Le Monde de Nemo
Le synopsis
Dans les eaux tropicales de la Grande Barrière de Corail, Marin, un poisson clown mène une existence paisible avec son fils unique, Nemo. Ayant déjà payé un lourd tribu à l'océan et les dangers qu'il renferme, il fait de son mieux pour le protéger même si comme tous les petits poissons de son âge, Nemo ne rêve que d'explorations et d'aventures... |
La critique
Le Monde de Nemo, cinquième long-métrage des studios Pixar, rencontre un succès sans précédent l'année de sa sortie accédant ainsi instantanément au rang envié de classique du cinéma d'animation. Avec le recul, s'il possède des personnages ultra attachants et un rendu visuel tout simplement bluffant, le film pêche par une histoire trop convenue, un montage saccadé et quelques traits d'humour pas toujours très fins.
A l'époque du (Le) Monde de Nemo, Pixar a déjà atteint une certaine maturité. Du petit studio qui ne dispose que d'un seul animateur à son ouverture, il s'offre désormais le luxe de proposer le poste de réalisateur à de nouvelles pousses. Il faut dire que ses trois premiers films (Toy Story, 1001 Pattes (a bug's life) et Toy Story 2) ont été portés et réalisés par le même homme John Lasseter. Exténué par cette quasi décennie consacrée à la réalisation de longs-métrages, le tout premier réalisateur de Pixar décide donc de passer la main pour les suivants tout en restant très impliqué à la bonne marche du studio y tenant alors le rôle de producteur exécutif. Le quatrième film du label (Monstres & Cie) est dans cette optique confié à Pete Docter. Son succès autant artistique que commercial prouve, s'il en était besoin, que la clé du succès ne dépend pas d'un seul homme mais bien d'une équipe dont le savoir-faire commence à être loué dans le monde entier. Quand vient le moment du choix pour réaliser le cinquième film de Pixar, John Lasseter pense tout de suite à Andrew Stanton.
Natif du Massachusets, Andrew Stanton se forme à CalArts (California Institute of the Arts), dont il sort licencié en animation de personnages. Ses courts-métrages, Somewhere in the Arctic, lauréat du Nissan Focus Award et A Story lui ouvrent aisément les portes de Pixar en qualité de directeur de l'animation et réalisateur de films publicitaires. Entré dans le désormais fameux studio de Luxo Jr en 1990, il est alors la neuvième personne à rejoindre l'équipe de pionniers de l'animation par ordinateur formée par John Lasseter : il en devient même le deuxième animateur. Scénariste sur chacun des longs métrages du studio jusqu'au (Le) Monde de Nemo, il remporte ainsi l'Oscar du Meilleur Script pour Toy Story sorti en 1995. Il coréalise également 1001 Pattes (a bug's life) en 1998 aux cotés de John Lasseter. Producteur exécutif de Monstres & Cie en 2001, Andrew Stanton prend des gallons supplémentaires, en 2003, en devenant auteur, coscénariste et réalisateur du (Le) Monde de Nemo.
La première idée du (Le) Monde de Nemo remonte à 1992 quand le travail commence tout juste sur Toy Story. Lors d'une visite en famille à Marine World, Andrew Stanton se dit, en passant dans un tunnel traversant un aquarium géant consacré aux requins, que le monde sous-marin serait tout simplement superbe en animation assistée par ordinateur. Il y a, en effet, moyen de créer un univers époustouflant. Il lui vient également l'idée d'un poisson qui s'échapperait d'un aquarium. Une réflexion donc somme toute basique, sans rien de vraiment engageant émotionnellement. Le déclic n'arrivera, en réalité, que cinq ans plus tard lors de la phase finale de la production de 1001 Pattes (a bug's life). Andrew Stanton, conscient qu'il est trop accaparé par son travail, décide de passer un week-end tout entier avec son fils, alors âgé de cinq ans. Mais ces moments censés être magiques prennent vite des airs de calvaire par la seule faute du père. Ce dernier, qui n'arrête pas de surprotéger son fils, l'empêche en réalité de vivre, lui faisant remontrance sur remontrance, de peur qu'il ne se blesse ou pire encore. Le jeune papa se rend donc compte que vouloir être un bon père ne garantie pas de l'être. Et, c'est en repensant à ce moment précis de sa vie personnelle que le réalisateur voit l'arc narratif du (Le) Monde de Nemo se mettre en place. Il est d'autant plus fort que la relation père-fils n'a été que très rarement traitée dans le cinéma d'animation. La trame scénaristique de son prochain film est de la sorte scellée : il s'agira de suivre un père qui apprend à voir son fils grandir.
Les grandes lignes du scénario ont donc été rapidement mises en place par Andrew Stanton, qui organise minutieusement sa première présentation à John Lasseter. Ce dernier se laisse, en réalité, aisément convaincre, d'autant qu'il avait déjà dit oui dans sa tête à la seule évocation du mot « poisson ». Fervent passionné de la plongée sous-marine, le patron du studio est, il est vrai, intimement convaincu que le monde sous-marin est un univers idéal pour un film Pixar. Il demandera d'ailleurs à toute l'équipe en charge du (Le) Monde de Nemo de prendre des cours de plongée : c'est, en effet selon lui, le meilleur moyen de comprendre et ressentir cet univers pour mieux le retranscrire à l'écran !
Jusqu'à lors, les films Pixar avaient tous été des "buddy movies", c'est à dire des films de "copains" avec des antagonistes qui s'associent pour faire avancer l'intrigue ; Le Monde de Nemo fait, lui, bouger les lignes. Certes, cet arc narratif existe bien entre Marin et Dory, mais il n'est pas le seul à être développé dans le récit ; la relation père / fils avec Nemo et Marin étant elle aussi mise en place. Il y a en cela le premier gros problème du film qui, possédant deux trames de narration distinctes, se perd un peu. Dès lors que le fils et le père sont séparés, le traitement de leur relation résonne à l'évidence dans le vide. Cette sensation d'inaboutie est d'autant plus vraie que le montage ne cesse de passer de l'un à l'autre alors même que la relation de Marin et Dory est nettement mieux approfondie que celle de Marin et Nemo. La force narrative des deux ne sont clairement pas du même niveau. Les aventures de Marin à la recherche de son fils au fin fond de l'océan sont, en effet, variées, passionnantes, colorées et souvent drôles avec l'intervention de Dory. Il y a là, un road trip dans toute sa splendeur avec ses qualités (découvertes de multiples lieux et personnages) et ses défauts (le côté épisodique). Les aventures de Nemo dans l'aquarium sont, elles, en revanche, bien moins palpitantes. Rencontrant des personnages caricaturaux et finalement pas très attachants, ses péripéties sont poussives et convenues au point de plomber l'expression de la métaphore sur le fait de grandir et de prendre confiance en soi. Après, et certes, il est aussi possible de voir dans la faiblesse du second arc narratif la manifestation inconsciente du peu d'intérêt de la vie d'un poisson enfermé dans son bocal. Cela dit, une chose reste sure et irrémédiablement dommageable à l'ensemble : à chaque fois que le récit devient palpitant dans un arc, le montage coupe l'élan en contraignant le spectateur frustré à changer d'univers. Déjà handicapé par une histoire convenue à l'excès, Le Monde de Nemo perd ainsi encore plus d'intérêt par cette fâcheuse habitude à sabrer net tout sursaut narratif. Et que dire, enfin, des blagues de bas étages pipi caca, un trop présentes et qui n'apportent rien, si ce n'est des rires de consternation.
Si un élément dans Le Monde de Nemo met tout le monde d'accord, c'est bien sa technique d'animation irréprochable ! Le monde aquatique y est, en effet, tout à la fois plus vrai que nature sans tomber pour autant dans un réalisme à outrance. Les poissons sont certes anthropomorphes mais restent tout de même des poissons. Les décors sont eux époustouflants avec des fonds sous-marins à la fois très colorés mais arborant également des tons pastels apaisants et enivrants. Rien que l'utilisation de cette palette de couleurs peut expliquer le succès du film ! Face à elle, le spectateur n'a, il est vrai, qu'une envie : celle de plonger dans les fonds sous-marins. Il faut dire que l'opus fait la part belle aux espèces marines les plus connues dans l'inconscient collectif : des poissons exotiques aux requins menaçants ; des tortues de mers aux cétacés majestueux sans oublier les ténèbres abyssales avec ses monstres impressionnants, parfaits contraires de la banalité des pélicans et autres mouettes de la surface. La partie « aquarium » répond bien sûr au monde du silence de manière tout aussi convaincante mais, fort logiquement, bien plus plastique, moins organique avec, par exemple, ses couleurs fluo bien peu naturelles au final. Même la modélisation des humains a, pour le film, fait un sacré bon en avant. Mise à part Darla qui n'est pas des plus convaincantes, son oncle, le dentiste, apparait lui vraiment crédible. S'il est perfectible coté scénario, Le Monde de Nemo est donc, au contraire, une totale et parfaite réussite technique, se plaçant largement au dessus de la concurrence de l'époque pour tout ce qui concerne l'animation assistée par ordinateur. D'ailleurs, chose rare, quelques dix ans après, l'opus n'a pas pris une ride !
Le Monde de Nemo comporte pléthore de personnages, pour la plupart
grandement réussi.
Marin, le poisson clown, est ainsi le héros de l'histoire. Père du petit Nemo,
il vit au tout début du récit un drame qui marque à jamais sa vie. Il perd, en
effet, sa femme et quasiment toute sa progéniture à naitre alors même que le
couple vient de décider de s'installer en bord de récif. Seul l'œuf de Nemo
échappe ainsi à l'appétit d'un barracuda prédateur. Marin se promet dès lors de
tout faire pour protéger son fils quitte à devenir par trop protecteur. Le film
s'attèle de la sorte à montrer le long cheminement, au sens propre comme figuré,
suivi par Marin pour abandonner sa culpabilité vis à vis de sa femme et la
promesse qu'il s'est faite de protéger à tout prix son fils. Il doit ainsi
apprendre à faire confiance et laisser vivre. C'est donc par lui que le film
tout entier véhicule l'émotion. Que cela soit avec Dory ou avec Nemo, Marin
apporte, en effet, toute la tendresse - parfois larmoyante - à l'ensemble et,
force est de constater, qu'il fait mouche à chaque fois ! Ses retrouvailles avec
son fils ou sa découverte des blessures de Dory sont, par exemple, de très forts
moments du film en ce sens qu'ils transmettent parfaitement aussi bien sa
détresse que sa culpabilité. C'est l'humoriste Franck Dubosc qui interprète,
tout en nuance, Marin en version française. Loin de ses pitreries habituelles,
il étonne l'auditoire par son ton toujours juste.
Nemo est un petit poisson clown comme les autres à la nuance près qu'il a une nageoire atrophiée, raison supplémentaire pour son père de le surprotéger. Il ne recherche dès lors qu'une chose : voir son paternel lui faire assez confiance pour le laisser vivre sa vie et découvrir le monde. C'est d'ailleurs par réaction à sa prison d'amour que, sur un coup de tête, après avoir désobéi, il se retrouve prisonnier dans l'aquarium d'un dentiste, à l'autre bout de la planète. Il va devoir ainsi apprendre à appréhender sa peur mais aussi grandir pour trouver le courage de s'évader. Pour autant, malgré un rôle affichant de belles capacités narratives sur le papier, Nemo n'arrive jamais à faire véritablement vibrer les spectateurs. Il n'arbore au final qu'une personnalité d'une banalité affligeante.
Dory est assurément avec Marin le personnage le plus intéressant du film. Ce poisson chirurgien bleu femelle subit, en effet, des pertes de mémoire immédiate qui la rendent attachante à souhait. Elle oublie ainsi toutes les cinq minutes ce qu'elle vient de faire, ce qu'elle a dit ou qui elle a rencontré. Il s'en suit des scènes cocasses et des dialogues savoureux à l'exemple de la scène où elle se trompe constamment de prénom pour Nemo. Croisant simplement la route de Marin, elle se met spontanément à sa disposition pour l'aider à retrouver son fils. Touchante, elle cherche, en réalité, à combler sa grande solitude. En se mettant en quête de Nemo, aux côtés de Marin, elle fait - sans forcément s'en rendre compte - coup double : trouvant une place et un ami. Le public ne peut que s'attacher à ce personnage au bagou d'enfer, à la naïveté déconcertante, confiance aveugle et joie de vivre communicative. Sa voix est assurée en anglais par la dynamique Ellen DeGeneres tandis qu'en France, Céline Monsarrat, connue pour être la voix de Julia Roberts, fait elle aussi des merveilles.
Thème marin oblige, Le Monde de Nemo jouit d'une ribambelle de
personnages secondaires plus ou moins bien définis. Ils se partagent entre le
monde sauvage (l'océan) et le monde domestiqué (l'aquarium).
Ce dernier est sans aucun doute celui où se retrouvent les personnages les plus
faibles, narrativement parlant. Gill, le zancle, interprété en anglais par
Willem Dafoe en est un parfait exemple. Alors qu'il est censé être le mentor de
Nemo dans l'aquarium, il ne parvient jamais à développer un once de
capital-sympathie. Il faut dire qu'il commence mal avec sa tentative de
sacrifier le petit pour servir ses propres intérêts, même s'il en éprouve
quelques remords par la suite... Les spectateurs ne peuvent, en réalité, que se
détourner de lui ou tout du moins ressentir une méfiance à son égard. Sur
d'autres registres, ses compagnons de capture n'affichent pas un meilleur bilan.
Tous (Boule, Astrid l'étoile de mer, Bubbles, Gargouille, Debbie -et son reflet
Flo- ou encore Jacques la crevette) sont, en effet, sans grand intérêt. En
réalité, les concernant, seul est à souligner la participation de Joe Ranft en
anglais et de David Ginola en français pour assumer la voix du personnage
français de l'histoire, Jacques...
Côté océan, la galerie de personnages est autrement plus enthousiasmante. Au
sein d'elle, deux toons sortent véritablement du lot. Bruce, le requin devenu
végétarien, est le premier d'entre eux. Alors son espèce faisait de lui le
méchant automatique (et convenu) de l'histoire, le réalisateur a eu l'excellente
idée de prendre le contre-pied de sa réputation de prédateur féroce en le
rendant quasi inoffensif. Avec toutefois une vraie limite : il ne faut surtout
pas avoir la mauvaise idée de saigner devant son nez, au risque de réveiller ses
plus bas instincts, fournissant au passage l'une des plus belles scènes du film.
Le second personnage vraiment sympathique du Monde de Nemo est à n'en pas douter
Crush, le papa tortue de 150 ans. Doublé en français par Samy Naceri et en
anglais par Andrew Stanton lui-même, il arbore, en effet, un côté de père cool,
parfait opposé de Marin. Sa scène dans le Courant-Est-Australien, fun à souhait,
donne ainsi une belle énergie à l'opus tout entier.
A coté de l'univers marin, se retrouvent les personnages humains qui sont autant et indirectement les méchants de l'histoire. Le dentiste est ainsi celui par qui tous les problèmes arrivent. Pourtant, il ne fait « que » capturer le petit Nemo pour assouvir sa passion de l'aquariophilie, qu'il maitrise pleinement et respectueusement. Sa véritable faute est donc à rechercher ailleurs : dans son idée d'offrir Nemo à sa peste de nièce, Darla. La fillette est l'archétype de la chipie, jusqu'à la présence de l'appareil dentaire démesurée qui « orne » sa bouche. Le personnage s'inscrit d'ailleurs dans la plus pure tradition de gamin méchant pixarien, inauguré par son pendant masculin, l'affreux Sid de la saga Toy Story...
Si le casting du (Le) Monde de Nemo n'est pas sans reproche, sa bande originale ne peut en revanche souffrir d'aucune critique. Sa genèse marque d'ailleurs un tournant chez Pixar puisque la partition n'est plus demandée à Randy Newman, auteur des musiques des films précédents, Toy Story, 1001 Pattes (a bug's life), Toy Story 2 et Monstres & Cie mais à son cousin, Thomas Newman. Il livre ainsi à l'opus une tonalité musicale différente de ses prédécesseurs avec une sensation d'immensité et plénitude tout à fait bienvenue. La splendide musique sait à la fois souligner parfaitement l'action mais aussi accompagner à merveille les quelques scènes de contemplation ; la reprise par Robbie Williams de Beyond the Sea, adaptation en anglais de la chanson La Mer, interprétée par Charles Trenet en 1946 venant dès lors comme une cerise sur la gâteau...
Le Monde de Nemo se voit plébiscité par la presse au même titre que les autres films Pixar. Nommé pour quatre oscars (Meilleur Film d'Animation, Meilleure Musique, Meilleur Scénario Original et Meilleur Montage Sonore), il remporte pour la première fois dans la vie de son label l'Oscar du Meilleur Film d'Animation. Le public, quant à lui, ne se fait pas prier pour suivre les aventures du petit poisson. Il fait de l'opus le meilleur film d'animation de tous les temps au box-office américain, dépassant le record détenu jusqu'alors par Le Roi Lion. Contrairement à Simba et Mufasa, Marin et Nemo ne le conservent pourtant pas bien longtemps puisque l'année suivante il tombe au profit de Shrek 2 de DreamWorks Animation. Le film restera, par contre, le meilleur résultat d'un film Disney ou Pixar jusqu'en 2010 où il sera dépassé par Toy Story 3. En France, le long-métrage brille autant en devenant le meilleur film de l'année au box-office avec le score ahurissant de 9,3 millions d'entrées !
Un tel résultat commercial amène avec lui un important merchandising,
toujours développé des années après sa sortie. Le Monde de Nemo décroche
également l'honneur d'une ressortie en 3-D le 14 septembre 2012 aux États-Unis
et le 16 janvier 2013 en France.
Côté parcs à thème, le film ouvre la voie à de nombreuses déclinaisons. Il y a
d'abord Turtle Talk with Crush, prouesse technologique à son lancement, sorte de discussion interactive avec Crush, proposée à
Epcot, Disney California Adventure,
Hong Kong Disneyland et Tokyo DisneySea. Submarine Voyage à
Disneyland est ensuite relooké
avec Nemo et devient Finding Nemo Submarine Voyage tout comme
The Seas à Epcot changé en
The Seas with Nemo & Friends. Enfin, Finding
Nemo – The Musical est proposé au Disney's Animal
Kingdom tandis que le Parc
Walt Disney Studios à Paris ont droit à Crush's Coaster au succès
dépassant toutes les attentes.
Pixar non dépourvu de défauts (dont certains pèsent leur poids à l'exemple de son histoire somme toute banale, de ses personnages secondaires peu rayonnants ou de son niveau d'humour malvenu), Le Monde de Nemo n'en reste pas moins une réussite à part entière avec un thème, des couleurs et des rôles principaux enthousiasmants.