1001 Pattes
(a bug's life)
Titre original : a bug's life Production : Pixar Animation Studios Date de sortie USA : Le 20 novembre 1998 (El Capitan Theatre à Los Angeles) Le 25 novembre 1998 (Sortie Nationale) Genre : Animation 3D |
Réalisation : John Lasseter Andrew Stanton Musique : Randy Newman Durée : 97 minutes |
Autre(s) disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
Dans une fourmilière, tous les membres acceptent le rôle prédéfini qui leur est attribué. Tous sauf Tilt ! Ce jeune fourmi aspire en effet à révolutionner tout ce petit monde ronronnant par des inventions de son cru toutes plus ambitieuses les unes que les autres. Mais sa maladresse légendaire lui joue bien souvent des tours pendables jusqu'au jour il commet une énorme bourde : il disperse la récolte de grains destinés à une bande de sauterelles racketteuses des fourmis... |
La critique
Il a toujours été dit que, dans la carrière d'un studio ou d'un réalisateur, le plus dur n'est pas le premier film mais bien le second. Après avoir impressionné le monde entier avec Toy Story, Pixar sous la direction de son réalisateur fétiche John Lasseter devait ainsi prouver son talent sur la durée. La bonne réputation venue des aventures de Buzz et Woody était-elle un coup de hasard ou la manifestation d'un génie maitrisé ? Si plus personne ne doute de la réponse aujourd'hui, à l'époque, elle était loin d'être tranchée. 1001 Pattes (a bug's life), une œuvre injustement oubliée dans la filmographie du papa de Luxo Jr., est ainsi le premier indice, après Toy Story, qui contribue au développement du mythe Pixar dont le catalogue allait enchainer les pépites du cinéma d'animation, plébiscitées par la critique et le public. Ce film, fun et coloré, bourré de personnages attachants et développant une histoire sympathique, réalise en plus un bond technique impressionnant qui le fait bien moins vieillir que son ainé. Il est donc grand temps de réhabiliter cette pierre angulaire de l'histoire de Pixar mais aussi de l'animation assistée par ordinateur !
1001 Pattes (a bug's life) n'est ainsi que le deuxième long-métrage
réalisé par John Lasseter.
Après des études brillantes dans la prestigieuse université de
Cal Arts (California Institute of the
Arts), John Lasseter est embauché en 1979 chez Disney où il participe à
son premier long-métrage,
Rox et Rouky. Il travaille ensuite sur
Le Noël de Mickey et découvre alors la mise en production du film Tron,
considéré, à juste titre, comme l'ancêtre de la production 3D. Totalement
novateur et en avance sur son temps, il laisse une empreinte indélébile aux
animateurs de l'époque ; en particulier, John Lasseter et
Glen Keane véritablement subjugués.
Ils décident à sa suite de réaliser un petit test, intitulé Where the Wild
Things Are, avec pour toile de fond le livre de
Max et les Maximonstres de
Maurice Sendak. John Lasseter est ainsi l'un des rares à prendre conscience du
formidable potentiel de l'utilisation des ordinateurs dans le monde de
l'animation. Malheureusement, les dirigeants des studios Disney de
l'époque, empêtrés dans leur apriori et leur manque d'inspiration, ne savent que
faire du jeune artiste débordant d'idées. La compagnie de Mickey le licencie
donc, manu militari, en 1983. A la faveur d'une heureuse rencontre, il rejoint
un an plus tard l'équipe de
Lucasfilm Ltd. au sein de la filiale
Industrial Light & Magic. John Lasseter se fait très vite remarqué dans le monde
ultra-fermé des effets spéciaux pour son travail sur Le Secret de la Pyramide
réalisé, en 1985, par Barry Levinson. Il est même nommé aux Oscars. C'est
l'époque (février 1986) où naît le studio Pixar qui se consacre tout
entier à la seule animation 3D. Si les projets se limitent dans un premier temps
à de simples courts-métrages, ils marquent déjà les esprits. Le tout premier est
ainsi l'histoire d'un "parent-lampe de bureau" et de son "bébé-lampe" : Luxo
Jr. Son originalité comme sa réalisation technique bluffent la profession
tout entière. Le public emboite le pas de la critique unanime. Le succès est
complet. Le mini-film est même nommé pour l'Oscar du meilleur court-métrage.
D'autres cartoons (Le Rêve de Rouge,
Tin Toy et
Knick Knack) sortent ensuite,
confirmant l'essai. La légende de Pixar se construit déjà. Le personnage
de la lampe de bureau devient bien vite le logo-symbole du studio trublion qui
ne tarde pas à susciter des convoitises. Steve Jobs - le célébrissime fondateur
d'Apple
- dégaine le premier et l'achète. Parallèlement, Disney se
positionne et offre, au tout nouveau studio d'animation, un accord de
distribution pour la production du premier long-métrage d'animation 3D de toute
l'histoire du cinéma. En 1995, sort ainsi Toy Story réalisé par John
Lasseter.
Toy Story provoque un raz de marée, non seulement dans les salles mais également au sein de la Critique qui ne trouve pas de mots assez forts pour souligner son génie artistique et technique. Les professionnels saluent ainsi le film en le nominant pour l'Oscar du Meilleur Scénario (une première pour un long-métrage d'animation !) ainsi que pour les Oscars de la Meilleure Musique et de la Meilleure Chanson (Je suis ton Ami). John Lasseter reçoit également de ses pairs un Oscar Spécial pour le développement de la technique à l'origine du premier film en images de synthèse de l'histoire du cinéma. Non content de ravir la Critique et le Public, Toy Story enchante ses studios : excellente opération financière, il rapporte, il est vrai, plus de 191 millions de dollars soit plus de 50 millions que Pocahontas, une Légende Indienne - le Classique "maison" de Disney sorti la même année. The Walt Disney Company qui avait financé le film dans son intégralité est comblée.
Le prochain film de Pixar allait pourtant considérablement changer son statut : il ambitionne pas moins de passer d'une simple société de production à un véritable studio ! Sauf que… Faire un film nécessite quatre ans. Or, sortir un film tous les quatre ans est un rythme non rentable pour un studio sauf à ne devoir rester qu'une société de production. Pour rester dans le cœur du public et des financiers, il faut, il est vrai, avoir l'ambition de sortir un film tous les ans. C'est à dire mettre en chantier des films en parallèle à différents stades. Malheureusement, Pixar n'a pas, à l'époque, les finances de ses ambitions. Son propriétaire, Steve Jobs, le créateur d'Apple, a alors une idée de génie : introduire Pixar en bourse afin de lever ses fonds. Il le fait une semaine après la sortie de Toy Story et l'opération est un immense succès. Pixar dispose désormais des moyens de négocier avec Disney, qui, satisfait du premier succès, voulait de nouveau travailler avec celui qu'il considérait comme un petit poucet. Mais Steve Jobs est un excellent homme d'affaires. Il veut que le jeune studio Pixar perçoive dorénavant 50% des bénéfices des films puisqu'il participe à 50% de la production via la levée des fonds en bourse. De plus, il exige que le nom de Pixar soit désormais accolé à celui de Disney d'égal à égal pour que tout le monde sache qui fait quoi. Pixar est, en effet, le responsable de la création et de la production et confie simplement à un partenaire, Disney, le markéting et la distribution. Ce dernier dispose, en plus, des droits d'exploitation sur les histoires, des personnages ; l'accord lui laissant même la primauté de décision sur d'éventuelles suites. The Walt Disney Company accepte les termes de la négociation et signe donc un contrat de trois films originaux, qui se fera vite prolonger par avenant en cinq films, dont 1001 Pattes (a bug's life) est annoncé pour le premier. Les quatre autres seront Monstres & Cie, Le Monde de Nemo, Les Indestructibles et Cars - Quatre Roues.
La genèse de 1001 Pattes (a bug's life) remonte à la naissance même de Pixar. Bien avant la sortie de Toy Story sur les écrans américains, lors de l'été 1994, alors que leur premier film d'animation totalement en images de synthèse est en simple phase de production et que rien ne présume de l'accueil qui lui sera réservé, les responsables du jeune et déjà turbulent studio, Pixar, (John Lasseter, Pete Docter, Andrew Stanton et feu Joe Ranft) imaginent déjà leur deuxième long-métrage. Plusieurs trames sont envisagées : une première sur les peurs enfantines qui donnera Monstres & Cie, une autre sur l'univers marin qui prendra vie avec Le Monde de Nemo, une autre, sur un petit robot, dernier survivant d'une Terre dévastée par la pollution qui deviendra très longtemps après WALLE… Pourtant, l'idée qui retient réellement leur attention est celle sur les insectes qui aboutira donc à 1001 Pattes (a bug's life). Leur inspiration est la fable de La Cigale et la Fourmi d'Ésope, popularisée en France par Jean de la Fontaine. Mais au lieu d'avoir une gentille cigale qui batifole tout l'été, Stanton et Raft penchent plutôt pour une méchante sauterelle qui menace toute la colonie de fourmis. Alors que Toy Story est toujours en production, John Lasseter prend sur lui de laisser un de ses deux proches collaborateurs passer sur le second film. Il confie ainsi à Andrew Stanton le soin de se consacrer entièrement à 1001 Pattes (a bug's life) et conserve Pete Docter en tant que superviseur de l'animation sur Toy Story.
Natif du Massachusetts, Andrew Stanton se forme à CalArts, dont il sort licencié en animation de personnages. Ses courts-métrages, Somewhere in the Arctic, lauréat du Nissan Focus Award et A Story lui ouvrent bien vite les portes de Pixar en qualité de directeur de l'animation et réalisateur de films publicitaires. Entré dans le fameux studio en 1990, il est alors la neuvième personne à rejoindre l'équipe de pionniers de l'animation par ordinateur formée par John Lasseter, et en devient le deuxième animateur. Scénariste sur chacun des longs-métrages du studio jusqu'au (Le) Monde de Nemo, il gagne l'Oscar du Meilleur Script pour Toy Story sorti en 1995.
1001 Pattes (a bug's life) dispose à l'évidence d'une histoire fort
simple mais qui fonctionne bien. Le récit se focalise ainsi sur Tilt, une fourmi
incomprise qui sort du lot et ne se retrouve pas dans la norme. Il est, en
effet, imaginatif dans une société qui n'attend pas cela de lui et tout autant
maladroit maladif. C'est d'ailleurs l'une de ses grosses gaffes qui, en mettant la
fourmilière en grand danger, va changer son destin. Il part, il est vrai, à
l'aventure pour constituer une équipe d'insectes censés aider les fourmis à
combattre les puissantes sauterelles qui les rackettent chaque saison. Le génie
de Pixar opère alors à merveille. Le studio a l'excellente idée de créer
un quiproquo qui sera à la fois amusant et touchant. Au lieu de recruter des
mercenaires, Tilt va embaucher des clowns de seconde zone. La diversité de la
troupe est telle qu'elle apporte, en plus, une fraicheur incroyable au récit
avec des moments à la fois touchant et drôle. Le film est alors léger et
amusant de par ses différents personnages dont les interactions fonctionnent à
merveille mais aussi terriblement prenant de par la tension qui s'y joue, venue
principalement de son méchant qui sait manifestement se faire menaçant. La
morale est tout aussi bien sentie dans ce qu'elle explique qu'il ne faut jamais
vivre dans la peur et prendre conscience de ses forces : toujours faire front
ensemble pour repousser les menaces.
Si l'histoire contée par 1001 Pattes (a bug's life) est bien amenée, elle
n'en reste pas moins trop légère pour vraiment convaincre totalement son
auditoire. Ainsi, l'opus est l'un des films Pixar qui a le plus de mal à
exister après sa sortie. Un constat d'autant plus injuste que ce phénomène ne se
constate pas chez un autre grand succès du studio, du même papa, Andrew Stanton,
Le Monde de Nemo qui contrairement aux aventure de Tilt est lui
épisodique et linéaire à l'excès.
1001 Pattes (a bug's life) étonne par sa technique. Le bond fait par les studios Pixar entre leur premier et deuxième film est juste énorme. Si Toy Story commence à ressentir le poids de ses années, les aventures de Tilt restent d'ailleurs encore, plus de quinze ans après leurs sorties, d'une belle fraicheur. Il faut dire que chez lui, et à la différence de Toy Story qui était dans son ensemble un monde de jouets et de plastique, tout est organique : les insectes bien-sûr mais aussi les décors ou l'environnement. Il a donc fallu créer des outils pour rendre le tout crédible même s'il n'a jamais été question de tendre vers le réalisme à tout crin. Alors certes, les feuilles ou la terre sonnent encore un peu « plastoc » mais l'intérieur de la fourmilière est, elle, incroyable dans sa texture comme dans ses couleurs sans oublier la peau des fourmis, manifestement très travaillée. En fait, Pixar confie volontiers que l'organisation pour 1001 Pattes (a bug's life) a été un casse-tête de tous les instants. Techniquement, le film affiche une ambition extraordinaire (Les nombreuses scènes de foule avec les fourmis sont un exemple de difficultés parmi tant d'autres) là où Toy Story n'est finalement qu'un Tin Toy en plus long, c'est à dire demandant la même technique qu'un court-métrage mais avec plus de temps. Pour Tilt et ses amis, il faut tout inventer ! Et pire encore, le faire avec une équipe réduite d'un tiers. En effet, alors que tous les animateurs - même ceux travaillant pour les publicités qui faisaient vivre à l'époque le studio - étaient mis en priorité sur Toy Story, un certain nombre d'autres a été staffé dès 1996 sur Toy Story 2, une suite qui devait à l'époque sortir en vidéo. 1001 Pattes (a bug's life) est donc pour Pixar LE film de l'apprentissage : celui où la structure apprenait à devenir un vrai studio et à dépasser ses limites pour augmenter ses ambitions. Cette recherche de perfection se voit d'ailleurs à l'écran ; l'excellence visuelle de l'opus étant unanimement saluée à l'époque.
Fort de sa réussite technique, 1001 Pattes (a bug's life) dispose, en
outre, d'une panoplie de personnages plutôt attachants dans l'ensemble.
Les personnages des fourmis sont ainsi bien définis, même si l'originalité n'est
pas le fort de leurs caractérisations. Il y a donc Tilt le héros de l'histoire,
une fourmi inventeur mais gaffeur qui en voulant aider sa colonie a plutôt
tendance à lui mettre des battons dans les roues. Il est l'incompris de service,
le rejeté qui va finir par obtenir la reconnaissance de tous. Malgré un air de
déjà-vu dans ce genre de personnage, Tilt parvient à sortir du lot et se rendre
gentiment sympathique.
Il est entouré dans sa colonie par la Princesse Atta et sa petite sœur la
Princesse Couette. L'ainée s'entraine aux taches de gouvernance afin de prendre
la succession de sa mère, la Reine de la Colonie. Un peu stressée, elle n'a
absolument pas confiance en Tilt mais va finir par tomber amoureuse de lui.
Couette, au contraire de sa sœur, n'a peur de rien et aime beaucoup Tilt et ses
idées. Elle sera d'ailleurs la seule de la colonie à lui conserver sa confiance
dans tous les cas.
La Reine est, quant à elle, épaulée par quatre conseillers : Monsieur Sol,
Monsieur Somme, Docteur Flora et Cornélius. Tous font leur maximum pour que la
colonie reste sur les railles et ne s'éloigne pas du chemin tracé. Ils ne sont
toutefois pas complètement fermés au changement dès lors qu'ils sont convaincus de
sa pertinence.
Mais la vraie réussite de 1001 Pattes (a bug's life), niveau
personnages, est à rechercher du côté de la troupe du cirque formée par des
individus tous plus truculents les uns que les autres ! Marcel est ainsi une
coccinelle mâle qui cherche son instinct maternelle ; Fil, un long insecte au
physique de branche d'arbre ; Heimlich une grosse chenille à l'accent allemand
qui rêve de devenir un magnifique papillon ; Manny-le-Magnifique une mante
religieuse un peu magicien aidé de Gypsy sa ravissante assistante papillon ;
Rosie une sympathique veuve noire ; Chivap et Chichi, deux cloportes acrobates,
Cake un gentil scarabée et enfin, Lilipuce le chef de toute la bande. Tous sont
drôles car tous sont des artistes ratés qui rejoignent Tilt sur un malentendu et
surtout pour échapper à une bagarre contre plus fort qu'eux. Pourtant, ils n'en
restent pas moins très attachants et plus encore quand, au fur et à mesure de
l'aventure, ces clowns du dimanche se prennent eux-mêmes d'affection pour les
fourmis. Les spectateurs apprécient dès lors leur immense capital-sympathie et
rient franchement devant leur comique de situation et autres jeux de mots bien
sentis.
A côté de cette joyeuse troupe, un autre personnage, dans le registre des
méchants cette fois-ci, s'impose comme l'un des plus réussis du film. Le Borgne
est ainsi une sauterelle cruelle et sans pitié, prêt à tuer de sang-froid deux
de ses congénères pour sanctionner autant leur erreur de jugement que conserver
la mainmise sur le reste de ses disciples. Il est parvenu également à placer
toute une fourmilière en esclavage, pas forcément d'ailleurs par nécessité mais
plus pour revendiquer son rang dans la chaine alimentaire. C'est un être
profondément abject qui ne se soucie absolument pas de la vie d'autrui. En cela,
il est assurément l'un des meilleurs méchants jamais dépeint par Pixar. Il faut
dire sur ce registre que si le studio à la lampe a souvent démontré un génie
pour narrer des histoires truculentes, il a souvent péché sur les héroïnes
féminines et les méchants. Ici, Le Borgne est le contre-exemple parfait de la
timidité du label : il mérite sans hésiter des éloges. Et d'ailleurs comme tout
bon méchant qui se respecte (Pixar suit ici la voie tracée par Disney),
il est accompagné d'un acolyte, ici son frère, le benêt Plouc, bête comme ses
pieds mais finalement pas bien méchant.
Pour la bande originale, les studios Pixar font une nouvelle fois appelle à Randy Newman. Tout mélomane reconnaitra sa patte et jugera la partition merveilleuse. Dès les première notes, le spectateur est ainsi transporté dans ce monde de l'infiniment petit, coloré et accueillant. En cela, la musique contribue beaucoup à l'ambiance de cocon voulu pour le film. Le compositeur propose en outre pour le générique de fin, une chanson qu'il interprète lui-même : The Time of Your Life. Typique de l'artiste, elle n'en reste pas moins absolument insipide.
Un petit détail dans 1001 Pattes (a bug's life) a su également faire la différence auprès du public et des critiques : le bêtisier. John Lasseter avait, en effet, l'ambition que le public soit diverti du début à la toute fin du film. Il a ainsi pensé à mettre un bêtisier durant le générique de clôture. Une succession de gags où les personnages font semblant d'être des acteurs filmés par des caméras et des micros. Tout bonnement hilarant. Atta éclate ainsi de rire n'arrivant pas à dire son texte tandis que Tilt se trompe de phrase reprenant la devise de Toy Story. Il y a également le personnage de Pan-Pan, brute épaisse, qui se révèle être joué par un acteur presque dandy et efféminé ou encore Lilipuce qui saute sur la caméra laissant un trace de bave comme s'il y avait une vitre. Toute ces petites blagues sont excellentes en soi mais également dans leur propension à briser le quatrième mur, une première dans un film d'animation. Il démontre aussi en quoi les artistes de Pixar sont, en réalité de grands enfants, ne se prenant pas au sérieux et donnant l'impression de s'amuser sur le grand terrain de jeu qu'est le cinéma. Ce petit bêtisier sera tellement populaire qu'un deuxième est lancé et diffusé sur une nouvelle copie en salles, trois semaines plus tard. Parmi les nouvelles scènes, le spectateur assiste notamment à une apparition surprise de Woody.
Les studios Pixar vont s'investir à fond dans 1001 Pattes (a bug's life) doublant souvent le travail sur ce long-métrage, cherchant absolument à se surpasser en tout dans ce deuxième film. Un exemple est son format et la conséquence de son choix. Afin de mettre en avant l'impression de grandeur et la beauté des paysages, le film est, en effet, filmé en scope, format qui n'avait plus été vu dans un film d'animation produit et distribué par les studios Disney depuis Taram et le Chaudron Magique en 1985. Les décors et les personnages profitent ainsi à plein du format écran large. Le problème vient à l'époque du marché de la vidéo : chez lui, le format 4/3 est celui qui est le plus rependu chez les particuliers. Pixar décide donc de proposer deux formats de son film sur le DVD : le format cinéma mais aussi le format vidéo en 4/3 où chaque plan a été retravaillé digitalement afin d'être le plus conforme possible sur un écran carré. Le numérique a permis, il est vrai, de faire bouger un personnage ou de changer l'angle de la caméra d'un plan. Un véritable travail d'orfèvre – ou de fourmi – que celui mené par Pixar.
La critique est très favorable à 1001 Pattes (a bug's life), et ce,
des deux côtés de l'Atlantique. Tous saluent son humour et son inventivité. Le
public n'est pas en reste. Le film est premier au box-office lors de son
weekend de sortie à Thanksgiving 1998 rapportant 33 millions de dollars pour
finir aux alentours de 160 millions aux Etats-Unis remboursant son budget fixé à
120 millions. Il faut rajouter à cela 200 millions de dollars de recettes dans
le monde entier. Le deuxième film de Pixar lui rapporte ainsi autant que
Toy Story (même si ce dernier n'avait couté que 30 millions de dollars à
produire). Mieux encore, comparativement, il rapporte plus que
Mulan des Walt Disney
Animation Studios sorti la même année qui avait atteint uniquement les 300
millions de dollars au niveau mondial, pour un budget certes moindre de 90
millions.
Malgré cette réussite financière, public et critique, 1001 Pattes (a bug's
life) ne sera jamais une franchise très lucrative pour Pixar ou
Disney. De tous les films sortis du studio à la lampe, avant le rachat
par la souris, il est, en effet, le seul dont aucune suite
n'est produite ou annoncée (à l'orée 2016 tout du moins). Le film aura tout de même
droit à une présence dans les parcs avec l'attraction en film 4D : It's Tough
to Be a Bug ! au Disney's Animal Kingdom à Walt Disney World
mais également via le mini land A Bug's Land à Disney California
Adventure à Anaheim au sein du Disneyland Resort, comprenant
également l'attraction de Floride.
1001 Pattes (a bug's life) fait donc rentrer les studios Pixar
dans la cours des grands studios d'animation, non seulement en défendant dans le
monde entier son exigence de qualité et sa méthode de production, mais aussi en
lui faisant prendre conscience du fonctionnement d'Hollywood. Le petit studio va
ainsi perdre sa naïveté et gagner en technique politique...
Retour sur une péripétie qui a changé la donne ! A côté de Pixar
naissant, un autre studio - lui-aussi tout jeune - travaille alors sur
l'imagerie numérique : Pacific Data Images (PDI) a ainsi
l'ambition de se lancer dans la production d'un long-métrage en animation 3D. Il
faut dire qu'autour de la Silicon Valley, le secteur est un petit monde où les
employés des différentes entreprises se connaissent tous quand ils ne sont pas,
en plus, souvent des amis. Chacun sait de la sorte ce que l'autre fait. Jusqu'au
jour où les intérêts de chacun deviennent des enjeux financiers… L'affrontement
peut commencer !
En 1994, après sa démission du poste Président des Walt Disney Studios
suite à une brouille avec Michael Eisner,
Jeffrey Katzenberg s'associe,
en effet, avec le réalisateur Steven Spielberg et le producteur David Geffen.
Ensemble, les trois hommes fondent la compagnie DreamWorks SKG, dont les
trois dernières lettres reprennent leurs initiales. Spielberg se charge de la
production de films, Geffen de la production de musique et Katzenberg de la
direction du nouveau concurrent direct de Disney, DreamWorks Animation.
En qualité de producteur exécutif, il inscrit son nom au générique du premier
film d'animation des studios, Le Prince d'Egypte, qui sort le 18 décembre
1998. A la fin des années 1990, DreamWorks enchaine ainsi Deep
Impact, La Route d'El Dorado et Fourmiz, dont les scénarios
ont des points communs évidents, pour ne pas dire troublants, avec ceux d'Armageddon,
Kuzco, l'Empereur Mégalo et 1001 Pattes (a bug's
life), respectivement produits par
Touchstone, Disney et Pixar.
En 1995, Pacific Data Images qui comptait faire lui aussi un long-métrage
d'animation en image de synthèse conclut à la surprise générale un pacte avec le
nouveau DreamWorks SKG qui rentre au capital de la société pour 40%. A
cette même époque, Jeffrey Katzenberg rencontre John Lasseter lors d'une session
d'enregistrement de Toy Story. Ils parlent de leurs futurs projets ; le
producteur parvenant à tirer de précieux renseignements auprès du jeune
réalisateur. Naïf, ce dernier ne se rend alors pas compte que leurs amis de PDI,
désormais aux mains d'un concurrent, voulaient capter ses idées. La production de
ce qu'allait devenir Fourmiz est ainsi tout juste lancée après celle de
1001 Pattes (a bug's life) et la sortie est prévue pour le printemps
1999. Il s'agit là d'une position officielle car en interne, le but est de
mettre le film dans les salles en octobre 1998, soit un mois avant 1001
Pattes (a bug's life) ! Jeffrey Katzenberg, prêt à repousser Fourmiz,
pense alors pouvoir exiger de Steve Jobs de demander à Disney (et donc à
Michael Eisner) de décaler la sortie de 1001 Pattes (a bug's life) pour
protéger celle du (Le) Prince d'Egypte. Steve Jobs et Pixar
refusent le chantage. Fourmiz sort donc le 2 octobre 1998, 1001 Pattes
(a bug's life) le 25 novembre et Le Prince d'Egypte le 18 décembre.
Pixar gagnera finalement la bataille critique, publique et commerciale ;
les deux films DreamWorks rapportant aux États-Unis respectivement 90
millions et 101 millions de dollars.
Depuis cette époque, John Lasseter a appris le culte du secret et il est
extrêmement difficile de savoir sur quoi travaillent les studios à la lampe.
Culture qui s'est propagée aux Walt Disney Animation Studios depuis le
rachat de Pixar et la venue à sa tête du papa de Luxo Jr..
1001 Pattes (a bug's life) est le film de la confirmation pour les
studios Pixar. C'est celui qui a montré le vrai génie du label autant
dans sa technique que dans l'écriture de ses scénarios. Il est aussi un film de
pionnier, celui des balbutiements de l'imagerie numérique qui fait décidément
des bonds incroyables depuis le tout premier qu'est Toy Story. Le film
est visuellement superbe pour l'époque : coloré et drôle, il dispose en plus de
personnages terriblement attachants. Il ne parvient pas en revanche à exister en
dehors de l'époque de sa sortie et demeure aujourd'hui le long-métrage oublié de
la filmographie Pixar.
1001 Pattes (a bug's life) mérite pourtant bien mieux que la place de fourmi
qui lui est réservée...