Le Colporteur

Aladdin

En 1992, les studios Disney proposent de revisiter Les 1001 Nuits avec Aladdin, leur 31^e grand classique animé. Pour l’occasion, les spectateurs sont accompagnés au cœur de l’intrigue par un Colporteur aussi amusant que mystérieux.

« Moi, je viens d’un pays de désert infini où les caravanes rêvent et flânent ». Le Colporteur est le premier personnage d’Aladdin à apparaître à l’écran. Assis sur son dromadaire, il traverse le désert. Le soleil est bas. Son ombre s’étire longuement sur le sable. Le vent soulève la poussière. Derrière une dune, trône la splendide Agrabah avec ses rues étroites et son magnifique palais.

Alors que la nuit est tombée, le Colporteur arrive enfin en ville. Sa marche a sans doute été longue pour arriver jusqu’ici. Son dromadaire, en effet, est complètement lessivé. Les jambes flageolantes et la langue pendante, la monture ne tarde d'ailleurs pas à s’affaler sur le sol. Glissant le long du cou de l’animal, le Colporteur aperçoit bientôt les spectateurs qu’il invite sans tarder à approcher.

« Bienvenue à Agrabah ! ». Après avoir été violemment percuté par la caméra qui s’est approchée d’un peu trop près, le Colporteur salue le public invité à découvrir tout son bric-à-brac. Car le Colporteur n’est pas arrivé là les mains vides. Dans son paquetage, un véritable stand renferme des objets divers et variés. Le spectateur a de la chance. Ce sont « les plus belles marchandises de ce côté du Jourdain ». Mieux ! Tout est en solde !

Le regard aguicheur et le sourire jusqu’aux oreilles, le Colporteur présente sans attendre ses meilleurs articles. Le combiné narguilé-cafetière capable de couper les pommes de terre en frites est un indispensable. D’autant qu’il est incassable... incass... Bref... Et pourquoi pas le « célèbre tupperware de la Mer Morte ? ». Une véritable rareté !

Toute cette quincaille ne semble pas de la meilleure qualité et la caméra s’éloigne bientôt. Pour rattraper le client sur le point de se faire la malle, le Colporteur sort alors son meilleur atout, une mystérieuse lampe. Si chacun peut penser qu’il ne s’agit que d’une énième camelote, l’objet est en réalité un artefact rare qui changea jadis la vie d’un jeune homme. Enfin parvenu à captiver son auditoire, le Colporteur débute donc son récit dans lequel il n’est plus amené à réapparaître.

L’adaptation de grands classiques de la littérature fait partie de la tradition Disney depuis les origines. Après La Petite Sirène, le duo de réalisateurs Ron Clements et John Musker décide de se pencher sur Les 1001 Nuits, le légendaire recueil de contes persans, indiens et arabes. Pour plonger de manière amusante les spectateurs au cœur de l’histoire, les scénaristes Terry Rossio et Ted Elliott font alors le choix de créer un protagoniste totalement inédit, un personnage de colporteur anonyme venu de nulle part pour raconter le récit séculaire d’Aladdin.

Le Colporteur apparaît ainsi dès les premières secondes d’Aladdin. Accompagné de son dromadaire, il se montre sous les traits d’un bonhomme mince et court sur pattes. La peau brunie par le soleil, il porte une tunique bleue attachée à la taille par une ceinture pourpre. Une paire de sandales aux pieds, le Colporteur est coiffé d’un turban blanc aux proportions impressionnantes. Caricaturant certains des traits physiques attribués par Hollywood aux populations du Proche-Orient, il arbore en outre un visage marqué par de bonnes joues rondes, un nez aquilin imposant, d’épais sourcils, une moustache et une petite barbichette noire recourbée.

Cette apparence du Colporteur a plusieurs fois changé durant la pré-production d’Aladdin. Certaines recherches graphiques le représentent en effet sous la forme d’un homme squelettique ressemblant à une sorte de fakir dégingandé. D’autres le montre tel un jeune homme édenté torse-nu.

Recherches graphiques

Cantonné à la seule introduction du film, le personnage du Colporteur possède un double rôle. Il s’agit tout d’abord de l’un des ressorts comiques d’Aladdin. La présentation de toute sa marchandise est en particulier le premier fou-rire du film. Surtout, il représente ce lien permettant au public d’entrer dans une intrigue dont il ne connaît en réalité par grand-chose. Si les contes européens adaptés jadis par les studios Disney profitaient d’une réputation et d’une aura déjà établies, le récit d’Aladdin est, pour sa part, totalement exotique pour nombre de personnes, en particulier aux États-Unis. L’idée est dès lors d’introduire un compagnon d’aventure chargé de prendre le spectateur par la main, de lui donner le sourire et ensuite de le faire entrer dans la magie de l’histoire. Au passage, le Colporteur est ainsi le seul personnage d’Aladdin à briser allègrement le quatrième mur en discutant directement avec le public, un privilège néanmoins partagé avec le Génie à la fin du film.

L'animation du Colporteur est supervisée par Duncan Marjoribanks. Né le 29 décembre 1953 à Toronto, au Canada, l’artiste débute sa carrière à la fin des années 1970. Engagé chez Hanna-Barbera en tant qu’animateur et concepteur visuel, il travaille alors sur Les Voyages Fantomatiques de Scoubidou, Casper and the Angels, The World’s Greatest SuperFriends et Godzilla. Après un passage chez Ruby-Spears Productions puis aux Jim Henson Studios, Marjoribanks entre chez Disney. Superviseur de l’animation de Sébastien dans La Petite Sirène, il donne ensuite vie à Percival McLeach, à Abu et au gouverneur John Ratcliffe. Ponctuellement associé à la production du (Le) Bossu de Notre-Dame, il rejoint bientôt les rangs du concurrent Dreamworks, S.K.G. et collabore aux productions du (Le) Prince d’Égypte, La Route d’Eldorado et Spirit : l’Étalon des Plaines. De retour chez Disney, l’artiste anime Miss Caloway dans La Ferme se Rebelle et Big Daddy Lebœuf dans La Princesse et la Grenouille. Crédité au générique de Bienvenue Chez les Robinson, Duncan Marjoribanks fonde sa propre compagnie, Duncan Studio Productions, au début des années 2010.

Duncan Marjoribanks est épaulé par Edward R. Gutierrez. Passionné d’animation depuis qu’il a découvert Le Livre de la Jungle au cinéma, l’artiste débute au milieu des années 1980. Stagiaire à l’époque de la production de La Petite Sirène, il sert comme intervalliste sur Bernard et Bianca au Pays des Kangourous et La Belle et la Bête. Assistant au moment de la production d’Aladdin et du (Le) Roi Lion, il devient key-assistant sur Pocahontas, une Légende Indienne, Le Bossu de Notre-Dame, Hercule, Mulan, Tarzan, Fantasia 2000 et Kuzco, l’Empereur Mégalo.

En version originale, le Colporteur est interprété par Robin Williams qui a largement influencé le personnage en improvisant avec gourmandise lors des sessions d’enregistrement. Originaire de Chicago où il naît le 21 juillet 1951, le comédien fait partie des artistes les plus populaires du Septième Art. Se destinant dès le prime enfance au métier d’acteur, Williams suit les cours de la Juilliard School avant de débuter sa carrière dans les années 1970. Il devient alors un visage familier pour les Américains grâce à son rôle de Mork dans Happy Days puis dans Mork & Mindy. Le cinéma lui tend bientôt les bras. Après Popeye en 1980, Robin Williams triomphe dans des dizaines de classiques tels que Moscou à New York, Good Morning Vietnam, Le Cercle des Poètes Disparus, Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet, Toys, Madame Doubtfire, Jumanji, Jack, Flubber et Will Hunting qui lui vaut de remporter l’Oscar du Meilleur Acteur dans un Second Rôle. Durant les années 2000, l’artiste change de registre avec des rôles de criminels dans Photo Obsession et Insomnia. La Nuit au Musée et Le Majordome font partie de ses dernières apparitions sur l’écran. Les comédies et les pitreries ne sont cependant qu’une façade. Atteint d'une grave dépression, Robin Williams choisit de se donner la mort le 11 août 2014. Il avait soixante-trois ans... Un Disney Legends Award décerné en 2009 couronne sa carrière.

Également chargé de doubler le Génie, Robin Williams est suppléé par Bruce Adler qui se charge d’interpréter la chanson Nuit d’Arabie entonnée par le Colporteur au début du film. Né le 27 novembre 1944 à New York, l’artiste débute sa carrière dans de petits théâtres de province avant de se produire à Broadway en 1979 dans une nouvelle version d’Oklahoma!. Hasard du destin, il campe alors Ali Hakim, un autre colporteur originaire de Perse ! Adler joue ensuite dans Oh, Brother!, Sunday in the Park with George, Rumors et Crazy for You. Également présent à la télévision, il participe au doublage de La Belle et la Bête et d’Aladdin. Atteint d’un cancer, Bruce Adler disparaît le 25 juillet 2008 à l’âge de soixante-trois ans, quelques semaines seulement après une ultime apparition sur la scène de Carnegie Hall.

En France, le rôle du Colporteur est tenu par Bernard Alane. Né à Paris le 25 décembre 1948, le comédien débute sa carrière à la fin des années 1960. Interprète de l’Hiberné Paul Fournier dans Hibernatus aux côtés de Louis de Funès, il apparaît notamment dans La Vie Parisienne, L’Été de Nos Quinze Ans et Agathe Cléry. Pensionnaire de la Comédie-Française entre 1972 et 1973 à l’affiche de pièces comme Pygmalion, Roméo et Juliette, Le Bourgeois Gentilhomme, Peter Pan, Un Mari Idéal et La Cage aux Folles, Bernard Alane se produit en parallèle au théâtre tout en jouant à la télévision dans Les Compagnons d’Éleusis, Les Amours sous la Révolution et Le Grand Charles. Voix française de Stanley Tucci, Stephen Tobolowsky et David Thewlis, il interprète par ailleurs des dizaines de personnages animés : Atchoum, Bambi, Maître Hibou, Clopin, La Muraille, Fil, le Professeur Z, le Duc de Weselton, Averell Dalton, Panoramix...

Dès la sortie d’Aladdin dans les salles, les spectateurs se sont interrogés sur l’identité exacte du Colporteur. Le personnage a en effet reçu un traitement semble-t-il différent de celui des autres personnages humains du film. Le Colporteur est ainsi caricatural à souhait alors que le héros et ses comparses possèdent quant à eux une apparence plus réaliste. Surtout, le narrateur ne possède que quatre doigts à chaque main, un point commun avec le Génie. Rapidement, l’idée se répand alors que le Colporteur et le Génie ne sont en réalité qu’un seul et même personnage. La rumeur est d’autant plus forte que les deux protagonistes sont doublés en version originale par le même acteur, Robin Williams, une particularité que les versions internationales n’ont étrangement pas conservée...

Alimentée par internet, cette rumeur ne cesse de grossir avec les années. Il faut alors attendre octobre 2015 pour obtenir enfin une version officielle de la part de Ron Clements et John Musker. Interrogé par le site eonline (E!), le duo de réalisateurs confirme ainsi que durant l’écriture d’Aladdin, il a effectivement été envisagé que le Colporteur et le Génie ne soient qu’un seul et même personnage. La véritable identité du marchand devait alors être révélée à la toute fin du film. Des changements scénaristiques ont toutefois été apportés et l’idée abandonnée, le Colporteur ne réapparaissant finalement plus lors du dénouement de l’intrigue.

Le Colporteur n’est pas présent au générique du (Le) Retour de Jafar, la piteuse suite d’Aladdin produite en 1994 par Walt Disney Television Animation pour le marché de la vidéo. La chanson Nuit d’Arabie est toutefois utilisée comme générique. Elle est alors interprétée par Brian Hannan en version originale et une nouvelle fois par Bernard Alane en version française. Le Colporteur fait néanmoins un petit retour à la toute fin d’Aladdin et le Roi des Voleurs. Aladdin et Jasmine sont enfin mariés. Embarqués sur le Tapis volant, ils croisent alors le marchand ambulant devant son étalage.

En 2019, avec la version en prises de vues réelles d’Aladdin réalisée par Guy Ritchie, le scénariste John August reprend l’idée originelle de faire jouer le rôle du narrateur au Génie. Ainsi, les spectateurs sont cette fois accueillis directement par le personnage joué par Will Smith. La boucle est pour ainsi dire bouclée avec la reprise de cette idée originelle de fusionner le rôle du narrateur et celui du Génie.

Le Colporteur est interprété par le comédien Jim Cummings dans le livre-audio Aladdin: Adventure in the Cave of Wonders édité au moment de la sortie du film. Corey Burton reprend à son tour le rôle dans un autre livre-cassette, Iago Returns, publié en 1994. Le personnage apparaît par ailleurs dans les différents jeux vidéo adaptés du grand classique animé dans lesquels il permet aux joueurs d’obtenir des vies supplémentaires. Il est également l’un des protagonistes de Kingdom Hearts II. Une fois encore campé par Corey Burton, il entre dans l’histoire en pourchassant Abu qui vient de lui voler la lampe magique dans laquelle Jafar est enfermé. Acceptant de vendre l’artefact à Sora en échange d’un trésor, il libère finalement malgré lui le vizir qui cherche immédiatement à se venger. Le Colporteur fait en outre de courtes apparitions dans Kingdom Hearts Re:Coded et Kingdom Hearts.

Dans Epic Mickey : Power of Illusion, Mickey croise la route du Colporteur au moment d’explorer la zone inspirées de la Caverne aux Merveilles. Une fois son commerce remis en place, le personnage se charge de vendre différents objets permettant au joueur d’augmenter sa force de jeu. Le Colporteur est enfin visible dans le jeu Hidden Worlds.

Au moment de la sortie d’Aladdin aux États-Unis, un colporteur faisait partie des personnages que les visiteurs pouvaient apercevoir dans les allées de Disneyland et de Walt Disney World Resort. Le personnage était cependant différent de celui du film d’animation. Interprété par Michael Marzella, il revêtait un costume oriental sans aucune comparaison avec celui que porte le personnage animé. Chargé de désigner la princesse du jour, ce colporteur est notamment visible dans Voyage Chez Disney, l’un des épisodes de la sixième saison de la série La Fête à la Maison diffusé le 11 mai 1993.

Dans le menu du restaurant Aladdin’s Oasis à Adventureland, il est précisé que le Colporteur se prénomme Kazim et qu’il est le propriétaire de l’établissement. Cette mention a cependant disparu de la nouvelle carte.

Enfin, dans le spectacle Aladdin: A Musical Spectacular joué entre 2003 et 2016 sur la scène de l’Hyperion Theatre du Parc Disney California Adventure, le rôle du Colporteur est remplacé par celui d’un voyageur anonyme interprété tantôt par un homme, tantôt par une femme. Le personnage n’apparaît pas non plus dans la comédie musicale Aladdin dans laquelle la narration est confiée au Génie.

Protagoniste mineur présent seulement une poignée de minutes, le Colporteur n’en reste pas moins un personnage truculent offrant à Aladdin une belle part d’exotisme et une bonne dose d’humour avant d’emporter les spectateurs au cœur de l’histoire.