Madame Doubtfire
Le synopsis
Comédien passant plus de temps au chômage que sur les planches, Daniel Hilliard vit mal le fait d'être privé de la garde de ses trois enfants depuis son divorce avec son épouse Miranda. Pour profiter d'eux malgré tout, il se grime en un personnage de nounou idéale, Madame Doubtfire, et répond à une petite annonce publiée par son ex-femme... |
La critique
S’il fallait choisir les meilleurs films avec le regretté Robin Williams, autant reconnaître tout de suite que la sélection serait rude. Mais il ne serait pas trop risqué de parier qu’elle inclurait sûrement Madame Doubtfire. Un film qui laisse toute la place nécessaire à ce génie comique pour s’épanouir et régaler le public. Mais surtout un film qui fleure bon les années 1990, jusqu’à donner envie de glisser la VHS dans le magnétoscope et de ressortir le pop-corn.
Qui sait pourtant qu’avant de devenir un film culte pour toute une génération, Madame Doubtfire est un livre ? Publié en 1987 sous le titre Quand Papa Était Femme de Ménage, il est en effet l’œuvre de l’auteure britannique Anne Fine. Une auteure qui s’est certes faite remarquer dans la littérature jeunesse en remportant de nombreux prix, mais qui n’a pas vraiment percé dans l’Hexagone.
Dans ce roman, elle conte donc l’histoire de Daniel Hilliard (Hillard dans le film), un père de famille divorcé qui désespère de passer du temps avec ses trois enfants Lydia, Christopher et Natalie alors que son ex-femme Miranda semble le détester et se démener pour qu’il les voie le moins possible. Pour profiter d’eux malgré tout, il décide de se grimer en un personnage de nounou excentrique, Mademoiselle Doubtfire, et se fait embaucher par son ex-femme sans qu’elle ne s’en rende compte. L’idée est sympathique sur le papier mais le roman ne rentre pas dans les annales. Il faut dire qu’en racontant toute son histoire du point de vue du père, dont les réactions sont parfois franchement douteuses, le livre prend le risque de lasser rapidement le jeune public. Et puis, il faut être honnête, la trame paraît insuffisamment exploitée au regard du potentiel comique qu’elle offre…
Cela n’empêche pas le livre d’avoir droit à son adaptation sur grand écran seulement quelques années plus tard, en 1993, sous le titre de Madame Doubtfire donc. Et le projet n’est pas tombé entre les mains de n’importe qui puisque c’est un spécialiste du film pour jeune public qui s’y colle, en la personne de Chris Columbus. Né le 10 septembre 1958 à Spangler, en Pennsylvanie, il se passionne pour le cinéma dès le plus jeune âge en réalisant des films en Super 8. Il fait ensuite ses armes dans le métier en tant que scénariste sur des productions cultes de Steven Spielberg : Gremlins (1984), Les Goonies (1985) et Le Secret de la Pyramide (1985). Puis vient le passage à la réalisation dès 1987 avec Nuit de Folie puis Heartbreak Hotel (1988) pour Touchstone Pictures. Après sa rencontre avec John Hugues, il se fait alors un nom dans le registre des comédies familiales en réalisant quelques opus parmi les plus populaires du genre, tels que : Maman, J’ai Raté l’Avion (1990) et sa suite (1992), mais également Neuf Mois Aussi (1995) et L’Homme Bicentenaire (1999) qui comptent tous deux Robin Williams à leur casting. Après un passage par le mélodrame avec Ma Meilleure Ennemie (1998), il renoue avec le succès en réalisant les deux premiers volets de la saga Harry Potter, d’après l’œuvre de J.K. Rowling : Harry Potter à l’École des Sorciers (2001) et Harry Potter et la Chambre des Secrets (2002). Plus récemment, il met en scène Percy Jackson : Le Voleur de Foudre (2010) et Pixels (2015).
Avec Madame Doubtfire, Chris Columbus signe l’un de ses films les plus cultes et, plus largement, une excellente comédie. Il parvient à saisir tout l’effet comique de la situation instaurée par le livre, qui n’a pourtant rien de drôle à première vue. Un couple divorcé, des enfants perdus au milieu du conflit opposant leurs parents, un père privé de voir sa progéniture malgré tout l’amour qu’il lui porte… Pas de quoi se rouler par terre en soi, il faut le reconnaître. Mais comme dans nombre de comédies, un sujet grave ou sombre recèle un potentiel comique insoupçonné. Un potentiel qui repose ici sur les épaules d’un seul et unique personnage, Madame Iphigénie Doubtfire. Robin Williams est d'ailleurs vite séduit par le scénario du film, qu'il produit. "Comme des milliers de gens, je suis divorcé, remarié", confie-t-il lors d'une interview pour la revue L'Express en 1994. "J'ai trois gosses, l'aîné vit avec ma première épouse. Et je trouve bouleversante cette nouvelle donne de la famille, menacée par un danger permanent : être coupé de ses enfants.". De quoi mieux comprendre l'alchimie entre le comédien et son rôle dans ce film.
Car comme dans le roman, Daniel Hillard est contraint de créer un personnage de composition pour profiter de ses enfants à l’insu de son ex-épouse. Un stratagème particulièrement capillotracté qui fonctionne pourtant. L’idée est géniale et rend à merveille dans le film, donnant lieu à des scènes de pure comédie comme il faudrait en voir plus souvent. Difficile d’en choisir une seule tant elles s’enchaînent. Comme le véritable numéro de transformiste de Robin Williams, jonglant entre ses deux personnages pour préparer un thé à une inspectrice de sa situation familiale et professionnelle. Ou encore son double rendez-vous au restaurant, scène d’anthologie où Daniel Hillard doit là encore changer de costume à chaque changement de table, tout en ayant un sérieux coup dans le nez… Des scènes fortes qui manquent cruellement au roman d’origine, beaucoup trop mou pour captiver le jeune lecteur.
D’ailleurs, le film rend aussi plus crédible l’opération menée par Daniel en le montrant se procurer un véritable costume de cinéma, avec masque en latex, prothèses et autres joyeusetés grâce au talent de son frère maquilleur. Cela peut paraître tout bête mais c’est pourtant ce qui permet au spectateur d’admettre que l’entourage proche de Daniel ne le reconnaît pas une fois grimé en Madame Doubtfire. L'occasion, au passage, de souligner le travail impressionnant des maquilleurs, prothésistes et costumiers du film pour la transformation de Robin Williams en Madame Doubtfire. Une opération qui nécessitait tout de même quatre heures de maquillage chaque jour.
Dans le roman, c’est une autre paire de manches car Daniel se contente d’enfiler des vêtements féminins, de mettre un turban sur sa tête, des bijoux et du maquillage. Insuffisant pour duper tout le monde puisque ses trois enfants le reconnaissent dès sa première visite. Mais pas son ex-femme, pourtant censée le connaître mieux que tout le monde. Une absurdité certes pratique pour les besoins de l’auteure mais dommageable pour la crédibilité de l’histoire et surtout pour le personnage de Miranda, qui ne s’avère décidément pas physionomiste.
L'énorme avantage du film par rapport au livre est surtout de pouvoir se reposer sur l'immense talent de Robin Williams. Dire que le comédien excelle dans ce double rôle est un euphémisme : les personnages sont totalement taillés pour lui. Révélé en 1976 par la série Happy Days, où il interprète l’extraterrestre Mork, il accède au cinéma avec le film Popeye (1980), dont il incarne le rôle-titre du légendaire marin. À partir de là, il enchaîne les films cultes : Good Morning Vietnam (1988), Le Cercle des Poètes Disparus (1990), Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet (1991), Jumanji (1995), Jack (1996), Flubber (1997) ou encore Will Hunting (1998), qui lui vaut de remporter l’Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle. Cette même décennie, il s’illustre en étant la voix originale du Génie dans les films Aladdin (1992) et Aladdin et le Roi des Voleurs (1997). Plus tard, il enrichit sa filmographie d’œuvres plus sombres comme Photo Obsession (2002) et Insomnia (2002), et conserve des rôles plus familiaux comme avec la trilogie La Nuit au Musée (de 2006 à 2014), avant de mettre fin à ses jours en 2014.
Dans Madame Doubtfire, Robin Williams apporte à ses deux personnages tout ce qui leur manquait dans le roman original. Déjà, il rend Daniel Hillard sympathique et touchant, en y ajoutant une touche de maladresse tout en conservant son côté désordonné. Dans le livre, le personnage est au contraire bien trop bougon et colérique pour susciter le moindre sentiment positif à son égard. Quant au personnage de Madame Doubtfire, il est littéralement transcendé par le génie comique de l’acteur, qui en fait une vieille nurse anglaise, subtile, tendre, délicate, doucereuse et raffinée, là où le livre la présente comme plus excentrique qu’autre chose. Il régale le public de répliques savoureuses, de réparties bien senties, d’improvisations rocambolesques et de mimiques géniales aussitôt qu’il revêt son costume de scène. Laissant la part belle à la comédie, Chris Columbus n’oublie pas pour autant l’émotion. Il sait rappeler avec justesse aux spectateurs que ce qui les amuse est, au fond, dramatique, en montrant la détresse d’un Daniel Hillard privé de ses enfants. Le tout est savamment dosé et fonctionne à plein durant les deux heures de film.
Le reste du casting est complété par Sally Field dans le rôle de Miranda Hilliard, l’ex-femme de Daniel. Inoubliable mère de Tom Hanks dans Forrest Gump (1994) ou voix de Sassy dans L’Incroyable Voyage (1993), elle est également à l’affiche de The Amazing Spider-Man (2012) et sa suite dans le rôle de Tante May. Elle double Marina Del Rey dans Le Secret de la Petite Sirène (2008) ou apparaît dans Lincoln (2012). Comme Robin Williams, elle réussit le tour de force de rendre sympathique son personnage pourtant hautement antipathique dans le roman d’Anne Fine, où elle prend presque des airs de Cruella d’Enfer, s’acharnant sur son klaxon lorsqu’elle vient récupérer ses enfants chez leur père. Quant aux jeunes Lisa Jakub, Matthew Lawrence et Mara Wilson, ils sont efficaces et convaincants dans les rôles respectifs de Lydia, Christopher et Natalie, les enfants de Daniel et Miranda. Comme leurs parents, eux aussi sont éminemment mieux écrits dans Madame Doubtfire que dans le roman original, ce qui semble décidément être une constante. Enfin, les spectateurs se réjouiront de la présence au casting de l’ex-agent 007 Pierce Brosnan, dans le rôle spécialement créé pour le film de Stuart, le nouveau prétendant de Miranda.
La bande originale de Madame Doubtfire est signée Howard Shore, compositeur à la baguette sur un nombre impressionnant de films cultes : La Mouche (1986), Big (1988), Le Silence des Agneaux (1991), Ed Wood (1994), la trilogie Le Seigneur des Anneaux (de 2001 à 2003), Gangs of New York (2002), Les Infiltrés (2006) ou encore la trilogie Le Hobbit (de 2012 à 2014). Si sa partition est ici plaisante et sert bien le récit, elle est en revanche tout sauf mémorable.
Madame Doubtfire sort le 24 novembre 1993 aux États-Unis et le 9 février 1994 en France. Le public est conquis et le film devient un incontournable des années 1990, chéri par toute cette génération de spectateurs élevés aux VHS et aux vidéoclubs. Il rapporte 441,2 millions de dollars à travers le monde, pour un budget largement amorti de 25 millions de dollars. Aux États-Unis, seul Jurassic Park, de Steven Spielberg, rencontre plus de succès cette année-là. À partir de là, il n’est pas étonnant que le roman d’Anne Fine ait par la suite été réédité sous le titre de Madame Doubtfire, pour surfer sur le succès de son adaptation. Lors de la cérémonie des Oscars 1993, le film repart avec une statuette méritée du meilleur maquillage pour Greg Cannom, Ve Neill et Yolanda Toussieng. En 1994, il remporte aussi le Golden Globe du meilleur film musical ou de comédie, ainsi que celui du meilleur acteur dans un film musical ou une comédie pour Robin Williams.
Ce qui se présentait à l’origine comme un petit film familial sans prétention est finalement devenu au fil des années une œuvre culte. Pour la prestation formidable de Robin Williams et pour son enchaînement de gags ne laissant aucune place à l’ennui, Madame Doubtfire mérite absolument d’être vu. Avec l’image capricieuse d’une VHS fraîchement rembobinée, c’est encore mieux !