Quand On Prie la Bonne Étoile
Oscar de la Meilleure Chanson Originale (1940)
L'article
Alors que Disney s'apprête à faire accomplir un destin hors du commun à un simple morceau de bois en lui insufflant la vie, une simple chanson créée pour l'occasion va connaître elle aussi un destin exceptionnel en devenant l'hymne de la plus grande société de divertissement.
Après le premier long métrage des studios Disney sorti en 1937,
Blanche Neige et les Sept Nains,
c'est au tour du célèbre conte de Collodi relatant les aventures de Pinocchio
d'être mis en images. Pour ne pas déroger à ce qui a contribué au succès des
studios, il s'agira également d'accorder une place importante à la musique pour
souligner le drame et de faire avancer l'histoire avec des chansons. Pour l'une
d'elles, l'idée de base sera la suivante :
Le rêve le plus cher du sculpteur Gepetto est d'avoir un enfant. De son lit, il
aperçoit par la fenêtre l'Etoile des Souhaits. Il en profite pour lui adresser
une prière en demandant que le pantin de bois qu'il a créé devienne un garçon en
chair et en os. Cette idée de base va donner naissance à la première chanson des
studios Disney récompensée aux Oscars : When You Wish Upon a Star (Quand On Prie la Bonne Étoile).
Les auteurs de cette chanson ainsi que de toutes les autres de
Pinocchio sont Leigh Harline pour
la musique et Ned Washington pour les paroles. Le premier est un vétéran des
studios qui a composé la musique d'une trentaine de cartoons entre 1933 et 1941
dont plusieurs Mickey Mouse comme
La Fanfare, De l'Autre Côté du Miroir, ou encore certaines des
Silly Symphonies les plus
ambitieuses au niveau narratif et musical comme Le Joueur de Flûte de Hamelin,
La Cigale et la Fourmi, Une Petite Poule Avisée,
La Déesse du Printemps,
Jazz Band contre Symphony Land, Cousin de Campagne, Le Vieux
Moulin... C'est pendant cette période prolifique qu'Harline a également
collaboré à l'écriture de la partition de
Blanche Neige et les Sept Nains,
ainsi que celle de Pinocchio, sa
création la plus importante au sein des studios. Sa musique est reconnaissable
par ses influences européennes, ses formes musicales classiques et ses
orchestrations sophistiquées.
Quant à Ned Washington, la période durant laquelle il travailla pour la Walt
Disney Company fut beaucoup plus courte : de 1938 à 1940. On lui doit, en plus
des paroles des chansons de Pinocchio,
celles de Dumbo ainsi que la
chanson-titre de Saludos Amigos.
Au-delà de Disney, Washington est connu pour avoir écrit avec Victor Young le
standard Stella by Starlight, ainsi que le générique de la série télévisée
apparue en 1959, Rawhide, avec Clint Eastwood, sur une musique de Dimitri
Tiomkin.
Leigh Harline
Ned Washington
When You Wish Upon a Star va vite dépasser sa fonction première en allant au-delà d'une simple représentation musicale de la prière de Gepetto. Elle va être utilisée de façon thématique et symboliser l'accomplissement de la destinée de Pinocchio, à chaque intervention de la Fée Bleue ou par le biais de sa conscience personnifiée par Jiminy Cricket. Celui-ci aura d'ailleurs le privilège d'interpréter la chanson deux fois dans le film, en ouverture et à la fin. Et quand le personnage poursuivra sa carrière au sein des studios Disney au-delà de Pinocchio, cette chanson lui collera tellement à la peau qu'on ne sera pas surpris de l'entendre l'interpréter dans des émissions télévisées, notamment dans le show de Noël From All of Us to All of You diffusé pour la première fois en 1958.
L'artiste qui va prêter sa voix à Jiminy pendant plus de trente ans et qui pour le coup va devenir le premier interprète de la chanson est Cliff "Ukulele Ike" Edwards.
Cliff Edwards
Leigh Harline & Cliff Edwards
Très connu en tant que vedette de music-hall dans les années 20 et 30, Cliff Edwards doit son surnom de Ukulele à l'instrument avec lequel il s'accompagnait lors de ses tours de chant. Sa performance pour le film reste la plus connue des versions de la chanson. On peut la retrouver dans les différentes éditions de la bande originale du film ainsi que dans de nombreuses compilations.
La chanson se veut être une prière. Son tempo lent avec ses phrases à l'articulation liée lui donnent une certaine fluidité. Elle est construite de façon simple, et ainsi facilement mémorisable. On peut en effet distinguer trois parties :
- La première regroupe deux périodes que nous nommerons pour
plus de clarté A et A'.
- A est une période incluant les trois premières phrases, deux courtes avec
une mélodie ascendante et le saut d'octave caractéristique, figurant bien
l'ascension de la prière vers le ciel, et une plus longue avec une mélodie redescendante. On qualifiera la période A d'antécédent car elle se finit de
manière suspensive :
Quand on prie la bonne étoile
La Fée Bleue secoue son voile
Et vient accorder ce qu'on a demandé - A' est une période similaire à A, construite de la même façon. Seul le texte
change et la cadence qui termine la période de manière conclusive. On
qualifiera la période A' de conséquent :
Quand on prie de tout son cœur
Il n'y a pas de faveur
Qui ne soit bientôt une réalité
- A est une période incluant les trois premières phrases, deux courtes avec
une mélodie ascendante et le saut d'octave caractéristique, figurant bien
l'ascension de la prière vers le ciel, et une plus longue avec une mélodie redescendante. On qualifiera la période A d'antécédent car elle se finit de
manière suspensive :
- La deuxième partie que nous appellerons B se démarque de la première par sa
durée beaucoup plus courte, constituée de petites phrases, avec une légère
modulation, mais le langage reste le même : la mélodie monte vers l'aigu par
courtes étapes, et l'élan permettant d'aller toujours plus haut se fait par
l'utilisation importante d'appogiatures.
On qualifiera la partie B de développement car elle reprend les mêmes éléments
de langage musical mais en les traitant différemment.
Âmes tendres,
Coeurs tristes, coeurs aimants,
...
- Enfin la troisième partie est une reprise musicale du conséquent A'. Seul le
texte change. La fin est laissée libre selon les capacités vocales de
l'interprète. Cliff Edwards veut que sa prière monte le plus haut possible.
Ainsi il finit sa chanson par un si aigu, ce qui correspond bien à l'animation
de Jiminy faite à ce moment-là, où on le voit s'étirer et monter la tête
(Certaines des différentes versions internationales du film comme la
finlandaise, la polonaise ou la suédoise restent fidèles à cette note aiguë,
ce qui n'est pas le cas de toutes les versions comme la portugaise ou notre
version française dans lesquelles l'interprète s'arrête au mi).
Essayez, faites un voeu
Car l'espoir est dans les cieux
Quand on prie la bonne étoile
Et la Fée Bleue.
Si Cliff Edwards est le premier, il ne sera pas le dernier à intégrer When
You Wish Upon a Star à son répertoire. Et cette chanson en aura connu des
interprétations dans des styles différents.
Au-delà de son aspect contemplatif et spirituel, sa douceur la rapprochant de la
berceuse, When You Wish Upon a Star peut être perçue également comme une
chanson romantique, à écouter lors d'une douce soirée d'amour au coin du feu. Il
suffit de voir Donald se transformer en crooner après avoir reçu un pot de fleur
sur la tête, et c'est bien cette chanson qu'il nous interprète dans Le
Dilemme de Donald (Donald's Dilemma, 1947).
En fait, c'est aussi l'une des rares chansons des studios Disney à avoir intégré le Real Book qui rassemble de nombreux standards de jazz. Peu de temps après la sortie de Pinocchio, l'orchestre de Glenn Miller enregistre une version swing de la chanson. Par la suite, la chanson évolue avec les différentes interprétations de Dave Brubeck et son quartet en 1957, en passant par la version du pianiste Bill Evans en 1962, le saxophoniste Sonny Rollins en 1964, Louis Armstrong en 1968 qui enregistre pour Disney et dont on retrouvera sa version dans pas mal de compilations, Jimmy Scott, The Swingfield Big Band, jusqu'au jazz plus moderne de The Manhattan Transfer.
Les interprètes se suivent et ne ressemblent pas. On peut entendre aussi bien Dion and the Belmonts dans une version très "sixties" voire "surf music", que le bassiste du groupe Kiss, Gene Simmons, dans son premier album solo en 1978, Neil Diamond, Barbra Streisand dans un medley Disney live de 1994, ou encore Ringo Starr en duo avec Herb Alpert qui s'adressent à un public plus jeune en 1988, tout comme Joe Henry en 2004. Notons également la version plus folk-bluegrass de Michelle Shocked en 2005.
When You Wish Upon a Star fut également déclinée en version classique, aussi bien sous les doigts du guitariste Chet Atkins en 1970 que ceux du pianiste Emile Pandolfi en 1993. Une version pour grand choeur existe avec l'interprétation du Mormon Tabernacle Choir, Erich Kunzel dirige le Cincinnati Pops Orchestra dans une version de 1988 alors que John Williams rend hommage aux chansons récompensées aux Oscars en dirigeant son célèbre Boston Pops Orchestra en 1990.
La chanson se décline également en soul et en R&B avec la version de Diana Ross & the Supremes en 1967, et une version de Noël des All-4-One en 1995. On peut l'entendre également en version électro avec Lolita en 2000 et Tsutchie en 2005. Evidemment, la pop-rock "teenage" n'y échappe pas avec American Hi-Fi en 2004, Jesse McCartney en 2005 et plus récemment Meaghan Jette Martin qu'on peut découvrir sur l'édition vidéo du 70ème anniversaire de Pinocchio en 2009.
Et comme tout bon Disney qui se respecte, la chanson est traduite dans
plusieurs langues et connaît différentes versions à travers le globe. Dans les
pays scandinaves et au Japon, elle est même associée à un chant de Noël. Les
japonais ont l'air de raffoler de cette chanson et connaissent même d'autres
versions à l'image de celle de Yasuharu Konishi & Pizzicato Five.
En 2002, la chanteuse américano-mexicaine Tatiana chante en espagnol
La Estrella Azul dans deux versions différentes : dance et ballade.
Dans la langue de Molière, si on connaît trois versions tirées directement du film, deux dans les années 40 (merci à Olikos pour l'information) et une troisième en 1975, il en existe une quatrième adaptée également par Jean Cis et Robert Sauvage (Louis Sauvat) pour les livres-disques parus dans les années 60 et interprétée par Jean Cussac sous la direction musicale de Jean Baïtzouroff. Pour l'occasion, la chanson fut d'abord intitulée L'Étoile du Bonheur pour ensuite récupérer son titre actuel : Quand On Prie la Bonne Étoile, lors des différentes rééditions de l'histoire racontée par Sophie Desmarets ou dans différentes compilations parues sous le label Disneyland puis plus tard sous celui de Walt Disney Records à partir de 1989.
Il fut un temps où cette version de Jean Cussac était plus connue que celle du film, la vidéo n'étant pas encore commercialisée, le public qui avait vu le film au cinéma se rabattait sur les disques. Le timbre de voix de Cussac qui est baryton est plus grave que celle du film. À cette époque dans les années 60, il travaillait beaucoup en tant qu'interprète pour Disney avant de devenir directeur musical. En effet, on pouvait l'entendre prêter sa voix à Roger lorsque celui-ci chantait dans Les 101 Dalmatiens (1961), au Prince dans Blanche Neige et les Sept Nains (1962), ainsi que dans la chanson d'ouverture de Merlin l'Enchanteur (1964).
La version du film de 1975 reprit le dessus sur celle de Jean Cussac dans les compilations après la sortie de Pinocchio en vidéo en 1995. Les nouvelles générations connaissent surtout cette version maintenant. L'histoire racontée par Sophie Desmarets fut remplacée en 1997 par une narration de Marie Trintignant avec la version du film.
En France, on peut citer enfin la version d'Henri Salvador sortie sous le titre Ta Bonne Étoile dans son album Pinocchio (1975). Anne Meson l'a également interprétée dans son album live Anne au pays d'EuroDisney en 1992.
Sans aucun doute, la chanson emblématique de Pinocchio
est bien Quand On Prie la Bonne Étoile. D'ailleurs, le personnage de Roy
Neary interprété par Richard Dreyfuss dans le film de Steven Spielberg
Rencontres du Troisième Type (1977) aime beaucoup ce Grand Classique et le
thème musical écrit par Harline lui est directement associé.
Mais bien plus que la chanson emblématique de Pinocchio,
elle est devenue le symbole musical de la Walt Disney Company : on peut
l'entendre au générique des émissions d'anthologies
Disneyland,
The Wonderful World of Disney, en France
au générique de Disney Parade, sur le logo de Disney Videos (entre
1995 et 2001), en ouverture sur le logo de Walt Disney Pictures depuis
Taram et le Chaudron Magique en 1985,
et depuis de 2006 sur le logo en 3D dans un arrangement de Mark Mancina.
Les bateaux de la Disney Cruise Line font résonner leurs sirènes sur les
sept premières notes de la mélodie, tandis qu'on peut l'entendre si on veut se
marier à l'hôtel MiraCosta de Tokyo DisneySea.
La mélodie est bien présente dans les parcs à thèmes dès l'entrée des parcs
jusqu'aux parades et feux d'artifice. Le compositeur Vasile Sirli s'en est servi
comme thème de transition dans la Parade Classique et la Parade des
Rêves Disney à Disneyland
Paris.
Gregory Rians Smith a gardé la même structure harmonique et rythmique de la
chanson pour composer le thème principal du spectacle nocturne Wishes.
When You Wish Upon a Star est devenue l'hymne Disney parce qu'elle
reflète ses propres valeurs, où l'on parle de rêves qui deviennent réalité,
d'affirmation de soi, où l'on parle d'espoir.
Le paradoxe veut que Walt Disney n'eut pas beaucoup d'affection pour la
partition contenant le thème qui allait devenir l'emblème musical de la firme
aux grandes oreilles. Quand Pinocchio
fut récompensé par deux Oscars, pour la meilleure chanson et la meilleure
partition originale, on le surprit même à dire : "Peut-être que ce n'était pas
si mal après tout".
Etait-ce seulement pas si mal, cher Walt ? Ce qui est sûr c'est que tu as
toujours su t'entourer d'artistes talentueux qui t'ont donné le meilleur
d'eux-mêmes, et qui ont permis à cette étoile de briller d'une lumière
éclatante.