Pres Romanillos

Les années 1980 marquent un tournant pour les studios d’animation Disney. Après des décennies de bons et loyaux services, les artistes de la première heure commencent en effet à se retirer progressivement. Pour remplacer ces vétérans, la direction se lance alors dans une vaste campagne de recrutement et de formation. C’est ainsi que toute une nouvelle génération de dessinateurs talentueux intègre la compagnie, à l’image de Press Romanillos.

Priscillano (Pres) Antonio Romanillos voit le jour le 11 janvier 1963 à Zamboanga, l’une des principales villes portuaires de l’île de Mindanao, dans le sud des Philippines. En 1971, il a huit ans lorsque sa famille fait le choix de traverser l’océan Pacifique pour s’installer aux États-Unis. C’est ainsi dans le Queens, à l’est de New York, que grandit le petit garçon qui se découvre une passion pour le dessin un peu par hasard. Son grand frère, Bob, est en effet inscrit à des cours d’art par correspondance. Perdant progressivement toute forme d’intérêt pour ces leçons à distance, il laisse alors Pres récupérer ses cahiers. Réalisant chacun des exercices avec minutie, celui-ci acquiert rapidement un remarquable coup de crayon. Souhaitant faire du dessin son métier, il termine son cursus au lycée avant d’intégrer la School of Visual Arts de Manhattan d’où il sort avec un master en Beaux-Arts.

En 1989, Pres Romanillos est engagé par les studios Disney. Au départ simple stagiaire, il travaille un temps sur La Petite Sirène (1989) dont la production touche à sa fin. Obtenant une place d’assistant animateur, il enchaîne ensuite avec Bernard et Bianca au Pays des Kangourous (1990) puis La Belle et la Bête (1991). Intégré à l’équipe supervisée par Glen Keane, il dessine alors quelques plans mettant en scène la Bête.

Employé comme intervalliste lors de la création d’Aladdin (1992), Pres Romanillos est bientôt promu animateur à part entière. Toujours aux côtés de Glen Keane, il conçoit plusieurs séquences avec l’héroïne de Pocahontas, une Légende Indienne (1995). Ses dessins sont alors si beaux et si délicats que Romanillos impressionne l’ensemble de ses collègues, à commencer par Keane et les deux réalisateurs du film, Mike Gabriel et Eric Goldberg.

Un temps impliqué dans la production du (Le) Bossu de Notre-Dame (1996), Pres Romanillos atteint l’un des sommets de sa carrière grâce à Mulan (1998). Pour ce film dont la réalisation se déroule au sein des studios Disney de Floride, l’artiste hérite en effet du personnage de Shan-Yu. Afin de lui offrir toute la brutalité nécessaire pour le rendre crédible et impressionnant à l’écran, l’artiste décide de se glisser totalement dans la peau de son personnage. Inconsciemment, il s’isole et se renfrogne. Absorbé par son travail, sa mauvaise humeur déconcerte bientôt ses collègues et même sa femme, Jeannine, qui ne comprennent pas d’où provient cette colère. En se mettant ainsi au service du grand méchant de l’histoire, Pres Romanillos surprend et livre un véritable chef-d’œuvre.

Également en charge d’animer Hayabusa, l’aigle de Shan-Yu, et les soldats d’élite de l’armée des Huns, Pres Romanillos sort complètement lessivé de la production de Mulan. Se glisser dans la peau d’un tel personnage fut une épreuve aussi incroyable qu’exténuante. Avec Shan-Yu, il a démontré toute l’étendue de son talent et prouver qu’il était l’un des meilleurs de la profession. La concurrence ne tarde dès lors pas à regarder vers lui. Ancien cadre de Disney parti avec pertes et fracas, Jeffrey Katzenberg le contacte pour composer le vivier d’animateurs d’un tout nouveau studio concurrent, DreamWorks Animation, fondé en 1994.

Acceptant, comme beaucoup de collègues de Disney, de rejoindre l’aventure, Pres Romanillos est attaché à la production de La Route d’Eldorado (2000). Il se voit alors confier l’animation de la terrifiante statue de jaguar manipulée grâce la magie noire par le sorcier Tzekel-Khan. Il poursuit ensuite en supervisant l’animation de Petit Nuage, l’Amérindien Lakota, dans Spirit, l’Étalon des Plaines (2002). Une fois encore, Romanillos atteint un sommet dans sa carrière.

Sa carrière chez DreamWorks Animation se poursuit avec Sinbad : La Légende des Sept Mers (2003). Toujours au poste de superviseur de l’animation, Pres Romanillos se charge de l’équipage du Dunbar, le navire du héros. Il s’agit alors du dernier film en animation traditionnelle de DreamWorks qui se tourne, comme beaucoup de concurrent, vers l’animation assistée par ordinateur. Nécessitant d’être formé aux nouveaux outils numériques, Romanillos collabore aux productions de Shrek 2 (2004) et Madagascar (2005) avant de quitter le studio.

Désormais en freelance, Pres Romanillos se consacre à son blog, Life as a Pickle, dans lequel il rend hommage aux nombreux animaux de compagnie que sa femme et lui ont adopté, en particulier leurs chats, leurs lapins et surtout Pickle, leur petit rat terrier. Le site est alors joliment illustré de charmants dessins dépeignant la vie du quotidien avec des animaux.

C’est durant un séjour à Salamanque, dans l’ouest de l’Espagne, que Pres Romanillos voit sa vie basculer dramatiquement. Sur place, il aide son ami Scott Johnson à établir ses nouveaux studios, Enne Animation, et former les jeunes artistes. Pour l’occasion, il crée lui-même un court-métrage spécial, The Old Chair, dans lequel sont mis en scène les animaux de son blog. Mais rapidement, l’artiste est pris de maux de tête et de saignements fréquents. Son poids commence à diminuer rapidement. Un médecin lui diagnostique alors une leucémie. Le choc est rude, mais Romanillos poursuit malgré tout ses projets dans l’animation.

Esquisses de Pres Romanillos

De retour aux États-Unis, Pres Romanillos débute une chimiothérapie. Il subit par ailleurs une greffe de moelle osseuse. Bien qu’affaibli, il refuse cependant de raccrocher les gants. En juillet 2009, il revient aux studios Disney et se voit proposer par Ron Clements et John Musker de travailler avec eux sur La Princesse et la Grenouille dont la production est sur le point de s’achever (2009). Il anime ainsi certaines scènes avec le Prince Naveen. Chez DreamWorks Animation, il collabore durant quelques semaines à la création de Shrek 4 : Il Était une Fin (2010). Mais si revoir ses anciens collègues est un réel plaisir, la maladie est une véritable gageure au quotidien. Romanillos n’est plus que l’ombre de lui-même, plus encore après une rechute en mars 2010… Ses amis, en particulier la communauté des animateurs de Los Angeles réunie derrière son président, Kevin Koch, se mobilisent alors pour l’aider à payer ses soins dont les coûts ne cessent d’augmenter. Une vente aux enchères de dessins, surnommée Pres Aid, permet de récolter des fonds à hauteur de 65 000 dollars.

Gravement malade, Pres Romanillos s’éteint dans sa maison de Tujunga, dans la Vallée de San Fernando, le samedi 17 juillet 2010. Il n’avait que quarante-sept ans. Immédiatement après l’annonce de son décès, les témoignages d’affection et les hommages pleuvent.

« Il était l’un des artistes les plus respectés et les plus aimés de notre studio », confie notamment Jeffrey Katzenberg.

« S’il y a bien quelqu’un, dans notre fichu business, qui aurait mérité vingt ou trente années de succès supplémentaires, c’est bien Pres », ajoute le scénariste Steve Hulett, alors représentant de l’Animation Guild.

« J’ai rencontré Pres pour la première fois durant la production de La Petite Sirène », explique pour sa part l’animateur Ruben Aquino, « Il n’était qu’un stagiaire à peine sorti de l’école. Mais dès le départ, j’ai été impressionné par la beauté de ses dessins et plus encore par sa passion incroyable pour l’animation ».

« Lorsqu’a débuté la production de Pocahontas, une Légende Indienne, il était temps d’offrir une promotion à Pres », note Eric Goldberg, « Sa première scène fut celle durant laquelle Pocahontas glisse un pied délicat dans l’eau au début de la chanson Au détour de la rivière. C’était si beau que Mike et moi nous sommes regardés brièvement et avons dit : ‘Oui, tu es bel et bien un animateur !’ ».

« Press était une âme si douce », raconte Barry Cook, le coréalisateur de Mulan, « C’était incroyable de voir ce méchant sortir de lui. Shan-Yu n’avait aucun ressort comique. C’était un méchant puissant et une réelle menace pour notre héroïne. Pres a réussi à lui insuffler toute cela d’une manière incroyable ».

« Pres était un homme qui adorait dessiner », précise enfin Glen Keane qui fut l’un de ses mentors, « Lorsqu’il arrivait à la limite de sa feuille, son crayon ne s’arrêtait pas. Il continuait ainsi de dessiner ses personnages sur le bois-même de son bureau ».

La table de dessin de Pres Romanillos évoquée par Glen Keane se trouve aujourd’hui au sein de l’Animation Research Library. Trônant au cœur des archives, le bureau est alors magnifique avec ses personnages représentés à même le plateau en bois.