Alan Menken
Date de naissance : Le 22 juillet 1949 Lieu de Naissance : New-York City, dans l’état de New-York, aux États-Unis |
Nationalité : Américaine Profession : Compositeur |
La biographie
Alan Menken est aujourd’hui l'un des compositeurs les plus connus et reconnus à Broadway et Hollywood. Après de difficiles années 70 pleines d’apprentissages sur les planches obscures de New York, de projets de théâtre musical sans succès ou avortés, sa rencontre avec Howard Ashman change radicalement son destin et lui permet un succès foudroyant dans les années 80, en composant la comédie musicale Off Broadway la plus rentable de l’Histoire.
Non content de ce succès, il est le seul compositeur de théâtre à avoir réussi la transition, à partir de 1989, vers la composition de musique de film, en participant à la renaissance des studios d’animation Disney et devenant l’un des principaux acteurs du troisième âge d’or de la compagnie dans les années 90, jusqu’à se voir honoré d'un Disney Legend en 2001, trophée remis la même année à Howard Ashman (à titre posthume), ainsi qu'à trois compositeurs Disney disparus dont Menken est le digne héritier : George Bruns, Franck Churchill et Leigh Harline.
Malgré la tragédie qui frappe son ami Howard Ashman à l’aube des années 90, Alan Menken connaît ensuite la plus grande période de succès de sa vie, et devient le compositeur le plus oscarisé de tous les temps devant les records détenus par Alfred Newman et John Williams, jusqu’à obtenir sa propre étoile sur le Hollywood Walk of Fame en 2010. Il en profite pour faire également une entrée fracassante à Broadway et devient l'un des trois plus grands compositeurs du théâtre new-yorkais contemporains avec Andrew Lloyd Weber et Stephen Sondheim.
Mais comment un tel exploit a-t-il pu être accompli ? Comment un seul musicien peut-il conquérir ainsi à la fois le sommet des deux pôles de la scène musicale américaine, de la côte est à la côte ouest, comme jamais aucun autre n’a pu le faire auparavant ?
Alan Menken naît le 22 juillet 1949 à New York City et grandit à New Rochelle dans une famille mélomane adorant particulièrement toutes les comédies musicales de Broadway. Son père dentiste est aussi pianiste à ses heures perdues et s'amuse souvent à jouer les chansons des comédies musicales de My Fair Lady (1956) ou de La Mélodie du Bonheur (1959), tandis que toute la famille se réunit pour chanter. C'est ainsi que le jeune Alan commence à prendre des leçons de piano, mais aussi de violon dès l'âge de six ans. Il s'amuse souvent à détourner les morceaux qu'il apprend pour en faire ses propres versions ; ses professeurs de musique lui reconnaissant déjà un talent certain pour la composition...
Il participe à son tout premier concours de composition à l'âge de seulement neuf ans et écrit pour l'occasion une bourrée, une musique de danse traditionnelle française. La musique de l'hexagone aura d'ailleurs, tout au long de sa vie, une grande influence sur lui...
Durant son adolescence, il s'initie à la guitare et joue dans des groupes. Il vit donc pleinement l'émergence de la musique pop dans les années 60. Malgré cela, il persévère également dans la musique symphonique en jouant du violon au sein de l'orchestre de son lycée de New Rochelle avec lequel il donne un concert à la fin de sa dernière année, en septembre 1967.
« Je voulais devenir un compositeur sérieux, mais je pensais que je ne pouvais pas car qui devient compositeur comme ça ? Ma seule chance était de devenir ce que tout autre mâle de la famille Menken était devenu : un dentiste. Mon père était dentiste, le père de mon père était dentiste, mon oncle était dentiste, le beau-frère de ma mère était dentiste. Je pensais que c'était mon destin. » (Alan Menken)
Très incertain à propos de son avenir musical, le jeune Alan, qui vient d'avoir dix-huit ans, décide donc de commencer une année préparatoire en médecine à l'Université de New York. puis, désirant briser la malédiction familiale de la dentisterie, change brusquement de filière pour finalement s’inscrire en musicologie. C'est ainsi qu'en 1968, il compose pour l'Université sa première comédie musicale, Separate Ways, dont il écrit lui-même les paroles. Il s'agit d'un opéra-rock sur la vie des hippies, un genre et un sujet très avant-gardistes à l'époque, surtout pour une université à la réputation très conservatrice. La chanson principale, Thank God For Marijuana, est même devenue une chanson culte bien que son thème soit particulièrement controversé. Il obtient alors son diplôme en musicologie en 1971.
Études classiques terminées, Alan Menken rejoint immédiatement l'atelier BMI Musical Theater Workshop, dirigé par Lehman Engel qui devient alors son mentor et lui apprend, durant toutes les années 70, les bases de l'écriture de chansons pour la scène. Alan commence ainsi à composer ses premières pièces et à les jouer au Playhouse Theater où il accompagne les chanteurs au piano devant un petit public.
Pour vivre décemment durant ces années gratifiantes sur le plan de l'apprentissage et des rencontres mais qui ne rapportent pas beaucoup d'argent, Alan joue et chante ses premières compositions dans les cabarets de New York, réussit à composer dès 1978 quelques chansons pour l'émission de télévision Sesame Street et signe même des jingles publicitaires pour survivre.
Le premier grand tournant de la carrière d'Alan Menken a lieu lorsqu'il rencontre Howard Ashman, le jeune directeur artistique du WPA Theatre à la fin des années 70. Ashman est immédiatement conquis par le talent d'Alan et lui propose de composer la musique de son projet actuel. Au printemps 1979, God Bless You Mr. Rosewater devient ainsi la première comédie musicale composée par Alan Menken et finalement produite, au WPA Theatre puis au Entermedia Theater. La musique de Menken prend également, pour la première fois, une dimension orchestrale, grâce aux orchestrations de Danny Troob, un collaborateur qui deviendra capital dans la première moitié des années 90. Malheureusement, le succès n'est pas au rendez-vous...
« Le spectacle fut mal produit et n'était pas vraiment pensé au départ pour un espace aussi grand (1200 places), et l'orchestre était trop petit. » (Danny Troob)*
Malgré cette grande rencontre qui devait changer à jamais sa carrière et sa vie, les années 80 se présentent donc bien mal.
En 1980, Menken compose deux pièces pour la célèbre drag-queen Divine : Atina, Evil Queen of the Galaxy, une adaptation de Flash Gordon dans le style Pink Flamingos et une parodie du film The Rose intitulée The Thorn (l'épine). Ces spectacles ne pourront pas être produits, faute de moyens financiers et parce que leur auteur et parolier Steve Brown tombe gravement malade du SIDA. Malgré tout, Alan reste attaché à ces deux projets auxquels il rend hommage dans La Petite Sirène : le personnage d'Ursula est, en effet, inspiré par Divine et Atina deviendra le prénom de l'une des filles du roi Triton.
Alan Menken signe ensuite ses toutes premières compositions (deux chansons) pour le cinéma en 1980 à l'occasion de la ressortie du long métrage The Line. Ce travail de second plan est, il est vrai, tout ce qu'il trouve de sérieux pour continuer à vivre de son art en cette période de vaches maigres. Il est d'ailleurs obligé de poursuivre la composition de jingles publicitaires, activité qui occupe une place de plus en plus importante dans sa carrière et qu'il aurait préféré éviter pour parvenir à vivre correctement.
« J'étais à deux doigts de laisser tomber le théâtre pour me consacrer aux jingles, quand La Petite Boutique des Horreurs est arrivée. Elle m'est tombée dessus et a changé ma vie. » (Alan Menken dans le New York Times du 15/03/1992)
En 1982, tout à coup Alan Menken compose son premier chef d’œuvre, sous l'impulsion du génial Howard Ashman qui écrit le livret et les paroles des chansons de cette comédie musicale sur une plante extra-terrestre dévoreuse d'humains, adaptée du film de Roger Corman réalisé dans les années 60. La Petite Boutique des Horreurs, conjuguant les couleurs musicales des années 60 à celle des années 80, convoquant le mélange des genres (ce qui demeurera la marque de fabrique de Menken pour le restant de sa carrière) jazz, blues, rock, folk, pop et gospel, installe durablement le style Menken (et représente une sorte de synthèse de ses oeuvres). S'y retrouve ainsi la préfiguration de ces futurs travaux pour Disney :
- tout au long de la pièce, un trio de jeunes filles afro-américaines narre le récit en chansons aux teintes gospel, dans l'idée du chœur grec des tragédies antiques, une approche qui sera largement reprise dans Hercule avec les muses et leur Gospel Pur ;
- la chanson introductrice Home to Skid Row partage beaucoup de points communs avec Belle (La Belle et la Bête) sur la présentation d'un lieu et de ses habitants qui chantent tous à tour de rôle leur désir de s’échapper d'une vie qui ne leur convient pas (un thème prédominant dans les œuvres de Ashman et Menken, que Menken reprendra tout au long de sa carrière) ;
- sur ce même thème, l’héroïne du film, Audrey, a droit à sa "wonder song", Somewhere That's Green, qui annonce clairement Partir Là-bas (La Petite Sirène) et le désir d'Ariel d'appartenir à un autre monde ;
- la plante carnivore agit sur le personnage de Seymour comme une sorte de génie qui préfigure le rapport qui sera établi entre Aladdin et le Génie de la lampe. Avec ses paroles "Je suis ton génie, je suis ton ami", Feed Me est clairement à l'origine de Je suis ton meilleur ami d'Aladdin.
Même la ballade parodiquement sirupeuse Suddenly Seymour ne saurait cacher l'amour d'Alan pour les grandes envolées romantiques qu'il libérera chez Disney. Il est évident qu'Alan Menken, tel qu'il se révélera chez Mickey en tant que compositeur de chansons, est né avec La Petite Boutique des Horreurs.
La pièce rencontre un succès incroyable, d'abord au WPA Theatre, puis rapidement au Orpheum Theater. Elle remporte une foule de prix et pulvérise tous les records en devenant la comédie musicale Off Broadway la plus rentable de l'Histoire. Elle est traduite et jouée en France dès 1986 au Théâtre de la Porte Saint-Martin et connaîtra une renaissance en 2003 à Broadway cette fois, avec un nouveau casting, preuve de sa longévité et de son statut d'oeuvre culte.
En 1986, elle est adaptée au cinéma par Frank Oz (le créateur de Yoda) et Alan Menken compose pour l'occasion deux nouvelles chansons, dont Mean Green Mother From Outer Space qui sera nommée aux Oscars en 1987 dans la catégorie de la meilleure chanson originale. La musique instrumentale du film est également nommée mais, selon les règles des Oscars, elle est attribuée à Miles Goodman, l’arrangeur des thèmes de Menken pour le film, puisque ce dernier n'avait aucune d'expérience en écriture symphonique et en musique de film. Voir un autre compositeur nommé pour avoir écrit quelques minutes de musique, dont la plupart sont construites sur ses propres thèmes, a été une expérience quelque peu amère pour Menken...
Dans le milieu des années 80, toujours accaparé par le succès de La Petite Boutique des Horreurs, qui continuera d'être jouée pendant plus de cinq années, et par sa vie de famille, il parvient pourtant à participer à quelques projets et, notamment en 1984, à la comédie musicale Diamonds pour laquelle il compose une seule chanson. À cette occasion, il collabore avec le parolier David Zippel, avec qui il retravaillera quelques années plus tard sur Hercule. Il compose aussi L'Apprentissage de Duddy Kravitz, écrit par David Spencer d'après le roman canadien et produit à Philadelphie au printemps 1987.
Si le succès s'était arrêté là, Alan Menken aurait pu penser que La Petite Boutique des Horreurs demeurerait l’œuvre de sa vie et son plus grand succès. Mais c’était sans compter sur ce beau jour de la fin 1986, lorsqu'il reçoit un coup de fil de Howard Ashman qui allait changer sa vie pour toujours, encore une fois. Howard lui propose, en effet, de composer la musique d'un film d'animation pour Disney, adapté du conte de Hans Christian Andersen, La Petite Sirène. Le tandem de choc se met à écrire et à enregistrer des démos accompagnées au piano ou avec la technologie émergente MIDI sur laquelle Menken a commencé à se former avec un grand intérêt. Jamais Alan et Howard n'avaient connu une telle inspiration et une telle effervescence créative. La marque de Menken passe d'abord par un improbable mélange de styles musicaux aussi variés que le chant marin, le calypso et le reggae, la musique de cabaret allemand, la musique baroque et le tout bien sûr accompagné de la touche Broadway. La recette prend et Jeffrey Katzenberg, alors chef des studios, est impressionné par le talent du duo.
Menken pense à Robby Merkin, responsable des orchestrations de La Petite Boutique des Horreurs, pour arranger les chansons pour un orchestre, mais il reste encore à composer toute une partition orchestrale qui accompagnera musicalement le film lorsque les personnages ne chantent pas. Howard Ashman recommande personnellement qu'Alan Menken s'en occupe avant même que Disney ne commence à imposer un symphoniste d'Hollywood. Même s'il n'a jamais spécifiquement écrit pour un orchestre, Alan a déjà composé tous les intermèdes instrumentaux joués sur scène pour La Petite Boutique des Horreurs, a une large connaissance des courants symphoniques du 18ème au 20ème siècle, et surtout, il ne désire pas revivre l'expérience de voir un autre compositeur crédité aux Oscars pour son propre travail.
« J'étais un grand fan de musique de film, mais la technique, le processus et les protocoles étaient un mystère pour moi (…) Je décidai donc de dévouer tous mes efforts à l'apprentissage de l'écriture de musique de film. » (Alan Menken, livret de la bande originale)
Robby Merkin n'ayant, lui non plus, aucune expérience en musique de film, et La Petite Sirène requérant des besoins autrement plus exigeants en musique instrumentale que La Petite Boutique des Horreurs, Alan demande l'assistance de Thomas Pasatieri (compositeur d'opéras), engagé comme orchestrateur et pour l'aider à apprendre les ficelles du nouveau métier qui s'offre à lui. Il s'immerge totalement dans sa nouvelle tâche ; il compose sur le papier, au piano et avec son nouvel outil MIDI tous les morceaux instrumentaux du film, avec un maximum d'éléments musicaux et une attention au moindre détail pour servir au mieux les besoins de l'histoire. Pasatieri se charge de traduire tout ça pour l'orchestre et lorsque J.A.C Redford (compositeur de Oliver & Compagnie) donne son premier coup de bâton de conducteur et que l'orchestre joue à l'unisson la scène où Ariel est attaquée par un requin, chacun réalise qu’un immense compositeur de musique de film est né. Le succès foudroyant d'Alan Menken est dans sa compréhension de l'utilisation judicieuse de chaque thème musical, associé à une idée ou à un personnage, son sens du rythme nécessaire dans un dessin animé, et la fraîcheur de ses mélodies. Il était un compositeur destiné à écrire pour le cinéma d'animation, car il avait depuis toujours tous les talents requis pour exceller, voire devenir le meilleur dans son domaine. Et pourtant, Alan Menken a vécu l'écriture de la partition instrumentale de La Petite Sirène comme un apprentissage nécessaire mais stressant et n'est pas encore totalement satisfait du résultat.
« Je me suis basé sur ce que j'ai vu dans Cendrillon, Pinocchio et les premiers longs-métrages animés autour des années 40-50. Pour être honnête, si j'avais à faire La Petite Sirène aujourd'hui, je pense que je ferais quelque chose de mieux. Je n'en suis pas totalement satisfait. J'ai essayé de remplir tous les espaces de la musique dans une approche délibérément rétro de la partition. Si j'avais à le refaire, je pense que je n'utiliserais pas ce style de musique. » (Alan Menken)*
Le film sort en novembre 1989 et il est triomphalement accueilli par le public et les critiques, comme aucun film Disney depuis la disparition du fondateur de la compagnie. L'Académie des Oscars ne s'y trompe pas non plus lorsqu'elle lui décerne le prix de la meilleure musique de film (gagnant ainsi contre deux partitions de John Williams, dont Indiana Jones et la Dernière Croisade, et contre James Horner) et celui de la meilleure chanson Sous l'Océan, en concurrence avec une autre chanson du film, Embrasse-la, également nommée. La Petite Sirène, la toute première musique de film d'Alan Menken, le fait immédiatement entrer au panthéon des compositeurs oscarisés, directement avec trois nominations et deux statuettes, dont une qu'il partage avec son ami Howard Ashman. La récompense est cependant bien amère, ce dernier venant de lui annoncer qu'il est frappé par le SIDA. Tout ce succès et ce bonheur sont soudainement éteints par un terrible malheur qui anéantit les rêves du tandem en pleine gloire.
Dès 1989, Alan Menken travaille sur un deuxième projet musical avec le téléfilm Polly de l'émission The Magical World of Disney, diffusée sur NBC, pour lequel il compose une seule chanson, By Your Side, dont les paroles sont écrites par Jack Feldman, le co-parolier de La perfection c’est Moi dans Oliver & Compagnie.
Mais Alan Menken retrouve vite Howard Ashman lorsque Roy E. Disney demande d'écrire une chanson anti-drogue pour le téléfilm d'animation de 1990 Les Personnages Animés Préférés à la Rescousse. Le compositeur de l'hymne à la drogue, auteur de Thank God for Marijuana, s'est bien assagi depuis les années 60 en devenant père de famille depuis 1985.
« Dans les années 60, je n'aurais pas été le candidat idéal pour cette cause, mais quand on nous a demandé d'écrire Wonderful Ways to Say No (Les plus belles façons de dire non, ndt), comment pouvions-nous dire non ? » (Alan Menken)
Devenu la nouvelle coqueluche d'Hollywood, même au-delà de chez Disney, Alan Menken accepte d'écrire une chanson pour le générique de fin de Rocky V en 1990, The Measure of a Man, interprétée par Elton John (compositeur des chansons du Roi Lion). Malgré la qualité mélodique et la puissance évidente du titre, le film essuie de sévères critiques et la chanson remporte le Razzie Award de la pire chanson originale en 1991. En l'espace de seulement une année, Alan Menken est capable de réaliser le grand écart entre les prix de la meilleure chanson aux Oscars et celui de la pire aux Razzies, preuve que son travail ne laisse de toute façon pas indifférent.
Il compose aussi la chanson My Christmas Tree pour le film Maman, J’ai Encore Raté l’Avion en 1992, ce qui lui vaut beaucoup moins de sarcasmes de la part de ses pairs.
Avant même la sortie de La Petite Sirène, bien conscient des trésors de talents qu'il a entre ses mains, Jeffrey Katzenberg confie à Howard Ashman et Alan Menken, la musique d'un autre film d'animation Disney, inspiré du conte français La Belle et la Bête.
Alan sait exactement ce qu'il doit faire pour mettre à profit tout ce qu'il a appris durant la production de La Petite Sirène et corriger ce qu'il considère comme des imperfections. Une fois les démos des chansons réalisées avec Howard, il fait appel à l'orchestrateur de God Bless You Mr. Rosewater, Danny Troob, qu'il sait capable d'arranger les chansons mais aussi d'orchestrer la musique instrumentale, pour une plus grande symbiose entre les deux. C'est là, il l'a compris désormais, la clé de la réussite d'une comédie musicale au cinéma ! Il aiguise également son écriture orchestrale en étoffant et affinant ses influences : la musique baroque, classique, romantique, l'opérette et la musique folklorique française. Jacques Offenbach, George Bizet et Camille Saint-Saëns sont quelques-unes des inspirations françaises de Menken et Troob pour l'écriture et l'orchestration des chansons et de la partition instrumentale de La Belle et la Bête. En cela, cette musique est un trésor musical, une vraie déclaration d'amour au patrimoine musical français.
« Le prologue que j'ai écrit est très fortement inspiré du Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns (le morceau Aquarium, ndlr). Quant à l'enchaînement avec Belle, il est caractéristique de l'ambiance d'opérette qui règne dans La Belle et la Bête, associé à la musique classique européenne. C'était un choix délibéré que de créer une texture plus ambitieuse pour ce film. » (Alan Menken)*
Enfin, et pour la première fois dans l'histoire du studio d'animation, Alan Menken adapte la chanson titre du film en single pop à la manière de ce qu'avait démocratisé Don Bluth depuis 1982 sur ses productions animées comme dans Fievel et le Nouveau Monde (1986) avec le tube Somewhere Out There. Alan Menken a, en effet, été durablement impressionné par la manière dont James Horner a réinventé la musique d’animation en composant à la fois les chansons et la musique instrumentale, formant un tout bien plus homogène que dans les autres productions animées.
« James Horner est si talentueux. Fievel et le Nouveau Monde est probablement le seul dessin animé en dehors de Disney qui a ce genre de retombée et de succès. Somewhere Out There et la façon dont il l’a utilisée dans la partition était très efficace. » (Alan Menken)**
Le single Beauty and the Beast est chanté par Peabo Bryson et Céline Dion, encore débutante sur la scène internationale. La même année, elle devait pourtant chanter le single de Fievel au Far-West, composé par James Horner exprès pour elle, mais Disney lui ravit la belle pour son propre champion et ne l'autorise pas à chanter pour James Horner, ne voyant pas d'un bon oeil d'avoir la même interprète sur deux productions animées concurrentes. Le single est bien sûr un hit, gratifié d'un clip vidéo en janvier 1992 et propulse alors Céline star mondiale. James Horner aura sa revanche cinq ans plus tard en écrivant une autre chanson pour la diva, une certaine My Heart Will Go On...
Encore une fois, c'est une pluie de succès aux Oscars pour Alan Menken, qui récolte pour son deuxième film Disney, une deuxième fois le prix de la meilleure chanson (La Belle et la Bête) et celui de la meilleure partition instrumentale. Le talent musical de Menken, évoluant ici de la plus belle façon, combiné au talent de conteur d'Howard Ashman, transforme La Belle et la Bête en une œuvre paroxystique, l'aboutissement artistique inconditionnel de leur rencontre et de leur relation unique, qui se solde malheureusement par la disparition d'Howard, emporté par sa terrible maladie seulement six mois avant la sortie du film.
Heureusement, le projet Aladdin avait débuté bien avant ce tragique événement et avait laissé le temps à Howard Ashman et Alan Menken d'écrire de nombreuses chansons dès la fin 1987, basées sur une histoire totalement différente de celle connue aujourd'hui. Aladdin devait alors être produit avant La Belle et la Bête, mais le scénario ne convenait pas, certaines paroles ayant été considérées comme trop sarcastiques. De cette écriture préliminaire, le film ne gardera finalement que trois chansons.
Alan Menken n'arrivant pas à livrer seul de nouvelles paroles, Tim Rice, un parolier issu des planches de Broadway, est appelé en renfort pour écrire d'autres chansons. Contrairement à La Belle et la Bête, la musique d'Aladdin se veut foncièrement anachronique, à l'image du film, et emprunte à des genres très disparates mais tous typiquement américains tels que le jazz-swing des années 40, la balade pop et le music-hall.
« A l’origine, la vision qu’avait Howard du Génie était la suivante : il porte une boucle d’oreille, il est noir, c’est un gars branché. (…) Nous avons tout naturellement pensé à quelque chose dans le style de Fats Waller ou de Cab Calloway. J’ai grandi en écoutant ce style de musique que mon père jouait au piano. » (Alan Menken)*
La partie instrumentale prend un autre chemin en empruntant beaucoup au symphoniste américain John Williams, le compositeur d’Hollywood que Menken admire le plus, avec une partition d'aventures pleine de rebondissements dans la veine d'Indiana Jones et des moments d'action plus habituels dans le cinéma live action. Le seul moment où Alan Menken s'autorise un peu d'exotisme, c'est sur la partie arabisante de la musique, même s'il évite soigneusement le réalisme folklorique, en épousant plutôt la relecture occidentale de la musique orientale que les compositeurs français et russes firent au 19ème siècle, tels que Nicolaï Rimski-Korsakov (Shéhérazade) et Camille Saint-Saëns (Mélodies Persanes). C'est encore une fois Danny Troob qui est chargé d'orchestrer les chansons et les morceaux instrumentaux, cimentant à la perfection les influences américaines et l'orientalisme musical franco-russe.
« L’idée était de créer des couleurs brillantes avec beaucoup de piccolos et une écriture typique de l’école franco-russe : une phrase toute en cuivre, puis l’autre toute en bois. » (Danny Troob)*
Le phénomène Menken culmine aux Oscars du début de l'année 1993 et l'Académie est une nouvelle fois conquise en nommant deux chansons du film, Je suis ton Meilleur Ami et Ce Rêve Bleu. Cette dernière décroche la statuette, et la partition instrumentale colorée emporte l'adhésion et consacre pour la troisième fois consécutive Alan Menken comme un compositeur de musique de film de génie. Son succès réside tant dans l'apport de son bagage musical issu du théâtre que dans sa capacité à donner à ses pots-pourris musicaux une senteur absolument rafraîchissante, dont Aladdin devient le meilleur exemple, un mélange aussi improbable que réussi, aux fragrances broadwesques, hollywoodiennes et orientalistes savamment agrégées.
Fort de son succès de compositeur de musique de film, Alan Menken débute alors, malgré lui, une carrière de compositeur de films plus sérieux.
Son premier et dernier travail sur un documentaire est Lincoln, réalisé et distribué par ABC en 1992. Encore une fois, l'éducation musicale d'Alan le sert pleinement, lui permettant de faire preuve d'une grande maturité dans l'écriture orchestrale en s'inspirant d'Aaron Copland et Randy Newman (il est possible de penser notamment à la musique du film Le Meilleur), deux sommités en matière de musique americana qui sert parfaitement à situer musicalement l'époque de Lincoln. L'ironie voudra que Randy Newman lui-même suive le modèle Menken quelques années plus tard pour construire l'univers musical des films Pixar en composant à la fois le contenu chanté et instrumental de Toy Story. L'orchestrateur Michael Starobin (issu aussi de Broadway) succède à Danny Troob, mais il avait déjà réussi à faire ses armes avec Menken en tant qu'orchestrateur additionnel sur ses trois premiers films animés.
Newsies - The News Boys (1992) est le premier long-métrage en prises de vue réelles dont il écrit les chansons, tandis que Jack Feldman (son partenaire sur la chanson de Polly) en écrit les paroles et que J.A.C. Redford s'occupe de la musique instrumentale d'après les thèmes de Menken, sur le principe de l'équipe Frères Sherman / Irwin Kostal qui fonctionnait si bien sur Mary Poppins. Danny Troob arrange les chansons de Menken, mais laisse le soin de parfaire la musique instrumentale de Redford à Tom Pasatieri, orchestrateur de La Petite Sirène, puisqu'ils ont déjà travaillé ensemble sur ce même film. Cette scission musicale a de quoi étonner alors que le succès d'Alan Menken parmi les illustres compositeurs de films Disney a justement été dans son aptitude à gérer tout le contenu musical d'un film, mais Newsies - The News Boys n'en souffre finalement pas tant que ça, Redford ayant une plus grande expérience pour musicaliser des séquences en prises de vue réelles que Menken, alors complètement vierge en la matière.
Cela va vite changer, car Graine de Star est, en 1993, la première fiction qui n’est pas une comédie musicale dont Alan Menken signe la musique, majoritairement instrumentale. Le film, produit par Touchstone Pictures, traite quand-même de comédie musicale et Alan compose ainsi deux chansons : une chanson-titre Life With Mikey (paroles de Jack Feldman, le parolier de Newsies - The News Boys) et Cold Enough to Snow, une balade typiquement menkenienne dont les paroles sont assurées par Stephen Schwartz, la digne relève à venir de Howard Ashman sur les productions animées qui suivront. L'instrumentale, dont Michael Starobin assure encore les orchestrations, oscille entre musique de comédie hollywoodienne sucrée, du music-hall américain, du jazz langoureux et même parfois une musique rythmée contemporaine du début des années 90. Le compositeur Marc Shaiman (Sister Act, Mary Poppins Returns) prête main forte pour les séquences musicales avec les enfants en supervisant leur enregistrement et en profitant d’y déclarer son amour pour la musique de Mary Poppins, au moyen d’un clin d’œil musical, composée par les frères Sherman, alter egos des années 60 d’Alan Menken. Pour l’anecdote, la fille d’Alan Menken, Anna, alors âgée de sept ans, fait une petite apparition dans ces numéros musicaux.
Le début des années 90 marque également le premier retour de Menken sur les planches du théâtre musical new-yorkais, avec trois productions.
Weird Romance, auto-proclamée œuvre de spéculation fictionnelle en deux épisodes, renoue en 1992 avec La Petite Boutique des Horreurs en conviant son actrice principale Ellen Greene et en étant jouée au WPA, le théâtre anciennement dirigé par Howard Ashman qui avait vu naître leur pièce la plus célèbre dix ans auparavant. Il retrouve également David Spencer, l’auteur des paroles de L'Apprentissage de Duddy Kravitz.
A l’inverse de ce petit retour à la production indépendante Off-Broadway, Alan Menken entre par la grande porte de Broadway en 1994 en adaptant en comédie musicale le roman de Charles Dickens A Christmas Carol (Cantique de Noël) au théâtre du Madison Square Garden, avec des paroles écrites par Lynn Ahrens. Cette production musicale est riche et colorée, avec de grands numéros de cabaret dans la veine de La Belle et la Bête et très loin des productions Off-Broadway fauchées. Alan Menken version Broadway est vraiment né cette année-là, composant avec fougue de grands moments de spectacle musical triomphants. La pièce sera jouée tous les ans pendant dix années de suite, au terme desquelles elle connaîtra une glorieuse adaptation en téléfilm en 2004 sur NBC.
La même année, il représente au Palace Theater la première comédie musicale produite sur scène par la nouvelle division Disney Theatrical Productions : La Belle et la Bête. Les chansons de Menken et Ashman sont reprises et complétées par six nouvelles composées par Menken et écrites par Tim Rice, son partenaire d’Aladdin. La pièce connaît un tel succès qu'Alan Menken est nommé pour la première fois aux Tony Awards de la meilleure musique et qu’elle sera jouée jusqu'en 1999 avant d’être arrêtée au bout de 5 510 représentations, non pas par essoufflement du succès, mais justement pour ne pas étouffer le succès d’autres productions Disney du moment. Elle sera rejouée en 2011 à Los Angeles et sera également reprise un peu partout dans le monde : à Londres en 1997, à Paris en 2013 et même à Bombay en 2016. L’Australie et le Japon ont même droit à une adaptation en album, respectivement en 1994 et 1996, bien que la pièce n’ait jamais été jouée dans ces pays.
« King David est une glorieuse histoire d’aventures. Guerrier, musicien, poète, amant passionné, c’est la célébration de la vie d’un homme charismatique qui a su unir son peuple, a combattu, aimé et est devenu une légende » (Alan Menken)**
En 1997, Disney Theatrical Productions monte sa deuxième production dans le tout nouveau New Amsterdam Theater, King David, un oratorio (sans mise en scène, ni costumes, ni décors) de presque trois heures et trente-deux morceaux originalement écrits par Alan Menken pour la scène. Pour l’occasion, Alan retrouve le co-parolier d’Aladdin, Tim Rice, pour leur troisième collaboration. Fidèle à lui-même, Menken compose un glorieux et lyrique pot-pourri de genres comme le gospel (Soul Has Slain His Thousands), la ballade romantique (Sheer Perfection) ou encore le jazz (This New Jerusalem), préférant chanter ce récit biblique de manière contemporaine et non sacrée, pour le rendre plus proche du spectateur au travers d’une relecture moderne.
Du côté d’Hollywood, Alan Menken se lance corps et âme dans l'écriture de Pocahontas, Une Légende Indienne (1995) en écoutant beaucoup de musique indienne traditionnelle, afin de s’immerger dans une culture absolument nouvelle dans l’univers de Disney comme dans le sien. Il parvient à transcrire cette culture musicale ethnique, rythmique et aérienne dans des chansons au lyrisme broadwesque, d’autant plus qu’elles sont mises en paroles par un habitué des planches de New York, Stephen Schwartz, un parolier également compositeur, alors très connu pour avoir signé la comédie musicale Pippin au début des années 70 et récemment remarqué pour avoir composé Wicked. La rencontre entre la musique de Menken et les paroles de Schwartz rappelle la magie qui avait opéré avec Howard Ashman. Alan semble avoir trouvé le plus parfait des collaborateurs pour dignement suivre les pas profonds laissés par Ashman, et surtout pour aborder sereinement un tournant beaucoup plus grave dans son œuvre pour Disney, comme si la disparition de son meilleur ami avait laissé une telle douleur qu’elle devait l’influencer sur une voie musicale plus solennelle qu’auparavant.
« L’Air du Vent est une célébration de la nature et du monde qui nous entoure du point de vue des indiens (…) C’est la base de la pensée indienne : puiser dans la nature et dans le monde les connaissances et les émotions qui vous constituent et vous construisent. Musicalement, cela se traduit par un début très rhapsodique, pour mieux aboutir à ce climax étourdissant qui tourne sur lui-même, afin de mieux incarner cette approche transcendante de la musique. » (Alan Menken)*
Malgré le caractère tragique de l’histoire de Pocahontas, Une Légende Indienne, son récit sert totalement la mécanique Alan Menken : au choc des civilisations correspond le choc des genres musicaux qui est sa marque de fabrique depuis ses débuts. Ainsi, un chant marin (lointain écho de celui de La Petite Sirène) s’enchaîne sans faille avec un chant indien (Virginia Companie précède Au son Calme des Tam-Tams) et la musique baroque et classique associée aux anglais, forte de l’expérience de Menken sur ses précédents films d’époque, rencontre des flûtes ethniques et des percussions tribales associées aux indiens. La musique de Pocahontas, Une Légende Indienne retrace en elle-même l’évolution de l’artiste Menken, migrant de références classiques vers un univers musical ethnique totalement nouveau, un nouveau monde musical pour Alan Menken, et un nouvel apprentissage pour cet artiste caméléon, qui a décidemment la qualité la plus importante pour être un compositeur de films : l’éclectisme.
Dans le traitement de la musique instrumentale, toujours orchestrée et, pour la première fois, intégralement conduite par Danny Troob, il y a une volonté de porter la romance dramatique avant toute chose et les séquences de mickey-mousing se font plus que rares. Menken s’inspire volontiers de La Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, préludant à la rencontre entre Pocahontas et John Smith, notamment lors des scènes d’exploration de John Smith en bateau ou dans la forêt américaine. Et toujours malgré ce classicisme, les instruments à vent traditionnels amérindiens apportent beaucoup de sensibilité et d’émotion, notamment pendant les séquences romantiques, et les percussions tribales confèrent aux séquences d’action un caractère particulièrement brut, comme dans The Fight. L’absence notable de chanson lors du bouleversant finale Farewell (un choix musical contrastant fortement avec les trois productions animées précédentes de Menken) achève de rendre cette symphonie plus adulte et plus réaliste que pour aucun autre film d’animation Disney auparavant.
Même le compositeur James Horner, pour la composition de la musique du film Le Nouveau Monde, avouera avoir été inspiré par cette partition inoubliable d’Alan Menken, citant volontiers Pocahontas, Une Légende Indienne comme une référence évidente.
La reconnaissance d’Hollywood passe aussi et surtout par une énième cérémonie des Oscars où, à la surprise de chacun, Alan remporte pour la quatrième fois le double Oscar de la meilleure chanson (L’Air du Vent) et de la meilleure partition pour une comédie ou un film musical, une catégorie spécialement créée cette année-là pour éviter de pénaliser les films sans chanson, les Oscars musicaux ayant été totalement vampirisés par les productions animées Disney depuis 1989, tant leur qualité éclipsait, à l’époque, toutes les autres partitions pour le cinéma. Peu d’artistes à Hollywood peuvent se vanter d’avoir inspiré une nouvelle catégorie des Oscars !
En 1996, Alan Menken ouvre son cœur à un projet encore plus profond et grave : Le Bossu de Notre-Dame. Pour s’immerger dans le récit de Victor Hugo, il a fait le déplacement jusqu’à Paris, ce qui a ravivé son amour pour la musique française. Comme toujours, sa composition est écartelée entre des genres très variés et pourtant écrits dans une parfaite symbiose.
Du côté des chansons, Menken réalise des greffes improbables entre des genres musicaux comme une valse de boulevard et de la musique liturgique (Les Cloches de Notre-Dame) et le folklore moyenâgeux et la musique de cirque de Nino Rota (Charivari) qui n’est pas sans rappeler la fougue de Prince Ali.
Au contraire de Pocahontas, Une Légende Indienne, il décide que Le Bossu de Notre-Dame a besoin d’une chanson humoristique pour atténuer le ton grave du film entier. Un Gars Comme Toi rend ainsi hommage au music-hall français de Maurice Chevalier avec une utilisation anachronique de l’accordéon absolument truculente.
« J’aime la musique française. Il y a le sens de l’observation, une qualité de vie qui transparaît dans la musique. Cela vous grandit et vous rend heureux d’être sur cette Terre, parce qu’il s’agit d’un genre musical qui aime la vie. » (Alan Menken)**
Mais ce sont la prière lyrique Les Bannis ont Droit d’Amour et la ballade symphonique très mélodique Rien qu’un Jour qui dominent le film et dont les paroles de Stephen Schwartz, décidemment très en phase avec Menken pour leur deuxième collaboration, en révèlent le sens profond.
« Ma musique vient de l’intérieur, elle vient du cœur. Sur Le Bossu de Notre-Dame, Rien qu’un Jour a été la chanson qui nous a donnés l’impulsion, celle qui a, la première, donné l’orientation que nous cherchions. » (Alan Menken)**
Pour la partition orchestrale, Alan Menken décide de trancher nettement avec ses travaux précédents et emploie un chœur liturgique en latin, un orgue, des cuivres rutilants et des percussions lourdes, marchant dans les pas de Mozart et son célèbre Requiem, ainsi que Carl Orff et son poème moyenâgeux épique Carmina Burana. Le morceau Sanctuary (droit d’asile) demeure, à ce jour, la composition orchestrale la plus complexe et impressionnante de toute la carrière d’Alan Menken. La fanfare de Phoebus est particulièrement héroïque, dans la tradition des fanfares de Erich Wolfgang Korngold, l’inventeur de la musique de films de cape et d’épée dans les années 30.
« Le Bossu de Notre-Dame est la partition la plus sophistiquée que j'aie jamais faite et sûrement la plus ambitieuse pour Disney. Elle teste certainement les limites de ce que le public peut recevoir. » (Alan Menken)**
Michael Starobin (orchestrateur de Lincoln) remplace ici quasi complètement Danny Troob pour orchestrer la musique, car ce dernier est déjà très occupé sur la musique de Hercule, ce qui achève d'apporter au Bossu de Notre-Dame des sonorités orchestrales inédites dans la carrière de Menken. Cette musique demeure la plus complexe et la plus imposante de son illustre auteur et constitue très certainement l’œuvre symphonique majeure de sa vie, paradoxalement non récompensée aux Oscars, tout juste nommée.
En 1997, dès les premières paroles de David Zippel (ancien partenaire des années 80) dans Hercule, le ton est donné. La musique sera moderne et 100 % américaine. L’anachronisme musical avait parfaitement fonctionné dans Aladdin et Alan Menken compte bien réitérer le succès dans Hercule en évitant tout réalisme folklorique grec ou antique. Menken est décidemment le premier anachroniste toujours parfaitement synchrone !
De la Grèce antique, il ne retient que l’idée d’un groupe de chanteuses fonctionnant sur le principe du chœur grec des pièces de théâtre antiques pour narrer le récit de Hercule, une idée déjà utilisée avec succès dans La Petite Boutique des Horreurs quinze ans auparavant, la singularité de Hercule venant du choix du genre musical chanté par les muses, déesses des arts : le gospel, un genre bien américain et à la spiritualité étonnamment raccord avec la mythologie grecque.
« Quand vous faites une comédie musicale sur la Grèce, il semble évident d’y mettre les muses. Nous avons pensé qu’elles seraient un formidable outil pour raconter l’histoire et notre propre version du chœur grec (…) Le gospel est un genre de musique qui raconte une histoire. Il est souvent associé à l’espoir, l’idéalisme et des évènements plus grands que nature. » (Alan Menken)**
Le reste des chansons emprunte à d'autres grands genres musicaux américains déjà entendus chez Menken : Le Monde qui est le Mien est une véritable apothéose de la ballade menkenienne (nommée aux Oscars), Il me Reste un Espoir est écrit dans le style des comédies musicales jazz de Cole Porter des années 40 et Sentimentale est dans la veine des chansons de Phil Spector des années 60, dans la droite lignée de La Petite Boutique des Horreurs.
Pour la partition instrumentale, après le très européen Bossu de Notre-Dame, Alan Menken revient aussi à une tradition beaucoup plus américaine avec un bel hommage à Un Américain à Paris de George Gershwin dans le morceau The Big Olive, un air de jazz cool pour Hadès, du cartoon à la Carl Stalling, et en s’inspirant des musiques de péplums hollywoodiens à la Miklos Rozsa (Ben-Hur) dans l’utilisation des fanfares rutilantes et d’un chœur massif et mystique.
A la fin des années 90, Alan Menken compose intégralement les chansons de son prochain projet initialement prévu pour une sortie en 1998, Who Discovered Roger Rabbit, la suite de Qui Veut La Peau de Roger Rabbit, film de 1988 dont la musique fut composée par Alan Silvestri (Retour vers le Futur). Le film devait raconter l’histoire de Roger avant sa percée à Hollywood et la musique rendait hommage aux comédies musicales des années 30 de Busby Berkeley. Malheureusement, l'opus ne verra jamais le jour, et les chansons existent quelque part dans les archives du compositeur ou de Disney. Elles y resteront peut-être enterrées à jamais. Ce projet avorté lui permet tout de même de rencontrer et de travailler pour la première fois avec le parolier Glenn Slater, avec lequel il entamera bientôt une collaboration des plus fructueuses.
L’abandon de la comédie musicale Who Discovered Roger Rabbit marque la fin d’une époque et annonce la venue d’un temps où les comédies musicales paraissent désormais désuètes. A l’aube des années 2000, les derniers succès de Disney ne sont plus des comédies musicales (1001 Pattes (a bug's life), Toy Story 2, Monstres & Cie et Lilo & Stitch) et quand ils conservent malgré tout encore des chansons originales, elles se contentent de commenter l’histoire par-dessus l’action (Toy Story, Tarzan) plutôt que de la raconter de l’intérieur.
A partir de 1999, Alan Menken se lance dans un combat de cinq années pour faire de La Ferme se Rebelle une comédie musicale malgré tout. Les deux premières années, les réalisateurs du film semblent hermétiques aux chansons, puis un compromis s’installe avec la possibilité d’en faire des chansons-montage non chantées par les personnages. Lorsque les réalisateurs sont remplacés par de nouveaux et que le film prend un tout autre tournant, tout est à refaire !
« Les premiers réalisateurs étaient vraiment défavorables à l’intervention de chansons dans la veine de Broadway. (…) C’est une ère d’incertitude dans l’animation, car il n’y a plus de connaisseurs en comédie musicale et parce que les gens de l’animation ne savent pas s’ils veulent renouer avec cette approche de la musique. Les comédies musicales ne sont plus autant bienvenues au cinéma. » (Alan Menken, 2005)*
C’est finalement en 2004 que La Ferme se Rebelle aboutit et Alan Menken est parvenu à composer un patchwork impressionnant de tous les genres musicaux associées au far-west. Les chansons sont inspirées des chansons de cow-boy de Gene Autry (avec la touche "ballade menkenienne" en plus), des plus grandes chansons pour le western de Dimitri Tiomkin avec la chanson titre La Ferme se Rebelle, dans la pure tradition du générique de la série télévisée Rawhide (1959) de l’enfance de Menken, et même de la tyrolienne (yodel), une technique de chant particulièrement virtuose et comique avec la seule chanson chantée par un personnage (Alameda Slim) de tout le film.
Pour la musique instrumentale, orchestrée par Michael Starobin (l’orchestrateur de Lincoln et Le Bossu de Notre-Dame), Alan Menken puise sa source chez Aaron Copland (comme dans le documentaire Lincoln, dix ans auparavant) et s’approprie la musique des westerns hollywoodiens et spaghettis, de l’américain Elmer Bernstein (Les 7 Mercenaires) à l’italien Ennio Morricone (Le Bon, La Brute et le Truand). Alan Menken emporte l'auditeur, avec La Ferme se Rebelle, dans une chevauchée fantastique en servant une synthèse parfaite de l’univers musical de l’ouest américain en une seule œuvre cohérente, à la fois drôle et monumentale.
Malgré tous ces efforts, la crise artistique et musicale du film d’animation demeure - le dessin animé en deux dimensions est en plein essoufflement et ce film, pris dans la tourmente, ne connaîtra pas un grand succès - ce qui vaudra à cette musique de devenir l’une des moins connues et louées de Menken. L’âge d’or des années 90 est bel et bien révolu.
« Disney était devenu un studio dirigé par des administrateurs plutôt que par des cinéastes. L’administration évaluait les idées en vogue sur le marché, ensuite elle embauchait des scénaristes pour écrire différents scripts et puis, seulement, elle attribuait le projet à un réalisateur. Il y avait des couches et des couches de cadres exécutifs qui émettaient des "notes" que les artistes étaient obligés de suivre. Or tous ces gens étaient très cyniques et n’aiment pas vraiment l’animation. Pour eux, c’était juste une étape de leur carrière dans l’industrie hollywoodienne. Le talent était là, mais il n’était pas autorisé à s’exprimer. Disney était brisé émotionnellement. » (John Lasseter, dans Le Point, 2015)
Pour s’éloigner de ce tumulte, Alan Menken a besoin de changer d’air, en composant la musique du drame indépendant Noël en 2004, loin de Disney, avec une musique dramatique et intimiste, mais lumineuse, dans un registre totalement différent de ce qu’il a pu écrire pour le cinéma avant. Il compose également pour le film une seule chanson, Winter Light, aux paroles écrites par son ancien partenaire de l’âge d’or, Stephen Schwartz. La lumière dans l’hiver parviendra-t-elle à guider Alan vers le printemps du renouveau ? La question se pose alors...
En 2006, Alan Menken revient chez Disney. Il continue de tenter sa voie dans la musique de film live action et compose ainsi la musique de Raymond, un remake de Quelle Vie de Chien ! (1959) dont la partition était signée par Paul J. Smith (20 000 Lieues sous les Mers). Pour succéder à un compositeur Disney aussi légendaire, il fallait bien Alan Menken. Malgré tous ses efforts pour livrer une musique très honorable avec un grand orchestre et un chœur pour étoffer la partie fantastique du récit, l'ensemble reste une gentille comédie familiale, légère mais qui ne permet de creuser aucune sorte de profondeur dramatique, au contraire de ses travaux précédents. C’est pourtant un réel plaisir de retrouver les belles lignes mélodiques propres au compositeur (un thème principal émouvant) et ses incursions subites dans des genres inattendus au sein de l’orchestre. Il possède, même dans un film plus modeste, toujours la science des mélanges et des couleurs étonnantes.
L’année suivante, en 2007, Menken hésite toujours à revenir à l’animation et trouve la solution à ce dilemme avec Il Était une Fois, un compromis live action / animation sous la forme d’une parodie des contes de fées chantés d’autrefois, un temps qui commence à être si lointain que la nostalgie peut peut-être déjà opérer.
Désormais, le seul moyen de faire une comédie musicale chez Disney est donc de s’en moquer ! Le film parodie ainsi de nombreux classiques de l’animation Disney, y compris des œuvres de Menken lui-même. Alan Menken est ainsi le compositeur idéal pour ce travail et il rappelle Stephen Schwartz pour leur troisième collaboration chez Disney, et leur premier conte de fées, afin de tenter de transformer la moquerie en révérence à un passé et un genre qui doivent retrouver tout l’amour qu’ils méritent.
« Pendant longtemps, ils parlaient d’en faire une parodie de ce que Howard Ashman et moi avions fait. Et j’ai senti que je n’étais pas à l’aise et heureux de faire ainsi. (…) Musicalement, je voulais être aussi sincèrement proche que possible de ce qu’ont été les chansons de Blanche Neige et les Sept Nains, La Belle au Bois Dormant ou Cendrillon (…) C’était important pour moi d’y mettre de l’émotion. Nous ne voulions pas nous moquer de ces personnages. » (Alan Menken, propos recueillis par Jérémie Noyer en 2008, sur animatedviews.com)
Alan Menken s’amuse donc beaucoup à emprunter le style de Frank Churchill (Blanche Neige et les Sept Nains) avec Un Baiser et Travailler Bien en Chantant et à revisiter dans Comment Savoir ses propres chansons calypso de La Petite Sirène, qu’un Sébastien le crabe n’aurait certainement pas refusé de chanter.
Le spectateur a dès lors l’impression de revenir en 1989 et que tout est à refaire : remettre le conte de fées à l’ordre du jour, rappeler les légendes musicales Disney des années 30 et 40, et rendre à Disney sa gloire passée. La présence de Jody Benson (voix d’Ariel) et Paige O'Hara (voix de Belle) au casting ne fait que renforcer cette impression de déjà-vu.
Pour la musique symphonique, Alan Menken réveille des envolées orchestrales qu’il avait gardées endormies depuis dix ans, grâce à l’aide de l’orchestrateur Kevin Kliesch, notamment avec le matériau musical autour de la méchante Reine Narissa et sa transformation en dragon, avec des cuivres et un chœur qui rappellent furieusement les passages les plus puissants du Bossu de Notre-Dame tout en évoquant les ostinatos de Tchaïkovski, arrangés par George Bruns pour La Belle au Bois Dormant (1958).
La magie opère totalement. Menken revient dans la courses aux Oscars avec trois chansons nommées, et ce qui devait n’être qu’une parodie de contes de fées surfant sur le succès de Shrek devient une véritable déclaration d’amour à un genre Disney éteint, mais sur le point de renaître…
Avec le rachat de Pixar et la nomination de John Lasseter à la tête du département Animation de Disney en 2006, le pouvoir revient, en effet, enfin, dans les mains des artistes, et Alan Menken peut mettre en chantier une nouvelle comédie musicale qui annoncera un nouvel âge d’or pour Disney, avec le premier conte de fées de Disney réalisé en images de synthèses : Raiponce, sorti en 2010.
« C’est la première fois qu’on tente de faire une comédie musicale en images de synthèses. (…) J’ai toujours senti que Pixar allait tenter de s’épanouir par la chanson de comédie musicale. C’est avec Quand elle m’aimait qu’ils s’en sont le plus approchés, mais ça restait toujours une chanson-montage. » (Alan Menken, 2010, dans Entertainment Weekly).
À nouveau projet, nouveau concept musical pour les chansons aux paroles de Glenn Slater et aux orchestrations de Michael Starobin (l’équipe de La Ferme se Rebelle). L’ensemble qui tourne autour des personnages principaux est, cette fois, influencé par le folk rock des années 60, particulièrement de Joni Mitchell et sa chanson Chelsea Morning.
« Ma musique a souvent eu un côté rock, comme du temps de La Petite Boutique des Horreurs et Hercule, mais chez Disney, Raiponce est ma composition la plus inspirée par la musique pop. Disney aurait pu se tourner vers un compositeur de chansons pop pour ce film, mais ils ont réalisé qu’il fallait un certain savoir-faire pour écrire des chansons de comédie musicale. » (Alan Menken, 2010, dans Entertainment Weekly).
La guitare sèche domine la plupart des chansons sauf la valse sinistrement drolatique de mère Gothel (N’Écoute que Moi) et la chanson, plus traditionnelle, des personnages secondaires de la taverne du canard boiteux (Moi j’ai un Rêve), pure réminiscence du style de musique de cabaret de Gaston dans La Belle et la Bête.
À la folk music des chansons, Alan Menken fait correspondre une folk music celtique absolument entraînante et inédite dans sa filmographie, notamment dans Kingdom Dance avec ses nombreux instruments irlandais, parfaits pour ambiancer musicalement un royaume fantastique imaginaire depuis que James Horner, le premier, les a associés à jamais au genre heroic fantasy dans Willow (1988). Kevin Kliesch (Il Était une Fois) est chargé d’orchestrer la composition instrumentale et emploie la flûte irlandaise (low whistle) avec toute la sensibilité d’un James Horner avec lequel il a justement orchestré des flûtes ethniques dans Flight Plan pour Touchstone Pictures en 2004 et Le Nouveau Monde en 2005, cette même partition qui avait été influencée par le romantisme de Pocahontas, Une Légende Indienne. La boucle est bouclée. Les morceaux d’action, quant à eux, sont plus traditionnellement écrits dans le style des films de cape et d’épée de Erich Wolfgang Korngold, avec des phrases rapides et très cuivrées conventionnellement parfaites pour incarner l’héroïsme médiéval de Flynn Rider.
Le film remporte un large succès qui finit de prouver à tout le monde chez Disney que la comédie musicale et le conte traditionnel n’ont pas fini de faire recette, et la ballade folk Je Veux y Croire est nommée aux Oscars. Alan Menken reviendra même travailler sur ce projet avec la création d'une poignée de chansons pour la suite en téléfilm Raiponce : Moi, J'ai Un Rêve et la série qui lui est associée. Pour le reste de la musique de ces productions Disney Channel, il passe le flambeau à son orchestrateur Kevin Kliesch qui est le plus apte à respecter le style imaginé pour le film.
Avec Raiponce, Alan Menken a clairement pavé la voie pour le succès à venir de La Reine des Neiges. D’ailleurs, à la fin des années 2000, il compose des chansons avec Glenn Slater pour ce qui devait être un spectacle La Reine des Neiges à Tokyo DisneySea, mais il est finalement décidé d’en faire un film et de nouvelles chansons seront composées par un autre artiste de Broadway, Robert Lopez, lui aussi taillé pour la comédie musicale. Encore une fois, il existe quelque part une version de La Reine des Neiges par Alan Menken. Qui sait quel chef-d’œuvre aurait pu en naître ?
Depuis sa pièce culte Off Broadway La Petite Boutique des Horreurs au début des années 80 et ses succès avec Disney Theatrical Productions dans les années 90, Alan Menken est devenu une personnalité incontournable du théâtre musical, et particulièrement à Broadway. A la fin des années 2000 et tout au long des années 2010, il monte deux pièces gospel sans Disney : Sister Act en 2009 à Londres et en 2011 à New York (pièce tirée d'un film Touchstone Pictures), et Leap of Faith en 2012. Mais c’est surtout avec Disney qu’il s’illustre le plus, en capitalisant sur ses grands succès des années 90.
En 2007, La Petite Sirène est adaptée sur les planches de Broadway avec de nouvelles chansons écrites par Glenn Slater (le parolier de Raiponce) pour compléter le travail accompli par Howard Ashman près de vingt ans auparavant.
En 2011-12, même Newsies a droit à une transposition du film à la scène. Malgré un échec au box-office en 1992, le film et sa musique ont connu une seconde vie grâce à ses diffusions à la télévision, devenant culte en l’espace de vingt ans. Lorsqu'Alan Menken et Jack Feldman revisitent à Broadway ce classique de la comédie musicale américaine, il a ainsi déjà ce statut. Paradoxalement aux résultats commerciaux des films dont il sont issus, le succès est foudroyant comparé aux scores de La Petite Sirène ; Alan Menken remportant même son tout premier Tony Award de la meilleure musique, consécration ultime du monde de Broadway.
De 2003 à 2016, Aladdin : A Musical Spectacular a été joué en spectacle musical à l' Hyperion Theater dans le parc Disney California Adventure. Le show était une adaptation fidèle du film sur scène, avec quelques chansons supplémentaires, dont notamment la magnifique To Be Free, inspirée par le thème du génie et chantée par Jasmine.
En 2014, l’adaptation d’Aladdin faite à Broadway part sur un tout autre principe, beaucoup plus ambitieux et symbolique, celui de reconstruire complètement l’histoire et les chansons d’Aladdin telles qu’elles avaient été imaginées par Howard Ashman avant la refonte totale du film. La vision originale d’Aladdin, débarrassée des contraintes du long-métrage, se manifeste magistralement sur scène et triomphe devant le public.
En 1999, Alan Menken et Stephen Schwartz concoctent une version bien plus sombre, adulte et proche du roman de Victor Hugo, sur scène, en allemand et à Berlin. Der Glöckner Von Notre-Dame n’aura son équivalent en anglais que quatorze ans plus tard à West Palm Beach en Floride lors de sa première présentation en 2013, et enfin à San Diego dans le théâtre de La Jolla Playhouse en 2016, près de vingt ans après le film. Le film et sa partition, d’une complexité encore aujourd'hui inédite dans un dessin animé Disney, se muent sur scène, en une pièce musicale sombre et tragique et pourtant pleine d’espoir, grâce à la lumineuse musique d’Alan Menken, preuve ultime que Le Bossu de Notre-Dame est bien son magnum opus, tant par sa maturité que par son intensité.
N’ayant plus rien à prouver dans le cinéma d’animation, Alan Menken semble maintenant à la recherche de nouvelles expériences à Hollywood. Il compose une chanson de fausse propagande rétro années 40 pour le film Captain America - First Avenger chez Marvel en 2011 et écrit en 2012 la musique de Blanche-Neige, une relecture moderne du conte de Grimm, ironiquement produite par un studio concurrent de Disney : Alan désire là s’épanouir en dehors de chez Disney en tant que compositeur de musique de film instrumentale pure, bien qu’il s’agisse encore d’un conte et qu’il s’accorde à écrire une chanson pour le film, dans un style hindi très Bollywood, que le public ne lui connaissait pas jusque-là.
En 2015, il compose les chansons de la série télévisée Galavant pour ABC. L’exercice est l’occasion pour Menken de briller par son éclectisme avec des chansons aux styles très variés, de la pop des années 80 à la chanson de pirate. Son travail exceptionnel pour sa première série télévisée à plein temps, lui fait manquer de peu de rentrer dans le cercle fermé des EGOT, c’est-à-dire le club des artistes couronnés dans chacune des grandes cérémonies américaines : les Oscars (huit à son compteur), les Tony Awards (un seul), les Grammy Awards (il en totalise onze) et les Emmy Awards qui récompensent les artistes de la télévision. En 1990, il avait remporté avec Howard Ashman un Emmy spécial pour la chanson du téléfilm Les Personnages Animés Préférés à la Rescousse, mais il s’agissait d’une récompense hors compétition. En 2013, il avait été nommé dans la catégorie de la meilleure chanson pour More or Less the Kind of Thing You May or May Not Possibly See on Broadway, de la série ABC The Neighbors, mais n’avait pas pu gagner. En 2016, il est encore nommé aux Emmy Awards pour Galavant, mais ne repart finalement pas avec la statuette. Mais tout est encore possible dans l’avenir...
En 2017, Alan Menken a l’occasion de revisiter son œuvre la plus célébrée, celle qui avait été l’apogée de son partenariat avec Howard Ashman et qui a lancé sa carrière à Broadway, La Belle et la Bête, grâce à son adaptation en film live action. Il réécrit la partition symphonique avec un chœur fantastique, absent de la version animée, et des orchestrations plus adaptées à un film en prises de vue réelles, notamment dans les moments d’action, plus agressifs, tout en conservant l’influence de la musique française au cœur du concept avec des touches plus folkloriques. Il y intègre aussi les thèmes des trois nouvelles chansons, aux paroles de Tim Rice, son partenaire sur la version Broadway, creusant davantage le passé de Belle et des personnages du château. Deux d’entre elles seront reprises en singles : Evermore est interprétée par Josh Groban, qui a déjà chanté pour les plus grands compositeurs de musique de film (John Williams, Alan Silvestri et James Horner) et How Does a Moment Last Forever est magnifiée par la première chanteuse, en 1991, du single Beauty and the Beast, Céline Dion, comme pour clore le livre.
Dans le même esprit, il travaille sur les adaptations live de deux autres grands classiques des années 90, ce qui lui donne l'opportunité de collaborer avec la nouvelle garde de Broadway. Il travaille ainsi avec Lin-Manuel Miranda (Hamilton, Vaiana, La Légende du Bout du Monde) sur l'adaptation de La Petite Sirène et avec Benj Pasek et Justin Paul (La La Land) sur celle d'Aladdin, deux projets majeurs de ces prochaines années.
Alan Menken est un artiste au parcours sensationnel. Il a d’abord révolutionné la scène Off Broadway, puis a donné naissance, sous l’impulsion d’Howard Ashman, à un nouvel âge d’or du film d’animation pour un studio en pleine crise et a pris en otage pendant des années la catégorie musique des Oscars. Il s’est ensuite hissé parmi les plus grands compositeurs de Broadway, puis est revenu sauver une deuxième fois le studio d’animation, tout cela grâce à un talent immense pour la chanson, un don de la mélodie et de la narration musicale, une vaste connaissance et une passion de la musique classique et moderne sans oublier un éclectisme des genres à la limite de la schizophrénie musicale.
Incroyablement fidèle à la compagnie Disney, à une époque où les compositeurs sont plutôt volatiles d’un studio à un autre, il est parvenu à composer systématiquement et seul l’intégralité de la musique (les chansons et la musique instrumentale) de ses comédies musicales animées, en sachant s'improviser du jour au lendemain, et à la perfection, compositeur symphonique, ce qui a contribué à apporter une grande unité à toutes ses œuvres au cinéma. La chanson Belle se mêle merveilleusement à l’impressionnisme français de la partition de La Belle et la Bête, Nuits d’Arabie fait un parfait écho à la symphonie orientaliste d’Aladdin, ou encore, Les Cloches de Notre-Dame se confond absolument avec la puissance sacrée des chants grégoriens de Sanctuary.
Plus que des chansons mémorables, Alan Menken a apporté une grande cohésion musicale dans l’ensemble de ses œuvres et n’a cessé de repousser ses zones de confort en termes de genres musicaux, s’improvisant sans complexe auteur de musique française, jazz, amérindienne, liturgique, gospel, western ou encore celtique, ce qui explique l'incroyable succès d’un artiste qui symbolise désormais la quintessence de la musique Disney.
Depuis sa toute première musique composée pour Disney, absolument toutes les œuvres que Alan Menken a composées pour la compagnie, sur écran ou sur scène, ont été éditées en CD, sans compter d’innombrables compilations et albums pour les parcs contenant ses thèmes. Cependant, certains albums n'ont pas été réédités et sont devenus rares avec le temps. Les plus rares sont les OCR de King David (1997) et Aladdin : A Musical Spectacular (2003), publiés sous le label Buena Vista Records et qui se vendent d'occasion à prix d'or.
Walt Disney Records édite en 1994 un coffret intitulé The Music Behind the Magic, contenant quatre disques et un livret généreux, une anthologie des trois premiers films d’animation (La Petite Sirène, La Belle et la Bête et Aladdin) avec de nombreux bonus pour comprendre l’évolution créative de chaque projet : des démos chantées par Howard Ashman et Alan Menken et des chansons rejetées parfois même finalisées.
Walt Disney Records s’est appliqué à éditer de manière exhaustive et dans l'ordre des films La Petite Sirène en 2014, puis Pocahontas en 2015, dans des éditions luxueuses double CD de la collection Legacy avec des illustrations de Lorelay Bove et des livrets sur le making of de ces musiques.
Au milieu des années 2010, Walt Disney Records, surfant sur le revival des platine vinyles, réédite cinq de ses bandes originales en 33 tours picture disc : l’album original complet de La Petite Sirène ainsi que des albums de chansons de La Belle et la Bête, Aladdin, Le Bossu de Notre-Dame et Raiponce.
* Un chaleureux merci à Jérémie Noyer pour son soutien. Ses précieux entretiens sont publiés dans ses livres Entretiens avec un empire, vol.1 et 2 chez L'Harmattan, et sur son blog media-magic.blogspot.fr.
** Propos recueillis par Didier Leprêtre dans la revue Dreams, en 1996 et 1998.
La filmographie
003 |
The Making of The Little Mermaid
Intervenant • Promotionnel • Animation 2D
1989
Télévision
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1989
Télévision
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004 |
Les Personnages Animés Préférés à la Rescousse
Compositeur • Animation 2D
1990
Télévision
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1990
Télévision
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006 |
Be Our Guest : The Making of Beauty and the Beast
Intervenant • Promotionnel • Animation 2D
1991
Télévision
|
1991
Télévision
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008 |
The Making of Aladdin : A Whole New World
Intervenant • Promotionnel • Animation 2D / "Live"
1992
Télévision
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1992
Télévision
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011 |
Backstage Pass : Disney’s Beauty and the Beast Goes to Broadway
Intervenant • Promotionnel • "Live"
1994
Télévision
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1994
Télévision
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012 |
Disney's Beauty and The Beast : The Broadway Musical Comes to L.A.
Intervenant • Promotionnel • "Live"
1995
Télévision
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1995
Télévision
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013 |
Disney's Pocahontas... The Musical Tradition Continues
Intervenant • Promotionnel • Animation 2D / "Live"
1995
Télévision
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1995
Télévision
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014 |
The Making of Pocahontas : A Legend Comes to Life
Intervenant • Promotionnel • Animation 2D / "Live"
1995
Télévision
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1995
Télévision
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016 |
Disney's Aladdin on Ice
Compositeur • Patinage
1995
Télévision
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1995
Télévision
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017 |
The Making of The Hunchback of Notre-Dame
Intervenant • Promotionnel • Animation 2D / "Live"
1996
Télévision
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1996
Télévision
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020 |
Michelle Kwan Skates to Disney’s Greatest Hits
Compositeur • Patinage • "Live"
1999
Télévision
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1999
Télévision
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021 |
Michelle Kwan : Princess on Ice
Compositeur • Patinage • "Live"
2001
Télévision
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2001
Télévision
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029 |
The Neighbors
Compositeur • Science-fiction
2012 • 2014
Télévision
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2012 • 2014
Télévision
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Saison 02 |
032 |
Aria for a Cow
Compositeur • Animation 3D • Gotta Barn Productions
2015
Cinéma
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2015
Cinéma
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033 |
Behind the Magic : Snow White and the Seven Dwarfs
Intervenant • Promotionnel • Animation 2D / "Live"
2015
Télévision
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2015
Télévision
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039 |
Raiponce : Le Secret de la Larme de Soleil
Compositeur • Animation 2D
2018
Télévision
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2018
Télévision
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040 |
Raiponce : Au-Delà des Murs de Corona
Compositeur • Animation 2D
2018
Télévision
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2018
Télévision
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Les Oscars
011 |
Pocahontas, une Légende Indienne
Meilleure Chanson • L'Air du Vent
1996
Récompense
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1996
Récompense
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012 |
Pocahontas, une Légende Indienne
Meilleure Musique pour un Film Musical ou une Comédie
1996
Récompense
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1996
Récompense
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