John Lasseter
Est-Il le Nouveau Walt Disney ?
L'article
La question peut paraitre incongrue : elle est pourtant terriblement pertinente.
John Lasseter
Le génie de Walt Disney ne souffre aujourd'hui d'aucune contestation. Il fait, en effet, partie de ces hommes dont les qualités créatrices exceptionnelles limitent le nombre à quelques uns par siècle. Ainsi, au moment de son décès, s'est posée la délicate question de sa succession. D'un point de vue juridique et financier, la difficulté a rapidement été surmontée. En revanche, sur le plan artistique, l'affaire n'a pas été un long fleuve tranquille. Car, il est peu connu aujourd'hui que les studios Disney ont failli payer très cher le décès de leur créateur. N'ayant absolument pas organisé sa succession, Walt Disney a, il est vrai, laissé à ses équipes un héritage tellement complexe qu'elles n'ont eu, dans un premier temps, que la seule volonté de le conserver dans la naphtaline. L'intention était sans doute louable tant elle se voulait respectueuse. Pourtant, elle se situait à l'exact contraire de la philosophie du Maître dont la remise en cause artistique permanente lui offrait toujours le coup d'avance suffisant pour coller aux attentes du public.
A l'aube des années 80, les studios Disney, moribonds, accumulent les œuvres
sans imagination et les échecs commerciaux. La Walt Disney Company en arrive au
point d'être opéable tant elle se trouve en mauvaise posture. Seul le talent de
stratège d'un homme, Michael Eisner, alors Président de Paramount, la sauve
finalement du rachat pur et simple et contribue à préserver sa totale
indépendance. Il s'attachera ensuite à faire de la firme de Mickey l'un des plus
rentables et puissants groupe audiovisuel au monde. Côté productions, il lui
offre un troisième âge d'or, accumulant grâce à des œuvres devenues depuis
emblématiques de Disney (La Petite Sirène,
La Belle et la Bête,
Le Roi Lion...) les dollars et les
honneurs. La réussite d'Eisner lui ouvre toutes les portes ; une seule, pourtant,
lui reste désespérément fermée. Jamais personne, en effet, n'a vu en lui
l'héritier de Walt Disney ! Fort de sa réussite à la tête de la compagnie au
château enchanté, il
s'imaginait pourtant entrer dans les souliers du Maître, l'imitant même dans la
présentation d'une émission Disney hebdomadaire sur ABC à la manière du show
mythique Disneyland. Peine perdue :
Michael Eisner n'a rien de Walt Disney. C'est assurément un excellent
gestionnaire et un bon manager, il n'est pas, en revanche, un artiste et encore
moins un génie ! Sa fin de règne démontre d'ailleurs à merveille ce cinglant
constat : fermant les studios d'animation 2D,
développant les suites bon marché, réduisant le label Walt Disney à la
portion congrue au profit de « son » bébé Touchstone, ouvrant des parcs à
thème indignes du nom Disney, il accule la Walt Disney Company à faire du cheap
pour faire du fric. Oubliée la philosophie de Walt Disney, la firme de Mickey
n'est devenue qu'un tiroir-caisse où l'imagination et l'ambition artistique
n'ont plus droit de citer...
Un homme comprend alors, mieux que quiconque et avant tout le monde, que l'âme
de Walt Disney risque de se perdre définitivement si Michael Eisner est maintenu
aux commandes de la firme qu'il avait créée : cette homme, c'est Roy Disney ! Le
neveu de Walt connait, en effet, suffisamment la philosophie de son illustre
oncle pour ne pas la laisser tomber aux seuls mains de financiers, toujours
techniciens, jamais artistes. En lançant son offensive « Save Disney », il ne
savait pas qu'il allait sauver bien plus qu'une compagnie
familiale. Il a, en effet, permis à un homme - John Lasseter - de reprendre le
flambeau de son oncle, avec le même talent et la même ambition...
Après des études brillantes dans la prestigieuse université de Cal Arts, John Lasseter est embauché en 1979 chez Disney où il participe à son premier long-métrage, Rox et Rouky. Il travaille ensuite sur Le Noël de Mickey et découvre alors la mise en production du film Tron, considéré, à juste titre, comme l'ancêtre de la production 3D. Il est d'ailleurs l'un des rares à prendre conscience du formidable potentiel de l'utilisation des ordinateurs dans le monde de l'animation. Malheureusement, les dirigeants des studios Disney de l'époque, empêtrés dans leur apriori et leur manque d'inspiration, ne savent que faire du jeune artiste débordant d'idées. La compagnie de Mickey le licencie donc, manu militari, en 1983. A la faveur d'une heureuse rencontre, il rejoint un an plus tard l'équipe de Lucasfilm. John Lasseter se fait très vite remarquer dans le monde ultra-fermé des effets spéciaux pour son travail sur Le Secret de la Pyramide réalisé, en 1985, par Barry Levinson. Il est même nommé aux Oscars. C'est l'époque (février 1986) où naît le studio Pixar qui se consacre tout entier à la seule animation 3D. Si les projets se limitent dans un premier temps à de simples courts-métrages, ils marquent déjà les esprits. Le tout premier est ainsi l'histoire d'un "parent-lampe de bureau" et de son "bébé-lampe" : Luxo Junior. Son originalité comme sa réalisation technique bluffent la profession tout entière. Le public emboîte le pas de la critique unanime. Le succès est complet. Le mini-film est même nommé pour l'Oscar du meilleur court-métrage. La légende de Pixar se construit déjà. Le personnage de la lampe de bureau devient bien vite le logo-symbole du studio trublion qui ne tarde pas à susciter des convoitises. Steve Jobs - le célébrissime fondateur d'Apple - dégaine le premier et l'achète. Parallèlement, Disney se positionne et offre, à la toute nouvelle filiale animation de la maison mère de Mac, un accord de distribution pour la production du premier long-métrage d'animation 3D de toute l'histoire du cinéma. En 1995, sort ainsi Toy Story réalisé par John Lasseter. Le succès est planétaire. Le talentueux réalisateur enchaîne alors deux autres longs-métrages en 1998 (1001 Pattes) et 1999 (Toy Story 2). Il marque ensuite une pause pour s'occuper non seulement de sa famille mais également orienter sa carrière vers la production de films (Monstres & Cie, Le Monde de Nemo, Les Indestructibles). En 2006, il revient à la réalisation avec Cars - Quatre Roues avec le talent et le succès qui font sa réputation.
Entre temps, après bien des tumultes, Disney a absorbé Pixar. John Lasseter
devient judicieusement le patron de la division Animation de la maison mère de
Mickey. Commence alors pour lui, un long travail pour revenir aux fondamentaux
disneyens, ceux-là même qu'il a appliqué, en fan absolu du grand Walt, quand son
giron se limitait aux seuls studios Pixar.
Sa première et spectaculaire décision est l'arrêt (presque manu militari) des
suites vidéo de Grands Classiques. Fausse bonne idée, basée uniquement sur des
considérations financières de court terme, ces productions de très mauvaises
qualités ont, en effet, participé à la dégradation durable de l'image de marque
du label Disney dont le public découvre avec elles qu'il ne rime plus forcément
avec une extrême qualité.
John Lasseter s'invite ensuite dans le cours des productions 3D Disney déjà
lancées.
Son intervention sur Bienvenue chez les
Robinson, si elle reste somme toute limitée en raison d'un timing trop court
(le film est quasiment fini à son arrivée à la tête des studios), porte d'abord
la manifestation de son talent. Exigeant de voir le long-métrage remonté, il parvient,
il est vrai, à lui insuffler sa patte. Malgré une grosse longueur au milieu de
son récit (qui correspond peu ou prou à la présentation de la famille dont
l'histoire se serait finalement bien passée)
Bienvenue chez les Robinson affiche
au final un bilan artistique plus qu'honorable. Les résultats commerciaux
restent eux catastrophiques : à l'impossible, nul n'étant tenu...
Pour Volt, Star Malgré Lui, parce qu'il
est, cette fois-ci en capacité d'agir en profondeur, (il a, il est vrai, le temps
pour le faire) John Lasseter révolutionne, de fond en comble, le projet.
Remerciant le réalisateur Chris Sanders jugé trop réfractaire aux conseils, il
fait réécrire, et l'histoire, et les personnages. Sous son impulsion, Walt
Disney Pictures livre ainsi le tout premier film 3D de son histoire à être
irréprochable techniquement (Chicken
Little ou Bienvenue chez les
Robinson sont en effet perfectibles à bien des égards). Le seul regret sur
Volt, Star Malgré Lui se situe, en
réalité, au niveau de sa rentabilité ; ses résultats au box–office, certes
respectables, ne permettant pas de combler ses coûts de production.
Volt, Star Malgré Lui est, au final, une œuvre
réussie artistiquement, appréciée du public mais couteuse pour le studio.
Parallèlement à son travail sur les longs-métrages (il continue en effet de
sortir des pépites pixariennes,
Ratatouille, WALLE et
Là-Haut en tête), John Lasseter
ré-initie aux équipes Disney les recettes mises au point par le Maître lui-même (qu'il
appliquait déjà consciencieusement chez Pixar). Il permet ainsi, par exemple, à
ses animateurs de se faire les dents sur des courts-métrages. Sous sa conduite,
un nouveau court-métrage de Dingo,
Comment Brancher son Home Cinéma,
voit ainsi le jour dans la série des How to. Les fans jubilent : Disney revient
au cartoon !
Mieux, le retour de l'animation 2D est orchestré de main de maître. Soutenant
bec et ongle le projet de La
Princesse et la Grenouille, John Lasseter entend ainsi renouer avec la
tradition Disney par excellence : le conte de princesse en 2D. Et sans oublier
la rentabilité, s'il vous plait ! Les coûts de production du 49e Grand Classique
Disney sont, en effet, tellement encadrés que sa rentabilité est à portée de
mains. John Lasseter s'apprête, avec lui, à réussir un pari, vrai paradoxe :
réconcilier Disney avec son savoir-faire ! Convaincu de la pertinence de sa
politique, il organise, d'ailleurs dans le même temps, le retour de Winnie
l'Ourson au cinéma - et en animation 2D - histoire de replacer sur le devant
de la scène les incontournables Disney.
Non content d'observer un sans-faute (que les fans sont d'ailleurs les premiers à lui reconnaitre) dans toutes les décisions qu'il prend pour la division animation, John Lasseter entend réinsuffler également à Imagineering l'oxygène dont l'ère Eisner l'avait injustement privée. Il s'inscrit là-aussi en complète harmonie avec la philosophie qui avait présidée à l'élaboration de Disneyland (premier du nom) à Anaheim par Walt Disney en personne, et qui voulait qu'un parc à thèmes Disney soit avant tout un endroit d'exception ! Il mène ainsi une refonte ambitieuse de la politique d'investissements menée dans les resorts du monde entier. Disney's California Adventure (Anaheim), Walt Disney Studios (Paris) et Hong-Kong Disneyland, dont l'incroyable pauvreté des conceptions est une insulte même à la mémoire de « Walt Disney, l'imagineur » sont logiquement les premiers à bénéficier de plans de rénovation ambitieux. Même s'il lui faudra du temps pour les hisser au standard « Disneyland », John Lasseter fait preuve des ressources suffisantes pour réussir en ce domaine aussi son audacieux pari. Son objectif reste le même : faire aussi bien, si ce n'est mieux, que Walt Disney. Difficile d'imaginer plus beau challenge !
De par son talent, de par son parcours, et maintenant, de par ses décisions et résultats en sa qualité de patron des studios et resorts Disney, John Lasseter témoigne de sa capacité à être le digne héritier de Walt Disney. Le Maître aurait-il enfin trouvé un Elève à sa mesure ?