Titre original :
Who Framed Roger Rabbit
Production :
Touchstone Pictures
Walt Disney Animation Studios
Date de sortie USA :
Le 22 juin 1988
Genre :
Animation 2D / Film "Live"
Réalisation :
Robert Zemeckis
Richard Williams
Musique :
Alan Silvestri
Durée :
104 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Hollywood, 1947 : l'âge d'or du dessin animé. Acteurs humains et personnages dessinés (les " Toons ") se partagent le haut de l'affiche. Roger Rabbit, véritable star parmi les ces derniers, traverse une mauvaise passe. Obnubilé par la somptueuse Jessica, son épouse, il n'arrive plus à se concentrer pendant les tournages. R.K. Maroon, son directeur de Studio, bien décidé à ramener sa principale vedette à la raison, engage une épave alcoolique et, de plus, allergique aux Toons, le détective privé Eddie Valiant pour prouver l'infidélité de l'épouse "paralysante".

Valiant réussit bien vite à prendre des photos compromettantes de Jessica en compagnie de Marvin Acme, grand spécialiste de farces et attrapes et propriétaire de Toon Town, ville des Toons. L'amant supposé décède peu après la révélation des vues embarrassantes. Les circonstances de cette mort, aussi rapide que suspecte, désignent toutes invariablement Roger Rabbit. Pourchassée par la police et par le sinistre juge DeMort, la Star se réfugie chez Valiant...

La critique

rédigée par

Il est communément admis que le troisième âge d'or de Disney, celui qui aligne les chefs d'œuvres au début des années 90, commence avec La Petite Sirène. Pourtant, le premier vrai électrochoc qui redonne ses lettres de noblesse aux films d'animation sortis par la firme de Mickey est assurément Qui Veut la Peau de Roger Rabbit. Ce long-métrage permet, en effet, non seulement aux animateurs de reprendre confiance dans leur art mais également aux spectateurs, l'envie de se déplacer en masse. Tour à tour, film noir, satire sociale et démonstration magistrale d'effets spéciaux, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit est, il est vrai, une pépite, formidable hommage au monde de l'animation tout entier. Jamais auparavant ni ensuite, autant de personnages animés de différents studios et labels se sont retrouvés dans une même œuvre comme si tout ce beau monde avait pris conscience de l'impérieuse nécessité de se fédérer, alors, le temps d'un film pour mieux retrouver le cœur du public...

En 1981, un auteur, alors illustre inconnu, Gary K. Wolf, sort le roman Who Censored Roger Rabbit ?. Il s'agit là d'un simili polar qui tourne autour d'un personnage de bandes dessinées, le lapin Roger Rabbit. Ce dernier est, en effet, retrouvé mort alors qu'il vient à peine d'engager un humain, Eddie Valiant, pour enquêter sur son entourage. Le détective ne tarde pas ainsi à soupçonner sa femme, Jessica et son associé, Baby Herman. La grande particularité du roman consiste ainsi à faire cohabiter à l'époque contemporaine, les humains et les personnages de bandes dessinées ; le héros croisant notamment Snoopy ou Dick Tracy.

Les studios Disney, flairant immédiatement le potentiel du livre, en acquièrent les droits presque concomitamment à sa sortie. Ron Miller, alors président du studio aux Grandes Oreilles, est, en effet, persuadé que le pitch pourrait faire un véritable blockbuster. Jeffrey Price and Peter S. Seaman sont alors appelés pour en écrire le script dont ils livrent deux versions. Robert Zemeckis se met dès 1982 sur les rangs pour réaliser l'opus. Ses premiers films - tous des flops retentissants - ne plaidant pas vraiment pour lui, Disney ne donne pas suite à sa requête et repousse carrément le projet aux calendes grecques...

Il faut ainsi patienter jusqu'au changement de Direction à la tête des studios de Mickey pour voir le film remis sur les rails, par Michael Eisner en personne. Un obstacle de taille perdure pourtant : Qui Veut la Peau de Roger Rabbit nécessite, en effet, un budget colossal. Les studios Disney ne sont visiblement pas en capacité de le produire seuls. Ils se rapprochent donc de la société de production, Amblin Entertainment, et de ses propriétaires Frank Marshall, Kathleen Kennedy et Steven Spielberg. Le projet devient alors pour Disney une formidable opportunité de travailler avec le génial réalisateur (surnommé par la presse le Walt Disney des années 80 !), qui prend pour l'occasion, la casquette de producteur exécutif...

Devenu l'une des personnalités les plus emblématiques et influentes du septième art, Steven Spielberg est né le 18 décembre 1946 à Cincinnati dans l'Ohio. Cinéaste très précoce, il réalise, enfants, quelques petits films amateurs puis, toujours très jeune, abandonne rapidement ses études pour tenter sa chance à Hollywood. Assistant monteur sur la série Wagon Train en 1957, il apprend lors son métier sur le tas, dans les années 60, en réalisant des courts-métrages tels que Firelight ou Amblin (dont il emprunte l'appellation pour sa future maison de production), puis travaille pour le petit écran, dirigeant notamment des épisodes de Columbo.
Son talent de mise en scène se révèle au grand jour en 1971 avec le téléfilm Duel (exploité en qualité de film à l'international) qui remporte notamment, en France, le Grand Prix du Festival d'Avoriaz. Le cinéaste réalise ensuite Sugarland Express (1974). Prix du scénario à Cannes, ce drame confirme ses belles aptitudes et annonce une jolie carrière qui prend un virage dans le fantastique dès l'année suivante.
Il y a à l'évidence, pour Steven Spielberg, un avant et un après 1975 ! Cette année-là, il terrifie, en effet, le monde entier avec Les Dents de la Mer, une référence dans le cinéma d'épouvante qui le propulse star internationale de la mise en scène à seulement 29 ans. Ses films suivants remportent tous le même succès, atteignant pour la plupart les cimes du box-office international et s'inscrivant dans l'imaginaire de millions de spectateurs. Steven Spielberg est d'ailleurs le créateur (avec son ami George Lucas et sa Guerre des étoiles) d'une catégorie enviée du tout Hollywood : les films à plus de 100 millions de dollars de recettes sur le seul territoire national. Cette manne colossale pour les Majors permet ainsi aux deux cinéastes de revendiquer par la suite une totale autonomie vis-à-vis des studios.
En 1977, Rencontres du Troisième Type initie son rapport étroit avec la science-fiction qui se poursuit en 1982 avec E.T. l'Extra-Terrestre Son goût pour l'aventure lui permet par ailleurs de donner naissance à la légendaire saga des Indiana Jones : Les Aventuriers de l'Arche Perdue (1981) et Indiana Jones et le Temple Maudit (1984).
En 1981, Steven Spielberg crée sa propre société de production qui, en plus de supporter ses films, en soutient d'autres, considérés avec le recul comme les plus imaginatifs des années 80 : Gremlins (1984), Les Goonies (1985), Retour Vers le Futur (1985), Bigfoot et les Henderson (1987), L'Aventure Intérieure (1987) ou Miracle sur la Huitième Rue (1987).

Le tout premier budget de Qui Veut la Peau de Roger Rabbit est, à l'origine, exorbitant. Estimé à 50 millions de $ - une somme énorme pour l'époque - il se voit toutefois rogné pour descendre à un montant de 30 millions, restant, alors et néanmoins, le plus élevé de l'histoire du Cinéma pour un long-métrage animé. Peu importe. Jeffrey Katzenberg reste persuadé que le film est celui qui redorera le département Animation de son studio et lui permettra de repartir de plus belles. A force de persuasion, il finit par ranger à son avis, son boss, Michael Eisner. Ce dernier s'applique alors à répartir les risques entre les différents intervenants. Il veille à ce que les contrats d'alliance soient établis, compte tenu de l'ampleur de l'enjeu, pour maintenir un équilibre total entre les intérêts et compétences de chacune des parties. Steven Spielberg garde ainsi une très grande liberté artistique et obtient un large pourcentage sur les bénéfices en cas de réussite au box-office tandis que Disney s'empare des droits de merchandising et de distribution. Tout deux s'entendent également sur le nom du réalisateur ; celui-là même que l'ancienne Direction de Disney avait retoqué : Robert Zemeckis.

Né en 1952 à Chicago, Robert Zemeckis étudie d'abord à l'Université de l'Illinois puis passe en 1973 une licence de cinéma à l'USC. Signant, en début de carrière, plusieurs longs-métrages, Crazy Day (1978) et La Grosse Magouille (1980), dont la qualité et les résultats commerciaux restent somme toute anecdotiques, il doit sa première vraie reconnaissance du public à l'acteur et producteur Michael Douglas qui lui confie la réalisation d'A la Poursuite du Diamant Vert (1984), une comédie d'aventures dont Kathleen Turner et Danny DeVito assurent les deux rôles vedettes. En 1985, il franchit une nouvelle étape avec un blockbuster surprise, Retour Vers le Futur, qui atteint en première exploitation 350 millions de dollars de recettes. Ce sont justement ces deux belles réussites qui portent la nouvelle Direction de Disney sur son choix, là où quatre ans plus tôt, ses échecs avaient plombé sa candidature.

Jeffrey Price and Peter S. Seaman sont également rappelés pour s'atteler à un nouveau script. Si les quatre personnages principaux sont conservés, une importante refonte est menée tant sur leurs personnalités que sur l'aventure qu'ils vivent. Déjà, aucun des quatre n'est finalement ni assassiné, ni coupable d'un meurtre même si de forts soupçons pèsent sur certains, et ce, jusqu'au dénouement. Cette ambiance de mystère et d'enquête délivre ainsi tout au long du film un intéressant suspense qui saisit le spectateur pris au jeu de dénicher le véritable coupable. Pourtant, le côté noir du récit n'en constitue que la première pièce ; il est en réalité une puzzle bien plus riche qu'un simple polar.
Les auteurs ont, en effet, deux excellentes idées : les personnages ne seront pas issus de l'univers de la bande dessinée tandis que l'action, elle, ne se situerait pas à l'époque contemporaine.
L'histoire de Qui Veut la Peau de Roger Rabbit est donc transposée dans le Hollywood de 1947. Cette astuce permet un heureux décalage temporel, nostalgique, idéalisé et fantasmé qui offre au spectateur le privilège d'investir une époque totalement dépaysante et attrayante. Elle permet également d'épouser parfaitement l'autre changement de taille voulu par les scénaristes. Au lieu d'utiliser des personnages de bandes dessinées, ils préfèrent, en effet, puiser dans le cheptel des personnages animés, venus directement des films d'animation ou des cartoons. Appelés très justement les Toons, ils sont censés peupler un univers parallèle à celui des humains, repoussant les frontières et offrant toutes les opportunités imaginables. Mieux, l'époque retenue correspond pile poil à l'âge d'or de l'Animation, apportant la gentille touche de folie propre aux productions des Looney Tunes ou des courts-métrages de Tex Avery.
Le scénario apporte également une troisième innovation, beaucoup plus subtile celle-là, qui encre - cette fois-ci inconsciemment - le film dans le cœur des spectateurs. Si sa forme s'inscrit à l'évidence dans le burlesque, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit n'est, en effet, pas moins qu'une satire sociale menée à la fois contre l'impérialisme tout puissant mais également la ségrégation raciale. Les Toons sont, il est vrai, présentés comme des citoyens de seconde zone, dont l'existence n'a pas vraiment d'importance aux yeux des citoyens humains. Parqués dans Toonville, ils ont mauvaise presse et sont soupçonnés de porter le vice en eux. La parabole avec le traitement réservés aux minorités noires dans une certaine Amérique est totale. L'autre métaphore s'intéresse, elle, au rouleau compresseur du capitalisme dont les conséquences amènent à raser une ville entière (ici Toonville) pour construire des autoroutes. L'alliance des deux donnent alors des sueurs froides à qui a conscience de la manipulation qui se joue dans les coulisses du Pouvoir : l'opinion publique n'est plus en capacité de s'émouvoir de la destruction d'une ville qu'elle considère néfaste.

La nouvelle volonté des scénaristes de faire appel à des personnages venus de l'Animation et non de la bande dessinée implique la nécessité de faire cohabiter des séquences animées avec des "live". Cette technique n'est pas une première chez Disney : elle est même très bien connue. Il faut dire que Walt Disney en personne maitrisait l'art de mêler prises de vues réelles et animation 2D. Dès les années 20, il travaille, il est vrai, la méthode dans une série à succès de cartoons muets, Alice Comedies. Dans les années 40, son fidèle collaborateur, Ub Iwerks, peaufine pour lui la technique et l'applique au format du long-métrage (Les Trois Caballeros, Mélodie du Sud, Coquin de Printemps et Danny, le Petit Mouton Noir). C'est ce dernier procédé qui est finalement utilisé pour Mary Poppins, en 1964, même si, bien sûr, il a, entre temps, été considérablement développé. L'interaction entre humains et passages animés est désormais fluide et semble réelle au possible. La même technique est utilisée dans L'Apprentie Sorcière en 1971. En 1977, Peter et Elliott le Dragon la fait encore évoluer. Chez ses deux prédécesseurs, des personnages "live" évoluent, en effet, dans un monde animé alors que chez lui, la dynamique s'inverse. Un personnage animé, Elliott, se retrouve ainsi dans un monde "live" interagissant avec son environnement.
Pour autant, Robert Zemeckis et Steven Spielberg ne sont pas encore totalement satisfaits des résultats obtenus jusqu'alors. Ils veulent beaucoup plus de réalisme dans l'interaction des Toons et des humains. Alors que les dessins étaient habituellement rajoutés sur des plans fixes où la caméra ne bougeait pas, le producteur et le réalisateur veulent avoir des mouvements de séquences "live", libres et naturels pour assurer à l'ensemble un réalisme saisissant. Ainsi, les dessins, bien qu'en animés en 2-D, doivent disposer de suffisamment de reliefs pour paraitre en trois dimensions. De même, le mélange doit pouvoir se faire dans tous les sens ; les humains interagissant avec des objets animés et les Toons avec des objets réels.
Un problème conséquent se fait alors jour : peu d'animateurs ont l'imagination, la capacité et le savoir-faire suffisants pour réaliser l'animation nécessaire à Qui Veut la Peau de Roger Rabbit. Robert Zemeckis et Steven Spielberg castent alors le tout Hollywood de l'Animation puis finissent par dénicher la perle rare en dehors des USA, en la personne de Richard Williams.

Richard Williams nait le 19 mars 1933 à Toronto, en Ontario au Canada. Réalisateur et producteur, il est surtout reconnu comme un animateur d'exception capable, comme personne, de faire le lien entre l'ancienne école et la nouvelle génération. Il entame sa carrière dans l'animation, dans les années 40, au sein de l'United Production of America (UPA) où il a l'opportunité unique d'apprendre d'artistes mythiques tels que Art Babbitt, Chuck Jones, Ken Harris et Milt Kahl. Ambitieux, il se lance bien vite le défi de réaliser le plus beau film d'animation de tous les temps. Il débute ainsi en 1968 The Thief and the Cobbler, une œuvre qu'il ne terminera jamais. Entre temps, il reçoit en 1971 un Oscar pour son court-métrage, A Christmas Carol.
Profitant de son passage à Los Angeles où il vient montrer les 20 minutes terminées de The Thief and the Cobbler à Milt Kahl alors mourant, Robert Zemeckis et Steven Spielberg le convient à une rencontre. Ils sont subjugués à la fois par son travail que par sa personnalité. Sous le charme, ils lui proposent, presqu'immédiatement, de prendre en charge l'animation de Qui Veut la Peau de Roger Rabbit. D'abord réticent, et par la somme de travail, et par la difficulté technique, Richard Williams finit par accepter contre la promesse des studios Disney à l'aider, par la suite, à financer la fin de The Thief and the Cobbler. Il pose une autre condition de taille : il exige que la production se fasse à proximité de son lieu de résidence ; Londres. Des animateurs sont alors embauchés à travers l'Europe tandis que des superviseurs, dont un certain Andreas Deja, venus de Burbank, s'expatrient durant le temps du projet.

Le travail sur la synchronisation des toons et des humains notamment dans leurs interactions a fait l'objet d'un soin particulièrement attentif. Des maquettes, marionnettes et robots sont ainsi utilisés autant pour indiquer aux acteurs l'emplacement exact de leurs alter-egos toonesques qu'à l'inverse, pour mouvoir des objets censés être agités ou simplement tenus pas les toons. Une fois captées, les séquences en prises de vues réelles sont décortiquées image par image puis confiées au soin des animateurs qui y intègrent alors leurs personnages animés. Les artistes réalisent non seulement l'animation des toons mais également leurs ombres ou leurs reflets pour donner l'illusion de la 3 Dimension. Tous ces éléments sont ensuite envoyés à ILM, la société d'effets spéciaux fondée par Georges Lucas, à laquelle Hollywood fait souvent appel à l'époque. Ses équipes y combinent le tout et construisent le film en vitesse réelle. Ils en profitent pour ajouter certains effets comme, par exemple, le scintillement de la robe de Jessica. La technique mise au service de l'œuvre est tellement maitrisée que l'illusion est parfaite et le bonheur total : l'histoire et les personnages profitant à plein de la prouesse...

Côté casting, division humaine, deux grands noms du cinéma jouent des coudes.
Le premier est Bob Hoskins qui incarne à la perfection Eddie Valiant. Devenu alcoolique à la suite de la mort accidentelle de son frère et associé dans leur affaire de détective privé, son personnage -un incorrigible bourru- déteste cordialement les toons qu'il rend responsables de son malheur. Pour autant, sa relation avec Roger va vite prendre des airs de rédemption, le rendant de plus en plus attachant. Les antagonismes des deux sont, en effet, tellement forts que leur duo ne peut que faire des merveilles à l'écran !
Le second est Christopher Lloyd, l'inoubliable Doc Brown dans Retour Vers le Futur de (justement) Robert Zemeckis. Il incarne ici le méchant, l'ignoble Juge DeMort. Cet être mauvais, tout habillé de noir, ne poursuit, il est vrai, qu'un seul but : débarrasser l'humanité des toons et de leurs influences en rasant purement et simplement Toonville grâce à un nouveau procédé (la trempette) mis tout spécialement au point à cette fin. Premier notable de la ville, son discours est écouté, même si, en privé, les gens admettent ne pas partager tous ses point de vue...
Des personnages secondaires humains sont bien-sûr également présents : Dolores, la petite amie d'Eddie, jouée par Joanna Cassidy ; R.K. Maroon, le patron de Roger, interprété par Alan Tilvern ; ou encore Marvin Acme, le légataire présumé de Toonville, incarné par Stubby Kaye sont, à n'en pas douter, les seuls à sortir du lot.

Côté casting division Toon, cette fois-ci, la galerie de personnages principaux est impressionnante autant en nombre qu'en qualité. Elle se distingue ainsi en deux catégories : les toons créés spécialement pour le long-métrage et les "invités" légendaires.
Dans la première, Roger Rabbit apparait assurément comme le personnage principal du film. Il est d'ailleurs le plus attachant depuis de très nombreuses années dans une production Disney ; seul Baloo du (Le) Livre de la Jungle sorti en 1967 (!) pouvant en effet rivaliser avec lui. Il faut dire que sa personnalité est unique et entière. Elle ne change d'ailleurs pas d'un iota entre les plateaux de cinéma et la vraie vie. Il n'a ainsi pas vraiment besoin de jouer la comédie devant la caméra tant il respire, à la ville comme à la scène, la loufoquerie absolue. Ses manières sont en effet tellement exagérées (les yeux lui sortent des orbites, ses gestes sont tantôt amples, tantôt raides, ses mimiques sont légions) que le spectateur s'attache instantanément à lui. Pourtant, son côté un peu dingue ne l'empêche pas de livrer des réflexions de haute tenue (à l'exemple des remarques qu'il formule sur le frère d'Eddie) ou de se rendre terriblement touchant (comme dans la scène du cinéma). Il est en réalité un mélange entre la sagesse des personnages Disney, la loufoquerie des Tex Avery et l'expressivité des Looney Tunes. Sa prestation est d'ailleurs largement rehaussée par sa voix extraordinaire et reconnaissable entre mille qu'elle soit américaine (Charles Fleischer) ou française (Luq Hamet).
Inédite elle aussi, Jessica Rabbit est, pour sa part, le premier rôle féminin. Personnage énigmatique par excellence, bombe sexuelle ultime, elle voue, en effet, un amour sans bornes à Roger, suscitant, par la même, bon nombre d'interrogations. Contrainte de se justifier, tant sur son rang de supposée fille facile (ce qu'elle n'est surtout pas !) que sur la sincérité de sa relation avec le lapin, elle finit par avouer qu'elle est littéralement sous le charme de son humour : le secret de séduction de la belle étant le rire !
Baby Herman, créé lui aussi spécialement pour Qui Veut la Peau de Roger Rabbit, se destine avant tout à mettre de l'ambiance. C'est ainsi un toon avec un esprit de 40 ans dans un corps de bébé. S'il incarne à merveille sur les plateaux un nourrisson plutôt turbulent, il n'est pas en reste dans la vraie vie où il fume des cigares et claque les fesses de ses nurses. C'est un contraste à lui tout seul dont la grivoiserie n'a pas tarder à faire grincer des dents, pas mal d'extrémistes religieux.
En dehors de ces trois personnages principaux, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit possède également une flopée de personnages secondaires inédits dont certains rayonnent au-delà de leurs rôles : Benny, le taxi le plus déjanté n'ayant jamais existé ; les balles de révolvers ; l'épée chantante ; le gorille, la pieuvre barman sans oublier les fouines du Juge DeMort, qui, à la façon des sept nains de Blanche Neige et les Sept Nains mais, là, par véritablement pour leur avantage, disposent chacun d'un nom en fonction de leur personnalité : Smart Guy, Wheezy, Psycho, Stupid et Greasy.

A coté de ses stars maison, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit s'offre un casting bluffant en se payant le luxe de réunir, peu ou prou, tout ce que compte le monde de l'animation hollywoodienne, tout studio confondu faisant du film un hommage vibrant (et jamais tenté jusqu'alors) au monde des cartoons de la première moitié du 20e siècle. Pour cela, Steven Spielberg en personne se charge de convaincre, un à un, tous les ayants droits et autres propriétaires des personnages animés mythiques. S'ils datent d'avant 1947, certains puristes remarqueront quelques anachronismes avec la présence de toons (par exemple : Danny, le Petite Mouton Noir chez Disney, Speedy Gonzales chez Warner, etc.) non encore nés, alors. Pas de quoi pourtant s'en offusquer plus que ça : le film ne revendique pas, en effet, l'exactitude historique mais seulement la volonté de divertir. Les personnages de différents studios s'y côtoient ainsi pour le plus grand bonheur des spectateurs qui se moquent bien de savoir si la cohérence de leurs rencontres et affrontements est crédible.
Réunir autant de stars de différents horizons dans un seul et même film ne s'avère pas, à l'évidence, de tout repos. Des exigences apparaissent en effet, ici ou là. Warner, par exemple, refuse de voir ses Looney Tunes affublés d'un Walt Disney Presents si bien que le film se voit contraint de sortir chez Touchstone (une situation qui finalement conviendra, après coups, à merveille à Michael Eisner qui n'aura de cesse de reprocher à l'opus ses trop nombreuses allusions sexuelles). Dans la même volonté de voir ses icones bien traités, le studio exige qu'ils bénéficient tous du même temps de présence à l'écran (à la seconde près) que leurs alter-egos disneyens. Ainsi la star Mickey rencontre la vedette Bugs Bunny tandis que les canards Donald et Daffy rivalisent de mauvaise foi dans une scène mémorable, chronomètre en main. Toutefois, si les exigences des studios extérieurs sont nombreuses et incontournables, ils ne participent pas, en revanche, à la production même du film, y compris dans l'animation de leurs propres personnages.
Ainsi, de façon non exhaustive car l'exercice est bien difficile à mener, le spectateur reconnait dans Qui veut la peau de Roger Rabbit des personnages des studios :
- Disney tels que Mickey, Minnie, Donald, Dingo, Daisy, Pluto, Clarabelle, Horace, Tic & Tac, Pat Hibulaire, Riri, Fifi, Loulou mais aussi des personnages de cartoons des séries Silly Symphonies et Special, de Blanche Neige et les Sept Nains, Pinocchio, Fantasia, Le Dragon Récalcitrant, Dumbo, Bambi, Saludos Amigos, Mélodie du Sud, La Boite à Musique, Coquin de Printemps, Mélodie Cocktail, Danny, le Petite Mouton Noir, Le Crapaud et le Maître d'EcoleAlice au Pays des Merveilles, Peter Pan, La Belle et la Bois Dormant, Mary Poppins, Le Livre de la Jungle, Les Aventures de Winnie l'Ourson, et bien d'autres...
- Warner (qui détiennent les droits des Looney Tunes) tels que Bugs Bunny, Daffy Duck, Elmer, Porky, Sam le Pirate, Titi et Grosminet, Charlie le Coq, Bip Bip, Vil le Coyote, Speedy Gonzales, Marvin le Martien, Marc-Antoine le bouledogue, et bien d'autres...
- MGM (qui détiennent les droits des Tex Avery) tels que Droopy...
- Paramount (qui détiennent les droits des Max Fleischer) tels que Betty Boop...
- Universal (qui détiennent les droits des Walter Lantz) tels que Woody Woodpecker...
Le pari mené par Steven Spielberg est donc visiblement réussi,à quelques exceptions près comme les absences remarquées de Félix le Chat, Tom & Jerry ou encore Popeye...

En plus de son réalisateur et de l'un de ses acteurs fétiches, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit emprunte à Retour Vers le Futur Alan Silvestri pour ce qui est de la musique. Le compositeur fait des merveilles et livre une partition qui souligne l'époque représentée avec beaucoup de justesse. Ainsi, l'ambiance musicale du club où se produit Jessica sonne plus vraie que nature tandis que celle des pures séquences cartoons est tout simplement jouissive. Quatre chansons agrémentent également le long-métrage, toutes constituées de reprises construites sur de simples extraits des titres originaux : Why Don't You Do Right ? chantée par Jessica Rabbit, The Merry-Go-Round Broke Down interprété par Roger Rabbit, Witchcraft par l'Epée Chantante et Smile Darn Ya Smile pour la scène de clôture.

Alors que les bonnes fées se sont visiblement penchées sur son berceau, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit échoue curieusement aux premières projections tests. Le rejet est d'ailleurs tellement marqué que Michael Eisner, en personne, envisage de stopper la production d'autant que le budget de 30 millions de dollars est déjà largement dépassé. A chaque mouvement d'humeur du boss, Jeffrey Katzenberg monte en première ligne pour sauver le film. Non seulement, il est convaincu qu'il est en capacité de redorer le blason de l'animation Disney mais que l'opportunité de travailler avec Steven Spielberg ne se laisse pas passer.
A l'heure de sa sortie, la Critique est partagée, allant du scepticisme à l'enthousiasme. La Profession nomme toutefois l'opus pour six Oscars (Montage Sonore, Effets Spéciaux, Montage Visuel, Direction Artistique, Photographie, Son) et lui accorde les trois premiers. Richard Williams emporte également un Oscar d'Honneur pour son travail sur le film.
Le public, quant à lui, se rue dans les salles, lui faisant atteindre la deuxième marche du podium du box-office américain de l'année 1988, juste derrière Rain Man, et lui permettant de entrer ainsi haut-la main dans ses frais.

Le succès est tel, qu'en 1991, les imagineers créent à Disneyland en Californie le land Mickey's Toontown directement inspiré du Toonville de Qui Veut la Peau de Roger Rabbit. A l'intérieur, une attraction spécialement basé sur Roger Rabbit voit le jour, Roger Rabbit's Car Toon Spin.
Trois courts-métrages ayant pour vedettes Roger, Jessica et Baby Herman sont également mis en chantier. Le premier, Bobo Bidon, sort le 23 juin 1989, sous le label Walt Disney, en première partie de Chérie, J'ai Rétréci les Gosses. Le second, Lapin Looping sort le 15 juin 1990, sous le label Touchstone, en première partie de Dick Tracy. Le dernier, Panique au Pique-nique, sort le 12 mars 1993, sous le label Walt Disney, en première partie de Kalahari.

Qui Veut la Peau de Roger Rabbit est une expérience jubilatoire unique en son genre. Il est un condensé de ce qui se fait de mieux dans les années 80 et un concentré de talents venus de tous horizons. Le long-métrage n'a pas pris une ride devenant, avec le recul, le Blanche Neige et les Sept Nains du troisième âge d'or.

Qui Veut la Peau de Roger Rabbit est LE film qui a redonné au grand public le gout de retourner voir de l'animation au cinéma. Une pépite à savourer pour chacune de ses séquences...

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