WALL•E
Le synopsis
Originairement destiné au seul compactage des déchets, WALL•E, un petit robot produit en grande série, a développé, contre toute attente, une personnalité complète, notamment marquée par une curiosité insatiable et une ingéniosité à toute épreuve.
Seul survivant de sa génération, il accomplit ainsi soigneusement sa tâche depuis 700 ans sur une terre désertée par les humains pour cause de pollution irréversible. Son existence semble ne pas devoir changer quand une robot sonde, nommée EVE, débarque de l'espace pour détecter une trace de régénérescence de la planète bleue. WALL•E en tombe aussitôt amoureux et entreprend de la séduire. Les ennuis commencent alors pour lui...
La critique
A chaque Pixar, ou presque, une question revient, lancinante. Mais où les équipes du studio à la lampe de bureau s'arrêteront elles ? Chaque nouvel opus repousse, en effet, plus loin encore l'exigence de qualité déjà placée haute pour le film précédent. Chez Pixar, depuis sa création, la règle semble immuable : une pépite en cache toujours une autre. Et pourtant, souvent, aux premiers instants de la révélation d'un nouveau projet, le scepticisme l'emporte. La distillation d'informations savamment organisée auprès du public, montant en puissance au fur et à mesure de la date de sortie approchant, donne lieu régulièrement à de vifs débats sur le premier « raté » supposé du turbulent studio de Luxo Jr. WALLE n'a pas échappé à la règle. Pire, il a été particulièrement malmené avant même de voir le jour ! L'histoire d'un robot quasi muet, tombant amoureux, laissait perplexe des millions de fans à travers le monde. Pixar courait à l'accident industriel : la chose était écrite. Mais voilà, c'est aller vite en besogne que de juger une œuvre sur de simples informations tronquées. A l'heure d'internet tout puissant, il convient d'être extrêmement prudent sur les débats qui suivent les fuites habilement orchestrées sur le scénario, les personnages ou la bande son d'une œuvre à venir. Rien ne remplace le visionnage du film dans son intégralité : voilà une évidence qu'il est bon de rappeler. WALLE, annoncé des mois durant comme une future tache dans le catalogue Pixar, en est, en réalité, le plus beau joyau !
La genèse du film remonte à la naissance même de Pixar. Bien avant la sortie de Toy Story sur les écrans américains, lors de l'été 1994, alors que leur premier film d'animation totalement en images de synthèse est en simple phase de production et que rien ne présume de l'accueil qui lui sera réservé, les responsables du jeune et déjà turbulent studio, Pixar, (John Lasseter, Pete Docter, Andrew Stanton et feu Joe Ranft) imaginent leur deuxième long-métrage. Plusieurs trames sont envisagées : une première sur les insectes qui aboutira à 1001 pattes, une autre sur les peurs enfantines qui donnera Monstres & Cie, une encore sur l'univers marin qui prendra vie avec Le Monde de Nemo, une enfin, sur un petit robot, dernier survivant d'une Terre dévastée par la pollution. Cette dernière, la plus longue à voir le jour, ne quittera plus Andrew Stanton. Si l'idée le fascine et l'obsède, la raison l'emporte : jugée trop nouvelle et avant-gardiste, il la met de côté pour s'atteler à un autre projet, moins risqué bien que tout aussi enthousiasmant, Le Monde de Nemo. L'Histoire lui rendra néanmoins justice : il signe en effet, avec son poisson clown, le plus gros succès au box-office pour un film Pixar. L'une des premières conséquences de ce triomphe est de lui donner l'oreille attentive des décideurs du studio, désormais « bizarrement » plus réceptifs pour l'écouter sur « son » projet WALLE.
Natif du Massachusets, Andrew Stanton se forme à CalArts (California Institute of the Arts), dont il sort licencié en animation de personnages. Ses courts métrages, Somewhere in the Arctic, lauréat du Nissan Focus Award et A Story lui ouvrent les portes de Pixar en qualités de directeur de l'animation et réalisateur de films publicitaires. Entré dans le fameux studio en 1990, il est alors la neuvième personne à rejoindre l'équipe de pionniers de l'animation par ordinateur formée par John Lasseter, et en devient le deuxième animateur. Scénariste sur chacun des longs métrages du studio jusqu'au (Le) Monde de Nemo, il a gagné l'Oscar du Meilleur Script pour Toy Story sorti en 1995. Il coréalise 1001 pattes en 1998 aux cotés de John Lasseter. Producteur exécutif de Monstres & Cie en 2001, Andrew Stanton est, en 2003, auteur, coscénariste et réalisateur du (Le) Monde de Nemo. Il signe alors le plus grand succès de l'histoire de l'animation aux Etats-Unis quelques semaines après sa sortie. Il faudra attendre Shrek 2 en 2004 pour le voir perdre ce titre…
Le génie de
WALLE réside d'abord et avant tout dans la force
de son histoire. Le pitch, d'une simplicité enfantine, est terriblement
efficace. Un robot tombe amoureux d'une consœur et entend ne plus la
quitter, envers et contre tous. Si le fil conducteur est simplissime, le
discours tissé autour est, lui, d'une richesse incroyable, disposant de
plusieurs niveaux de lecture. Les plus jeunes s'émerveilleront ainsi de la
malice dont le petit robot fait preuve dans sa vie quotidienne tout comme
dans sa relation avec EVE tandis que les adultes apprécieront la réflexion
sur l'amour, le travail et le rapport aux règles, enveloppée dans une
délicieuse atmosphère poétique.
En dépit de son apparence enfantine, WALLE est
le film le plus politique et le plus militant jamais réalisé par Pixar. Plaçant la question écologique au cœur du débat, il s'interroge sur
le mal qui ronge la société actuelle. Croulant sous une technologie
omniprésente, le monde est soupçonné de perdre, chaque jour, un peu plus,
d'humanité jusqu'au point de non retour. L'attaque est féroce contre la
société de consommation accusée d'entretenir un mensonge permanent, à grands
coups de promesses jamais tenues. La surenchère constante du progrès
technique pervertit l'homme au point de le détourner de l'essentiel. Il
n'est, dès lors, plus acteur de sa vie. Pris aux pièges d'intérêts qui le
dépassent et dont il aime à se tenir à l'écart, telle l'autruche qui reste
la tête dans le sable, l'individu n'est plus maître de son destin, les
intérêts économiques et financiers ayant pris le pas sur la Chose Politique.
WALLE est une critique acerbe de la société du 21e siècle
dont il renvoie une image difficile à oublier, tant elle fait s'interroger.
L'autre
grande réussite de WALLE se trouve dans le magnifique travail
effectué sur les personnages, et notamment les deux principaux.
WALLE ou Waste Allocation Load Lifter Earth-Class (Videur Automatique pour
Lavage et Levage Classe-E) est le dernier robot encore en fonctionnement sur
la planète Terre. Vendu à des millions d'exemplaires, il a été présenté
comme le remède miracle à la résorption des déchets recouvrant le globe.
Alors même qu'il n'est qu'un simple compacteur autonome, sa société
éditrice, la BNL, en a fait, il est vrai, le fer de lance d'un traitement
anti-pollution dont l'intérêt se limite, pourtant, à canaliser les déchets,
là où il aurait fallu en réduire la production. WALLE façonne donc depuis
700 ans, avec les ordures qu'il ramasse, de petits cubes qu'il empile et
dresse précautionneusement en gigantesques gratte-ciels. Dans l'intervalle,
les hommes ont fui la planète que le changement climatique a rendue hostile.
Programmé pour effectuer une tâche répétitive, le petit robot devait, comme
ses congénères, un jour s'arrêter de fonctionner, faute d'entretien et
d'énergie. Mais voilà, une anomalie dans sa conception l'a rendu conscient
au point de développer une personnalité complète et un instinct de survie
indéfectible. WALLE est une pure merveille que le pouvoir de l'animation 3D
a sublimé. Alors même qu'il ne prononce que de rares mots et quelques sons,
toutes ses émotions passent, en effet, par ses airs, postures et attitudes.
Terriblement attachant, il se révèle, tour à tour, vrai, entier, naïf,
peureux, courageux, romantique, malicieux, délicat… Pas une once de
méchanceté ne l'habite. Si sa solitude lui pèse, il continue pourtant
fidèlement sa tache. Sans jamais faillir. Persuadé de l'utilité de son
action. Collectionneur, il sauve des trésors qu'il amasse patiemment pour un
jour peut-être les partager. Jour qui ne semble jamais devoir venir. Aussi,
quand il arrive enfin, le spectateur est prêt à croire à l'histoire d'amour
qui va naître sous ses yeux. WALLE mérite d'aimer et de l'être en
retour. Nul doute à cela.
EVE ou Extra-terrestrial Vegetation Evaluator (Evaluateur de Végétation
Extraterrestre) est le total opposé de WALLE. D'une technologie bien plus
avancée, elle ne semble pas faite, comme lui, de bric et de broc. D'une
apparence parfaite aux contours fluides, elle est, contrairement à son
prétendant, dotée d'armes de destruction et se déplace en volant... Elle est
présente sur Terre pour une mission bien déterminée dont elle n'entend pas
être détournée, quitte à devoir pour cela user de violence. Sa rencontre
avec WALLE va pourtant changer sa vie. Elle se découvre, au contact de ce
petit robot tout sale, une vraie personnalité et surtout la capacité de
faire ses propres choix. Le spectateur suit l'évolution de "cette" robot
femelle. Apparaissant au début froide et lisse, elle dévoile, au fil du
récit, une complexité difficilement soupçonnable au premier abord.
Impossible dès lors, de ne pas tomber sous le charme…
Au delà de ses deux rôles principaux, le long-métrage est truffé de petits
personnages secondaires tout aussi attachants.
Le tout premier d'entre eux est un cafard, seul compagnon de WALLE sur la
Terre abandonnée. Sa relation avec le petit robot est celle d'un animal
domestique avec son Maître bienveillant.
La
deuxième partie du film fait place, elle, à une galerie de personnages
impressionnante. WALLE rencontre, en effet, une multitude de robots, petits
ou grands, dont le trait de caractère commun est d'être tous dotés d'une
mission, souvent unique, qu'ils prennent à cœur de réussir. Quand, en plus,
une panne ou un disfonctionnement vient les perturber, le résultat est
détonnant.
Le plus réussi de l'équipe joue un rôle de fil rouge tout au long
du périple de WALLE. M-O, ou Microbe Obliterator (Destructeur de Microbe),
hilarant en tout point, n'a, en effet, qu'un seul but dans l'existence :
maintenir propre ! L'arrivée de WALLE, aux chenilles motrices remplies de
poussière terrienne, va bien évidemment beaucoup le contrarier…
Les derniers personnages du long-métrage, en ordre d'importance, sont les
humains. Héros de l'histoire secondaire de WALLE, ils restent toujours en
arrière plans. Ils apparaissent d'ailleurs paradoxalement les moins
empreints d'humanité. Dénués de consistance réelle, ils sont tous façonnés
de la même façon. Leur personnalité est endormie : ils subissent plus qu'ils
n'agissent et n'ont pas de conscience développée, si ce n'est de celle de
consommer encore et toujours…
L'histoire et les personnages sont accompagnés d'une musique signée de Thomas Newman. Collant parfaitement au film, soulignant magnifiquement actions et émotions, elle participe à l'impression de grande qualité de l'ensemble. Un superbe travail de bruitage, accompli parallèlement pour permettre aux personnages de s'exprimer par bips et cliquetis, vient d'ailleurs renforcer ce sentiment.
Pixar est le roi de l'animation 3D ! C'est une chose de le dire, c'en est une autre de le constater. WALLE constitue un sans-faute technique : la réussite est totale. Les images sont, en effet, tout simplement exemplaires. Tout a l'air absolument réel. La vision de la terre apocalyptique est bluffante à souhait. La fluidité des mouvements, mécaniques ou humains, est incroyable, le souci du détail constant. Dans cet environnement parfaitement maitrisé, les artistes ont toutefois fait le choix d'un parti prix esthétique - une coquetterie ? - quelque peu déroutant : des acteurs "live" représentent, il est vrai, l'Homme avant son départ de la Terre, tandis que les images de synthèse reprennent droit au chapitre pour l'apparence humaine quelques 700 ans plus tard. Le stratagème, censé symboliser la perte d'humanité, offre un curieux rendu. Se justifie t'il pour autant ? La question reste posée.
WALLE,
comme il est d'usage chez Pixar, connait de nombreuses influences.
Certaines, telles les airs de R2D2 de Starwars ou de
Short Circuit et de sa suite Appelez-moi Johnny 5, ne
sont que pures coïncidences. Leurs existences sont à rechercher ailleurs. Le
réalisateur Andrew Stanton estime, en effet, simplement, sans référence
aucune à ses illustres prédécesseurs, qu'un binoculaire permet techniquement
de mieux exprimer un regard. En revanche, il livre à 2001, l'odyssée
de l'espace un clin d'œil assumé et appuyé dans une scène drolissime
où la destinée des hommes, aseptisée à l'excès, est toute entière laissée
entre les mains d'un Hal plus vrai que nature, à la nuance près qu'il peut,
ici, être éteint comme un vulgaire radiateur électrique !
Pour la personnalité de WALLE, le réalisateur s'est directement inspiré
d'acteurs réels aux premiers rangs desquels se trouvent Charlie Chaplin,
Buster Keaton, et d'autres stars de films muets passées maitres pour
retranscrire leurs émotions par gestes. Le long-métrage emprunte également
des traits de caractères à
Bambi dont il reprend le message
pour l'écologie mais également l'utilisation parcimonieuse de dialogues,
l'émotion étant principalement supportée par la musique et l'animation.
Andrew Stanton s'amuse, en outre, à rendre un vibrant hommage à Hello,
Dolly !, la comédie musicale de la
Fox, sortie en 1969. Non
seulement, le générique de début se fait sur une chanson du film mais WALLE
découvre l'amour et développe son humanité en regardant, en boucle, une
vieille VHS du film à laquelle il tient comme à la prunelle de ses yeux. Il
tente d'ailleurs de séduire EVE, en singeant une danse de Michael Crawford
dans une scène vraiment charmante. L'influence d'Hello, Dolly !
constitue une sorte de fil rouge tout au long de l'histoire d'amour dont la
conclusion recherchée est la simple, mais touchante, possibilité, pour les
deux robots, de se tenir par la main à la manière des acteurs dans la
comédie musicale. Le romantisme est d'ailleurs omniprésent dans WALLE
: la reprise de La vie en rose d'Edith Piaf interprétée ici par Louis
Armstrong offre à ce sujet une séquence d'une rare intensité. Andrew Stanton
parvient ainsi à créer (ou recréer) le lien entre le vieux et le neuf, le
passé et le futur, dont la rupture était consommée depuis le départ des
hommes de la Terre.
WALLE est un chef d'œuvre : une fois cela dit, tout est dit !
A noter :
WALLE a remporté le Golden Globes du Meilleur Film d'Animation.