Sue Nichols

Au début des années 1990, les studios Disney vivent un nouvel Âge d’or avec les sorties successives de La Belle et la Bête, Aladdin et Le Roi Lion. À l’origine de ce renouveau historique, figure notamment une dessinatrice de grand talent, Sue Nichols.

Susan Carol (Sue) Nichols naît le 10 juin 1965 à East Longmeadow, dans le sud-ouest du Massachusetts. Fille de Brian et Julie Nichols, elle étudie comme ses frère et sœurs - Mary, Patricia et John – sur les bancs de l’East Longmeadow High School d’où elle sort diplômée en 1983. Passionnée depuis toujours par le dessin, elle quitte la côte Est pour s’installer en Californie où elle devient élève du California Institute of the Arts (CalArts), la célèbre école d’art située à Valencia, dans la banlieue de Los Angeles. Là, elle se spécialise dans l’animation. Pour payer son loyer, elle travaille en parallèle pour un studio qui, à l’époque, s’est lancé dans la production d’un court-métrage sur l’avortement. Durant l’été de sa première année à CalArts, elle planche par ailleurs sur quelques-unes des séries animées produites par Marvel Entertainment.

Chargée de peindre les feuilles de celluloïd, Sue Nichols multiplie dans les mois suivants les petits boulots au sein de nombreuses autres sociétés où elle officie en tant que dessinatrice, autrice, conceptrice visuelle, illustratrice de livres… Tous ces emplois ponctuels payent mal, voire pas du tout... Certains sont même la cause d’énormes déceptions. L’artiste passe notamment un entretien avec le producteur Mike Joens qui développe la série Mon Petit Poney (1987). Engagée, Nichols déchante cependant rapidement... Le successeur de Joens critique en effet sévèrement ses dessins. Effondrée, la jeune femme rentre chez elle en larmes chaque soir, persuadée de n’avoir aucun talent. Cette expérience – l’une des premières de sa carrière – est traumatisante. Elle lui permet malgré tout de payer le loyer, de compléter son CV et d'achever, dans le même temps, son cursus à CalArts en 1987.

Alors qu’elle est employée sur Mon Petit Poney, Sue Nichols a la chance de côtoyer Vicky Banks, Leon Joosen, Chris Sanders et Jean Gillmore qui planchent sur la série Les Muppet Babies produite par Jim Henson avec le concours de Marvel (1984-1989). Grâce à l’entremise de Gillmore, elle est alors engagée à son tour sur le programme. Quittant sans regret les équipes de Mon Petit Poney, elle reprend ainsi goût au dessin et apprend au passage l’art de créer de nouveaux personnages. Il s’agit toutefois d’un emploi précaire. Il est en effet d’usage à l’époque que lorsque la production de tous les épisodes d’une saison est terminée, les artistes voient leur contrat s’arrêter en attendant, peut-être, d’être repris l’année suivante. Comme ses collègues, Nichols doit donc trouver d’autres sources de revenus, tantôt en élaborant des jouets, tantôt en concevant des décors pour des vitrines de magasins. Fort heureusement, le producteur Mike Joens se souvient d’elle et, désormais à la tête de son propre studio, décide de l’engager sur la série McGee and Me (1990). Sue Nichols travaille en outre sur le téléfilm animé Blondie & Dagwood: Second Wedding Workout (1989).

Tout en collaborant avec Mike Joens, Sue Nichols mène une carrière d’artiste indépendante. Elle postule ainsi chez Disney alors à la recherche d’artistes en herbe. Son portfolio tape dans l’œil du directeur artistique et réalisateur Mike Gabriel. Nichols est engagée et, avec d’autres recrues, participe au développement de plusieurs scripts et autres adaptations d’ouvrages. Disney ne disposant pas systématiquement des droits, la majorité de ses dessins n’aboutissent néanmoins à aucun projet concret. Bientôt, Sue Nichols rejoint l’équipe de Jerry Rees, Kirk Wise et Gary Trousdale et conçoit avec eux les personnages du court-métrage Cranium Command produit pour l’attraction éponyme d’Epcot (1989). Comme celui de ses collègues, son visage apparaît même dans le film au moment où les pilotes embarquent dans les crânes.

Désormais membre de l’écurie Disney, Sue Nichols intègre la production du (Le) Prince et le Pauvre (1990). Mis en scène par George Scribner, le réalisateur d’Oliver & Companie, le dessin animé inspiré de l’œuvre de Mark Twain permet d’occuper les artistes en attendant la mise en chantier du long-métrage suivant. Nichols ne passe que deux semaines dessus, concevant durant ce petit laps de temps quelques esquisses des gardes. Elle est en effet associée à un autre film, Aladdin (1992), qui n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements. Occupés à terminer La Petite Sirène (1989), les réalisateurs Ron Clements et John Musker ne sont pas encore attachés au projet. Toujours en cours d’écriture, celui-ci doit d’ailleurs encore être approuvé par Michael Eisner et Jeffrey Katzenberg. Avec Richard Vander Wende, Sue Nichols est alors chargée de créer quelques concept arts afin que le film obtienne le feu vert. Elle est cependant rapidement débauchée par le producteur Don Hahn qui a besoin d’elle pour participer au développement visuel de La Belle et la Bête (1991) dont le projet, initialement délocalisé à Londres, patine. Nichols collabore avec Brenda Chapman, Roger Allers, Chris Sanders ainsi qu’avec Kirk Wise et Gary Trousdale, fraîchement nommés réalisateurs. Tous s’envolent pour New York afin de rencontrer le parolier Howard Ashman.

Une fois la production de La Belle et la Bête remise sur les rails, Sue Nichols retrouve l’équipe en charge d’Aladdin. Pour la première fois, elle participe à l’écriture du scénario et à la conception des storyboards. Sous l’égide d’Ed Gombert, l’un de ses mentors, elle se charge en particulier de concevoir la séquence durant laquelle Jasmine s’échappe du palais et découvre les rues d’Agrabah. Elle travaille ensuite au premier développement du (Le) Roi Lion (1994). À l’époque appelé « King of the Jungle », le projet n’est en rien abouti. Jeffrey Katzenberg souhaite en faire le nouveau Bambi. Mais les artistes peinent à se lancer. Le premier titre est d’ailleurs révélateur de ce tâtonnement, aucun lion ne vivant en réalité dans la jungle ! C’est bien simple, Le Roi Lion est perçu comme un projet de seconde zone destiné à occuper les artistes pour l’heure inemployé… Sue Nichols travaille alors de nouveau sous la direction de George Scribner, bientôt remplacé par le duo Rob Minkoff et Roger Allers. Elle conçoit en particulier le personnage de Batty, une chauve-souris amie de Nala finalement exclue du script final…

Brenda Chapman, Don Hahn et Sue Nichols

Durant la production du (Le) Roi Lion, Sue Nichols entend parler de la volonté de Roy E. Disney de concrétiser le rêve de son oncle, Walt, en développant une nouvelle version de Fantasia. Baptisée Fantasia Continued avant d’être retitré Fantasia 1999 puis Fantasia 2000 (2000), le long-métrage musical est supervisé par le producteur Donald W. Ernst et le réalisateur Hendel Butoy. Par l’intermédiaire de Thomas Schumacher, le président de Walt Disney Feature Animation, le chef d’orchestre James Levine est attaché au projet. Plusieurs partitions sont sélectionnées telles que Les Pins de Rome d’Ottorino Respighi et Pomp & Circumstance de Sir Edward Elgar. Pour cette dernière composition, Michael Eisner suggère l’idée de créer une séquence inédite présentant les couples Disney recevant leurs petits bébés livrés par des cigognes. Sue Nichols dessine l’enfant d’Aladdin et Jasmine en s’inspirant du personnage de Baby Snooks créé dans les années 1910 par la comédienne Fanny Brice. Totalement décalé, le concept est finalement abandonné après la rédaction de dizaines de versions différentes.

Au milieu des années 1990, Sue Nichols souhaite retourner sur ses terres de la côte Est. À la fin de son contrat chez Disney, elle s’apprête donc à faire ses valises lorsqu’elle est approchée par le réalisateur Darrell Rooney, l’un des cadre des studios Turner Animation qui lui propose de se pencher sur un script initialement imaginé par Ted Turner. L’aventure est sans lendemain. Installée dans son Massachusetts natal avec son mari Chester (J.R.) Maciorowski et les enfants de ce dernier, Stephanie et Jonathan, Nichols tente de retrouver une place, en vain. Fraîchement nommé directeur artistique chez Disney, Michael Giaimo lui propose alors de lui succéder en tant qu’enseignant à l’Institut CalArts. Sue Nichols accepte et repart vers l’Ouest. Profitant de son retour en Californie, Kirk Wise et Gary Trousdale l’associent à la création de Song of the Sea, un long-métrage avec des baleines. Lorsque celui-ci tombe à l’eau, le duo de réalisateurs se voit confier la production du (Le) Bossu de Notre-Dame (1996). En charge du développement visuel, Sue Nichols conçoit également certains storyboards. Le film adopte alors un style très réaliste, Jeffrey Katzenberg imaginant ainsi attirer l’attention de l’Académie des Oscars et, pourquoi pas, décrocher le trophée du Meilleur Film.

Au milieu des années 1990, Sue Nichols intègre « The Creation Station », une branche novatrice du département animation des studios Disney développée par Tina Price et au sein de laquelle les artistes apprennent à se servir de l’outil informatique pour concevoir leurs dessins. Le matériel est encore volumineux et parfois peu ergonomique. Mais il permet de corriger un croquis ou de modifier une couleur sans être obligé de tout recommencer. Sue Nichols adore littéralement ce nouveau support de travail qu’elle utilise notamment lors de la création d’Hercule (1997). Elle s’amuse alors follement à dessiner les personnages tout droit sortis de la mythologie grecque. C’est d’ailleurs la première fois que certains de ses dessins sont repris sans trop de changements à l’écran. Sa mosaïque représentant Hercule ou bien encore certains vases sont mêmes réutilisés tels quels dans le film ! Son travail influence également grandement la conception des Enfers d’Hadès. Les réalisateurs John Musker et Ron Clements adorent tellement son style qu’ils lui demandent bientôt de concevoir la « Bible visuelle » du film envoyée aux artistes éparpillés entre Los Angeles, Orlando, Londres et Paris. Un nouveau titre est même créé pour elle, celui de « Production Stylist ».

Sue Nichols enchaîne ensuite avec Mulan (1998). Le défi est alors de concevoir des personnages respectueux de la culture chinoise. Nichols dessine ainsi l’héroïne et les autres protagonistes en leur donnant une silhouette caractéristique des peuples d’Asie. Elle essuie rapidement une bronca de la part de certains collègues qui rejettent ce style et arguant qu’il est impossible d’insuffler des émotions avec un visage anguleux. Quelques-uns se plaignent de ne pas retrouver le style Disney propre aux héroïnes précédentes, Ariel, Belle et Jasmine… Certains cadres pensent que le public n’adhérera pas au film si les personnages ne ressemblent pas à ce que les studios ont produit par le passé… Le parti pris ethnique de Nichols est contesté. Beaucoup de ses esquisses sont malgré tout – et heureusement – reprises pour donner son style si beau à Mulan.

Après Hercule et Mulan, Sue Nichols rejoint les équipes en charge du développement de nouvelles histoires ce qui la conduit à réaliser un premier test en qualité de réalisatrice d’un court-métrage mêlant prises de vues réelles et animation assistée par ordinateur grâce à la technologie MAYA, utilisée par la suite pour créer Dinosaure (2000). Nichols rejoint par ailleurs le département Histoire et dirige un petit groupe d’artistes engagés pour adapter La Reine des Neiges d’après Hans Christian Andersen. Leur travail ne reçoit cependant à l’époque aucun feu vert... Très ponctuellement, Sue Nichols aide enfin à mettre certains projets sur les rails tels que Kingdom of the Sun dont le script, très altéré, donne finalement naissance à Kuzco, l’Empereur Mégalo (2000). Elle collabore en outre à la production d’Atlantide, l’Empire Perdu (2001). Comme pour Hercule, elle est chargée de travailler sur le style visuel du film. Partant des bandes dessinées de Mike Mignola, le créateur d’Hellboy engagé pour influencer les décors et les personnages, Nichols conçoit un guide visuel à destination de ses collègues. Celui-ci sera finalement peu utilisé… La dessinatrice poursuit son parcours en créant un autre guide, How to Draw Like Chris Sanders distribué aux animateurs et artistes engagés sur Lilo & Stitch (2002).

Au début des années 2000, Sue Nichols est mutée au sein de la filiale Disney Television Animation. Le département chargé de développer de nouvelles histoires vient en effet d’être fermé. Elle se voit alors offrir de réaliser Dumbo 2, la suite du grand classique de 1941. Une proposition similaire lui est faite concernant cette fois Bambi 2 (2006). Elle décline néanmoins car elle a déjà accepté de servir comme responsable du scénario des (Les) Aventures de Porcinet (2003). Simplement créditée comme artiste de storyboard sur ce dernier film, Nichols regrettera de ne pas avoir accepté les postes de réalisatrices proposés…

Sue Nichols voit son contrat chez Disney s’arrêter en 2002. Les studios lui proposent alors de le renouveler et de l’envoyer au Japon pour superviser la réalisation de Winnie l’Ourson et l’Éfélant (2005). Au même moment, son collègue et ami Eric Goldberg lui propose de le rejoindre chez Universal où un nouveau projet de long-métrage est en chantier. Sue Nichols décline les deux propositions, vend sa maison et rentre dans le Massachusetts. Travaillant désormais en tant qu’artiste indépendante, elle crée certains storyboards de Bambi 2 et Mulan 2 : La Mission de l’Empereur (2004). Kevin Lima lui demande de dessiner quelques esquisses pour Il Était une Fois (2004). John Musker et Ron Clements l’engagent pour définir le style visuel de La Princesse et la Grenouille (2009), en particulier pour la chanson Au bout du rêve interprétée par le personnage de Tiana. Elle insuffle en même temps l’idée de donner vie à l’ombre du Docteur Facilier. Nichols aide également au développement visuel de La Fée Clochette (2008). Pendant deux semaines, elle revient enfin en Californie, chez Pixar, pour épauler son amie Brenda Chapman qui vient tout juste de prendre les rênes de Rebelle (2012).

Après avoir achevé La Princesse et la Grenouille, John Musker et Ron Clements proposent à Sue Nichols de retravailler avec eux sur une histoire reprenant certaines légendes hawaïennes. Les différents concepts sont cependant rejetés même si certaines idées seront malgré tout reprises lors de la création de Vaiana, la Légende du Bout du Monde (2016). En parallèle de ses collaborations avec Disney, Nichols se consacrent à d’autres projets. Elle signe notamment Occupational Therapy For Artists, un livre numérique visant à aider les artistes à rester en bonne santé tout en continuant de dessiner. Elle illustre par ailleurs le livre My Trip to Funny Land en s’inspirant d’une histoire inventée par son neveu au moment de son entrée à l’école. Trouvant l’idée amusante, Sue Nichols imagine alors créer une nouvelle série de livres développée à partir de récits écrits par des enfants.

Ce dernier projet ne verra malheureusement jamais le jour. En octobre 2014, Sue Nichols se voit diagnostiquer un cancer du sein dit agressif. Elle consacre alors son temps à lutter contre la maladie grâce à l’aide des médecin du D’Amour Center de Springfield. Elle ne reprend finalement le travail qu’en 2017, toujours en tant qu’artiste indépendante. Elle crée ainsi certains storyboards de film Ugly Dolls de Kelly Asbury (2019). Son cancer refait toutefois rapidement surface. Incapable de marcher, Sue Nichols s’éteint le 1^er septembre 2020. Elle avait cinquante-cinq ans. « Il y a tellement de choses à dire au sujet de Sue », confie Brenda Chapman au moment de l’annonce du décès de son amie, « Son travail était tout bonnement extraordinaire. Son sourire était plus grand que nature et très communicatif. Son sens de l’humour espiègle était une vraie joie. Sa gentillesse était toujours intacte. J’étais aux anges quand elle a été embauchée par Disney et que nous avons pu travailler ensemble sur La Belle et la Bête. Je chérirai toujours ce moment et les souvenirs qui en découlent ». « Elle manquera à tous ceux qui ont eu la chance de travailler avec elle », ajoute Eric Goldberg, « Son influence qu’elle a eu sur nombre de films ne disparaîtra jamais ». Sue Nichols est inhumée au Massachusetts Veteran Memorial Cemetery d’Agawam. En 2020, un Winsor McCay lui est décerné à titre posthume pour l’ensemble de la prolifique carrière.