James Earl Jones

Certains personnages de cinéma sont parvenus à se hisser au rang d’icônes du Septième Art. Parmi eux, figurent notamment en bonne place deux destins brisés, ceux de Dark Vador, Seigneur Sith repenti, et de Mufasa, souverain de la Terre des Lions assassiné. Derrière ces deux personnages devenus incontournables, se cache une voix de stentor, celle du comédien James Earl Jones.

James Earl Jones voit le jour le 17 janvier 1931 à Arkabutla, une toute petite bourgade située dans le nord-ouest de l’État du Mississippi. Sa mère, Ruth Connolly, est une femme de ménage qui mène également de front une carrière d’enseignante. Son père, Robert Earl Jones, est pour sa part chauffeur. Également employé comme majordome, ce dernier quitte la maison familiale peu après la naissance de James. Installé à New York puis à Hollywood, il se fera un nom en tant que boxeur puis en tant d’acteur. Dès l’âge de cinq ans, James Earl Jones est confié à ses grands-parents maternels, John Henry et Maggie Connolly, qui l’élèvent dans leur ferme de Dublin, au cœur du Michigan. Pour le petit garçon, déconnecté de ses parents, c’est alors un profond traumatisme. Nerveux, il développe un bégaiement si prononcé qu’il décide de cesser de parler. C’est ainsi sans prononcer un seul mot qu’il passe non sans mal ses premières années à l’école pour garçon de Browning… Pour sortir de son silence, il peut néanmoins compter sur l’aide de l’un de ses professeurs, Donald Crouch, qui décèle chez lui un beau talent pour la poésie. Grâce à l'enseignant, Earl Jones sort enfin de son mutisme.

En 1949, James Earl Jones a dix-huit ans lorsqu’il sort diplômé de la Dickson Rural Agricultural School (actuelle Brethren High School). Il poursuit alors ses études sur les bancs de l’Université du Michigan où il est major de sa promotion. Se destinant à une carrière dans la médecine, il rejoint dans le même temps le Reserve Officers’ Training Corps (ROTC), le prestigieux centre de formation des officiers de l’armée américaine. Appréciant l’esprit de camaraderie de l’école, il se découvre bientôt un goût certain pour le théâtre et abandonne toute envie de travailler dans le domaine médical. Persuadé d’être très prochainement enrôlé dans l’armée et envoyé en Corée, il se consacre pleinement à son art et se produit notamment dans une adaptation d’Othello montée sur les planches du Ramsdell Theatre de Manistee où, en plus de jouer la comédie, il sert également comme charpentier. Son brevet de sous-lieutenant en poche, ce n’est finalement qu’au milieu de l’année 1953 qu’il est en effet appelé. La Guerre de Corée ayant pris fin quelques semaines plus tôt, il fait son service militaire au sein de la base de Fort Benning où il intègre le corps des officiers d’infanterie. Son unité est envoyée à Camp Hale, près de Leadville, dans le centre du Colorado. Découvrant les paysages accidentés et enneigés des Rocheuses où ses camarades et lui s’entraînent, James Earl Jones termine ses années à l’armée avec le grade de lieutenant.

Après avoir décroché en 1955 une licence ès Art, spécialité Art dramatique, James Earl Jones emménage à New York où il étudie le théâtre à l’American Theatre Wing. La vie au sein de la Grosse Pomme n’est cependant pas un long fleuve tranquille. Pour payer son loyer et ses cours, Earl Jones est en effet obligé de travailler comme concierge. Tout son argent est ainsi consacré au théâtre. Également employé comme régisseur, il joue dans quelques spectacles et à la radio, notamment sur les ondes d’ABC dans l’émission Theatre-Five. En 1957, il se produit pour la première fois à Broadway avec la pièce The Egghead de Molly Kazan dans laquelle il sert de doublure au comédien Lloyd Richards. Le succès n’est toutefois pas au rendez-vous et le spectacle est annulé au bout de seulement vingt-et-une représentations. En janvier 1958, James Earl Jones crée le rôle du majordome Edward dans Sunrise at Campobello, une pièce de Dore Schary mise à l’affiche du Cort Theatre. En 1961, c’est dans The Blacks, l’adaptation américaine des (Les) Nègres de Jean Genet, qu’il excelle aux côtés de Roscoe Lee Browne, Cicely Tyson et Lou Gossett.

Au début des années 1960, James Earl Jones devient un membre régulier du New York Shakespeare Festival. Il se fait dès lors une spécialité de l’œuvre du célèbre dramaturge anglais. Le comédien apparaît ainsi dans Henry V, Roméo et Juliette, Richard III, Le Marchand de Venise, Le Roi Lear ou bien encore Le Songe d’une Nuit d’Été, Mesure pour Mesure et Hamlet dans lesquels il interprète respectivement les rôles d’Oberon, du bourreau Abhorson et du souverain régicide Claudius. Dans une nouvelle adaptation d'Othello, il donne la réplique à la comédienne Julienne Marie qu’il épouse en 1968. À la même époque, Earl Jones fait également ses premières incursions à la télévision dans les séries Monitor (1962), Look Up and Live (1963), East Side/West Side (1963), Channing (1964), Le Jeune Docteur Killdare (1966), Haine et Passion (1966), As the World Turns (1966) et Tarzan (1967).

James Earl Jones débute par ailleurs au cinéma dans Docteur Folamour ou : comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe (1964), le classique de Stanley Kubrick où il incarne le lieutenant Lothar Zogg. Récompensé par le Tony Award puis le Drama Desk Award du Meilleur Acteur pour son rôle de Jack Johnson dans la pièce à succès The Great White Hope montée à l’Arena Stage de Washington puis à Broadway, il enchaîne au cinéma avec Les Comédiens (1967), Au Bout du Chemin (1970), Le Numéro Quatre (1970) et Claudine, film pour lequel il est en lice pour le Golden Globe du Meilleur Acteur (1974). En 1970, il retrouve en outre sa partenaire Jane Alexander dans L’Insurgé, l’adaptation cinématographique de The Great White Hope qui lui vaut d’être nommé aux Golden Globes et à l’Oscar du Meilleur Acteur.

Invité de certains épisodes de la série pour enfants Sesame Street (1969), James Earl Jones joue en 1973 le rôle d’Hickey dans Le Marchand de Glace est Passé, le classique d’Eugene O’Neill produit sur la scène du Circle in the Square Theatre de Broadway. Il triomphe l’année suivante au Brooks Atkinson Theatre dans Des Souris et des Hommes d’après John Steinbeck. Au cinéma, sa filmographie s’allonge avec Deadly Hero (1975), The River Niger (1976), Bingo (1976), Le Pirate des Caraïbes (1976) et Le Plus Grand où il prête ses traits à Malcolm X (1977).

Si James Earl Jones est devenu une figure familière pour les habitués des scènes new-yorkaises, c’est finalement sa voix profonde qui lui offre le statut de star auprès du grand public. Après avoir un temps songé à Orson Welles, George Lucas le choisit en effet en 1977 pour suppléer David Prowse, l’interprète de Dark Vador dont l’accent anglais est jugé trop prononcé. C’est ainsi qu’en post-production, Earl Jones est invité en studio pour vocaliser le seigneur Sith dans Star Wars : Un Nouvel Espoir (1977), puis Star Wars : L’Empire Contre-Attaque (1980) et Star Wars : Le Retour du Jedi (1983).

Non crédité aux génériques des deux premiers volets de la saga Star Wars, James Earl Jones poursuit sa carrière au cinéma avec des apparitions dans L’Exorciste II : L’Hérétique (1977), Mon ‘Beau’ Légionnaire (1977) et A Piece of the Action (1977). Marié en secondes noces avec la comédienne Cecilia Hart qu’il épouse en 1982 et avec qui il a un fils, Flynn, il poursuit avec Le Tueur des Mers (1982), City Limits (1984), Soul Man (1986), Allan Quatermain et la Cité de l’Or Perdu (1986), Jardin de Pierre (1987) et surtout Conan, le Barbare dans lequel il incarne Thulsa Doom aux côtés d’Arnold Schwarzenegger (1982). Il vocalise le pharaon dans The Greatest Adventure: Stories From the Bible (1985) et l’Empereur dans Pinocchio et l’Empereur de la Nuit (1987). À la télévision, il obtient pour la première fois le rôle principal d’un feuilleton, Paris, diffusé sur CBS du 29 septembre 1979 au 15 janvier 1980. Tim Burton le dirige en outre dans Aladdin and His Wonderdul Lamp, un court-métrage diffusé le 14 juillet 1986 dans l'émission Faerie Tale Theatre et dans lequel l'acteur joue le génie. Au théâtre, il est à l’affiche de Fence, la pièce d’August Wilson qui lui vaut de remporter son deuxième Tony Award pour sa personnification de Troy Maxson.

En 1988, le cinéma offre un nouveau grand rôle à James Earl Jones qui joue le roi Jaffe Joffer aux côtés d’Eddie Murphy dans Un Prince à New York. Pour Touchstone Pictures, il enfile le costume de Dugan dans Les Trois Fugitifs, le remake américain des (Les) Fugitifs réalisé par Francis Veber (1989). Sa filmographie continue de s’allonger avec Jusqu’au Bout du Rêve (1989), Best of the Best (1989), L’Ambulance (1990), Grim Prairie Tales: Hit the Trail... to Terror (1990), Scorchers (1991), Les Experts (1992), Une Belle Revanche (1993), Sommersby (1993), Le Gang des Champions (1993), Meteor Man (1993), Y’a-t-il un Flic Pour Sauver Hollywood (1994) et Trou de Mémoire (1994). Il assume en outre le personnage de l’amiral James Greer dans À la Poursuite d’Octobre Rouge (1990), Jeux de Guerre (1992) et Danger Immédiat (1994) d’après les romans de Tom Clancy. Sur ABC, il obtient enfin le rôle principal des séries Gabriel Bird et Gabriel Bird : Profession Enquêteur (1990-1992) et remporte l’Emmy Award du Meilleur Acteur.

Également récipiendaire de la prestigieuse Medal of Arts remise en 1992 par le président George Bush, James Earl Jones marque une nouvelle fois les esprits en offrant sa voix à Mufasa dans Le Roi Lion (1994). Son interprétation contribue alors au succès du long-métrage, avec ses passages pleine de poésie mettant en scène le noble souverain et son jeune fils Simba. Narrateur de Judge Dredd (1995), les spectateurs retrouvent le comédien dans Jefferson à Paris (1995), Pleure Ô Pays Bien Aimé (1995), Le Cerveau de la Famille (1996), La Couleur du Destin (1996) et Flics Sans Scrupule (1997).

James Earl Jones vocalise de nouveaux Mufasa dans Circle of Life: An Environmental Fable, l’une des attractions d’Epcot, et dans Le Roi Lion 2 : L’Honneur de la Tribu (1998). Les créateurs des (Les) Simpson font eux-mêmes appel à ses talents dans Das Bus, le quatorzième épisode de la neuvième saison (1998). C’est alors la troisième fois que James Earl Jones collabore avec Matt Groening et James L. Brooks après les opus Treehouse of Horror des saisons 2 (1990) et 6 (1994) dans lesquels il s’amusait à vocaliser tantôt l’extraterrestre Serak le Préparateur, tantôt la petite Maggie Simpson !

Désormais iconique, la voix de James Earl Jones devient la signature de la chaîne CNN ("This is CNN"). Elle est par ailleurs entendue dans le téléfilm Lincoln (1992), la série La Cour de Récré où il incarne le Père Noël (1998), Primary Colors (2008), Le Noël des Neuf Chiens (2002), James Earl Jones Reads the Bible: King James Version (2003), Robots (2005), Scary Movie 4 (2006), Click : Télécommandez Votre Vie (2006), Jack et les Haricots Magiques (2009) et Star Wars : La Revanche des Sith où il reprend le rôle de Dark Vador (2005). L’acteur est de plus retenu pour être le narrateur du documentaire Un Jour sur Terre distribué aux États-Unis sous le titre Earth via le label Disneynature (2009).

Choisi pour présenter la séquence du (Le) Carnaval des Animaux incluse dans Fantasia 2000 (2000) et la compilation American Legends (2002), James Earl Jones joue dans Undercover Angel (1999), Petite Arnaque Entre Amis (2001) et Le Retour de Roscoe Jenkins (2008). Il multiplie en parallèles les rôles de guests dans de nombreuses séries télévisées telles que According to Jim (2004), Everwood (2003-2004), Mon Oncle Charlie (2008), Dr House (2009) et The Big Bang Theory où il donne pour la première fois la réplique à Carrie Fisher dans une scène hilarante (2014). Toujours très actif au théâtre, il apparaît dans On Golden Pond, Une Chatte sur un Toit Brûlant, The Best Man avec Angela Lansbury, mais aussi Miss Daisy et son Chauffeur et Beaucoup de Bruit Pour Rien aux côtés de Vanessa Redgrave. Cette dernière est remplacée par Lansbury pour la tournée australienne de Miss Daisy et son Chauffeur. Remarquables, les prestations de James Earl Jones sont alors couronnées par un Screen Actors Guild Life Achievement Award en 2009 puis un Oscar d’honneur en 2012.

De plus en plus rares sur les écrans, James Earl Jones retrouve à la fin de sa carrière certains de ses personnages emblématiques. Il reste en particulier indissociable de Mufasa qu’il se réapproprie dans La Garde du Roi Lion : Un Nouveau Cri (2015) et la nouvelle version du (Le) Roi Lion réalisée par Jon Favreau (2019). Il revient également derrière le micro pour le personnage de Dark Vador dans la série Star Wars Rebels (2014), les long-métrage Rogue One : A Star Wars Story (2016) et Star Wars : L’Ascension de Skywalker (2019) et l’attraction Star Tours : L’Aventure Continue (2011). Grâce au logiciel Respeecher, sa voix est également utilisée dans Star Wars : Obi-Wan Kenobi (2022). Annonçant à la presse son intention de se retirer, Earl Jones signe la même année un accord avec Lucasfilm Ltd. qu’il autorise à reprendre la même technologie de création vocale pour de futurs projets Star Wars. En 2021, l’acteur est enfin de nouveau de roi Jaffe Joffer dans Un Prince à New York 2, son dernier film.

Devenue une véritable icône du cinéma honorée par les studios Disney qui lui remettent un Disney Legends Award le 23 août 2019, James Earl Jones s’éteint le 9 septembre 2024 dans sa maison de Pawling. Il avait quatre-vingt-treize ans. Dès l’annonce de sa mort, les hommages et autres témoignages d’affection se multiplient. L’ombre de Dark Vador est notamment projetée sur la façade de l’Empire State Building, à New York. En pleine campagne présidentielle, la vice-présidente Kamala Harris prend le temps de poster un message de sympathie. « Il a utilisé sa voix pour questionner la pensée américaine au sujet des droits civiques », note-t-elle, « Et il a contribué à faire avancer notre nation grâce à son art ». « James Earl Jones était un brillant acteur ayant donné vie à certains des personnages les plus iconiques », ajoute l’ancien président Bill Clinton.

« James Earl Jones fut la voix de CNN et de notre marque durant de nombreuses décennies », déclare pour sa part la célèbre chaîne d’information américaine, « transmettant de manière unique une autorité, une grâce et une bienséance instantanées. Cette voix remarquable n’est qu’une des nombreuses qualités de James qui manqueront au monde entier ». « James Earl Jones était mon héros », confesse le comédien Denzel Washington, « Je voulais lui ressembler. Il était tout pour moi lorsque j’étais encore un acteur en herbe. Il était celui que je rêvais d’être ». « De la sagesse noble de Mufasa à la terrible menace de Dark Vador, James Earl Jones a donné leur voix à certains des plus grands personnages de l’histoire du cinéma », déclare enfin Bob Iger, le président de The Walt Disney Company, « Célèbre acteur de théâtre dont le nom est inscrit aux génériques de près de deux-cents productions, il a incarné de nombreuses histoires avec une présence unique et une véritable richesse d’esprit qui ont laissé une marque indélébile sur des générations de spectateurs. Au nom de nous tous, chez Disney, nous adressons nos plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches ».

Au moment où James Earl Jones tire sa révérence, une scène du (Le) Roi Lion s'accompagne désormais d'une résonance particulière, celle durant laquelle Mufasa tente de rassurer son fils Simba quant à l'avenir. « Simba, je vais te raconter ce que me disait mon père. Regarde le ciel. Les rois des siècles passés nous contemplent du haut des étoiles. [...] Chaque fois que tu te sentiras seul, n'oublie pas que tous ces rois seront là pour te guider et que je serai parmi eux... ». James Earl Jones a sans aucun doute à son tour rejoint les étoiles... Certainement dans une galaxie lointaine, très lointaine...