Photo Obsession
Titre original : One Hour Photo Production : Catch 23 Entertainment Killer Films John Wells Productions Date de sortie USA : Le 21 août 2002 Le 13 janvier 2002 (présentation au Sundance Film Festival) Distribution : Fox Searchlight Pictures Genre : Thriller |
Réalisation : Mark Romanek Musique : Reinhold Heil Johnny Klimek Durée : 96 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
Employé modèle du laboratoire de développement de photos d'un hypermarché, Sy Parrish aime son métier et ses clients. Parmi ces derniers, il se prend tout particulièrement d'affection pour la famille Yorkin, qui vient régulièrement lui déposer ses pellicules à développer. Mais Sy s'attache beaucoup trop à ce qu'il pense être la famille idéale. À tel point que lorsqu'il surprend des clichés compromettants de Will Yorkin en plein adultère, sa vie tourne au cauchemar. Dès lors, il ne peut se résoudre à rester impassible et s'immisce dans la vie de la famille, d'une façon inquiétante... |
La critique
De l'imposante filmographie de Robin Williams, le grand public a surtout tendance à retenir ses rôles dans pléthore de comédies familiales. C'est oublier que ce talentueux clown triste excellait aussi en interprétant des personnages sombres. Photo Obsession est sans aucun doute le meilleur exemple de l'autre facette de ce regretté comédien.
Photo Obsession, c'est avant tout une idée géniale tout droit sortie de l’imaginaire de Mark Romanek. Ni adaptation ni remake : un scénario original comme le cinéma commence tristement à en manquer. Mark Romanek n’est pourtant pas vraiment un habitué du grand écran. Loin d’être un vieux de la vieille, accoudé au comptoir du septième art, il serait plutôt du genre à s’installer discrètement dans un coin de la salle. Et pour cause, c'est surtout en réalisant des clips musicaux qu'il se fait un nom. Né le 18 septembre 1959 à Chicago, aux États-Unis, il rêve de devenir réalisateur après avoir découvert, à l’âge de neuf ans, le monument de la science-fiction 2001 : l’Odyssée de l’Espace, de Stanley Kubrick. Après l’obtention d’un diplôme de cinéma et de photographie, il fait ses premiers pas dans le métier en tant que deuxième assistant réalisateur de Brian DePalma, rien que ça, sur son film Home Movies (1980).
Cinq ans plus tard, il sort enfin son premier film, Static (1985), qui met en scène un ouvrier d'une fabrique de crucifix prétendant avoir créé un appareil montrant le paradis. Un personnage qui, déçu de ne pas être pris au sérieux, se lance dans le détournement d'un autobus pour attirer l'attention. Mark Romanek délaisse ensuite longuement le cinéma, se consacrant exclusivement à la réalisation de clips pour une pléïade d'artistes, de Michael Jackson à Nine Inch Nails, en passant par Madonna, Lenny Kravitz, Jay-Z ou Justin Timberlake. Ce n'est qu'en 2002 qu'il retrouve le grand écran, avec Photo Obsession. Après plusieurs projets avortés, son troisième et dernier long-métrage à ce jour, Auprès de Moi Toujours (ou Never Let Me Go en salles), sort en 2010. De ses trois films se dégage vite un goût à mettre en scène des personnages fragiles et torturés, comme Photo Obsession en est un parfait exemple.
De ce côté-là, force est de constater que le spectateur est servi avec Sy Parrish. Employé modèle du laboratoire de développement de photos d'un hypermarché, il exerce son métier avec passion, exigeance et méticulosité depuis des années et des années. Une vie bien monotone pour ce personnage célibataire, sans famille et sans ami mais dont il semble s'accomoder tant bien que mal. Son affection, il la destine particulièrement à une famille de clients fidèles : les Yorkin. Un couple de trentenaires parents d'un enfant d'une dizaine d'années, Jake, à qui il offre de petits cadeaux ou gestes commerciaux de temps à autre, et dont il paraît connaître toute la vie à force de fixer celle-ci sur papier photo. Jusqu'au jour où un événement innatendu vient rompre l'équilibre précaire sur lequel reposait toute la triste vie de Sy. Lorsque ce dernier découvre que le père de la famille Yorkin trompe son épouse, c'est le début d'une descente aux enfers pour lui, révélant une facette bien plus inquiétante de sa personnalité.
Introverti, esseulé, de toute évidence malheureux, cet anti-héros attire d'abord un mélange de sympathie et de compassion. Puis, à travers l'objectif de Mark Romanek, le négatif prend progressivement le dessus à mesure que Sy se décide à passer à l'action pour "punir" Will Yorkin de son adultère. Le spectateur commence alors à le craindre, et peut même finir par le détester. En fait, Romanek joue avec son personnage principal autant qu'avec les sentiments du public. Ce dernier se sent finalement aussi perdu que Sy à mesure que la tension monte et ne sait au bout du compte plus quoi penser du personnage. Et ce jusqu'à la dernière minute du film, grâce à une révélation finale qui vient un peu plus encore semer le trouble. Tout semble donc réuni pour faire de Sy un personnage passionnant. Au lancement du projet, c'est l'acteur Jack Nicholson qui est approché par Mark Romanek pour incarner Sy Parrish. Mais ce monstre sacré du cinéma américain le trouve trop proche de son personnage de Jack Torrance, le gardien d'hôtel perdant peu à peu la raison dans Shining (1980) de Stanley Kubrick. Il refuse donc le rôle, qui revient finalement à un autre acteur exceptionnel : Robin Williams. Et le résultat a de quoi satisfaire le réalisateur comme le public, qui n'a plus qu'à se laisser porter.
Est-il vraiment nécessaire de rappeler le talent dont ce comédien a fait preuve au cours de sa riche carrière ? Révélé en 1976 par la série Happy Days, où il interprète l’extraterrestre Mork, il accède au cinéma avec le film Popeye (1980), dont il incarne le rôle-titre du légendaire marin. À partir de là, il enchaîne les films cultes : Good Morning Vietnam (1988), Le Cercle des Poètes Disparus (1990), Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet (1991), Jumanji (1995), Jack (1996), Flubber (1997) ou encore Will Hunting (1998), qui lui vaut de remporter l’Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle. Cette même décennie, il s’illustre en étant la voix originale du Génie dans les films Aladdin (1992) et Aladdin et le Roi des Voleurs (1997). Plus tard, il enrichit sa filmographie d’œuvres plus sombres avec, outre Photo Obsession, Insomnia (2002), dans lesquelles il s'éloigne des standards de la comédie auxquels il est fréquemment associé et montre au monde entier qu'il peut vraiment tout jouer. Il revient par la suite à des rôles plus familiaux comme avec la trilogie La Nuit au Musée (de 2006 à 2014), avant de mettre fin à ses jours en 2014.
Face à lui, le reste du casting n'a finalement que peu de place pour exister, il faut le reconnaître. Mais tous parviennent à se montrer convaincants, chacun dans leur rôle. Du côté de la famille Yorkin, si chère au coeur de Sy Parrish, le petit Jake est ainsi très justement interprété par Dylan Smith. L'acteur, apparu l'année suivante en tant que jeune Will Turner dans Pirates des Caraïbes : La malédiction du Black Pearl n'en fait pas des caisses, contrairement à beaucoup d'enfants comédiens, et sait rendre attachant ce garçon trop délaissé par son père. Sa mère à l'écran, Nina, est campée par l'actrice danoise Connie Nielsen. Après des débuts de mannequin en France, puis des cours d'art dramatique et de théâtre en Italie, elle se rend aux États-Unis où elle se lance dans le cinéma grâce au film L'Associé du Diable de Taylor Hackford, avec Keanu Reeves, Al Pacino et Charlize Theron. Elle enchaîne depuis les rôles sur grand écran, sans toutefois devenir une comédienne de premier plan. Elle peut ainsi être vue dans Rushmore (1998) de Wes Anderson, Gladiator (2000) de Ridley Scott, Mission to Mars (2000) de Brian DePalma ou encore Nymphomaniac (2013) de Lars von Trier. Depuis 2017 et le film Wonder Woman de Patty Jenkins, elle interprète également la reine Hippolyte dans l'univers cinématographique DC Comics. Dans Photo Obsession, elle livre une performance tout à fait honorable dans le rôle de cette mère de famille soucieuse du bonheur de son fils, mais délaissée par son mari. Mais le film ne lui laisse malheureusement pas suffisamment l'occasion d'approfondir le traitement de son personnage, notamment dans sa dernière partie où elle se montre trop effacée.
Demi-cocorico, le père de cette petite famille, Will Yorkin, est quant à lui joué par l'acteur franco-américain Michael Vartan, neveu de la célèbre chanteuse Sylvie Vartan et cousin de David Hallyday. Installé en Amérique, il apparaît régulièrement dans des productions cinéma, comme College Attitude (1999) de Raja Gosnell, ou télévisées comme F.R.I.E.N.D.S (en 1997), Ally McBeal (en 2000) ou Bates Motel (en 2014). Il est surtout renommé pour avoir été l'un des personnages principaux de la série Alias de 2001 à 2006, Michael Vaughn. S'il colle à ce rôle de père absent et de mari volage, sa performance ne rentre pas dans les annales. Il fait le job, sans plus.
Reste à souligner la présence au casting tout à fait plaisante d'Eriq La Salle, célèbre Docteur Benton dans les huit premières saisons de la série Urgences (entre 1994 et 2002). Il est ici l'inspecteur de police Van Der Zee, qu'il interprète avec justesse, alternant fermeté et humanité vis-à-vis de Sy Parrish. Enfin, les fans du Marvel Cinematic Universe peuvent facilement repérer Clark Gregg (inoubliable Phil Coulson) dans le rôle de l'inspecteur Outerbridge.
Le travail du directeur de la photographie Jeff Cronenweth doit particulièrement être souligné dans Photo Obsession tant il illustre avec brio l'état d'esprit perturbé et torturé du personnage de Sy Parrish. L'éclairage des scènes du labo photo et de l'hypermarché est ainsi très froid, voire glacial, presque aveuglant, reflet de la déshumanisation de ces grandes surfaces où les gens se croisent sans se regarder. Au contraire, les scènes se déroulant chez Sy se tiennent dans la pénombre et dans une atmosphère nettement plus pesante. Tout le poids de la solitude de Sy Parrish en ressort. Quant aux scènes se tenant chez la famille Yorkin, elles donnent à voir une magnifique maison, à l'ambiance chaleureuse et cosy. Tableau idéal d'une vie en apparence idyllique qui ferait des envieux...
Reste à mentionner la bande originale composée par Reinhold Heil et Johnny Klimek. Le premier a notamment travaillé sur les partitions de Land of the Dead (2005) de George Andrew Romero et Cloud Atlas (2012) de Tom Tykwer, Andy et Lana Wachowski, toujours en binôme avec Johnny Klimek. Ce dernier a, en outre, livré les musiques d'autres longs-métrages comme Un Hologramme pour le Roi (2016) de Tom Tykwer ou Matrix Resurrections (2021) de Lana Wachowski. Leur travail sur Photo Obsession est très efficace, la musique restranscrivant elle aussi de façon percutante le mal-être du personnage principal et sachant créer un climat à la limite de l'angoisse quand il le faut, toujours avec subtilité. Le thème de Sy, qui est aussi celui du générique de fin, est en ce sens très réussi.
Le film sort sur les écrans américains le 21 août 2002, après une première présentation en janvier de la même année au Festival de Sundance. En France, il débarque dans les salles le 18 septembre 2002. Mais la réception est quelque peu mitigée, le public ne se pressant pas autant dans les cinémas que pour les rôles comiques de Robin Williams. Les critiques soulignent toutefois dans l'ensemble la belle performance de l'acteur, dans ce registre qui n'est pas son genre de prédilection. Au final, Photo Obsession rapporte plus de 52 millions de dollars à travers le monde, pour un budget initial d'un peu plus de douze millions de dollars, ce qui reste tout de même honorable. Côté recompenses, le film est boudé par les prix les plus prestigieux mais remporte néanmoins, en France, le Prix Première, le Prix Journal du Dimanche du public et le Prix du jury du Festival de Deauville 2002.
Sans être le plus grand thriller psychologique de l'histoire du septième art, Photo Obsession est un film qui mérite assurément le détour, ne serait-ce que pour apprécier comme il se doit l'incroyable prestation de Robin Williams. Et se convaincre par ailleurs que, finalement, les photos numériques ont du bon...