Tron
Le synopsis
Mais, l'opération tourne mal ; le jeune homme est désintégré et projeté dans une autre dimension, le monde électronique...
La critique
Tron est une expérience cinématographique unique. Film révolutionnaire à l'époque, bouleversant l'art de raconter les histoires, il marque alors le public qui lui conserve une affection intacte tout en inspirant les professionnels sur les possibilités offertes par le progrès technologique. Pour les studios Disney, Tron est clairement aux films "Live" ce qu'est Fantasia aux films d'animation : un œuvre culte en avance sur son temps.
Tron doit son existence à la vision unique et avant-gardiste de son
réalisateur, Steven Lisberger.
Né le 24 avril 1951 à New-York, il se fait remarquer, à l'âge de 22 ans, par le
monde du cinéma en signant le court-métrage, Cosmic Cartoon, qui,
psychédélique à souhait, utilise plusieurs techniques d'animation. Quelques
années plus tard, il fonde son label à Boston, le Lisberger Studios. Le
marché étant peu porteur sur la cote est des Etats-Unis, il migre à l'ouest et
s'installe à Los Angeles en 1977. Il y réalise d'abord des œuvres "alimentaires"
: de nombreuses publicités ainsi que de courts passages animés pour des
émissions du type d'1, Rue Sésame. NBC lui donne alors l'occasion de
l'exposition de son antenne en signant avec les Lisberger Studios un
téléfilm animé sur le thème des jeux olympiques de 1980, Animalympics.
Mais l'Histoire en décide autrement. A la suite de l'invasion de l'Afghanistan
par l'URSS, le président Jimmy Carter décide, en effet, de boycotter les jeux de
Moscou ; les athlètes américains restent à la maison tandis qu'NBC annule sa
couverture médiatique... Le téléfilm prévu reste donc sur l'établi ; seuls
quelques fragments seront finalement diffusés. Recul aidant, c'est pour Steven
Lisberger un mal pour un bien, il va ainsi pouvoir se concentrer sur un autre
projet qui lui trotte dans la tête.
A son arrivée en Californie, le jeune réalisateur entre, il est vrai, en contact avec le monde du jeu vidéo. Il se fascine rapidement pour ce mode de divertissement et envisage bien vite d'axer un film dessus. Il va d'ailleurs jusqu'à baser le logo de son studio sur cette envie. Il crée pour lui un personnage qu'il anime en utilisant la technique du rétro-éclairage et qu'il dénomme Tron, diminutif du mot « elecTRONic ». Le projet d'Animalympics avorté, il revient ainsi à son idée première. Il a, en réalité, déjà effectué une bonne partie du chemin. Totalement story-boardé, il a, en effet, une vision précise du film qu'il projette sur les jeux d'arcade, prévoyant d'y mélanger animation retro-éclairée et assistée par ordinateur, le tout complété par des parties purement « live ». Sûr du potentiel de son bébé, il commence donc à chercher à le financer de façon indépendante, démarchant pour cela plusieurs entreprises informatiques. Toutes le reconduisent poliment. Il se rend alors à l'évidence : seul un label bien établi est de nature à avoir les reins suffisamment solides pour supporter un tel projet. De tous les studios visités, celui de Mickey est l'un des derniers de sa liste. Deux raisons principales à cela : d'abord, à l'époque, Disney est un petit studio ayant peu d'influence sur Hollywood ; ensuite, il est vu comme le gardien du temple de l'animation traditionnelle. Steven Lisberger est donc persuadé que les héritiers du Grand Walt rejetteraient son idée de 3D, sans aucune autre forme de procès... Contre toute attente, ils se montrent intéressés, voire même enthousiastes. En fait, le staff de Disney est déjà mûr depuis longtemps pour tenter l'aventure de l'animation 3D ; il n'attendait qu'un projet clé-en-main... Un dernier obstacle de taille se dresse néanmoins au travers de la route de Steven Lisberger. Le budget qu'il réclame (de 10 à 12 millions de dollars, une somme folle à l'époque) ne saurait être mis sur la table sans qu'un test grandeur nature sur l'aspect et le visuel du film ne soit réalisé. Tron joue donc son avenir sur le court extrait commandé. Utilisant les trois techniques d'effets spéciaux, il se révèle finalement concluant. Le top départ est donné pour que l'animation 3D débarque chez Disney et contribue à sortir le studio de la naphtaline dans laquelle il s'est enfermé.
Frappées de ringardise depuis le milieu des années "seventies" et surtout durant le début des "eighties", les œuvres du studio au château enchanté ont, en effet, bien du mal à convaincre de leurs atouts des spectateurs lassés par des années de productions faites de sempiternels films comiques usant et abusant d'humour basé sur le jeu d'animaux. Le studio de Mickey est ainsi dans une spirale infernale. Les enfants des années 70, à la différence de leurs parents, ne grandissent plus avec Disney. Libéralisation des mœurs aidant, ils deviennent, en outre, de plus en plus vite adultes et s'intéressent, dès lors, de moins en moins longtemps à l'univers Disney. Tentant de suivre la mode, son studio a, il est vrai, toujours un coup de retard ! Mis à mal par des succès de films exceptionnels tels La Guerre des Étoiles ou Les Dents de la Mer, il se lance - sans jamais réussir - dans une série de films expérimentaux avec pour objectif avoué de retrouver le cœur des adolescents ou des adultes. Toutes ses tentatives se ramassent lamentablement au box-office ! Il faut dire que le cycle de l'échec est exemplaire : une partie du public boude les films proposés, persuadée que Disney est embourbé dans son standard habituel jugé désormais has-been, tandis que l'autre partie reproche au studio de ne pas être là où elle l'attend. Au final, tous les spectateurs, favorables ou non au label de Mickey, ont une bonne raison pour ne pas se déplacer en salles. La première tentative de cette politique somme toute ambitieuse est un retentissant échec. Le Trou Noir, présenté à la fin de décembre 1979 avec la volonté avouée d'être le nouveau Star Wars, fait long feu. A peine sorti en salles, il est déjà kitch ; ses effets-spéciaux apparaissant lamentablement dépassés.
En 1980, dans une tentative désespérée d'enrailler sa descente aux enfers, Disney prend le monde du cinéma par surprise. Il n'hésite pas, en effet, à promouvoir Tom Wilhite, un jeune homme de 27 ans, responsable publicitaire du label pour la télévision depuis 1977. Il devient Vice-président en charge du développement créatif des productions pour le cinéma. En phase avec son époque, il insuffle au label endormi la conviction de changer, en profondeur, ses méthodes. Il fait accepter par exemple l'idée qu'un projet peut venir de l'extérieur du studio et être supporté par lui, quitte à intéresser les créatifs venus d'ailleurs aux résultats des œuvres : un procédé habile pour s'adjoindre la collaboration de stars ou réalisateurs de renoms ! Osant jusqu'à l'impensable il y a peu, Tom Wilhite met ainsi le pied à l'étrier d'un certain Tim Burton pour son premier court-métrage, Vincent. C'est lui encore qui valide la mise en chantier du film de Steven Lisberger...
Tron vaut d'abord pour son design exceptionnel et l'utilisation
d'effets spéciaux totalement novateurs. Pour atteindre ce résultat, il mélange
ainsi plusieurs techniques.
L'animation par rétro-éclairage est la première d'entre elles. Elle permet, en
effet, de créer les habits fluorescents des personnages du monde électronique.
Les acteurs sont pour cela filmés en noir-et-blanc sur un fond parfaitement
sombre. L'image est alors transformée en négatif et le visage caché pour ne
garder que les lignes noires et donc autoriser le passage des lumières
nécessaires, permettant la modification à volonté des couleurs et intensités
souhaitées.
L'imagerie numérique est ensuite utilisée intensivement. Plus de 15 minutes de
film concentrent, en effet, à elles-seules l'animation générée par ordinateurs
qui produisent, en outre, digitalement 200 plans de décors. Du jamais vu à
l'époque ! Et pour cause : pour réussir cette prouesse, la charge de travail
est, il est vrai, répartie entre quatre entreprises informatiques différentes.
L'équipe du film n'est d'ailleurs pas au bout de ses peines, tant il est
extrêmement prenant d'assumer la coordination de tous les intervenants
extérieurs pour préserver la bonne cohérence du rendu final.
Dans cette architecture, Digital Effects, Incorporated gère le personnage de
Bit, sorte de polygone capable de dire oui ou non et changeant de forme en
fonction de ses réponses. Elle s'occupe également de la création du personnage
de Tron lors du générique de début.
Robert Abel & Associates prend, elle, en charge la conception du monde
électronique, pour le générique de début ainsi que toute la séquence de
transition de Flynn du monde humain au virtuel.
Mathematical Applications Group Incorporated (MAGI) réalise, pour sa part, les
animations complexes de la première moitié du long-métrage : les tanks,
patrouilleurs et surtout, la plus belle création du film, les motos du Cycle
Lumineux. Ces deux roues restent aujourd'hui dans tous les esprits des
spectateurs, ayant vu Tron ou le connaissant simplement de réputation.
Elles constituent le fondement de son identité visuelle !
Enfin, Information International Incorporated (Triple-I) prend la responsabilité
des animations complexes de la deuxième partie du film comme le vaisseau de
Sark, le voilier solaire ou le Maître Contrôle Principal (MCP).
La cohérence graphique de l'ensemble découle finalement du strict respect par
chacune des entreprises intervenantes des superbes designs réalisés par Syd
Mead.
Les costumes des personnages électroniques, quant à eux, sont confiés à un grand
auteur de bandes dessinées français, Moebius. De son vrai nom, Jean Giraud, il
est surtout connu en France pour sa série de western, Blueberry, signé
sous le pseudo de Gir. Il réserve le pseudo de Moebius à ses œuvres les plus
personnelles ou expérimentales.
Pour bien comprendre la dynamique du récit de Tron, il est absolument
indispensable d'accepter le postulat de départ qui veut que, dans l'univers
électronique, un programme a le physique et le visage de son concepteur du monde
réel.
Jeff Bridges interprète ainsi le personnage humain de Kevin Flynn qui entend
prouver sa paternité sur les programmes informatiques dont il a été dépossédé.
C'est le seul être-humain à se retrouver dans la dimension virtuelle. Il
interprète parallèlement le rôle de Clu, un programme de Flynn vu au tout début
du film mais qui n'a bien-sûr rien à voir avec le Flynn « électronisé », et ce,
malgré son apparence...
Bruce Boxleitner joue, quant à lui, le rôle d'Alan Bradley, le nouveau petit ami
de l'ex-compagne de Flynn. Il est en train de développer un programme, dénommé
Tron, et conçu pour évoluer indépendamment du Maître Contrôle Principal (MCP).
Dans la logique du film, il interprète également le programme Tron, le véritable
héros du monde virtuel...
Cindy Morgan est la touche féminine du récit. Assumant Lora dans le monde
humain, elle est la petite amie d'Alan et l'ex de Flynn. Elle joue également son
pendant électronique, Yori qui est amoureuse de Tron (Disney veillant au grain,
il ne peut ici être question de triangle amoureux !).
L'acteur anglais, David Warner, interprète pour sa part Ed Dillinger le PDG d'ENCOM,
et accessoirement voleur des jeux de Flynn. Dans le monde électronique, il
possède bien sûr un programme à son effigie, Sark, sorte d'anti-virus avant
l'heure. Enfin, il donne également sa voix au Maître Contrôle Principal (MCP).
Barnard Hughes est, lui, le vieux Dr. Walter Gibbs ainsi que son pendant
électronique Dumont, responsable de la tour de communication avec les
concepteurs. Enfin, Dan Shor est le seul acteur à avoir uniquement un rôle dans
la dimension virtuelle. Il est Ram, le troisième détenu qui s'échappe du Cycle
Lumineux avec Tron et Flynn.
Tron sort au cours de l'été 1982. Il décroche un succès d'estime, sans parvenir -et de loin- à devenir le blockbuster tant attendu par Disney. Si le grand public n'est pas vraiment au rendez-vous, la Critique, elle, se montre plutôt bienveillante à son égard. Déjà, elle salue le retour du label Disney dans le registre de l'innovation technologique qu'il avait déserté depuis la mort de son créateur. Depuis 15 ans, le studio du Grand Walt est, en effet, à la traine d'à-peu-près tout ce qui se fait à Hollywood, du progrès technique à l'audace cinématographique sans oublier le box-office. Il donne, en fait, l'impression d'être une belle endormie, se réveillant toujours trop tard. Si la Critique n'assassine pas Tron, elle ne le porte pas non plus aux nues. Bon nombre de professionnels du cinéma et de la presse passent, en effet, à côté de l'enjeu et se révèlent bien incapables d'apprécier à sa juste valeur l'incroyable nouveauté et l'immense potentiel représentés par le film. A l'exemple de Fantasia en son temps, Tron est trop en avance sur son époque. Sorti seulement quelques années plus tard, au début des années 90, il avait sans mal la capacité de déplacer les foules et de crouler sous les louanges. Mais, voilà, en 1982, rares sont ceux assez murs pour apprécier le choc Tron à sa juste valeur. Pour preuve, le film est minablement nommé pour l'Oscar des Meilleurs Costumes et du Meilleur Son. La nomination pour celui des Meilleurs Effets Spéciaux lui échappe sous le prétexte (incroyable !) que l'assistance par ordinateur ôte l'intérêt d'une récompense, avec, derrière ce raisonnement ahurissant, l'idée qu'une machine n'a pas à être saluée (oubliant le travail des hommes sur elle)...
Si les professionnels du cinéma, la Critique et le public familial passent lamentablement à côté de Tron, les adolescents et les jeunes adultes lui accordent en revanche un intérêt plus marqué. Il faut dire que le film est l'un des touts premiers à leur renvoyer un peu de cette révolution numérique naissante dont ils commencent à gouter les délices ; le jeu vidéo en étant alors le parfait symbole. Au début des années 80, les arcades avec des titres comme Pacman commencent, en effet, à faire fureur. Au design aujourd'hui minimaliste, ils constituent à l'époque un mode de divertissement totalement avant-gardiste, nouveau et fun. Un film qui met à l'honneur cet univers ne peut être dès lors que bluffant. Car le contexte d'alors n'a rien à voir avec celui d'aujourd'hui. Les ordinateurs sont alors de grosses machines de la taille d'un réfrigérateur avec la puissance d'un téléphone portable basique. Les P.C. n'existent pas encore (l'aventure Microsoft commence à peine !) et le web grand public encore moins. L'informatique constitue donc un nouveau monde dont l'exploration est en capacité de passionner les jeunes au même titre que les grandes découvertes contées dans les romans des 18ème et 19ème siècle l'étaient pour leurs contemporains. Tron permet ce fabuleux voyage à l'intérieur d'un jeu vidéo, en 3D qui plus est, alors même que les arcades se limitent pour l'instant à la seule 2D, usant et abusant de formes géométriques simples, de canon lasers à un coup et dont les tirs sont des traits lumineux longilignes. Au contraire, le film dispose de décors en 3 dimensions amenant encore plus de nouveautés et de dépaysements. Marquant d'un souvenir impérissable les jeunes spectateurs qui le voient à l'époque, Tron suscite alors bien des vocations : le démon de l'informatique envahit l'esprit de toute une génération prête à dépasser les frontières du progrès virtuel...
Le jeune public n'est pas le seul à accueillir avec envie la révolution Tron : une petite frange des apprentis du cinéma d'alors se laisse, en effet, également séduire. Un certain John Lasseter s'intéresse ainsi à l'imagerie numérique : la création de Pixar et la mise en chantier du tout premier long-métrage d'animation 3D, Toy Story sont au bout du chemin. Tron est assurément l'ancêtre oublié de films comme Jurassic Park, Matrix ou Avatar!
Visionné aujourd'hui, Tron accuse le poids des décennies passées depuis sa naissance. L'effet de surprise n'est plus là ; l'univers informatique ayant envahi le quotidien. Son rythme aussi ne correspond plus à l'époque contemporaine. Extrêmement lent, il se situe à des années lumières des scénarios gonflés à l'adrénaline couramment distillés aujourd'hui. Ses effets spéciaux sont logiquement dépassés avec une représentation graphique franchement datée. Pour autant, il conserve une force extraordinaire. OVNI cinématographique, à l'aspect pionnier perdurant, il a la capacité de séduire son auditoire pour toute la symbolique qu'il porte. Authentique innovation, son avant-gardisme conserve un dynamisme époustouflant. Son univers et son design si particuliers, son accès ardu et son récit complexe en font une expérience enrichissante à souhait.
Tron est l'un des rares films "Live" des studios Disney à être culte : il mérite dès lors attention et affection !