Titre original :
Pocahontas
Production :
Walt Disney Animation Studios
Date de sortie USA :
Le 23 juin 1995
Genre :
Animation 2D
Réalisation :
Mike Gabriel
Eric Goldberg 
Musique :
Alan Menken
Stephen Schwartz
Durée :
81 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Au 17e siècle alors que l'Europe toute entière s'est lancée à la découverte du nouveau monde, l’aventureux John Smith débarque avec d’autres colons sur les côtes de Virginie. S'il est impatient d’explorer les beautés du Nouveau Continent, son supérieur et chef de l’expédition, le gouverneur Ratcliffe, ne poursuit lui qu'un seul but : piller l'or pour retourner riche et triomphant en Europe.

La rencontre du corps expéditionnaire avec les indigènes du pays, les Indiens Powhatans, ne tarde pas à tourner à l'affrontement. Alors que le conflit menace, un amour naît entre John Smith et Pocahontas, la fille du chef de la Tribu indienne...

La critique

rédigée par

Pocahontas, une Légende Indienne, le 33ème Grand Classique Disney, prend l'audacieux pari de transporter ses spectateurs dans une époque délicate à aborder tant elle porte en elle de bien mauvaises actions. La découverte du continent américain par les Européens s'est, en effet, accompagnée de pillages, guerres, extermination et esclavagismes en tout genre, à l'opposé complet des valeurs de paix et de fraternité universelles portées depuis toujours par les studios de Mickey. Assis sur un style graphique ambitieux, le film essaye pourtant de dénoncer ces méfaits tout en prônant le respect de la nature, le tout sur fond d'un amour impossible...

Les relations entre les Américains et les Indiens de pure souche ont toujours été houleuses et ce, malgré la célébration annuelle de Thanksgiving censée fêter l'entente cordiale des deux peuples.
En 1620, une centaine de dissidents anglais, nommés Pilgrims, débarquent, en effet, du Mayflower dans la baie de Plymouth au Massachusetts. Ils y fondent la Colonie de Plymouth et la ville homonyme. Mais les débuts de la colonisation sont difficiles et la moitié des arrivants meurent du scorbut. Les survivants ne doivent finalement leur salut qu'à l'intervention d'un autochtone dénommé Squanto qui, avec l'aide de sa tribu des Wampanoag, leur offre une nourriture variée, puis leur apprend à pêcher, chasser et cultiver du maïs. (Cette histoire a d'ailleurs été relatée par les studios Disney dans le film « live », sorti un an plus tôt que Pocahontas, une Légende Indienne, Squanto : A Warrior's Tale). Afin de célébrer la première récolte, à l'automne 1621, le gouverneur William Bradford décrète donc trois jours d'action de grâce. Les colons invitent alors le chef Massasoit et quatre-vingt dix de ses hommes à venir partager le repas en guise de remerciement pour l'aide apportée. Durant ce festin, des dindes sauvages et des pigeons sont également offerts. Le 29 juin 1671, Charlestown (Massachusetts) obtient que la fête de Thanksgiving soit décrétée par l'administration publique. Au fil du temps, la date de la célébration change ; la modification la plus récente remontant en 1939, quand Franklin Delano Roosevelt, proclame que la journée nationale de Thanksgiving tombera désormais le quatrième jeudi de novembre. La date reste inchangée depuis...

Avec l'histoire du Mayflower, la légende de Pocahontas constitue un autre mythe fondateur des Etats-Unis. Elle est étroitement associée à la fondation de la première colonie anglaise de Virginie, Jamestown, en 1607. Celle-ci commence véritablement en 1607, sous l'égide d'une entreprise privée, la Compagnie de Virginie. Les faits divergent alors beaucoup à partir de là même s'il se basent principalement sur les écrits du journal de John Smith datant de dix ans après le déroulement des faits.
Pocahontas est l'une des enfants du chef Powhatan. Sa date de naissance exacte n'étant pas connue, elle est estimée à 1595. De même, son enfance est peu relatée sauf à devoir préciser qu'à l'âge de 12 ans, elle fait face à l'installation permanente des colons anglais. Elle est alors décrite curieuse et bienveillante vis à vis des intrus blancs fraîchement débarqués, et la légende qui gravite autour de sa relation avec John Smith n'y est sans doute pas étrangère. Elle l'aurait ainsi sauvé à plusieurs reprises dans des circonstances troublantes. C'est en tout cas ce que John Smith relate lui-même dans son journal. Grâce à elle, il entretient d'ailleurs de bonnes relations avec le chef Powhatan, qui offre de la nourriture aux colons pendant les périodes les plus difficiles. Il n'empêche : la relation amoureuse entre l'Indienne et le Colon n'est que pure romance, les carcans culturels ayant limiter les ardeurs des deux tourtereaux à la seule amitié.
Par la suite, et durant une année entière, Pocahontas est enlevée à sa famille pour être placée dans une colonie anglaise, chez un prêtre anglais, à des fins d'évangélisation. Elle prend alors le prénom de Rebecca et se marie avec un John Rolfe, un colon. Ce mariage amène une courte période de paix entre amérindiens et colons, jusqu'au moment où le couple est rappelé en Angleterre pour y promouvoir le nouveau monde auprès des citoyens anglais ; Pocahontas devant servir de faire-valoir ! Elle est présentée, en effet, comme l'ambassadrice des populations amérindiennes, tout en conservant une délicieuse pointe d'exotisme dans la cour de la Reine Anne. Son vieil ami, John Smith, se fend tout de même d'une lettre à l'attention de la Monarque, la priant de traiter la jeune femme avec toute la bienveillance et la considération qu'elle mérite, et non comme une bête de foire.
En 1617, lasse de la vie européenne, Pocahontas insiste auprès de son mari pour retourner en Virginie. Malheureusement, à l'âge de 21 ans, elle décède avant de fouler à nouveau les terres de son enfance des suites d'une maladie fulgurante sur le bateau. Pocahontas laisse alors derrière elle une descendance par son unique fils, Thomas.

Pour Disney, c'est le réalisateur Mike Gabriel qui est à l'origine du projet « Pocahontas ». Rentré à Cal Arts afin d'étudier l'animation de personnages, il débute logiquement sa carrière chez Mickey, en 1982, en travaillant sur le court-métrage, Fun with Mr. Future. Il suit ensuite divers programmes d'entrainement sous le tutorat d'Eric Larson. Il travaille ainsi en tant qu'animateur sur Taram et le Chaudron Magique, Basil Détective Privé et Oliver & Compagnie puis se voit enfin confier, avec Hendel Butoy, la réalisation d'un long-métrage : Bernard et Bianca au Pays des Kangourous. Après Pocahontas, une Légende Indienne, et malgré quelques travaux pour Disney de ci, de là, il ne revient véritablement à la réalisation que pour le court-métrage Lorenzo remontant à 2004.

Mike Gabriel aime à rappeler qu'il trouve l'idée du film à la fin de l'année 1990, lors de la fameuse fête de Thanksgiving. Il s'attache alors à étudier les relations des colons avec les autochtones et y déniche la toile de fond du long-métrage qu'il projette. Pour la première fois, sur son initiative, les studios Disney vont décider de s'inspirer de l'Histoire avec un grand H pour un de leurs Grands Classiques. L'héroïne a, en effet, réellement existé ; une démarche inédite pour le label Animation du grand Walt ! Mike Gabriel prépare donc son pitch au début de l'année suivante. Après avoir lu beaucoup de livres ainsi que le fameux carnet de bord de John Smith, il prend conscience que seule la « première vie » de Pocahontas a les ressources disneyennes suffisantes pour être adaptée. Il présente alors son récit en deux phrases : « une belle princesse indienne tombe amoureuse d'un colon indien. Son âme est déchirée entre le désir de suivre son père qui veut combattre les intrus et le désir de suivre son cœur qui veut aider le peuple de son nouvel amour ». Les dirigeants de Disney de l'époque, dont le turbulent Jeffrey Katzenberg, sont immédiatement emballés et donnent leur feu vert.
Mike Gabriel s'attache donc pendant un an à la conception du film avec l'aide de Joe Grant, un vétéran Disney dont les premiers travaux pour les studios Disney remontent à la fin des années 30 ! Il se voit également adjoint un coréalisateur en la personne d'Eric Goldberg, qui a, lui, débuté sa carrière chez Disney en tant qu'animateur sur Aladdin.

Si les studios Disney s'inspirent de l'histoire vraie de Pocahontas, ils ne vont avoir de cesse que d'en édulcorer bien des passages. La jeune héroïne est ainsi vieillie, tombe véritablement amoureuse de John Smith et reste sur ses terres (pas question de la voir exilée en Angleterre !). Il ne reste donc au final qu'une vague allusion au sauvetage de John Smith par une princesse indigène en opposition frontale à son père. La réalité historique étant totalement bouleversée, il est d'autant plus aisé pour Disney d'expurger le récit de toutes polémiques ethnocentriques. Pas de jugement donc mais une mise en scène, la plus fidèle possible, des mœurs, de l'habitat et des croyances des Indiens Powhatans ; les artistes se rendant d'ailleurs en Virginie afin de s'imprégner des connaissances des descendants de ce peuple. De même, les scénaristes ne s'épargnent pas une analyse sans concession des actions et motivations des "conquistadors"...

Ils s'affairent également à densifier leur récit... Et quoi de mieux pour cela que d'y glisser une bonne dose de romantisme ? Pocahontas, une Légende Indienne devient alors le terrain idéal d'une histoire d'amour impossible. Mieux, le film est carrément pensé, peu à peu, par ses créateurs comme le West Side Story de l'animation, regorgeant dès lors de références à ce classique du cinéma américain. Il est d'abord construit (mais là, c'est le cas des trois quarts des Disney de la décennie) comme une comédie musicale. Il est, ensuite et surtout, une véritable caisse de résonnance du musical hollywoodien dans bon nombre de ses personnages ou de ses actions. Rien de vraiment étonnant à cela, les deux films se basent en fait sur la même source littéraire : Roméo et Juliette de Shakespeare !

Mais Pocahontas, une Légende Indienne est aussi riche d'un troisième thème très porteur : la relation à la Nature. En mettant l'accent sur les méfaits de la colonisation occidentale (et derrière elle, l'industrialisation à outrance), l'opus prend un parti-pris écologique appuyé. Tout son discours invite, en effet, au respect mutuel qui devrait caractériser la relation de l'Homme avec la faune et la flore : il est un appel à rester humble face à la Nature. Le film montre ainsi comment il est autrement plus profitable d'apprendre à la connaître que de chercher toujours à vouloir l'apprivoiser, coûte que coûte. Un de ses fils rouges, le vent qui transporte les feuilles, a dans cette optique une force symbolique incroyable : il représente, en effet, l'esprit de la mère défunte de Pocahontas, mais également la sagesse face aux évènements tout comme la porte d'entrée vers la compréhension de la Nature.
Le compositeur Alan Menken et le parolier Stephen Schwartz ont d'ailleurs magnifié le propos. Leur chanson L'Air du Vent résume, il est vrai, à elle seule toute l'ambition du film tant elle prend des airs de colonne vertébrale des thèmes abordés. D'une force incroyable, avec sa magnifique mélodie et ses paroles d'orfèvre, elle supporte une séquence époustouflante, qui fut d'ailleurs l'une des premières terminées et pu servir avec bonheur à présenter le film dans ses bandes-annonces. Les spectateurs qui ont eu la chance à l'époque de la découvrir au cinéma entre deux publicités, se rappelle encore l'effet incroyable qu'ils ont alors ressenti ! Mais cette chanson ne doit pas occulter la magnifique partition et les autres pépites qui agrémentent le long-métrage. Pocahontas, une Légende Indienne possède, en effet, pas moins de dix chansons supplémentaires, même si quatre d'entre elles sont des reprises. Virginia Compagnie entame ainsi parfaitement le film, tout de suite suivie d'une magnifique musique de transition qui emmène au moyen d'un travelling fluide à souhait, le spectateur, alors bluffé, du bateau des colons vers la terre des Indiens. Entre les deux, le titre du film est justement affiché avant d'enchainer sur la chanson Au Son Calme des Tam-tams. Ses deux premières ritournelles, reprises ensuite dans le film, sont autant d'hymnes au deux peuples tant elle permettent d'exposer leurs désirs respectifs. Au Détour de la Rivière vient juste après se focaliser plus sur les envies de l'héroïne comme L'Or de Virginie présente ceux de Ratcliffe et de John Smith. Écoute ton Cœur, reprise elle aussi dans l'opus, représente enfin l'écoute de la Nature tandis que Des Sauvages, également rejouée, renforce la tension lors du combat final...

S'il ne peut revendiquer le statut d'adaptation de Conte de Princesse, cher à Disney, Pocahontas, une Légende Indienne possède pourtant un point commun appuyé avec l'un des plus emblématiques du label : La Belle au Bois Dormant. Comme lui, il possède, en effet, un esthétisme très prononcé et très inhabituel dans le canon disneyen. Cette coquetterie est d'ailleurs due à Michael Giaimo. Afin de souligner la pugnacité de la belle Indienne, l'artiste souhaite, il est vrai, donner de la force au design d'ensemble. Ainsi la hauteur, la ligne droite, la démesure deviennent les maîtres mots. Les arbres sont très allongés pour en exagérer la taille et donner une impression de gigantisme à la forêt. L'astuce permet ainsi de donner à la Nature toute entière une présence presque majestueuse. Dans la même optique, les couleurs privilégiées sont le bleu, le vert et le rose tandis que les couleurs chaudes et criardes sont cantonnés à Ratcliffe et au combat final. Les personnages suivent de la sorte les décors et arborent ainsi des traits droits avec une mâchoire carrées et des lignes cassantes. Si le résultat à l'écran est à l'évidence très beau esthétiquement parlant, il a pourtant un inconvénient majeur : il rend l'ensemble bien trop froid ! L'aspect général n'a, en effet, rien d'avenant et le spectateur a bien du mal à éprouver de la chaleur ou de l'empathie vis à vis des personnages ou de l'action. Les artiste Disney des années 90 ont péché par excès d'assurance : ils ont oubliés, comme avant eux leurs homologues des années 50, que pour atteindre le cœur du public, il faut savoir le réchauffer. La froideur qui se dégage du film est évidemment un obstacle inconscient de taille pour emporter l'adhésion du plus grand nombre...

Il n'empêche : malgré son rendu glacial, Pocahontas, une Légende Indienne possède néanmoins une panoplie de personnages forts, remarquables à bien des égards.
Le premier d'entre eux est bien évidement Pocahontas. Elle est le personnage central du film et le porte à elle-seule sur ses épaules. Glen Keane, qui se charge de superviser son animation, réalise en effet sur elle et comme à son habitude, de véritables prouesses. Pour s'en convaincre, il suffit de penser à la scène de sa rencontre avec John Smith. Sans un mot, tout en gestes et en regards, la séquence est un moment d'anthologie où non seulement les deux protagonistes font connaissance mais également tombent amoureux. Le personnage de Pocahontas est en fait d'une justesse incroyable : il est un mélange de démarche féline et de sensualité, le tout rehaussé d'un zeste d'appréhension. Rien que sa respiration est incroyable ! Et le reste est à l'avenant : toutes ses séquences sont réussies et la définissent toujours un peu plus ! A l'inverse des autres héroïnes Disney, Pocahontas est ainsi plus proche de l'adulte que de l'adolescente : dès lors, son caractère est un mélange d'espièglerie, de sagesse et de courage. Profondément rêveuse, elle a soif d'un destin hors du commun avec le dilemme constant de renier ni ses principes, ni les siens.
John Smith, lui, est bien moins charismatique. Doublé en anglais par Mel Gibson, il est un aventurier au grand cœur qui, dans un premier temps, n'est qu'un camarade de confiance pour les colons. Il devient, en effet, dans le film et peu à peu, le premier ambassadeur de la cause indienne, et ce, uniquement, une fois tombé amoureux de Pocahontas. Sauf que... Si le coup de foudre de la belle pour le bellâtre ne fait aucun doute, l'inverse n'est pas évident. La sincérité de son amour ou du moins sa force ne va pas de soi : peut-être est-ce du à son côté baroudeur qui lui ôte innocence et naïveté ? Ainsi, les moments où l'émotion de John Smith touche le spectateur sont rares : il n'y a visiblement que lorsqu'il est gardé prisonnier et à la fin du film que le personnage convainc son monde. Il faut dire que la fin de l'opus est mythique pour Disney ! C'est, en effet, la toute première fois qu'un Grand Classique ne se termine pas sur un happy-end. Même Pixar n'a jamais osé cette audace alors même que l'évidence le lui permettait, notamment pour WALL•E ! Fin certes malheureuse mais tout de même ouverte et surprenante : Pocahontas, une Légende Indienne se clôt d'une belle manière, épique à souhait, avec une force symbolique incroyable...

Toujours dans la galerie des personnages, le gouverneur Ratcliffe est, pour sa part, le Méchant du film. Avide d'or, il ne cherche qu'à piller le Nouveau Monde, dans le seul but de retrouver sa position à la cour d'Angleterre. Il n'a donc aucun scrupule pour arriver à ses fins qu'il s'agisse de tuer des indigènes ou d'exploiter ses propres troupes. Ses manières dandies jurent d'ailleurs avec son manque totale de pitié ou de compassion. Pour autant, il est loin d'être l'un des méchants les plus charismatiques de Disney. Il manque clairement d'envergure et, mis à part le final, n'a pas vraiment les ressources suffisantes pour se rendre inquiétant ou impressionnant. Comme souvent, il est accompagné d'un faire-valoir en la personne de son valet Wiggins : pas très futé et pas méchant pour un sou, il est, en fait, surtout présent pour amuser la galerie...
Face à Ratcliffe, Powhatan, le père de Pocahontas, est bien plus intéressant du fait de sa double facette. D'un côté, il est un papa aimant et protecteur et de l'autre un chef de tribu, féroce et combattant. Toutefois, à la différence du pompeux gouverneur anglais, il sait lui apprendre de ses erreurs et les admettre. Sa capacité à évoluer le rend alors d'autant plus attachant car terriblement humain...
Il en va d'ailleurs de même avec Nakoma, la meilleure amie de Pocahontas. Bien plus effacée et bien moins courageuse, son cœur balance entre son amitié personnelle et sa fidélité à sa tribu. Elle essaye de la sorte de protéger les deux mais commet des erreurs aux conséquences tragiques...
Thomas est pour sa part le pendant de Nakoma pour John Smith. Sauf que contrairement à l'Indienne, lui voit son copain comme un exemple à suivre et un mentor. Il est assurément l'un des plus forts personnages secondaires du film, notamment par son ambivalence ghiblienne qui lui fait commettre un geste à la fois absolument impardonnable et totalement compréhensible. Il est à ce moment précis du film bien plus intéressant, dans sa construction, que John Smith lui-même !
Kocoum est le prétendant choisi par le père de Pocahontas pour sa fille. Pour autant, la vraie raison de sa présence dans l'opus n'est pas là : il est en effet « programmé » pour mourir plutôt que vivre. En étant assassiné, il est donc l'étincelle qui sert à embraser la situation et symbolise le point de non retour entre les deux peuples tout comme leurs incompréhensions fondamentales. Il fait s'interroger le spectateur sur l'escalade inévitable qui amène à la guerre. Il s'agit là également chez Disney d'une première : c'est, en effet, le tout premier meurtre de sang-froid d'un personnage qui n'est pas, à la base, un « méchant » et qui se voit assassiné par un autre personnage, lui-même « gentil ». Disney signe alors assurément l'une des scènes les plus adultes jamais réalisées pour ses Grands Classiques !
Impossible toutefois de terminer l'analyse de la galerie de personnages de Pocahontas, une Légende Indienne sans parler de Grand-Mère Feuillage (dont la voix et les chants sont assurés en français par une exceptionnelle Annie Cordy !). Elle est en effet une protagoniste intéressante à plus d'un titre. Tout d'abord, elle n'est qu'un arbre ! Ses émotions sont ainsi principalement amenées par son visage même si ses branches et ses racines peuvent bouger. Ensuite et surtout, elle est le personnage qui légitime à lui seul tout le travail des animateurs dans leur capacité à rendre visuellement vivants des végétaux, par définition peu enclins à l'être. Cette prouesse est d'ailleurs le fruit d'une technique irréprochable : le tronc et les feuilles étant réalisés en images de synthèse tandis que le visage est, lui, animé à la main. Enfin, Grand-Mère Feuillage est également un personnage central du récit ; elle est la confidente de Pocahontas, à la fois sa mère défunte et sa grand-mère de cœur !

Sombre ! Trop sombre ! De par son récit et ses personnages, Pocahontas, une Légende Indienne apparaissait bien trop sombre pour rester en l'état ; Disney conservant en mémoire les ravages de Taram et le Chaudron Magique que le public avait rejeté en bloc, notamment pour sa noirceur. Décision est donc prise d'alléger le propos. Et quoi de mieux pour cela que de le parsemer d'interventions de petits animaux plus disneyens les uns que les autres. Une ribambelle est même prévue, certains devant être dotés de la parole... Mais le balancier entre noirceur et légèreté est allé, sur le papier, beaucoup trop loin ! Le staff ravise donc de nouveau sa position. Alors que Pocahontas devait avoir trois compagnons (un colibri, un raton laveur et un dindon), seuls d'eux sont conservés, tous muets : le timide oiseau Flit et le téméraire mammifère Meiko. Les deux petits êtres apporteront finalement beaucoup de fraicheur à l'ensemble, aidés dans cette entreprise par Percy, le carlin du gouverneur Ratcliffe, bien moins borné que son maître...
Cet épisode du choix des compagnons de Pocahontas est relaté avec beaucoup d'humour dans l'attraction Art of Disney Animation, présente au Parc Walt Disney Studios à Disneyland Paris, à Disney California Adventure à Disneyland Resort et à Disney's Hollywood Studios à Walt Disney World...

Pour appuyer la sortie de Pocahontas, une Légende Indienne, Disney décide de créer l'événement en organisant une première hors norme : elle se déroule en plein-air dans Central Park à New York le 10 juin 1995 et réunit plus de 100 000 personnes ; décrochant ainsi le record de la plus grande première de film en extérieur.
Pourtant, l'enthousiasme n'est pas vraiment là. Avant elle, les critiques descendent, en effet, le film, lui reprochant son ton, trop adulte pour les enfants, et trop naïf pour les grands, sans parler du design qui ne trouve grâce aux yeux de personne. Il faut dire, pour sa défense, que Pocahontas, une Légende Indienne a le « malheur » de sortir après quatre succès phénoménaux de Disney (La Petite Sirène, La Belle et la Bête, Aladdin et Le Roi Lion) et que les critiques piaillent alors d'impatience de pouvoir de nouveau tirer à boulets rouge surs le label dont les réussites commencent sérieusement à énerver. Il est également considéré comme le premier film Disney sorti sans l'aval de Jeffrey Katzenberg (qui a quitté le studio avec fracas et n'a de cesse de le faire savoir !), un état de fait jugé alors handicapant (c'est pourtant malhonnête et idiot comme reproche puisque le projet a été validé par l'ex-patron du studio d'animation et qu'il a grandement participé à son élaboration).
Que nenni ! Les professionnels nomment tout de même Pocahontas, une Légende Indienne pour l'Oscar de la Meilleure Chanson (L'Air du Vent) et de la Meilleure Musique qu'il remporte d'ailleurs tous les deux ! Mais là encore, les dents commencent à grincer tant Disney se voit récompensé tous les ans : Le Bossu de Notre-Dame en fera injustement les frais l'année suivante !

Au box-office, Pocahontas, une Légende Indienne rapport 141 millions de $. Il est seulement le quatrième film de l'année, dépassé par Toy Story, le premier film d'animation de Pixar. Pire encore, il fait moins que La Belle et la Bête (145 millions de $), Aladdin (217 millions de $) et Le Roi Lion (312 millions de $). Tout le monde voit dans ses résultats un passage à vide. Avec le recul, c'est en fait le début de la descente aux enfers de Disney qui touchera le fond dans les années 2000. Le public ne s'extasie pas devant Pocahontas, une Légende Indienne, principalement du fait de son ton adulte et de son dessin pas assez chaleureux. Les artistes, qui pensaient décrocher avec lui la timbale, ont visiblement raté le coche. Jeffrey Katzenberg doit d'ailleurs être mis dans le lot puisque lui-même avait qualifié Le Roi Lion de projet de second choix et Pocahontas, une Légende Indienne de prémium : le public en a visiblement décidé autrement !

Ce constat fait, Pocahontas, une Légende Indienne mène sa vie de Grand Classique type : l'héroïne intègre le club des princesses Disney et le film connait une suite directe en vidéo, trois ans plus tard, Pocahontas 2 : Un Monde Nouveau. Autre fait marquant, c'est le troisième long-métrage du label, après La Belle et la Bête et Le Roi Lion, a avoir droit à une version spéciale avec une scène rajoutée même si c'est le premier à la voir proposer directement en vidéo pour fêter les 10 ans du film. Il s'agit en fait de la réintégration d'une chanson qui avait été coupée au montage alors qu'elle était déjà bien avancée dans sa production : Si Je ne t'Avais Connu (If I Never Knew You). Elle se situe durant la scène sous la tente et célèbre l'amour de John Smith et Pocahontas. Le titre n'est toutefois pas totalement inconnu du public puisque il est joué en générique sous l'appellation française de Notre Histoire d'Amour. De plus, son air est repris de façon instrumentale tout le long de l'opus. Au final, cette scène rajoutée est assurément la plus réussie et la plus cohérente des trois recrées dans les films Disney modifiés même si son utilité au récit est somme toute limitée ; certains l'accusant carrément de gêner le rayonnement de la séquence toute entière...

Beau film porté par une jolie héroïne charismatique, Pocahontas, une Légende Indienne souffre pourtant de manques qui en plombent irrémédiablement l'aura ; son parti pris graphique est ainsi trop poussé dans les extrêmes tandis que ses niveaux de lectures sont mal construits, décevants inlassablement, petits et grands, sans compter son méchant de pacotille, indigne représentant des vilains disneyens. En somme : un Grand Classique sans le petit zeste du chef d'œuvre accompli !

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