Star Wars
L'Empire Contre-Attaque

Star Wars : L'Empire Contre-Attaque
L'affiche du film
Titre original :
Star Wars : The Empire Strikes Back
Production :
Lucasfilm Ltd.
Date de sortie USA :
Le 21 mai 1980
Genre :
Science-fiction
Réalisation :
Irvin Kershner
Musique :
John Williams
Durée :
124 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Malgré la destruction de l'Étoile Noire, l'Empire maintient son emprise sur la galaxie et poursuit sans relâche sa lutte contre l'Alliance rebelle. Basés sur la planète glacée de Hoth, les rebelles essuient d'ailleurs un assaut des troupes impériales. Parvenus à s'échapper, la princesse Leia, Han Solo, Chewbacca et C-3P0 se dirigent vers Bespin, la cité des nuages gouvernée par Lando Calrissian, ancien compagnon de Han. Suivant les instructions d'Obi-Wan Kenobi, Luke Skywalker se rend, quant à lui, vers le système de Dagobah, planète marécageuse où il doit recevoir l'enseignement du dernier maître Jedi, Yoda...

La critique

rédigée par
Publiée le 09 décembre 2016

L’Empire Contre-Attaque est un monument du cinéma. Considéré par de nombreux cinéphiles et critiques comme un des meilleurs films hollywoodiens, la suite de La Guerre des Étoiles a permis à la saga toute entière d'acquérir ses lettres noblesses. Meilleur que le premier opus, ce film culte offre des scènes toutes plus emblématiques les unes que les autres quand ce ne sont pas ses personnages qui entrent instantanément dans l'inconscient collectif à commencer par Maître Yoda.

Si dans une galaxie lointaine le récit de L’Empire Contre-Attaque se déroule trois ans après la destruction de l’Étoile Noire, dans la vraie vie, cela fait tout juste un an que la bombe Star Wars, nommée en France La Guerre des Étoiles, a explosé : la passion pour le film de science-fiction ne s’essouffle pas pour autant. 20th Century Fox, productrice et distributeur du phénomène, voit ainsi son chiffre d’affaire quadrupler au troisième trimestre de l’année 1977. Cet énorme succès est aussi utilisé par les autres studios comme la Warner qui ressort, en septembre 1977, THX 1138, premier film de Georges Lucas, en sous-titrant les affiches par : « Avant d’aller explorer l’espace intersidéral, il s’est plongé dans les entrelacs de la société ». Dans la même idée, Universal redistribue en mai 1978 American Graffiti afin de récolter, elle-aussi, des profits faciles. Pourtant, si la sortie du film a fait le bonheur des studios hollywoodiens, le bénéfice de Lucas, par contrat interposé, ne s’élève lui qu’à 400 millions de dollars ! Un apport financier qui, après remboursement des financiers et imposition, n’est pas si conséquent pour un réalisateur qui a créé un tel phénomène médiatique qui transforme tout en un profit quasi-assuré. Une situation dont le réalisateur profitera à plein grâce à l’exploitation des produits dérivés tels que les célèbres jouets : Kenner Toys. Cette passion pour les aventures de Luke et ses compagnons fait donc émerger l’incessante question, vraie rengaine, « A quand la suite de la saga ? ». Lucas reste sur ce sujet très évasif : « J’ai toujours pensé que tôt ou tard… je reviendrai m’occuper d’un autre épisode. », une excuse qui lui permet de gagner du temps car il prépare en réalité déjà une autre suite, celle de sa carrière. Après les épreuves de l’Épisode IV, il décide en effet de ne plus rien céder aux studios qui, via leur participation financière, pourraient remettre en question ses choix artistiques. Mais le temps passe et le risque de perdre le public pour un autre univers grandit un peu plus chaque jour. De plus, nombreuses sont les créations, plus ou moins désastreuses, qui ont vu le jour avec le succès de Star Wars. Acculé à un mur qu’il a lui-même créé, Lucas se demande comment assurer une suite à Star Wars ?

« Fais-le ! Ou ne le fais pas ! Il n’y a pas d’essai. » furent les paroles du vieux maitre Jedi Yoda apparu, pour la première fois, dans cet épisode. Lucas choisit donc de le faire et met en chantier L’Empire Contre-Attaque avec trois objectifs précis : d'abord, regagner la ferveur de la première heure ; ensuite, conserver les ingrédients qui ont fait le succès de l’Épisode IV ; enfin, offrir une nouvelle expérience au public. Il ne s’agit ainsi plus de faire un deuxième épisode, cinquième dans l’ordre chronologique, il faut perpétuer et consolider le mythe Star Wars ! Mais à quel prix ? Hollywood a changé et en dépit d’une production complexe, Lucas avait, en effet, eu la possibilité, à l’époque, de profiter du Nouvel Hollywood qui permettait à des réalisateurs pas ou peu connus de faire leurs preuves avec des fonds conséquents et une certaine confiance de la part des financeurs. Avec l’arrivée de Star Wars, Les Dents de la Mer et autres blockbusters, cette période s’est achevée en relançant un système de production encore plus capitaliste qu’auparavant. L’offre s’adapte à la demande et loin de donner aux réalisateurs une carte blanche, les productions deviennent plus exigeantes et escomptent une recette largement supérieure à l’investissement. Soutenus par un public qui revient en masse vers les salles obscures, il s’agit à présent de créer des produits de divertissement pur. Avec le succès de Star Wars, officiellement baptisé en juillet 1978 : Star Wars - Épisode IV : Un Nouvel Espoir, Lucas détient donc une chance pour prendre sa revanche sur le studio et conquérir son indépendance. La décision est prise : il va produire lui-même la suite de la saga !

Pour cela, il prend des mesures aussi bien dans l’écriture que dans l’imagerie du film, devenant le superviseur d’une œuvre en pleine construction. Lucas sélectionne d’abord Leigh Brackett, auteure de science-fiction et surtout scénariste des films d’Howard Hawks : Rio Bravo, Le Grand Sommeil ou encore du (Le) Privé de Robert Altman. Malheureusement, elle décède quelques semaines après avoir remis le premier script du film. Ce coup dur donne sa chance à Lawrence Kasdan, un jeune scénariste, recommandé par Steven Spielberg, issu du monde de la publicité et qui travaillera plus tard sur l’écriture du film Les Aventuriers de l'Arche Perdue. Cette décision, certainement responsable de la force de ce nouvel opus, permet surtout d’aborder la question de « la suite au cinéma ».

Dans de nombreux cas, une certaine durée est employée pour re-contextualiser les personnages et l’univers. L’avantage de sagas comme James Bond ou Indiana Jones est qu’elles reposent sur un personnage, suffisamment archétypal, pour pouvoir supporter des changements de temps et d’espace. Avec Star Wars et sa continuité narrative en forme de saga, chaque opus nécessite un enrichissement narratif qui réduit le temps consacré à l’intrigue. Dans les films James Bond, jusqu’à très récemment, le schéma est si répétitif que les épisodes peuvent être vus sans préparation, ne reposant que sur de nouveaux gadgets. Comme au théâtre, l’acte 2 permet aux personnages d’exprimer leur ressenti et de complexifier l’intrigue. L’Empire Contre-Attaque, qui représente cette étape narrative, se doit donc de construire une ouverture rapide et efficace pour s’atteler à son objectif principal ; et pour cela, Kasdan a deux avantages : le générique défilant et l’Épisode IV. Le texte jaune d’ouverture des films Star Wars est surtout d’une utilité narrative car il résume le précédent volet et fait un bilan sur la situation des héros : les rebelles, conduits par Luke, sont pourchassés par Dark Vador obsédé par sa capture. Les longues introductions devenues obsolètes, Kasdan dispose là d’un temps précieux pour jouer avec le travail de Lucas, parfois caricatural, sur le premier film. Si l’ouverture rappelle celle de l’Épisode IV : une nacelle contenant un droïde larguée sur une planète, la situation est pourtant bien différente : le vaisseau est impérial, le robot est une sonde chasseuse de rebelles et la planète, diamétralement opposée à Tatooine, est glaciaire. Conscient de la référence, Kasdan utilise l’imaginaire collectif pour conforter le public avant de prendre une nouvelle direction avec l’arrivée de Luke Skywalker. Gratifié par la destruction de l’Étoile Noire, le héros est vaincu par une simple créature des glaces au bout de quatre minutes de film, générique compris. Le message adressé aux spectateurs est clair : ce n’est pas une suite, c’est un nouveau film ! Il faut néanmoins garder à l’esprit que cette démarche est uniquement possible car les personnages n’ont pas cessé d’évoluer entre les deux opus. Star Wars est un univers « vivant » qui s’enrichit entre les épisodes et il le prouve de nombreuses fois, l’exemple le plus mémorable étant la liaison entre Han Solo et la princesse Leia Organa. Si un attachement existe depuis leur rencontre dans l’Épisode IV, il ne fait sens qu’au départ du contrebandier. Pourchassant Han à travers la base pour le convaincre de rester, Leia fait face à un refus sous prétexte d’une rencontre avec des chasseurs de prime entre les films. Cette excuse est aussi l’occasion pour Solo d’appréhender l’ampleur du désir qu’elle éprouve à son égard. La prise de conscience est immédiate : cet univers, qui s’enrichit dans l’ombre, a un impact direct sur l’histoire présentée. Ces deux personnages ont certainement partagé des émotions et des aventures inédites qui ont changé leurs rapports. Ce ressenti provient aussi de la mise en scène intimiste de Kesner, parvenant à créer de l’émotion sans jamais briser le rythme de la narration.

Si les héros brisent les chaînes archétypales et se révèlent au travers de nouvelles situations : Luke est affaibli mais dispose de nouveaux pouvoirs, Han et Leia développent des sentiments tandis que les méchants eux-aussi sortent de l’ombre. A l’inverse des autres protagonistes, présentés avec une certaine finesse, Kasdan choisit de mettre en avant la puissance et la force de l’Empire. Bien que dans l’épisode précédent cette dictature intergalactique avait d’imposants vaisseaux et le pouvoir de détruite une planète, leurs forces restaient toujours très concentrées. A présent, le scénario le permettant, l’Empire utilise tous ses atouts : flotte interstellaire, troupes d’assaut blindées et relation dans le monde de la pègre… L’Empire ne recule devant rien pour obtenir la victoire. Toujours incarné par le sombre Dark Vador, apparaissant à bord de son propre bâtiment, l’Executor, l’ennemi ne respecte plus aucunes règles, y compris les siennes. Ne tenant plus aucun compte d’une hiérarchie administrative, comme dans l’Épisode IV, Vador élimine sans remords ses subordonnés, jugés incompétents. Il quitte son état premier de mal absolu planant sur le destin des héros pour devenir un danger physique, immédiat et implacable. Mais pour que cette déferlante de révélations fonctionnent, clouant le public à son siège, Kasdan a un ingrédient secret : La Bataille de Hoth. Plus qu’une séquence de combat culte, il s’agit d’en finir avec les bases posées dans le précédent film pour arriver au cœur du nouvel opus. Les adieux de Luke et Han sont une dernière redite au film de Lucas et l’occasion pour un public, encore sceptique, de rejoindre ce nouveau récit. C’est donc dans une vaste étendue blanche que les quadripodes impériaux, véhicules inédits, vont écraser les rebelles. Le rythme du récit, qui n’a pas ralenti jusqu’ici, s’accélère alors. Combat spatial, slaloms entre des astéroïdes géants, l’audience est entraînée dans un tourbillon d’émotions, d’effets visuels avec une seule idée en tête : comment peuvent-ils s’en sortir ? Une réponse que le maître de l’ironie dramatique va retarder grâce à l’aventure de Luke.

Ce segment « spirituel » n’est pas à considérer comme une pause, devant un rythme soutenu, mais comme un questionnement sur l’évolution du héros classique. L’apparition du personnage de Yoda, axé sur un ton comique grâce à la prestation de Frank Oz et de sa marionnette, permet de mettre en avant une facette plus obscure de Luke. Moins ingénu que dans l’épisode précédent, ce chevalier blanc moderne dégage à présent une forme de suffisance et d’impatience. Au travers d’un enseignement dur, répétitif et chargé d’émotions, le héros et le public sont confrontés à une suite de changement psychologique atteignant son paroxysme avec l’épreuve du miroir. Cette vision constitue la réflexion de tout personnage tragique, l’idée de n’être qu’un pantin entre les mains cruelles du destin. Si Luke tue Vador, dans son état actuel, et accomplit sa destinée suggérée dans le premier film, il deviendra son ennemi. La réplique de Yoda : « Tu auras peur », prend alors un autre sens pour le spectateur : ici s’achève le mythe classique et commence le chemin vers l’émotion.

L’obscurité qui entoure les héros s’enrichit aussi par l’arrivée de deux nouveaux protagonistes : l’impitoyable chasseur de prime Boba Fett et le maléfique Empereur Palpatine. L’intérêt du premier réside dans la réaction des fans puisqu’il reste la seule personne de la galaxie à avoir capturé les héros tant aimés. Le cas de l’Empereur, en revanche, est plus complexe et propose de reconsidérer le regard porté sur Vador. Celui qui, jusqu’ici, apparaissait comme l’ennemi ultime s’agenouille devant celui qu’il appelle maître. Si dans l’Épisode IV, Palpatine était seulement mentionné, comme un puissant chef d’état, le spectateur découvre donc à présent qu’il contrôle la Force. Capable de lire dans le futur, il prédit que Luke sera, un jour, en mesure de les détruire et qu’il est aussi le fils du regretté Skywalker. Avec l’arrivée d’un échelon supérieur dans la hiérarchie du mal, l’archétype du méchant omnipotent qu’était Vador est mis à mal mais ne s’écroule totalement qu’avec cette révélation : il est humain ! Installé dans une sphère de méditation, le public peut ainsi apercevoir un Vador de dos et sans casque. L’idée d’une énergie maléfique incarnée dans une armure s’efface brutalement et laisse place à un grand blessé obligé de vivre dans un costume. Au-delà de la pitié que peut entraîner ces révélations, une nouvelle question émerge : à quoi ressemble Dark Vador ?

En partant des conceptions classiques, Kasdan propose là un nouveau regard sur la saga et prend le risque de briser des archétypes et des préconçus dans lesquels les héros semblaient prisonniers. Son implication scénaristique et son approche de la narration prouvent une chose : une suite, au sens littéraire, ne peut exister ! Concrétiser une représentation mentale au travers d’un produit est une chose difficile et celle-ci ne pourra jamais être parfaitement identique à l’idée originale. Dans le cas d’une création filmique, soumise à des impératifs aussi nombreux que variés, c’est une mission impossible et l’idée de produire une suite calquée sur le même modèle est une douce utopie. Et si certains sont parvenus, au travers du remake, à recréer le film dans un univers plus contemporain comme en témoigne le remake de Psychose par Gus Van Sant, l’intérêt cinématographique apparaît discutable. L’Empire Contre-Attaque, pour sa part, reste simple dans sa conception et n’arbore pas son double discours comme une qualité. Il concilie le divertissement avec des scènes d’actions pures et un récit alterné entre les protagonistes et la réflexion dans le traitement psychologique des personnages. La modestie avec laquelle les évènements sont présentés est remarquable à une époque où est privilégiée l’action concrète à ses causes. Mais en dépit d’une narration équilibrée et d’une maturité dans l’écriture, la reconnaissance de l’Épisode V provient surtout de sa réalisation. Ayant tiré les leçons de ses précédents travaux et se trouvant en pleine tempête administrative pour consolider son empire naissant, Lucas délègue ici la mise en scène à Irvin Keshner. Ce réalisateur, alors âgé de 67 ans, ne bénéficie pas d’une « une grande carrière hollywoodienne », même s’il a dirigé Sean Connery dans L’Homme à la Tête Fêlée et Barbra Streisand dans Up the Sandbox. D’abord ami intime, Keshner fut aussi le professeur de Lucas à l’université de cinéma. Pourtant son choix est surtout motivé par une évolution professionnelle extérieure à Hollywood. Habitué aux documentaires et petites productions, ce réalisateur a, en effet, beaucoup voyagé, rencontré des personnes différentes et s’est créé sa vision empirique du monde. Cette conscience de l’autre, Lucas en a besoin car il pense au ressenti du public face à ce nouveau film. Émerveillé lors de la sortie du premier épisode, le spectateur est à présent demandeur d’une identification émotionnelle plus forte. Et si la construction scénaristique est faite, c’est l’approche intimiste de Keshner qui va donner vie à un « rafraîchissement psychologique » des protagonistes.

C-3PO, l’homme en fer blanc, est un premier exemple intéressant car il en bénéficie de manière individuelle, passant du rôle de messager à celui de comique d’arrière-plan. Sa suffisance de dandy anglais, sa facilité à dramatiser et son débit de parole illimité ne sont plus de simples outils de caractérisation, elles servent désormais à créer un décalage marquant pour forcer l’interaction entre les personnages. Le duo avec R2-D2 étant rompu, le public peut le trouver agaçant comme en témoignent les nombreuses fois où il se fait éteindre par les autres personnages. Il peut aussi s’attacher à une attitude raffinée et décomplexée face à l’horreur de la guerre ; le fait que Chewie l’ai monté à l’envers lui offrent, en effet, de nombreuses réflexions rafraîchissantes dans un contexte désespéré. Toujours conscient que ce nouvel épisode va mettre à l’épreuve ses héros mais aussi le public, la volonté d’intégrer plus d’humour est donc intéressée. Averti du besoin de maturité, Keshner utilise aussi les différents éléments narratifs posés par Kasdan pour libérer sa mise en scène et capitaliser sur la romance entre Han et Leia. Et si l’histoire d’amour repose sur un schéma classique : deux amants différents s’unissant malgré leurs différences, elle bénéficie d’une évolution et d’une bienveillance artistique qui mérite d’être remarquée.

Bien que les prémices d’une éventuelle liaison aient débuté dans l’épisode précédent, avec des répliques cinglantes et un clin d’œil à la remise des médailles, la faire évoluer va être une question de finesse, surtout dans un film à grand spectacle. Lorsque Han arrive au centre de commandement sur Hoth pour faire son rapport et ses adieux, la princesse détourne le regard dans un léger pincement de lèvre. Cette attitude établit finement une relation basée sur le « non-dit » présentant Leïa au loin mais toujours attentive aux propos du contrebandier. À la fin de cette exposition justifiant le départ de Han, Keshner utilise son cadre pour réunir ses deux personnages. Ce choix de mise en scène lui permet de s’adresser subtilement au public pour faire un constat : Leïa, excentrée par le montage durant l’exposition, est plus proche de l’échange que ce qui est perçu ; elle a délibérément fait le choix de ne pas intervenir ! Avec cette réunion des acteurs dans le cadre, le réalisateur explicite le rapport de force posé par son montage et ajoute une inégalité d’échelle. Cette disposition reconfigure la relation entre les personnages, Leia est filmé en légère contre plongée ce qui met en exergue son aspect impassible et protocolaire tandis que Han, présentée en légère plongée, devient un jeune garçon amoureux et maladroit. Avec une économie de dialogue et un montage efficace, Keshner transforme ici une scène informative en une leçon de mise en scène et de direction d’acteur. Mais si cet échec verbal et émotionnel lance l’intrigue romantique, il permet surtout de faire le parallèle avec le travail de Lucas.

Le traitement des émotions à l’image, comme à l’écrit, est une chose difficile et Lucas a l’intelligence de reconnaître qu’elle lui fait défaut. En regardant ses précédents travaux, il est notable que tous ses personnages sont en questionnement interne et que, par voie de conséquence, leurs émotions ne sont clairement établies. THX 1138 parle d’un drogué pour échapper à tout sentiment qui décide de se libérer pour vivre et American Grafity, d’une jeunesse en proie à la peur de l’avenir inconnu. D’une certaine manière, la prise de risque est faible lorsque ce genre de sujet est traité car tout repose sur le ressenti d’un héros, mais surtout celui du spectateur, face à une série de situations qui vont conduire à une réflexion interne. Avec ce schéma de narration, il n’est pas obligatoire de détailler ce cheminement dans la mise en scène et c’est pourquoi la mort de Ben dans l’Épisode IV est un échec. Le décès du mentor sympathique touche le spectateur, mais connaissait-il vraiment cet homme ? En quoi sa disparition, en dehors de son aspect narratif, peut-elle l’atteindre personnellement ? Le public est attristé par cette disparition, car il y est attaché, mais en définitive l’émotion reste superficielle. C’est à la prestation de Sir Alec Guiness, et à sa bienveillance naturelle, que le succès de cette scène est dû et uniquement lui. Chez Keshner, le plongeon au cœur des émotions humaines est fait avec délicatesse, lucidité et efficacité. Les scènes ne sont plus seulement prétextes à l’échange, à la manière des personnages, elles s’affranchissent de leurs codes et se mettent au service d’un cadre et d’une mise en scène. Cette conception cinématographique est très efficace sur le public, souvent demandeur d’explications et de justifications, qui se contente de peu dialogues tant la direction des acteurs et la disposition scénique sont efficaces.

Si la magie de Star Wars repose sur ses décors, ses effets visuels et ses costumes ayant à juste titre marqué leur époque, Keshner n’est pas un habitué de ce genre cinématographique. Cette ignorance des usages blockbusteriens se ressent, notamment durant les batailles. Celles-ci, très différentes de l’attaque de l’Étoile Noire, semble avoir un objectif plus profond que d’offrir un concentré d’action. Lorsque Luke s’écrase durant la bataille de Hoth, la recherche de suspense ou l’aspect dramatique ne semblent pas être une priorité. La première étape est, en effet, de mettre le spectateur en confiance : Luke est le héros, que peut-il lui arriver de grave ? La philosophie enseignée par Yoda est un autre exemple dans la mesure où son discours, d’apparence sibyllique, tient au fait que Keshner ne cherche pas à être didactique. La personnalité de Luke se construisant devant le public, il est, au même titre que le héros, mis à l’épreuve et doit être attentif. Ce tâtonnement artistique dans lequel il semble errer n’est qu’une ruse, digne de celle d’Hitchcock dans Psychose : il endort le spectateur avec des clichés du cinéma avant de briser ses rêves. Tout au long du film, il conduit ses personnages et son public dans un récit en s’affranchissant étape par étape des clichés « classiques » mais dès qu’il aura accroché l’audience, que toute la salle aura rejoint le point de vue du réalisateur, il va lentement inverser les rapports de force. En confrontant Luke à un choix : terminer son entraînement ou sauver ses amis piégés sur Bespin, le public sait que le dénouement est proche mais l’amour qu’il porte aux héros lui fait désespérément espérer un deus ex machina.
Keshner va donc prendre son temps pour faire vibrer son spectateur : là torturer Han, ici détruire C-3PO. Ce sont indéniablement les premières marches d’une douce et lente descente aux enfers. Adepte de l’intimisme, les scènes violentes sont peu montrées voir juste suggérées pour laisser place à des échanges humains comme l’altercation entre Han et Lando ou l’attention portée par Chewie sur les restes du pauvre robot. Avec un affranchissement continuel des clichés, le film finit par générer sa propre conception de la maturité. Dans un registre accès sur le divertissement gratuit, Keshner offre désormais une chance au spectateur de devenir « actif » et de s’impliquer émotionnellement dans une œuvre en le traitant comme son égal. Ici pas de cours magistral, juste un metteur en scène partageant sa vision de ce qu’est un blockbuster !

Ce traitement accordé à l’acte 2 d’une saga et son intensité dramatique naturelle font de L’Empire Contre-Attaque une curiosité qui, d’une certaine manière, condamnera les opus suivants. En dépit de leurs qualités respectives, aucun autre film ne parviendra à atteindre la puissance émotionnelle et ce naturel entre les personnages : l’épisode 2 fait incontestablement office d’exemple. En dépit d’un premier montage qui ne satisfit pas Lucas, celui-ci dû reconnaître le travail de Keshner sur le film et se ranger à l’avis de son ancien mentor. Cette prise de conscience influencera d’ailleurs la réalisation de la suite, Le Retour du Jedi, confiée à un cinéaste plus jeune mais émet surtout l’idée que la nouvelle trilogie serait un « testament cinématographique ». Une tentative de réalisation, plus ou moins fructueuse, d’un Georges Lucas plus vieux et plus adulte cherchant à comprendre, mais jamais à imiter, la finesse de son aîné. Il est évident que bâtir une histoire et la raconter sont deux choses diamétralement opposées, l’une se réfère à un modèle et l’autre repose sur la construction d’un ressenti. Le véritable génie dans la création d’un film, quel qu’il soit, ne repose pas sur l’un ou l’autre mais sur l’intelligence d’un créateur à reconnaître sa faiblesse dans un domaine et d’en choisir un autre pour l’accompagner. C’est pourquoi Lucas fit à nouveau confiance à Williams pour sa musique et à ILM pour les effets spéciaux. Concernant les effets visuels, il est important de se pencher à nouveau sur leurs évolutions à travers le temps.

Comme pour le précédent opus, les nouvelles technologiques et les fonds rapportés par le succès des films permettent à Lucas et à son équipe de parfaire L'Empire Contre-Attaque. A l’affût du détail et conscient que le matériel cinématographique de l'époque a vieilli, les équipes d'ILM mettent l’accent sur l'aspect esthétique du film. Contrairement à l'Épisode IV, auquel furent ajoutés des scènes d’environnements pour offrir une plus profonde immersion au public, il s'agit ici de mettre en avant des partis pris de mise en scène et de combler les manques d'une technique, bien qu'à la pointe en son temps, encore expérimentale. Nombreux sont donc les détails qui ont subi des modifications : du cache pour le bras du wampa à la voix de Boba Fett en passant par des modifications colorimétriques sur tout le film ; la post-production numérique misant sur la finesse de travail. Et si certains considèrent cela comme une forme de tricherie, dénaturant une œuvre conçue et présentée à un instant précis (« le diable ne se cache-t-il pas dans le détail ? »), ces petits ajustements sont peut-être aussi une des raisons de la pérennité de l’œuvre de Lucas. L’Empereur de l'époque consistait ainsi en un trucage visuel fait de la superposition des yeux d’un chimpanzé sur le visage d’une vieille femme grimée : le fait d'appeler Ian McDamid, interprète final du personnage, pour rejouer la scène avec un maquillage proche de celui de l'épisode 6 transforme ainsi une débauche de moyens techniques en un véritable parti pris ! Pour concrétiser l'idée d'une saga monolithique, il est absolument nécessaire de bâtir des ponts entre chaque épisode et cela repose sur les différentes actions et interactions qui se répercutent d’un film à l'autre. En transformant un visuel mal défini de l'Empereur en son incarnation future, l'histoire est donc à nouveau sur des rails solides, l'univers se consolide et le spectateur est entièrement pris en charge par les auteurs, lui offrant non plus un concept mais le vrai visage du mal !

A l'inverse, cette démarche consistant à détailler l’univers peut aussi être qualifiée de nocive pour le film en lui-même. Lorsqu'en 1997, à l'occasion de l'Édition Spéciale, la scène de détention de Luke par le féroce wampa est retournée en studio, un tout autre point de vue est présenté aux spectateurs. Par les limitations techniques et les aléas de l'époque, la tension de cette séquence reposait sur la suggestion d'une créature, semblable à un ours, affamée et se rapprochant du héros prisonnier. En choisissant de retourner la scène et surtout de montrer la créature en train de déguster un Taun- Taun, l'idée originelle s'efface. Certes, elle ne retire rien à son sens premier et l’accroît même en rajoutant un certain dynamisme dans le montage ; cependant, force est de reconnaître que la volonté de Keshner à l'époque est supplantée par la politique du visuel. En dépit de cette critique, il est important de noter que cette séquence fut tournée à l'aide de technique traditionnelle, preuve d'un profond respect pour les méthodes de l’époque et une volonté de ne pas dénaturer le film avec une technologie moderne. Ce débat concernant les effets numérique ajoutés peut trouver sa conclusion avec le travail de titan réalisé par les équipes sur la cité des nuages : Bespin.

Produire un film est un processus aussi complexe que difficile et si en 1980, par manque de temps et de moyen, les équipes avaient bâti une cité flottante avec des peintures sur verre, les innovations numériques ont permis de leur donner vie en 1997. Il ne s'agit plus de simple retouche mais, comme c'est le cas pour l'arrivée du faucon, de concrétiser la vision du réalisateur, malmenée durant la production, et aussi de rendre hommage aux artistes qui ont conçu cette cité. Mais la recherche artistique ne s'arrête pas là, les intérieurs, construits en studio, s'enrichissent à leur tour avec des ouvertures présentant la cité. Les appliques murales de l'époque, ont été transformées en fenêtres, et les couloirs en balcons. Cette idée se rapproche du travail de Lucas dans l'épisode précédent avec son Étoile Noire, les héros se trouvant dans un gigantesque complexe aseptisé et labyrinthique. A la différence que cette fois, les vues extérieures, absentes de l'Étoile Noire, ne sont présentes que pour augmenter ce sentiment d'enfermement car elles contiennent des bâtiments à perte de vue. Cette idée de fourmilière humaine prend forme avec un plan de réaction, extérieur, des habitants de la cité ajoutés en 1997. Une fois encore, l'histoire du cinéma impose aux réalisateurs et aux auteurs une nouvelle façon de penser et de présenter leurs œuvres. Face à un public bercé par des innovations techniques de plus en plus importantes, il est parfois nécessaire de revenir sur un ancien travail pour lui en rendre tout son mérite.

Le 21 mai 1980, après une attente de trois longues années, le public est donc au rendez-vous pour vibrer devant de nouveaux vaisseaux, des tirs de laser, une musique symphonique et une révélation finale à laquelle l’histoire du cinéma ne cessera de se référer. En trois mois d’exploitation, Lucas récupère ses 33 millions investis et offre les bénéfices, un peu plus de 5 millions de dollars, en tant que prime annuel à son équipe. Les conventions sociales hollywoodiennes sont mises à mal et la distance prise par Lucas ne le protégera pas du syndicat des scénaristes et réalisateurs. En conservant le générique à la fin du film, pour ne pas briser l’imposant défilant jaune, une amende de plus de 250 000 dollars lui est imposée. Alors qu’ils ont fermé les yeux à la sortie de l’Épisode IV, ce nouveau succès grandissant dérange et la menace de retirer le film de l’affiche, s’il refuse de payer, tombe. La vendetta ne s’arrête pas là, Keshner et Alan Ladd Jr, directeur de la Fox, subissent à leur tour les conséquences de L’Empire Contre-Attaque. Si le premier reçoit des amendes, que Lucas prend à sa charge immédiatement, le second subit les foudres des autres directeurs pour des contrats jugés insatisfaisants car en une semaine d’exploitation le studio a gagné pas moins de dix millions de dollars ! La démission de Ladd aura une autre conséquence pour la Fox : elle se verra ignorée lorsque Lucas et son ami Spielberg proposeront, à la Paramount, le projet d’un film intitulé Les Aventuriers de l’Arche Perdue. Face à toute cette agitation et ce ressenti, Lucas quitte les syndicats et affirme son indépendance en tant que réalisateur, scénariste et producteur. Cette liberté, durement gagnée, lui permet de conserver le contrôle de saga et de donner une leçon au tout Hollywood. Bien que l’existence d’un système soit une obligation, tout réalisateur peut se battre pour le bien de son œuvre. Lucas, Kasdan et Keshner ont su tous faire des concessions, reconsidérer leur travail, et réorganiser la narration pour fournir au public le meilleur des récits. N’est-ce pas là la plus belle des leçons ?

À noter :
À partir de l'an 2000, en France, L'Empire Contre-Attaque est exploité sous le nom Star Wars - Épisode V : L'Empire Contre-Attaque avant d'être renommé par en avril 2015 par Lucasfilm Ltd. suite au rachat de Disney en Star Wars : L'Empire Contre-Attaque, faisant disparaître la référence au numéro de l'épisode pour coller avec Star Wars : Le Réveil de la Force.

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