THX 1138
Titre original : THX 1138 Production : American Zoetrope Date de sortie USA : Le 3 novembre 1971 Distribution : Warner Bros. Genre : Science-fiction |
Réalisation : George Lucas Musique : Lalo Schifrin Durée : 88 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
3 lettres et 4 chiffres, telle est la manière dont est défini l'individu dans cette société futuriste. THX 1138 en est un parfait représentant : cerveau-bloqueur actif, consommateur des produits fournis, respectueux de la loi, ouvrier consciencieux et fidèle de UMV (Dieu), il mène ainsi une existence aussi paisible que vide de sens. Mais un jour, où il ne consomme pas sa ration de drogue quotidienne, il cède à ses sentiments envers sa compagne : LUH 3147. Par le fait, il devient un hors-la-loi et se voit immédiatement incarcéré. THX 1138 n'a plus d'autres choix : fuir cet enfer ou mourir...
La critique
En dépit des nombreux éléments qui font références au genre, THX 1138 n'est pas à considérer uniquement comme un film de science-fiction / anticipation mais comme celui d'un auteur, et probablement le plus personnel que George Lucas n'ait jamais réalisé. Pour lui, il s'agit avant tout de faire passer des émotions aux spectateurs, à défaut de lui présenter une narration classique. « Je voulais réaliser un film très visuel, sans personnages et sans dialogues, plutôt expérimental » expliquait le maître à propos de THX 1138 4EB. Une approche représentative d'une période du cinéma américain baptisé « Le Nouvel Hollywood » que le réalisateur a su faire sienne. La sortie et la conception du film appartiennent, en effet, à un contexte très important qui, pour bien saisir l'essence même de cette œuvre et en faire la critique, a besoin d'être expliqué. A cette époque, aux USA, les artistes s'affranchissent des conventions du cinéma classique : comme le film noir ou le western. Il s'agit désormais pour eux de mettre en œuvre de nouveaux films, loin des mondes idylliques et magnifiés de l'ancien Hollywood. Il est fait place au réel, aux marginaux dans une volonté de dépeindre la société telle qu'elle est. Une approche qui offre alors aux publics une nouvelle manière d'appréhender le cinéma et aux artistes de faire du cinéma. C'est ainsi que de nombreuses personnalités ont pu percer et proposer des expériences visuelles inédites telles que Le Lauréat (Mike Nichols), Easy Rider (Dennis Hopper), M.A.S.H (Robert Altman) ou encore La Nuit des Morts Vivants (George. A. Romero). L'accent est mis sur l'innovation cinématographique et les jeunes réalisateurs obtiennent enfin les moyens d'exprimer leurs idées. Parfois le résultat est positif : Duel (Steven Spielberg) ou plus décevant, comme c'est le cas de THX 1138. Retour donc dans les sixties où un jeune étudiant de l'USC (Université de Californie du Sud) rencontre un réalisateur nommé Francis Ford Coppola.
Tout commence avec trois courts métrages d'école : Look at Life, Freiheit et THX 1138 4EB. Grâce à ces exercices, Lucas se forme en effet au rôle de réalisateur et d'auteur. Il va affiner son point de vue sur le monde et se nourrir, comme beaucoup d'autres, de cette époque de troubles, en pleine Guerre Froide. Son sujet de prédilection devient logiquement la liberté ! Est-elle une chose innée ou faut-il l'acquérir en se battant contre l'oppression politique et physique ? Une problématique qui l'accompagnera dans toute sa carrière comme une obsession.
« Bien sûr que la liberté vaut la peine qu'on meure pour elle. Car sans la liberté nous sommes morts » (Freiheit). Avec ces trois courts-métrages, Lucas s'impose donc comme un véritable auteur au sein de son école et se voit même récompensé pour cela, recevant le prix du meilleur film pour THX 1138 4EB. Mais en plus d'avoir un point de vue sur le monde, le réalisateur fait preuve d'un vrai talent artistique et technique, spécifiquement dans le montage de ses images. Ce savoir-faire, il l'a probablement hérité de Slavko Vorkapich, un ancien collègue du cinéaste russe Eisenstein (Le Cuirassé Potemkine), alors enseignant à l'USC. Tout indique ainsi que Lucas est susceptible de faire carrière dans la réalisation : « Je ne ferai jamais un boulot qui m'oblige à répéter les mêmes gestes tous les jours. » déclare-t-il à son père lorsqu'il décide de se consacrer au 7ème art. En 1963, sa carrière prend toutefois un tournant inattendu. Par un concours de circonstances, il participe au tournage de Finian's Rainbow (La vallée du Bonheur) et rencontre le réalisateur du film : Francis Ford Coppola. Au fil du tournage, les deux jeunes (Coppola n'a alors que vingt ans !), se lient d'amitié et fondent ensemble la société de production indépendante : American Zoetrope. Impressionné par THX 1138 4 EB, Coppola pousse ainsi Lucas à le transformer en un long-métrage. Epuisant quatre versions différentes, le scénario de THX 1138 voit finalement le jour avant d'être proposé, non sans l'aide et l'influence de Coppola, à la Warner qui accepte d'aider à produire le film.
Au-delà des apparences, ce n'est pas une société imaginaire et futuriste dont il est question dans ce long-métrage mais bien celle des années 60, celle dans laquelle Lucas a lui-même évolué. Les produits fournis aux individus, représentés par un cube de couleur, en sont la meilleure preuve. Ils seront consommés, recyclés puis à nouveau utilisés. Un cycle de consommation infini et sans diversité qui aboutit à toujours manger la même chose. Une production de masse qui ne tient pas compte de la qualité mais qui tout de même crée et stimule le désir chez l'individu. Un reflet d'une Amérique en pleine expansion qui diffuse ses produits à travers toute l'Europe et assoie sa domination culturelle. Un monde où la puissance des grandes firmes industrielles est telle qu'elles s'insinuent dans tous les foyers jusqu'à devenir une nouvelle éducation. Un cauchemar qui est toujours d'actualité, en témoigne de nombreux documentaires sur ce phénomène et ses ravages. Un autre aspect du film permet à Lucas de s'exprimer sur la religion et son contrôle des masses. Une voix enregistrée et un portrait éclairé, tels sont la représentation d'UMV, entité suprême veillant sur l'humanité. L'individu, pour sa part, doit venir quotidiennement se confesser et parler de ses craintes à ce « dieu », attendant désespérément une réponse sur son existence. Mais voilà, lorsque l'un des compagnons de THX 1138 découvre l'envers de ce décor religieux, installé sur un plateau télé, tout bascule. La croyance est mise en scène, contrôlée et comme la consommation est produite en masse. Et pourtant... La véritable réflexion n'est pas dans la disposition de la scène mais bien dans l'attitude du personnage lui-même. Celui-ci s'agenouille devant la figure et se met à parler à son dieu. Il ne se rend pas compte de l'absurdité de prier et de questionner un simulacre car il est la victime d'un conditionnement trop parfait. Comme à l'époque, en cas de difficultés, la religion est le refuge de tous ; et peu importe l'absurdité avec laquelle elle est prêchée.
Par le biais de quatre protagonistes, le spectateur va donc découvrir tous les aspects de ce futur inquiétant. L'univers de THX 1138 est en effet une représentation de l'emprisonnement et des diverses réactions que l'Homme peut avoir face à lui. Il peut se plier aux règles, contempler et attendre le changement. Il peut aussi se battre pour gagner sa liberté ou se questionner pour fuir la réalité. Cette diversité d'action et d'évolution de l'individu permet à Lucas de poser une question au spectateur : « êtes-vous prêt à découvrir la vérité sur votre monde et à vivre avec ? ».
Pour porter cette problématique, le jeune réalisateur s'entoure de deux grands acteurs : Robert Duvall (M.A.S.H / Le Parrain) et Donald Pleasence (On ne Vit que Deux Fois / La Grande Évasion), incarnant respectivement THX 1138 et SEN 5241. Les deux interprétations sont aussi bluffantes que dérangeantes, en particulier celle de Pleasence qui apporte une dimension très inquiétante à son personnage, comme il le fera en interprétant le docteur Loomis dans Halloween de John Carpenter. Le fait de raser les cranes de tous les acteurs n'a pas dérangé la très jeune diplômée d'art dramatique : Maggie McOmie. En interprétant la compagne de THX, la jeune femme s'illustre par sa capacité à faire passer le désespoir de son personnage en un minimum de dialogue. Tout est dans ses regards et ses attitudes ; à la fois compréhensive et amoureuse de son compagnon et meurtrie par la vie qu'ils mènent. La musique, signée Lalo Schifrin, transcende le cadre de la simple partition pour long-métrage, un reproche somme toute formulable contre John Williams. Ses compositions sont ainsi à l'image du film : lentes, classiques, orchestrales et enivrantes. Elles peuvent presque s'écouter dans un fauteuil au coin du feu en sirotant un verre de whisky tout en lisant du Poe. En quelques mots, un petit bijou pour les oreilles.
Œuvre de jeunesse, il est permis de penser la narration de THX 1138 mal maitrisée, donnant au film tout entier un aspect « court-métrage allongé ». Pourtant, celle-ci est finement agencée, si bien que l'opus pourraient se découper en trois parties distinctes qui traiteraient de la même problématique. Trois manières d'appréhender un même sujet qui vont s'imbriquer tout au long de la narration afin de créer la réflexion.
La première suivrait la vie dans une prison où l'individu obéit à une routine avec pour résultat une perte de son humanité et du contact avec autrui. Ses émotions sont bloquées et sa semence collectée artificiellement puisque tout rapport sexuel est condamné. Cet état mène à la chute d'un individu qui sera puni pour avoir tenté d'agir autrement de ce qu'il était attendu de lui : rien.
Une deuxième prendrait place au cœur d'une salle blanche et vide dans une représentation d'un esprit privé de réflexion et de l'emprisonnement qui découle. Deux solutions s'offrent alors au personnage : réfléchir sur sa condition ou avancer et dépasser tout ce qu'il connaît ou croit connaître pour parvenir à se libérer.
Enfin une troisième et dernière partie correspondrait à l'évasion d'un individu de la prison souterraine dans laquelle il est enfermé.
Une fois admis que ce découpage de THX 1138 fonctionne, le film apparait dans son ensemble comme une quête initiatique, une recherche de soi et de la signification profonde d'un Homme ? Quelle est sa place dans une société en pleine expansion qui l'aliène et le comprime dans des rôles et des postes cloisonnés ?
En dépit de nombreuses qualités, THX 1138 est un échec commercial. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit longtemps resté dans l'ombre de son petit frère devenu phénomène mondial : Star Wars. Il offre même un joli paradoxe dans la carrière de George Lucas : d'une part, il est l'incarnation d'un nouveau et ambitieux courant cinématographique au même titre que Scorcese, De Palma, Spielberg, etc. Et d'autre part, il est le bourreau de cette même période grâce à une saga dont l'arrivée du premier opus a relancé un système de production davantage accès sur l'aspect commercial qu'artistique. La définition même des blockbusters !
Dans beaucoup de débats concernant Star Wars, la mise en scène et la réalisation de Lucas sont pointées du doigt comme une faiblesse. Pourtant, à en juger THX 1138, l'émotion est là et bien là. La simplicité des dispositifs de mise en scène renforce en effet le regard ironique du réalisateur sur une société qui n'a pas tellement changé depuis les années 60. Mais, si ce parti pris constitue toute la force du film, il n'est pas étonnant que le public n'ai pas été réceptif au long-métrage. La lenteur avec laquelle le réalisateur filme et déroule son action n'est manifestement pas accessible à tous. Comme le personnage, le spectateur titube dans de longs couloirs blancs cherchant désespérément un but à son existence et un sens au monde qui l'entoure. Une interrogation qui questionnera longtemps Lucas : il en reprend le thème dans son projet suivant : American Graffiti, où le spectateur retrouve cette réflexion sur le monde et comment l'Homme, et surtout la jeunesse, se perçoit en tant qu'individu.
Chef d'œuvre pour certains, film d'auteur avec de l'idée pour d'autres ou finalement court-métrage rallongé par volonté du réalisateur, THX 1138 est à considérer comme un classique de la science-fiction. Au-delà du genre, ce film est la preuve que George Lucas a toujours été un visionnaire avec une sensibilité propre et un talent pour raconter les histoires comme peu en ont.