Titre original :
The Rescuers 
Production :
Walt Disney Animation Studios
Date de sortie USA :
Le 22 juin 1977
Genre :
Animation 2D
Réalisation :
Musique :
Artie Butler
Sammy Fain
Durée :
77 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Au sous-sol du building des Nations Unies, à New York, l'assemblée des souris tient conseil. L'organisation, dont la mission est de venir en aide aux personnes en difficulté, examine le cas de Penny, une petite orpheline en détresse séquestrée au "Bayou du diable" par une malfaisante Madame Médusa. Bianca, déléguée coquette et hardie, s'allie à Bernard, souriceau timide mais courageux, pour former l'équipe de choc destinée à délivrer la jeune fille...

La critique

rédigée par

Les aventures de Bernard et Bianca, 23ème long-métrage de Walt Disney, marque un tournant dans les productions du studio aux grandes oreilles. Il constitue en effet non seulement un film de transition entre l'ancienne génération d'animateurs et la nouvelle fraichement recrutée mais se démarque aussi considérablement de ses prédécesseurs par une construction différente de celle respectée jusqu'alors chez Disney et mise en place par le Maître en personne.

L'histoire se base sur une série de livres pour enfants signée de l'auteur Margery Sharp. Née en Angleterre le 25 janvier 1905, sous le nom de Clara Margery Melita Sharp, elle passe sa jeunesse sur l'île de Malte. De retour, en Angleterre, elle débute une carrière d'écrivaine en 1930 avec le roman, Rhododendron Pie. Elle écrit un total de vingt-six romans pour adultes, quatorze histoires pour enfants, quatre pièces et deux suspenses auxquels s'ajoute un grand nombre de nouvelles. Son œuvre la plus connue reste cependant sa série pour enfants, Les Sauveteurs. Neufs romans la composent : The Rescuers (1959), Miss Bianca (1962), The Turret (1963), Miss Bianca in the Salt Mines (1966), Miss Bianca in the Orient (1970), Miss Bianca in the Antarctic (1971), Miss Bianca and the Bridesmaid (1972), Bernard the Brave (1977) et Bernard into Battle (1978).

L'idée de porter à l'écran Les aventures de Bernard et Bianca provient, comme la plupart des films d'animation sortis dans les années 70 par la compagnie de Mickey (Les aristochats, L'apprentie sorcière, Peter et Elliott le dragon), des fonds de tiroir regorgeant des projets abandonnés du vivant de Walt Disney. Le Maître a en effet acquis les droits de la série de Margery Sharp dès les années 60. Il a alors pour ambition de développer comme pour les Winnie l'Ourson une série de moyens-métrages. Devant l'incroyable richesse des histoires, il se ravise et s'attèle à la construction d'un long-métrage. Ses artistes commencent ainsi à développer un récit autour de la libération par la S.O.S. Société d'un poète prisonnier des communistes. En 1966, l'idée est présentée à Walt Disney et fait chou blanc. Trouvant le thème à la fois trop politique, négatif et angoissant, il le balaie d'un revers de main. Plus que tout, il souhaite mettre à l'abri ses œuvres de toutes polémiques diplomatiques. Le projet est ainsi purement et simplement abandonné.
Il revint sur la table après la mort de Walt Disney avec pas moins de trois versions différentes d'histoire. Le scénario retenu se base finalement sur les deux premiers romans de Margery Sharp, The Rescuers et Miss Bianca. Véritable aubaine, ils offrent des personnages, de l'action et de l'émotion à profusion, permettant aux artistes des studios Disney de sortir de la routine dans laquelle ils s'étaient enfermés depuis Le livre de la jungle et Robin des bois.

Même s'il pêche par un manque d'ambition artistique évident, Robin des bois participe, sans le savoir, à l'incroyable qualité des (Les) aventures de Bernard et Bianca. Vrai succès au box-office, il remplit en effet les caisses de la compagnie et contribue à sauver son département animation. Quelques années auparavant, les financiers du studio s'étaient, il est vrai, auto-persuadés qu'une fois Walt Disney défunt, ils pourraient sans mal abandonner, doucement mais surement, l'activité historique de la firme de Mickey. Les Neufs Vieux Messieurs commençaient à réellement à prendre de l'âge, et beaucoup ne travaillaient même plus sur les longs-métrages d'animation. Il en était de même pour certains de leurs collègues qui, ayant participé à l'élaboration de l'héritage animé du studio, faisaient désormais valoir leur droit à la retraite. Aucun plan de succession n'a jamais été mis en place, chacun étant persuadé que son art mourrait avec lui. L'ampleur du succès de Robin des bois en 1973 change pourtant la donne ! Il devient l'un des longs-métrages, tous genres confondus, le plus rentable du début de la décennie pour le studio. Plus question depuis lui de fermer l'un des départements les plus dynamiques de la compagnie. Il faut, au contraire, désormais organiser la relève : la tache n'est pas simple...

En 1973, décision est donc prise de recruter à tour de bras pour former la nouvelle génération d'animateurs. Eric Larson, l'un des Neufs Vieux Messieurs, se charge du challenge. Il s'appuie pour cela sur l'apprentissage et l'entrainement dispensés par la fameuse CalArts (Calfornia Institute of the Arts), une école fondée par Walt Disney lui-même en 1961, née de la fusion du Los Angeles Conservatory of Music et du Chouinard Art Institute qui avaient contribué à former les équipes d'animation durant les années 1930. Le Papa de Mickey est tellement attaché à son établissement qu'il lui lègue, à sa mort, un quart de ses biens, dont des terrains du ranch de Golden Oak à Valencia. L'école s'y installe dans des bâtiments flambants neufs en 1971.
Sur une promotion de cent étudiants venant des quatre coins du monde, seule une quinzaine est finalement embauchée dont Don Bluth (Peter et Elliott le dragon), Glen Keane (Tarzan) ou Ron Clements (La petite sirène). Ils apportent du sang neuf au studio tout en profitant de l'exceptionnel héritage de leurs ainés. Unité de l'histoire, restauration de l'audace graphique, développement de l'émotion, la jeune génération poursuit mille et un idéaux. Adapter une quête médiévale tirée des Chroniques de Prydain est d'ailleurs leur premier souhait clairement formulé. Ron Miller, le producteur exécutif des studios Disney de l'époque, et également gendre de Walt Disney, leur promet d'accéder à leurs requêtes, dès lors qu'ils auront su démontrer leurs savoir-faire dans des projets plus conventionnels. Les jeunes recrues se mettent donc au travail sur leur premier long-métrage, Les aventures de Bernard et Bianca.

Comme son titre français le laisse préjuger, Les aventures de Bernard et Bianca repose avant tout sur des personnages charismatiques et attachants.

Les deux héros du film, tout d'abord, reprennent globalement l'apparence des illustrations effectuées par Garth Williams pour la publication du roman en 1959. Ce sont Frank Thomas et Ollie Johnston, deux des Neufs Vieux Messieurs qui prennent en charge pour Disney la direction de leur animation. Le but recherché est de disposer de souris plus proches dans leur apparence de l'animal que ne peut l'être, par exemple, Mickey. Ils ne revêtent pas ainsi des proportions humaines mais restent de petits êtres vivant à côté des hommes tout en singeant leur mode d'organisation.
Bernard et Bianca jouissent de personnalités opposées dont l'interaction fait des merveilles. Bianca, déléguée internationale, représentante de la Hongrie, est ainsi une souris de la haute société. Parfaitement éduquée, classieuse, elle n'en est pas moins téméraire. Bernard est quant à lui son parfait contraire. Modeste employé new-yorkais, concierge de son état, il est handicapé par un léger bégaiement, sublimé par le doubleur Roger Carel. D'une timidité maladive, peu hardi, il est le contraire du casse-cou et recherche avant tout la tranquillité. La ravissante Bianca l'embarque d'ailleurs contre son gré dans une aventure bien trop grande pour lui qui finira, contre toute attente, par révéler sa vraie nature de justicier baroudeur. La relation des deux souris qui aboutit à l'amour amène beaucoup de tendresse au récit. L'humour découle lui du choix de plonger des petits êtres dans un monde aux proportions humaines.

Penny, la petite fille en détresse, s'inscrit elle dans le registre du réalisme. Terriblement attachante, tout chez elle invite à l'affection. Son ours en peluche, notamment, est à l'évidence un redoutable élément d'identification pour les jeunes spectateurs, cible assumée du long-métrage. Son apparence ravissante et fragile est à l'inverse de son existence, difficile et dramatique. Mignone à souhait, elle est la victime idéale. Ses interventions atteignent des sommets d'intensité. Difficile par exemple de résister à la charge émotive quand le chat Rufus tente de persuader la petite fille que sa longue présence à l'orphelinat n'a rien à voir avec sa valeur personnelle. Que dire encore des conditions de vie qu'elle subit... Penny incarne pour Disney l'horreur, à savoir, l'enfance maltraitée.

Sur le registre des personnages attachants, à l'évidence grandes réussites du long-métrage, deux intervenants, Orville et Evinrude, dépassent - et de loin - toutes les espérances. Le premier comme le second, tout deux s'inscrivant dans le domaine des transports, marquent l'inconscient collectif de générations entières de spectateurs.
Orvile, l'albatros maladroit, livre une scène mémorable signée d'Ollie Johnston et incarne depuis, à lui seul, le cauchemar de tout voyageur aérien.
Evinrude la libellule des bayous, brille, lui, par sa capacité à être parfaitement audible alors qu'elle est muette. Personnage de pantomime, s'identifiant par le bruit de ses ailes, il est le moteur de hors-bord le plus surprenant de l'histoire du cinéma. Sa magnifique animation due au vétéran Art Stevens lui confère une consistance rare pour un personnage somme toute, à la base, très secondaire.

Regorgeant de rôles forts sympathiques, Les aventures de Bernard et Bianca se devait de contrebalancer son casting par un méchant digne de ce nom. Compte tenu de l'ambiance bienveillante du long-métrage, le vilain de service ne pouvait pas, en effet, se permettre la moindre fadeur. Pour se faire, il est même envisagé un temps de rappeler Cruella d'Enfer ! Finalement, le choix se porte sur une malfaisante totalement originale. L'option s'avère après coup fort judicieuse ! La perfide Médusa assume, il est vrai, parfaitement son rang au panthéon des affreux (affreuses serait plus juste) de Disney. Elle est, à n'en pas douter, la vraie vedette du film. Caricature tout à la fois de la femme fatale, de la mégère et de la belle mère, elle affiche une mauvaise foi aussi épaisse que son maquillage. Outrancière, ridicule d'entêtement, avide de richesses, elle cumule tous les vices. Totalement égocentrique, irresponsable et sujette à des moments de panique, elle apparait souvent plus drôle qu'effrayante même si sa capacité de nuisance est bien réelle. Son excentricité vient également de sa voix nasillarde placée à l'origine par l'américaine Géraldine Page, dont l'intonation sera reprise ensuite dans tous les doublages nationaux, français compris. Son animation est une véritable leçon de savoir-faire, dispensée par Milt Kahl, un des Neufs Vieux Messieurs, qui entendait avec elle, juste avant de se retirer de la vie professionnelle, répondre à Marc Davis, un de ses compères légendaires, créateur désormais à la retraite, de l'incroyable tordue des (Les) 101 dalmatiens. La tentative de destitution de l'adepte de la fourrure est sérieuse mais échoue finalement ; Madame Médusa se posant plutôt en première dauphine attitrée de Cruella d'Enfer !

Si l'histoire, l'animation et les personnages de (Les) aventures de Bernard et Bianca sont des franches réussites, il est un aspect où le film pèche énormément. La bande originale n'est en effet pas à la hauteur de l'enjeu. Les chansons, tant sur le point de vue du nombre que de celui de la qualité, sont loin de retenir l'attention. Légères pour ne pas dire insipides, les ritournelles ne fonctionnent pas. Signées d'Artie Butler et de Sammy Fain, interprétées par Shelby Flint en anglais et Dominique Poulain en français, les quatre malheureuses compositions (The Journey, Rescue Aid Society, Tomorrow is Another Day, Someone's Waiting for You)) sont, il est vrai, aussitôt oubliées une fois jouées. Et ce n'est pas la modeste nomination pour l'Oscar de la meilleure chanson de Someone's Waiting for You qui change la donne. Les aventures de Bernard et Bianca n'existe pas par sa bande son : un véritable loupé chez Disney.

La Critique est plus qu'enthousiaste sur le film. Elle salue tout à la fois le retour à une animation de qualité, la magnifique galerie de personnages, l'émotion, l'aventure et l'humour du récit. Elle prend acte aussi de la renaissance du département animation de Disney qu'elle juge affranchi des recettes désormais datées de son créateur.
Le public lui emboite le pas. Il accueille Les aventures de Bernard et Bianca triomphalement, lui réservant alors le plus beau box-office pour un long-métrage d'animation en première sortie. En France, il réunit sept millions d'entrées et se paye le luxe de battre La Guerre des Etoiles présenté la même année. Le succès est tel qu'il a droit à deux ressortis, l'une en 1983 accompagné en première partie du nouveau moyen-métrage, Le Noël de Mickey ; puis en 1989. Cette nouvelle présentation au public poursuit également le but de rafraichir la mémoire des spectateurs, en vue de préparer la sortie de Bernard et Bianca au pays des kangourous. Les aventures de Bernard et Bianca a en effet la particularité d'être le seul Grand Classique Disney à avoir droit à une suite, prévue directement pour le cinéma et réalisée par Walt Disney Animation Studios ; Les trois Caballeros et Fantasia 2000 ne pouvant pas se prévaloir réellement de cette condition. D'autres Grands Classiques (Aladdin, Le bossu de Notre-Dame...) affublés de petits frères sortis directement en vidéo et réalisés par DisneyToon n'auront eux pas droit au même traitement, voyant pour la plupart leurs personnages historiques malmenés dans des suites à la qualité plus que douteuse...

Le succès commercial et critique des (Les) aventures de Bernard et Bianca ne permet pas pour autant aux studios Disney de relever la tête. Les résultats du film permettent juste d'éponger la dette. Le département animation de la firme de Mickey ne s'épargne donc pas une période fort troublée. La plupart des Neuf Vieux Messieurs (Frank Thomas, Ollie Johnston, Milt Kahl...) prennent leur retraite. Parallèlement, la nouvelle génération, malgré son talent, ne parvient pas à avoir l'oreille de la Direction. Il lui manque en outre une personne apte à canaliser son énergie. Les prochains films seront ainsi tout sauf équilibrés, du trop gentil Rox et Rouky au totalement chaotique Taram et le chaudron magique sans oublier l'académisme ronronnant de Basil, détective privé ou Oliver et Compagnie.

Les aventures de Bernard et Bianca marque paradoxalement l'entrée des studios d'animation de Mickey dans les pires années de leur second âge noir. Totalement original, regorgeant de qualités, plébiscité par le public, il est pourtant la meilleure production Disney des années 70 et de la décennie 80, exception faite de La petite sirène (1989).

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