Ron Miller

Le 15 décembre 1966, le monde est sous le choc en apprenant la mort de Walt Disney, quelques jours seulement après son 65ème anniversaire. Fans, spectateurs, employés, artistes, famille... Tous pleurent celui qui était devenu une image familière aux Etats-Unis et dans le monde, et que beaucoup auraient aimé immortel. A la tête d'une des plus grandes firmes d'Hollywood, il lègue un héritage énorme que chacun espère pouvoir faire survivre à son créateur. Roy, qui a assisté son frère pendant toute sa carrière, prend immédiatement le flambeau. A sa mort, la génération suivante tente, elle-aussi, de conserver l'héritage du maître. Les filles de Walt, Diane et Sharon, se chargent des affaires privées ainsi que de quelques « branches » de l'entreprise, notamment CalArts. Roy E. Disney, le fils de Roy, prend également du galon dès 1967 en siégeant à la direction de The Walt Disney Company. Enfin, un membre de la famille encore dans l'ombre du maître, Ron Miller, le mari de Diane, devient également un incontournable, à la tête de l'entreprise pendant les décennies suivantes.

Ron Miller et Roy E. Disney en décembre 1967

Ronald (Ron) William Miller est né à Los Angeles le 17 avril 1933. Elève de la Fremont High School puis de l'Université de Californie du Sud, il intègre l'équipe de football américain du campus au cours des saisons 1951-1952 et 1952-1953. Le jeune homme, grand, sportif et carré d'épaules, est à l'époque présenté à Diane Disney, la fille de Walt. Tous les deux à l'aube de leurs vingt ans, ils se rencontrent lors d'un rendez-vous arrangé et tombent sous le charme l'un de l'autre. Présentés à leur famille respective à l'occasion du réveillon de Noël, Ron est intimidé à l'idée de rencontrer le grand Walt Disney, affirmant dans différents entretiens son plaisir de faire la connaissance de cet homme ordinaire et aimant, très éloigné de cette image de mégalomane prêtée aux producteurs d'Hollywood. Impatient d'unir sa fille avec celui qu'il considère être comme son fils, Walt assiste au mariage des deux amants le 9 mai 1954 lors d'une cérémonie organisée dans la petite église épiscopale All Saints by the Sea de Santa Barbara. L'épisode est amusant et bon enfant. Et vus que le mari et le prêtre sont footballeurs, le moment est bien vite surnommé le « Mariage Football », les figurines de la pièce montée représentant avec humour un footballeur casqué en short et une footballeuse en jeans, les vêtements habituels de Ron et Diane ! Sept mois après la fête, le 10 décembre 1954, Diane Disney donne naissance à leur premier enfant, Christopher, pour le plus grand bonheur de « papy » Walt, gaga devant ce bébé qu'il aurait cependant bien aimé voir porter son prénom.

Après son mariage, Ron Miller intègre les équipes de Disney, travaillant quelques mois à faire la liaison entre W.E.D. Enterprises et Disneyland, U.S.A., en pleine construction, apportant les plans et dessins des ingénieurs sur le site du parc, encore constitué d'hectares d'orangers. Il quitte l'entreprise quelques mois plus tard, en octobre, afin d'accomplir son service militaire dans l'U.S. Army. Il est alors stationné deux ans à Fort Ord, à Monterey, au Sud de San Franciso, où Diane vient le rejoindre. Son devoir accompli, il reprend pendant une saison sa carrière de sportif professionnel, au poste de tight end dans l'équipe des Los Angeles Rams. Il partage le terrain avec une légende du football américain, Dick « Night Train » Lane. Mais Walt, qui siège à deux reprises dans les tribunes, désapprouve cette activité. Pour lui, le football américain est un sport bien trop dangereux et un match auquel il assiste le conforte dans son opinion. Malencontreusement assommé par son coéquipier Lane, Ron Miller perd connaissance une bonne partie de la rencontre. A la fin de la saison, son beau-père lui donne enfin son sentiment sur la dangerosité de ce sport, inadapté pour un père dont la famille s'est agrandie avec la naissance de Joanna en 1956. Walt lui propose alors de reprendre place au sein de son entreprise. Miller accepte l'offre et se retire du sport professionnel. Sa réputation en prend cependant un coup car il a quitté l'université sans aucun diplôme et beaucoup moquent celui qui traine derrière lui une image de sportif idiot tombé dans la bonne famille...

Walt et Ron Miller lors d'une visite au chef français
Sam Letrone, à Pontchartrain, en 1961. 

Avec l'aide de Walt, Ron Miller intègre en 1957 la Screen Directors Guild of America, l'un des principaux syndicats de l'industrie cinématographique du pays, et rejoint l'équipe de Fidèle Vagabond au poste de second assistant réalisateur. Son travail consiste surtout à conduire le jeune acteur Tommy Kirk des studios vers les lieux du tournage. Devenu premier assistant sur Zorro et  Le Renard des Marais, Miller est également chargé de tourner plusieurs séquences d'introduction mettant en scène son beau-père et diffusée à la télévision. Il se rappelle, dans le documentaire Walt, L'Homme au-delà du Mythe, la nervosité qui est alors la sienne à l'idée de faire tourner Walt. Repéré par Bill Orr en 1955, Ron Miller, dont la place commence à se faire à Hollywood, se voit proposer par la Warner de devenir l'acteur vedette de sa nouvelle série, le western Cheyenne. Passant quelques essais, il est cependant stoppé dans son élan par Walt, qui lui offre un poste de producteur. La carrière d'acteur de Miller se termine alors avant même d'avoir commencé ! Producteur associé, le mari de Diane travaille sur plusieurs programmes comme Daniel Boone et Texas John Slaughter et quelques longs-métrages comme Un Pilote dans la Lune, Bon Voyage !, Après lui, le Déluge, Summer Magic. Promu au rang de co-producteur, il ajoute son nom au générique de L'Espion aux Pattes de Velours, Lieutenant Robinson Crusoé et Singes, Go Home !. En 1960, il assiste également son beau-père, chargé de mettre en scène les festivités des jeux olympiques d'hiver de Squaw Valley.

Après la mort de Walt puis celle de Roy, Ron Miller devient membre du Directoire de The Walt Disney Company. Producteur à part entière, il supervise la création de Frissons Garantis, Les Boatniks - Du Vent dans les Voiles, Le Pays Sauvage, Pas Vu, pas Pris, 3 Etoiles, 36 Chandelles, Un Cowboy à Hawaï. Au poste de producteur exécutif, il poursuit son travail pour les studios Disney en mettant en chantier des films comme La Montagne Ensorcelée, La Folle Escapade, Le Trésor de Matacumba, Gus, Un Vendredi Dingue, Dingue, Dingue, Un Candidat au Poil, Les Aventures de Bernard et Bianca, Le Petit Âne de Bethléem, Rox et Rouky, Taram et le Chaudron Magique et Tron. Sa filmographie en tant que producteur compte également La Coccinelle à Monte-Carlo, Peter et Elliott le Dragon, La Course au Trésor, Les Visiteurs d'un Autre Monde, Le Chat qui Vient de l'Espace, Le Trou Noir, Les Yeux de la Forêt, Le Dernier Vol de l'Arche de Noé ou La Coccinelle à Mexico, soit finalement presque tous les longs-métrages Disney sortis entre 1974 et 1982. 

Ron Miller devient Président de Walt Disney Productions en 1980, avant de s'asseoir dans le fauteuil de Directeur Général en 1983, aux côtés du nouveau PDG, Raymond Watson. Sous son leadership, il tente avec audace de diversifier les activités de la société et ses productions. Déjà, des films comme Tron révolutionnent le cinéma. Rejeté par trois studios avant d'être proposé et accepté par les exécutifs de Disney, Ron Miller est extatique à l'idée de mettre en chantier quelque chose qui, à l'époque, est parfaitement inédit. Des films comme Taram et le Chaudron Magique et Les Yeux de la Forêt se distinguent aussi par leur côté plus terrifiant mais souffrent de leur filiation directe avec le nom Disney. Walt lui-même regrettait que ses studios soient désormais enfermés dans le registre du divertissement familial l'empêchant de faire autre chose. Miller se rappelle notamment d'un visionnage du film Du Silence dans les Ombres avec sa femme Diane, et ses beaux-parents, Walt et Lillian. Il explique à quel point Disney était frustré de ne pouvoir produire ce genre de drame... Aussi, arrivé à la tête de The Walt Disney Company, Ron Miller décide de fonder en 1984 la filiale Touchstone Pictures, dont la mission est de produire des longs-métrages destinés à un public plus adultes que ceux du label Disney. Splash, avec Tom Hanks et Daryl Hannah, marque ainsi la naissance de cette nouvelle branche de la compagnie, l'une des plus prolifiques.

En dehors du cinéma, Miller investit également le secteur de la télévision payante dès 1977. Absente des écrans, The Disney Channel, finalement lancée en 1983, offre à The Walt Disney Company sa propre chaîne câblée. Miller prend également d'assaut le marché tout juste naissant de la vidéo en créant Walt Disney Home Entertainment et en mettant en vente certains succès des studios, notamment Dumbo, le premier classique animé proposé dès 1981. Ron Miller se lance en 1983 à la conquête de Broadway en mettant sur pied son premier grand spectacle, Total Abandon, avec Richard Dreyfuss dans le rôle-titre. Enfin, sous sa présidence, Epcot ouvre en 1982 et Tokyo Disneyland, le premier parc en dehors des Etats-Unis, en 1983.

Ron Miller durant la production du (Le) Petit Âne de Bethléem. 

Un pied dans tous les départements de Disney, travaillant autant avec la branche animation qu'avec la branche films en prises de vues réelles, la branche télévision et la branche théâtre, Ron Miller est certainement l'un des Présidents de The Walt Disney Company les plus visionnaires, avec une vision à long terme. Mais sa gouvernance est parasitée par d'innombrables difficultés. La division animation est en plein marasme. Et plusieurs films live ne parviennent pas à convaincre. La société Disney est dans le collimateur de nombre d'investisseurs, notamment Saul Steinberg, désireux de mettre la main dessus et de la dépecer. Menacé de l'extérieur par plusieurs OPA hostiles, Ron Miller l'est tout autant de l'intérieur. Le conseil d'administration gronde en effet. Roy E. Disney, le fils de Roy et donc cousin par alliance de Miller, complote contre celui qu'il accuse d'être à l'origine de l'infortune de la compagnie. Aux côtés de Stanley Gold et de Sid Bass, deux des actionnaires principaux, Roy E., démissionnaire dès avril 1984, obtient la disgrâce de Ron Miller, évincé de la direction alors même qu'il vient d'acquérir les droits et de lancer la production de Qui Veut la Peau de Roger Rabbit. A sa place, le commandement de The Walt Disney Company est confié à une nouvelle génération de dirigeants venus de l'extérieur, Michael Eisner, Frank Wells et Jeffrey Katzenberg.

Ron Miller et son épouse, Diane, et l'ensemble de leurs enfants et petits enfants. 

Mis sur la touche, Ron Miller se retire d'Hollywood et du cinéma en général. Désormais père de sept enfants, Christopher, Joanna, Tamara, Jennifer, Walter (qui porte le prénom de son grand-père), Ronald et Patrick, nés pendant les décennies 50 et 60, et grand père de nombreux petits-enfants, il se consacre pleinement à son vignoble de Napa Valley, acheté en 1976 avec son épouse Diane et sa belle-mère Lillian. Producteur de vin, il participe ainsi au développement de la Silverado Vineyards Winery dès 1980. Ron Miller agit également, aux côtés de sa femme Diane, à la préservation de l'héritage familial au sein du Walt Disney Family Museum dont il prend la présidence avec la mort de son épouse, le 19 novembre 2013, ses deux filles Joanna et Jennifer faisant partie de la direction à ses côtés, tout comme Tamara, Christopher et Ronald, nouvellement nommés avec Annabelle et Ryan, représentants de la génération suivante.

Ron Miller sur la scène des Annie Awards, le 31 janvier 2015. 

Le samedi 31 janvier 2015, Ron Miller est sorti de sa réserve afin de monter sur la scène des Annie Awards pour recevoir des mains de Leslie Iwerks et Richard M. Sherman un Special Achievement Award pour la création du Walt Disney Family Museum. Dans son discours, il a notamment pris le temps d'évoquer le talent et la détermination de feue Diane, sa femme. Dernier membre de la dynastie Disney à avoir connu et travaillé avec Walt, Ron Miller est mort le samedi 9 février 2019 à l'âge de 85 ans. Aux côtés de son beau-père puis seul à la tête des studios, il aura durablement marqué la compagnie familiale avec une politique finalement assez intime mais cruciale. Car en associant The Walt Disney Company à la télévision, au marché de la vidéo, à Broadway, en diversifiant le catalogue de l'entreprise, en développant les parcs à thème en dehors des Etats-Unis, il a indéniablement contribué à bâtir l'Empire qu'est aujourd'hui Disney. Et pour cela, un seul mot... Bravo !