Lorenzo

Lorenzo est assurément l'un des cartoons les plus noirs et macabres des Walt Disney Animation Studios, aux côtés de Vincent, l'une des œuvres de jeunesse de Tim Burton.

Après la sortie de Fantasia 2000, Roy Disney reprend le rêve de son oncle Walt et projette de continuer l'aventure de la "Grande Musique Animée". Un nouveau long-métrage est ainsi envisagé sous le titre provisoire de Fantasia 2006, avec pour nom de code Fantasia 3. Il présente la particularité, par rapport à ses illustres prédécesseurs, de consacrer, non pas des morceaux entiers de musique classique, mais plutôt la diversité des musiques du monde. Plusieurs parties sont ainsi déjà bien avancées quand les échecs successifs des films d'animation 2D plombent le projet, finalement abandonné. Certains de ses courts-métrages menés à terme, sont, néanmoins, présentés au public, séparément, dans des circuits plus ou moins nobles. Destino, Lorenzo, Un par Un et La Petite Fille aux Allumettes sont, il est vrai, à l'affiche de quelques festivals confidentiels ou rattachés à des œuvres sans prétention, dont certaines se limitent même à une simple sortie en vidéo. Ces opus sont à l'évidence bien mal exposés au regard de leurs grandes qualités intrinsèques.

L'idée de Lorenzo revient à l'artiste Joe Grant, un vétéran Disney dont les premiers travaux pour les studios de Mickey remontent à la fin des années 30 mais qui venait de travailler sur Pocahontas, une Légende Indienne. Il a ainsi, en réalité, commencé à imaginer l'histoire du chat Lorenzo dès 1949. Côté direction artistique, Don Hahn et Roy E.Disney demandent à Mike Gabriel, ancien réalisateur Pocahontas, une Légende Indienne et frais démissionnaire du projet La Ferme se Rebelle pour cause de différences de vue, de prendre en charge la réalisation du court-métrage.
Rentré à Cal Arts afin d'étudier l'animation de personnages, Mike Gabriel débute logiquement sa carrière chez Mickey, en 1982, en travaillant sur le cartoon, Fun with Mr. Future. Il suit ensuite divers programmes d'entrainement sous le tutorat d'Eric Larson. Il travaille ainsi en tant qu'animateur sur Taram et le Chaudron Magique, Basil Détective Privé et Oliver & Compagnie puis se voit enfin confier, avec Hendel Butoy, la réalisation d'un long-métrage : Bernard et Bianca au Pays des Kangourous. Après Pocahontas, une Légende Indienne, et malgré quelques travaux pour Disney de-ci, de-là, il ne revient véritablement à la réalisation que pour le court-métrage Lorenzo remontant à 2004.

Dès le tout début du projet, Don Hahn suggère au réalisateur d'utiliser le tango comme musique d'inspiration pour Lorenzo. Mike Gabriel suit donc son conseil et part même au Virgin Megastore du coin acheter pour 346 dollars de CD de tango, en dévalisant littéralement le rayon. Il trouvera pourtant l'inspiration dès le premier morceau du premier CD écouté : Bordoneo y 900, par Juan José Mosalini et son Big Tango Orchestra. Il demande alors au musicien de réinterpréter son titre dans une nouvelle version spécialement enregistrée pour le cartoon en France.
Il faut dire que l'animation traditionnelle et le clean-up de Lorenzo seront réalisés aux studios d'animation de Montreuil dans ce qui constitue pour eux l'un des derniers projets avant d'être fermés. La peinture et les technologies digitales vont être, elles, réalisées à Burbank chez la maison-mère. Mike Gabriel peint ainsi les décors de Lorenzo avec de la peinture Tempera sur du papier noir. Il est aidé dans sa tâche par un nouveau logiciel, Sable, conçu par Daniel Teece, qui permet de restituer les coups de brosses en 3D.

Lorenzo est extraordinaire à plus d'un point. D'abord, visuellement et musicalement, le cartoon est tout simplement magnifique. Superbement réalisé, il est un régal pour les yeux avec cette belle utilisation du bleu et du rouge sur fond noir. Mais surtout le cartoon allie à merveille l'humour noir et un sadisme certain vis à vis de son personnage-titre. Le chat Lorenzo est, en effet, un vantard patenté, totalement égoïste, qui se fait punir par l'esprit d'un chat noir. Et pour se débarrasser de sa malédiction, il va devoir se mutiler quitte à devenir celui-ci dont il se moquait jusque-là : un chat sans queue, lui qui était si fier de son bel appendice caudal. La réussite du cartoon est donc due à son ambiance si particulière et son propos subversif sans pour autant tomber dans le macabre. Le spectateur comprend ce qui va faire le chat mais ne le voit pas s'exécuter Seul le résultat compte !

Lorenzo est salué par la critique. Il est même nommé pour l'Oscar du Meilleur Court-Métrage. Il n'aura pour autant et malheureusement pas droit à une grande exposition. Il est diffusé pour la première fois le 6 mars 2004 lors du Florida Film Festival puis, en première partie du film Touchstone Pictures, Fashion Maman, le 28 mai 2004 et enfin le 7 juin 2004 lors du Festival International du Film d'Animation d'Annecy. Il tombe ensuite vite dans l'oubli, jusqu'à l'édition 2008 du Newport Beach Film Festival où Roy E.Disney, en personne, le propose, parmi une sélection de cartoons atypiques et autres raretés peu connues et, le plus souvent, indisponibles en vidéo à l'image d'Oilspot & Lipstick ou de Redux Riding Hood. Il faudra finalement attendre le 18 août 2015 pour voir Lorenzo proposé largement au public via la compilation Walt Disney Animation Studios - Short Films Collection.

Lorenzo est une pépite restée trop longtemps dans l'ombre. Le cartoon allie à merveille l'humour noir et le propos subversif, le tout enveloppé d'un sens artistique indéniable. Une merveille !