Monstres & Cie
Le synopsis
Dans une dimension parallèle, les monstres vivent paisiblement une existence somme toute très proche de celle des humains. A une différence prés toutefois, la politique énergétique de leur cité menée par le trust "Monstres & Cie", repose, en effet, sur la puissance extraite des cris des enfants terriens. Ainsi, chaque nuit, les équipes de chocs de la compagnie traversent les portes des placards des chambres des bambins humains et les effraient pour recharger leurs piles d'énergie.
Pour cette mission, le duo formé par Jacques Sullivent et Robert Razowski est le plus efficace. Pourtant, ces meilleurs "terreurs d'élite", font l'incroyable bévue de laisser une petite fille humaine, Bouh, s'introduire dans leur dimension. Or, la propagande de la Direction de "Monstres & Cie", entretient l'idée que les enfants sont mortellement dangereux pour les monstres...
La critique
Monstres & Cie est le quatrième film et chef d'œuvre des studios Pixar. Ils livrent avec lui un véritable petit bijou où la maîtrise technologique accompagne un solide scénario à l'inventivité foisonnante d'humour et d'emotions.
Après Toy Story 2, Pixar est à un tournant
de son histoire. Le succès du film dont les recettes dépassent les 245 millions
de dollars met, en effet, le studio à l'abri du besoin. La seule - et risible -
ombre au tableau est à chercher dans des considérations immobilières. Les
artistes pixariens, qui fêtent en 2001 le quinzième anniversaire de leur
signature, se retrouvent, il est vrai, à l'étroit dans leurs locaux initiaux.
Historiquement, Pixar, créé en 1986, s'implante à San Rafael au nord de San
Francisco. Il déménage une première fois en 1990 pour s'installer dans des
locaux du Point Richmond Tech Center à Richmond, situé alors de l'autre côté de
la baie de San Francisco. Rebelote dix ans plus tard à Emeryville, juste à côté
de Berkeley. Steve Jobs, le double patron d'Apple et de Pixar, investit, en
effet, dans des bâtiments de plus de 20 000 m² et décide de rapatrier tous les
employés dans un seul et même ensemble, à la fois pratique et convivial. Plus
spacieux, les nouveaux locaux rendent réaliste la planification d'un
long-métrage par an et permettent également aux artistes de conserver une
ambiance propice au bouillonnement créatif. Le studio flambant neuf est livré en
2000 ; Monstres & Cie devenant le premier film à en sortir l'année
suivante.
La mue de Pixar ne s'arrête pas là. Une autre évolution de taille se produit : John Lasseter ne prend, en effet, pas les rênes de la nouvelle production. Alors qu'il a signé les trois derniers longs-métrages pixariens, coups sur coups, (Toy Story, 1001 Pattes et Toy Story 2), le génie du studio à la lampe de bureau fait, il est vrai, une pause. Exténué par sa mission de pompier sur la production calamiteuse de Toy Story 2, il décide de prendre du champ pour se ressourcer. Il ne déserte pourtant pas le pont et continue de veiller à la destinée du paquebot Pixar. Il choisit ainsi de confier la réalisation de Monstres & Cie à Pete Docter, un jeune artiste "maison", pilier du studio, depuis 1990.
Il faut dire que ce dernier a en tête une histoire dont le point de départ,
d'une simplicité étonnante, offre l'opportunité d'un récit fantastique et
redoutablement efficace.
Fasciné par tout ce qui prend vie dans le noir, le jeune réalisateur part, en
effet, de la fameuse légende enfantine des monstres cachés dans le placard pour
exploiter le postulat selon lequel les peurs inconscientes des enfants
reposeraient sur une réalité parallèle. Le raisonnement est ensuite poussé à son
comble et renversé : les enfants ont peur des monstres qui eux-mêmes ont peur
des enfants ! Il reste ainsi aux artistes de Pixar de broder autour du thème en
cherchant à expliquer pourquoi les monstres effraient les bambins. Cassant les
conventions, refusant l'image d'Epinal des affreux qui font peur par pur plaisir
sadique, ils choisissent de suivre la piste professionnelle et construisent
autour des considérations dignes des sociétés humaines modernes, notamment les
problèmes énergétiques ou sécuritaires.
Tous les ingrédients sont sur la table pour établir un récit truculent. Les peurs d'enfance sont, en effet, décortiquées avec humour et tendresse et servent de prétexte à la révélation d'un monde parallèle, vrai miroir d'une mégalopole humaine contemporaine. Toute la mécanique du film est ainsi redoutablement huilée. Le spectateur adhère d'ailleurs, tout de go, à l'idée de départ (Qui n'a jamais, en effet, regardé sous son lit ou dans son placard pour vérifier qu'aucun méchant monstre ne s'y trouvait ?) et se laisse ensuite transporter dans un univers à la fois unique et commun. Les clins d'œil aux travers des sociétés occidentales modernes, gentiment raillées (les chaines d'information en continu et les équipes d'intervention de la protection civile en prennent pour leur grade...) sont permanents et participent à l'adoption instantanée des personnages qui les servent. Les monstres sont, à l'évidence, des humains plus vrais que nature, offrant même le visage d'une société multiethnique idéale, paisible et cordiale. Basée à l'origine sur la crainte, le récit se révèle, en réalité, terriblement optimiste. Sa conclusion est d'ailleurs étonnante de surprises ; le dernier quart d'heure offrant un incroyable bouquet final entre poursuites dans un "hangar-roller coaster" et escapades aux quatre coins du monde.
Si l'incontestable originalité du récit est le meilleur atout du film, les
personnages de Montres & Cie ne sont pas en reste sur le registre de la
perfection. Ils combinent en effet un réalisme visuel incroyable et un potentiel
de capital sympathie exceptionnel.
Sulli, de son vrai nom Jacques Sullivent, (doublé en V.O. par la voix
chaleureuse de John Goodman) est le premier d'entre eux. Terreur d'élite N°1, il
est reconnu par tous pour son efficacité au service de la récupération d'énergie
pour Monstropolis. Rien d'étonnant à cela. Haut de 2,40 mètres, disposant d'une
fourrure turquoise ornée de taches violettes, arborant une paire de cornes, il a
tout du monstre horriblement menaçant. Il est sans aucun doute la dernière chose
qu'un enfant voudrait trouver dans son placard. Pourtant, ce redoutable
"collecteur de cris" voit sa conception de la vie bousculée par une petite fille
humaine qui réussit, en pénétrant par inadvertance dans son monde, à percer son
armure. Elle lui permet de se libérer du carcan dans lequel la firme l'a enfermé
et de développer son propre libre-arbitre, à commencer par l'écoute de sa fibre
paternelle. Contre toute attente, cet "alien" qui ne dit pas son nom prend alors
des airs de nounours en peluche, à câliner à l'envie. Bouh ne s'y trompe
d'ailleurs pas en l'appelant instinctivement "Minou".
Le complice de Sulli est Robert Razowski, dit Bob. Appartenant à la catégorie des petits monstres, bagarreur bien que dépourvu d'une réelle force physique, il se caractérise par son esprit vif et son œil unique. Attaché de stress de son terreur d'élite d'ami, il en est son parfait contraire. D'une assurance inversement proportionnelle à sa taille, il joue, il est vrai, les bogosses à la moindre occasion, autant pour séduire l'hôtesse d'accueil Celia dont il est éperdument amoureux que pour faire tourner en bourrique la chef de service, Germaine. Fidèle en amitié, seule l'intrusion inopinée de Bouh fait tanguer, un temps, son duo avec Sulli : Bob, à la réputation de rebelle, va en effet se montrer, d'un conservatisme à peine croyable. Outre sa personnalité remarquablement définie, le personnage brille par son animation. Sa conception ultra simple au premier abord (ce n'est qu'un globe oculaire sur pattes !) cache, en réalité, des trésors d'animation. L'expressivité de son visage lui offre, il est vrai, un panel d'émotions d'une rare définition. Il en ressort un adorable personnage, à la bouille inoubliable et la voix magnifiquement interprétée, en anglais, par Billy Cristal.
Pixar n'a jusqu'alors jamais vraiment brillé pour ses personnages humains. Toy Story et Toy Story 2 apparaissent, en effet, sur ce registre comme des manœuvres d'essai. Les hommes et femmes y sont, il est vrai, ni tout à fait réussis, ni très attachants. Bouh marque la fin du temps des expérimentations dans le domaine. La petite fille, échappée de son monde et recueillie par Sulli et Bob, est assurément humaine jusqu'au bout des ongles. Totalement innocente, s'exprimant par onomatopées, elle est un vrai personnage de pantomime : quasi-muette dans le film, elle ne communique que par des mimiques, parfaitement expressives. Haute comme trois pommes, Bouh fait ainsi entrer Pixar dans une nouvelle dimension, celle de l'émotion. Difficile en effet de résister à la scène finale où elle et Sully se quittent...
Comme tout bon film d'animation qui se respecte, Montres & Cie dispose d'un méchant charismatique. Léon Bogue assume à merveille ce rôle. Première frayeur de Bouh, ce monstre mi-lézard mi-caméléon, doté de huit pattes, parvient comme personne à se fondre dans le décor et se faufiler partout. Ne pouvant se contenter de la place de terreur d'élite n°2, il n'a de cesse de tenter de ravir la plus haute marche du podium à Sulli, quitte pour cela, à accepter toutes les compromissions.
Enfin, dans le registre des personnages secondaires, Germaine surclasse tous
ses camarades. Son physique ingrat symbolise, en effet, à lui seul son rang dans
la compagnie. Archétype des secrétaires grincheuses et tatillonnes, elle
conserve Bob dans sa ligne de mire, tant il s'évertue à la défier par goût du
jeu. Le spectateur, quant à lui, s'amuse sans mal à retrouver en elle une
"vieille connaissance" forcément croisée dans sa vie professionnelle, au détour
d'un bureau poussiéreux...
A coté de Germaine, Monstres & Cie livre toute une galerie
impressionnante de personnages. De Célia, l'hôtesse d'accueil et petite amie de
Bob à Henri Waternousse, le PDG de Monstres & Cie, en passant par les employés
de l'entreprise ou les simples habitants de Monstropolis, le foisonnement est
tel qu'il rend incontestable la réalité du monde parallèle des monstres.
L'incroyable pari du film est, en partie, remporté là : rendre réel un
univers imaginaire !
Récit original, personnages bluffants, le bilan de Monstres & Cie ne
s'arrête pas là ! Sa technique marque en effet un nouveau bond qualitatif dans
l'animation 3D. Beaucoup plus fluide et naturelle que celle des précédentes
productions jusqu'ici réalisées, Pixar démontre une nouvelle fois sa capacité à
porter toujours plus loin son art. La fourrure de Sulli résume à elle seule
l'incroyable maitrise technologique du studio : toute en densité, légèreté et
fluidité, elle est crédible aussi bien dans ses mouvements que dans l'aspect de
sa texture. Les autres matières bénéficient d'ailleurs du même traitement, à
commencer par les écailles de Léon ou la peau vert-pomme de Bob.
Les décors, quant à eux, sont somptueux ; le souci du détail y étant
particulièrement bluffant. Le travail sur l'atmosphère restituée est ainsi
remarquable d'efficacité. Chaque tableau offre en effet un rendu d'une rare
intensité. La scène sur les cimes de l'Himalaya est à ce titre époustouflante
tout comme, sur un autre registre, la rue où habitent Bob et Sulli. Le choix des
couleurs chaudes pour les façades d'immeubles y rend, il est vrai, le passage
extrêmement chaleureux, au contraire assumé de l'aspect métallique et froid de
l'usine.
Côté musique, Montres & Cie joue la sécurité. Randy Newman reprend, ainsi, pour la quatrième fois du service chez Pixar après Toy Story, 1001 Pattes et Toy Story 2. Maitrisant son sujet, il fixe son choix sur une musique jazzy, mélodieuse et entêtante, collant à merveille à l'aura de joie et de fantaisie qui se dégage du film. Il compose également une chanson pour le générique interprétée par les deux personnages principaux, Sulli et Bob, doublée respectivement par John Goodman et Billy Crystal en VO. La chanson remporte fort logiquement l'Oscar de la Meilleure Chanson.
Monstres & Cie est également nommé pour l'Oscar du Meilleur Son et
l'Oscar de la Meilleur Musique. Il reçoit aussi une quatrième nomination, et pas
la moindre, celle du Meilleur Film d'Animation. C'est, en fait, la première
année qu'un tel prix est décerné. Les Oscars cessent avec cette nouvelle
catégorie de snober les films animés, réduits jusqu'à présent à ne recevoir que
des récompenses techniques ou musicales. Le seul film d'animation a avoir, en
effet, été nommé pour l'Oscar du Meilleur Film reste (et restera donc !) La Belle
et la Bête.
Le succès critique et financier du
(Le) Roi Lion a, en effet, contribué à changer la
donne. Il amène, dans son sillon, de nombreux studios à se lancer dans le
désormais lucratif marché de l'animation. Au même titre que la Bande Dessinée
dans le monde de l'édition, les films animés deviennent incontournables dans
l'industrie cinématographique. Le marché américain, trusté jusqu'alors par
Disney est ainsi attaqué de toute part par les majors du cinéma traditionnel. La
rupture entre les récompenses décernées (Oscars en tête) par les professionnels
et le choix du public est ainsi manifeste. L'arrivée des productions Pixar rend
l'injustice un peu plus flagrante. Encensé, film après film, par la critique et
le public, le studio ne décroche, en effet, que des prix techniques. L'absurde
est atteint avec
Toy Story 2 qui gagne le Golden Globes du
Meilleur Film pour une comédie et se contente aux Oscars d'une nomination pour
la Meilleure Musique. Sentant la rue gronder, l'Académie crée, enfin, en 2002,
la catégorie du Meilleur Film d'Animation. Si le genre peut se féliciter d'être
désormais pleinement reconnu, il peut aussi regretter de se voir ainsi
cloisonné. 2002 - Année 1 pour l'Oscar du Meilleur Film d'Animation se
distingue aussi par une fournée de nominations exclusivement composée de
longs-métrages 3D : Shrek, Monstres & Cie et Jimmy Neutron : Un
Garçon Génial. Atlantide, L'Empire Perdu,
le dernier film d'animation 2D de Disney, est superbement ignoré, cédant sa
place au pitoyable Jimmy Neutron : Un Garçon Génial : un comble pour le
studio référence des longs-métrages d'animation depuis 1937 !
Aux Oscars, 2002 est d'ailleurs une annus horribilis pour la firme de Mickey : sa
coproduction Pixar (les deux studios ne sont que partenaires à l'époque) rate la
précieuse récompense. Le contestable ogre vert Shrek (DreamWorks) met, en
effet, K.O. le monstre bleu Sulli !
La consolation viendra du public et du tiroir caisse : Monstres & Cie,
avec un résultat de 255 millions de $, bat le record des films Pixar (même si
Shrek - encore lui ! - amasse dans le même temps 13 millions de $ de plus).
Film empli de charme et de poésie, à l'aventure originale et aux personnages ultra-attachants, Monstres & Cie est une pépite du cinéma d'animation 3D.