivre, se cache sous le chapeau de Dumbo après avoir vu se former les trois premiers éléphants roses.

Dumbo (1941)

Engagé à la même époque sur Le Dragon Récalcitrant (1941), Bambi (1942) et les courts-métrages Pluto Somnambule (1942) et Pluto au Zoo (1942) dans lequel il anime d’autres animaux, Harvey Toombs participe à l’effort de guerre dans lequel se sont engagés les studios Disney dès le début du Second Conflit mondial. En plus de Victory Through Air Power (1943) et des courts-métrages À l’Attaque ! (1943) et Mission Canard (1944), il anime avec Murray McClellan et Ollie Johnston plusieurs passages du film sanitaire Cleanliness Brings Health écrit par Winston Hibler pour apprendre les gestes d’hygiène essentiels aux populations latino-américaines (1945). Avec Ward Kimball, il donne par ailleurs vie au personnage de Careless Charlie. Sorte de monsieur Tout-le-Monde mis en scène pour montrer comment lutter contre les maladies, celui-ci apparaît dans les films éducatifs Hookworm (1945), Les Insectes Porteurs de Maladie (1945), The Unseen Enemy (What is Disease?) (1945), How Disease Travels (1945) et Planning for Good Eating (1945).

Dans un registre plus divertissant, Harvey Toombs collabore à deux autres sujets sud-américains, le cartoon Pluto et l’Armadillo (1943) et surtout le long-métrage Les Trois Caballeros (1945). Film d’anthologie rassemblant plusieurs courts-métrages reliés entre eux par des séquences avec Donald, il comprend notamment l’histoire de Pablo, un petit pingouin qui déteste le froid et décide de quitter le pôle Sud pour des mers plus chaudes. Toombs se charge alors de concevoir les nombreux pingouins en train de jouer sur la banquise. Il dessine aussi les oiseaux qui observent Pablo prendre le large avec plus ou moins de succès. Il anime enfin le héros qui, équipé de sa longue-vue, cherche la terre la plus hospitalière.

Les Trois Caballeros (1945)

Alors que la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin, Harvey Toombs poursuit sa carrière aux studios Disney. Il participe à la réalisation de plusieurs cartoons tels que Dingo Joue au Football (1944), Donald est de Sortie (1944) et Le Crime ne Paie Pas (1945). Impliqué dans la création du film éducatif The Story of Menstruation (1946), il anime dans le même temps quelques personnages de La Boîte à Musique (1946), en particulier dans les séquences Johnnie Fedora and Alice Bluebonnet et La Baleine qui Voulait Chanter à l’Opéra. Il est également impliqué dans la création des segments animés de Mélodie du Sud (1946).

Durant ses premières années chez Disney, Harvey Toombs fait la rencontre de Leota Wharton, une jeune intervalliste qu’il épouse en 1947. Le couple donne alors naissance à deux filles, Kim et Launie. Avec elles, l’heureux papa partage sa passion pour le cheval et les grands espaces. Avec les années, ses filles et lui prennent ainsi l’habitude de chevaucher pendant des heures dans les grandes étendues autour de Los Angeles. Toombs nourrit en outre une belle passion pour la musique, en particulier le jazz. Fan de Stan Getz, il joue lui-même de la guitare. Maniant également certains cuivres, il se produit de temps en temps avec ses collègues et amis du groupe des Firehouse Five Plus Two.

Coquin de Printemps (1947)

Les terribles années de guerre étant à présent derrière eux, les studios tentent de reprendre une activité normale en mettant en chantier des projets totalement déconnectés du conflit. Faute de budget, les nouveaux longs-métrages animés prennent la forme de compilations réunissant plusieurs séquences déconnectées les unes des autres. Parmi eux, Coquin de Printemps (1947) débute par une première partie inspirée de l’histoire de Bongo écrite par Sinclair Lewis. Harvey Toombs anime notamment le duel entre le petit ours et le terrible Bruton.

Coquin de Printemps (1947)

La seconde partie de Coquin de Printemps redonne, quant à elle, la part belle à Mickey, Donald et Dingo choisis pour incarner la légende de Jack et le Haricot Magique. Toombs dessine la vache que le canard colérique cherche à manger. L’artiste a surtout l’honneur de croquer la célèbre souris qui rentre à la maison avec ses haricots enchantés. Pour relier chacune des deux séquences entre elles, des intermèdes sont ajoutés avec Jiminy Cricket en maître de cérémonie. Harvey Toombs dessine le grillon qui saute de la table, puis tourne sur le phonographe avant de s’asseoir sur le nez de l’ours en peluche pour écouter le récit de Bongo.

Mélodie Cocktail (1948)

Harvey Toombs enchaîne ensuite avec Mélodie Cocktail, une autre compilation de courts-métrages (1948). En plus du couple de lapins, il anime Joe qui tente de venir au secours de Jenny, prisonnière d’une rivière de glace en train de rompre dans le segment C’est un Souvenir de Décembre. Pour la séquence Bumble Boogie, il caricature une chenille faite à partir des notes d’un piano ainsi que l’abeille aux prises avec elle. Il dessine les animaux qui découvrent puis accompagnent Johnny Pépin de Pomme dans la forêt. Dans la partie C’est la Faute de la Samba, il donne de sa folie à l’Aracuan qui trace sur le sol un trou rempli d’eau dans lequel Donald et José tombent malgré eux.

Le Crapaud et le Maître d'École (1949)

La liste des films d’anthologie s’achève en 1949 avec la sortie du (Le) Crapaud et le Maître d’École. Dans la première partie, La Mare aux Grenouilles d’après l’œuvre de Kenneth Grahame, Harvey Toombs anime la première apparition d’Ange MacBlaireau occupé à tenir les comptes et à payer les factures. Il dessine le Rat qui ouvre la porte de sa maison au facteur. Il se charge de Cyril Trottegalop dans une large partie de la chanson Nous Galopons, Galopons, Galopons. Il s’occupe seul de la scène durant laquelle le Rat et la Taupe conduisent Crapaud dans sa chambre après que celui-ci a perdu l’esprit suite à la découverte d’une voiture. Durant la séquence du procès, Toombs retrouve Cyril Trottegalop interrogé avec poigne par le Procureur. Il croque le Juge qui demande le silence à la salle. Plus loin dans l’histoire, il anime Crapaud qui vient de sauter dans la rivière. En plus du passage où le héros observe le combat qui fait rage dans son salon du haut d’un balcon, Harvey Toombs conclut le film avec la scène du toast.

Le Crapaud et le Maître d'École (1949)

Harvey Toombs est également très engagé dans la création de La Légende de la Vallée Endormie, la deuxième partie du (Le) Crapaud et le Maître d’École. Il se charge alors d'Ichabod Crane qui, allongé dans son lit, pointe son agenda. Il retrouve ensuite le héros qui, après avoir dispensé sa leçon de chant, savoure la délicieuse salade de crudités préparée par l’une de ses élèves. Toombs montre ensuite le maître d’école qui, plutôt que de s’occuper de ses élèves, rêve de la belle Katrina et de sa fortune. Enfin, l’artiste anime Ichabod Crane en train de s’empiffrer pendant que Brom Bones raconte la légende du Cavalier sans tête. Il perd alors peu à peu son sang-froid au fur et à mesure que le récit avance.

Cendrillon (1950)

Walt Disney et ses artistes tournent le dos aux films d’anthologie grâce à Cendrillon (1950), le premier long-métrage d’un seul tenant depuis Bambi. Harvey Toombs épaule alors Frank Thomas dans la création de Madame de Trémaine, la grande méchante. L’artiste la dessine ainsi durant la leçon de chant d’Anastasie et Javotte puis durant le bal donné au château. Il se charge de quelques plans de la Marâtre qui enferme Cendrillon dans sa chambre tandis que le Grand Duc arrive avec un Hérault pour faire essayer la pantoufle de verre aux jeunes femmes de la maison. Toombs la représente plus tard en train de servir le thé au conseiller du roi puis essayant de l’empêcher d’approcher de l’héroïne parvenue à se libérer de sa tour.

Alice au Pays des Merveilles (1951)

Harvey Toombs montre une nouvelle fois toute sa maestria avec Alice au Pays des Merveilles d’après l’œuvre de Lewis Carroll (1951). Il y anime l’héroïne qui, au début du film, aperçoit le Lapin Blanc et le suit jusqu’à son terrier. Une fois tombée dedans, Toombs la dessine en train d’ouvrir la multitude de petites portes. Il supervise ensuite en grande partie la scène durant laquelle Alice, qui a mangé des biscuits, grandit tant et tant qu’elle se retrouve coincée à l’intérieur de la maison du Lapin. Elle cherche alors à soulever la chaumière puis se lamente de l’arrivée du Dodo. Elle reprend enfin sa taille normale et quitte la maison.

Alice au Pays des Merveilles (1951)

Suivant sa rencontre malheureuse avec les fleurs chantantes, Alice s’entretient avec la Chenille que Toombs anime après sa transformation en papillon. Il met ensuite en scène la fillette dans le labyrinthe menant aux Cartes occupées à peindre les roses en rouge. Harvey Toombs anime les rangées de cartes puis la Reine de Cœur qui hurle pour demander le silence avant de découvrir la présence d’Alice. L’animateur poursuit son animation de la petite fille qui manifeste son agacement face à la souveraine qui triche au croquet puis qui tente d’avertir cette dernière que le Chat du Cheshire est perché sur son épaule. Harvey Toombs participe à la scène du procès durant laquelle Alice prend peur lorsque le chat répète toute les insultes qu’elle vient de proférer contre la Reine. Toombs s’occupe enfin de la fuite d’Alice qui se découvre en train de dormir en regardant par un trou de serrure.

Peter Pan (1953)

Après les courts-métrages On Jeûnera Demain (1951) et Dingo Professeur (1952), Harvey Toombs atteint le sommet de son art avec certaines des plus belles séquences de Peter Pan (1953). Il participe à la présentation de la famille Darling, en particulier Wendy qui explique à Jean que le crochet du célèbre capitaine ne se trouve pas sur sa main droite mais sur la gauche. Toombs anime la jeune fille qui peste contre son père lorsque ce dernier qualifie les aventures de Peter Pan d’« histoires ridicules ». Il montre ensuite Madame Darling et ses trois enfants qui se désolent de voir Nana rouler par terre après avoir été bousculée par Monsieur Darling. Toombs supervise ensuite la discussion entre la gentille maman et Wendy qui, sur le point de s’endormir, lui explique ne pas avoir envie de grandir.

Peter Pan (1953)

Toujours dans Peter Pan, Harvey Toombs anime Peter qui tente de rattraper son ombre puis Wendy qui la recoud sur ses pieds. L’animateur s’occupe ensuite de la jeune fille durant presque l’intégralité de la séquence de la chambre puis au moment du départ vers le Pays Imaginaire. Parmi les instants de grâce du film, Toombs dessine Peter et les enfants Darling qui se posent sur l’une des aiguilles de Big Ben. Il enchaîne avec le survol par Wendy du Pays Imaginaire. Il s’occupe enfin de la scène finale du retour à Londres avec la jeune fille qui, réveillée par sa maman qui la découvre endormie à la fenêtre de la chambre, explique à ses parents la formidable aventure que ses frères et elle viennent de vivre.

La Belle et le Clochard (1955)

Entre deux longs-métrages, Harvey Toombs est occupé, comme ses collègues, à la production de quelques courts-métrages. Il est ainsi associé à la création d’Adventures in Music : Melody (1953) et Franklin et Moi (1953). Il travaille ensuite sur La Belle et le Clochard (1955). L’artiste est principalement impliqué dans les séquences avec Jim et Darling, les maîtres de Lady. Il anime en particulier l’une des premières scènes du film durant laquelle Jim installe le panier de la petite chienne qu’il vient tout juste d’offrir à sa femme. Montant se coucher, celui-ci est obligé de redescendre afin de placer une chaise devant la porte pour empêcher Lady de quitter sa panière. Plus tard, Toombs montre Jim en train de rentrer à la maison. Trop préoccupé par l’arrivée imminente du bébé, il ignore alors la petite cocker venue pour l’accueillir. L’animateur dessine Lady observant toutes les personnes venues à la maison suite à la naissance de l’enfant. Harvey Toombs offre enfin un beau moment de poésie au film en animant Darling qui berce tendrement son bébé.

En attendant le lancement de l’animation de La Belle au Bois Dormant, Harvey Toombs collabore à un projet bien différent de tout ce qu’il a produit au cours des dernières années. Sous la direction du réalisateur Les Clark, il est en effet chargé de créer avec son collègue Cliff Nordberg les passages animés du film The Story of Oil, un court-métrage éducatif sponsorisé par la firme pétrolière Richfield Oil et intégré à l’attraction The World Beneath Us inaugurée le 17 juillet 1955 en même temps que le Parc Disneyland. Intégré à Tomorrowland, le spectacle propose alors aux visiteurs de découvrir les origines du pétrole et ses usages modernes. Pour l’occasion, un nouveau personnage doublé par le comédien Bill Thompson est spécialement créé par Nordberg et Toombs.

La Belle au Bois Dormant (1959)

Une large partie des années 1950 est en parallèle consacrée à la conception de La Belle au Bois Dormant. Harvey Toombs travaille en particulier sur les personnages des fées avec Frank Thomas et Ollie Johnston. Il dessine ces dernières qui, avec leur baguette, achèvent la robe d’anniversaire d’Aurore. Il s’occupe des fées qui ramènent discrètement la princesse au château à la veille de ses seize ans. Mais la magie de Maléfique est trop forte. Harvey Toombs anime le moment où elles cherchent en vain Aurore à travers le château. Lorsque leur protégée est plongée dans un sommeil profond, les fées endorment les souverains et leur cour. Toombs complète son travail avec la scène durant laquelle Pâquerette, Flora et Pimprenelle découvrent sur le sol de la chaumière le chapeau du prince Philippe, tout juste enlevé par Maléfique.

Après La Belle au Bois Dormant, Harvey Toombs collabore à deux ultimes films avec Donald, Donald au Pays des Mathémagiques (1959) et Un Accident est Vite Arrivé (1959). À l’époque, l’animation Disney est à un point de bascule. Le format étant devenu trop peu rentable, la division court-métrages s’apprête à fermer ses portes. La Belle au Bois Dormant, quant à lui, déçoit au box-office. La question de la survie de l’animation Disney se pose alors sérieusement. Le lancement de la production des (Les) 101 Dalmatiens et d’une poignée de petits films permet malgré tout de maintenir une partie des équipes au travail. Mais la masse salariale est inexorablement amputée. Comme d’autres collègues, Harvey Toombs quitte ainsi les studios Disney et par rejoindre les rangs du concurrent UPA.

Là, il travaille sur Les Aventures d’Aladin (1959), le long-métrage avec Mister Magoo réalisé par son ami Jack Kinney, un autre ancien de chez Disney. Il dirige ensuite une quinzaine d’épisodes de la série animée Popeye the Sailor diffusée sur ABC (1960-1962) et participe à la production de Chat c’est Paris ! (1962). Engagé par les sociétés Creston Studios et Kayro Productions, il supervise l’animation de Calvin and the Colonel (1961). Pour Paramount, il ajoute enfin à sa filmographie Snuffy Smith and Barney Google (1963) puis, chez Hanna-Barbera, Magilla le Gorille (1964), Les Pierrafeu (1962-1964), Jonny Quest (1964-1965) et L’Araignée (1967-1968).

John Brandt, Irving P. Kirk, Harvey Toombs, Walt Disney et Art Scott

Harvey Toombs disparaît le 19 mars 1968 à seulement cinquante-neuf ans. Son corps est inhumé au Forest Lawn Memorial Park de Glendale.