Le Procureur
Date de création : Le 05 octobre 1949 Nom Original : Prosecutor Créateur(s) : |
Apparition : Cinéma Parcs Voix Originale(s) : John McLeish Voix Française(s) : Henri Virlogeux |
Le portrait
Lorsqu’ils se lancent dans l’adaptation de l’œuvre Du Vent dans les Saules de Kenneth Grahame, les scénaristes de Disney ne disposent pas vraiment de méchants. L’histoire originale est en effet gentillette et surtout centrée sur des personnages d’animaux, notamment Crapaud qui se retrouve en prison après avoir volé une voiture. Ils doivent donc broder et introduire des antagonistes afin d’accroître la dimension dramatique du récit. En plus des belettes, déjà présentes dans l’histoire, deux méchants sont intégrés : Monsieur Moustache, le barman escroc, et le procureur de la couronne, le magistrat sans pitié.
Après avoir aperçu une voiture rouge, Crapaud est désormais incontrôlable. Enfermé dans son propre manoir par ses amis la Taupe et le Rat, chacun pense le batracien en sécurité. Mais si la porte de la chambre est verrouillée, la fenêtre est une bonne échappatoire. Le lendemain, le héros fait la Une des journaux après avoir été arrêté au volant d’une voiture volée. Son procès commence bientôt. Le procureur de la couronne, assis face au juge, dos à la caméra, entre en scène et appelle les témoins afin de faire la lumière sur cette histoire.
D’une voix grave et rocailleuse, le magistrat perruqué appelle à la barre le Rat et la Taupe. Tenant le revers de sa veste de ses deux mains, il pose sa première et unique question. Est-il exact qu’ils ont enfermé Crapaud pour l’empêcher de se procurer une automobile ? Les deux compagnons n’ont pas le temps de parler que le procureur, avec énergie, les somme de répondre. Pour des personnages aussi petits que les deux petits mammifères, en particulier la Taupe qui bascule en arrière, le bonhomme est impressionnant et intimidant. Le Rat répond par l’affirmative. Le procureur n’a pas d’autres questions. C’est au tour d’Ange MacBlaireau qui est martelé de questions. Avait-il connaissance du syndrome mental du Crapaud pour les automobiles ? N’a-t-il pas le temps de répondre à la première que la seconde puis la troisième interrogation fusent déjà. L’a-t-il privé de ses revenus ? A-t-il des ressources liquides ou autres ? Le procureur dispose du témoin qui n’a énoncé aucune réponse. L’accusation en a terminé !
C’est au tour de Crapaud d’assurer sa propre défense. Sous les yeux de la cour et du procureur, il interroge Cyril. Vantant les qualités de son ami, le cheval est rapidement interrompu par le magistrat qui surgit par surprise derrière lui. Haussant le ton, il tente de confondre le bigadin en insistant sur le fait que son témoignage est contraire à celui que MacBlaireau n’a pourtant pas pu exposer juste avant ! Poussant Cyril dans ses retranchements, le procureur ordonne de savoir comment le crapaud, dépourvu d’argent, a-t-il pu obtenir cette voiture. Moqué par le témoin, dont le langage est très familier, ainsi que par le public, l’accusateur exige des sanctions de la part du juge qui ne s’offense pas et autorise Cyril à parler avec son phrasé habituel.
Après avoir expliqué que la voiture a en réalité été échangée contre le château Crapaud, le procureur est perplexe. Sceptique, c’est son tour de se moquer du témoin avant de se pencher sévèrement sur le baron Têtard à qui il demande s’il pense vraiment faire avaler cette histoire. Crapaud est confiant car il a dans sa poche un témoin surprise, Monsieur Moustache, le tenancier du bar dans lequel la transaction a été signée. Apportant les preuves de la culpabilité du héros, le barman va dans le sens du procureur qui a déjà disparu de l’intrigue pour ne plus y revenir. Crapaud est incarcéré. « Justice » a été rendue.
Le procureur est-il vraiment un vrai méchant ? La question peut se poser. Il est persuadé que Crapaud a bien volé la voiture et toutes les preuves semblent aller dans ce sens. Le procureur pourrait alors passer pour un simple magistrat faisant son travail… Pourtant, il abuse dès le départ de sa position. La justice ne semble pas être sa première motivation. Le procureur mène systématiquement des interrogatoires à charge. Tel un acteur sur la scène d’un théâtre, il tente de conquérir le public avec une gestuelle extravagante et des questions orientées, posées tellement rapidement que les témoins ne parviennent pas à garder la parole pour s’expliquer. Si le procureur fait son travail, il mène son interrogatoire avec malice et fourberie. Il apparaît rapidement évident qu’il ne veut pas juger Crapaud. Il veut condamner Crapaud ! Et face aux animaux passant les uns après les autres à la barre, il joue sur l’intimidation que lui donne sa haute stature par rapport à la taille du Rat et de la Taupe. Et même Cyril, le cheval, plus grand que le magistrat, courbe l’échine devant lui. Cherchant à faire de Crapaud le coupable tout désigné du procès, le procureur agit donc indéniablement en méchant.
Fier comme Artaban, le procureur est un homme majestueux, grand, droit dans ses bottes. Sa perruque courte, typique des avocats britanniques, lui donne une extraordinaire prestance. Très longiligne, il est l’exact opposé du juge, petit bonhomme rondouillard au visage sympathique. Et la différence entre les deux hommes ne s’arrête pas qu’à leur simple apparence. Leurs caractères sont en effet également parfaitement opposés. Car si le président du tribunal, immobile dans son fauteuil, est un homme souriant cherchant à entendre les témoins avec lesquels il semble prêt à sympathiser, le procureur adopte une attitude bien plus agressive. Il ne tient pas en place, bougeant avec rapidité et dextérité. Il marque clairement sa présence dans la salle. Brutal, il agresse littéralement ses interlocuteurs, y compris le juge à qui il ordonne de recadrer Cyril Trottegalop, en vain. Allant et venant de part et d’autre de l’écran, pointant les témoins du doigt, exagérant ses gestes et l’intonation de sa voix, il brille par son jeu et habite clairement l’unique scène dans laquelle il apparaît. Et si le juge aime rire aux plaisanteries de Crapaud, le procureur ne s’amuse pas, si ce n’est du désarroi qu’il inspire lorsqu’il pose ses questions-piège.
Le procureur est certainement l’un des plus beaux personnages de La Mare aux Grenouilles. Il est dessiné par Ollie Johnston, légende de l’animation, créateur de personnages aussi mythique que Pinocchio, Pan-Pan, Archimède, Baloo ou encore Rufus. Il s’agit d’ailleurs là du premier méchant du futur créateur de Monsieur Mouche et du Prince Jean. Pour le procureur, Johnston avoue s’être inspiré des brutes épaisses auxquelles il a dû faire face à l’école !
Dans la version originale, le procureur est interprété par John McLeish. L’acteur d’origine canadienne est surtout resté célèbre pour avoir été le narrateur de la série des How to… dans laquelle Dingo apprend tel ou tel sport, tel ou tel métier, telle ou telle activité. McLeish est également le conteur de Dumbo et la voix du speaker radio dans le court-métrage L’Heure Symphonique. Scénariste du (Le) Sacre du Printemps dans Fantasia, il a aussi doublé Jupiter et Vulcain dans Trombone en Coulisse. En français, le méchant est joué par Henri Virlogeux, acteur à l’affiche de films comme Les Quatre Cents Coups, Arsène Lupin contre Arsène Lupin, Mélodie en Sous-sol, L’Enfer, Le Corniaud ou encore Le Tatoué. Egalement présent à la télévision et au théâtre, il a prêté sa voix à Jerome Cowan dans Les Petits Hommes de la Forêt, au personnage du libraire dans L’Apprentie Sorcière, à Peter Cushing dans La Guerre des Etoiles ou au mage égyptien Iris dans Les 12 Travaux d’Astérix. Il a en outre été le narrateur du court-métrage Vincent de Tim Burton.
Comme l’ensemble des personnages de La Mare aux Grenouilles, le procureur apparaît dans l’attraction Mr. Toad’s Wild Ride à Disneyland. Doublé par Corey Burton, il est présent à deux reprises. Il est bien-sûr au tribunal, hurlant « Guilty ! » (Coupable !). Il revient parmi les démons dans une scène surnommée par les concepteurs l’ « Inferno room », dans laquelle les visiteurs se trouvent comme plongés en Enfer.
Bien que fort méconnu, le procureur de la séquence de La Mare aux Grenouilles demeure l’un des plus beaux antagonistes de la fin des années 1940. Remplissant bien son rôle, il profite surtout d’une animation remarquable.