Baylene

En 2000, les studios Disney emmènent les spectateurs au cœur du Crétacé avec Dinosaure, leur trente-neuvième classique animé. Prenant le pari d’intégrer des personnages créés par ordinateurs au milieu de superbes décors totalement réels, le film rassemble alors à l’écran les monstres préhistoriques les plus emblématiques, en particulier Baylene, imposante mais pourtant délicate femelle brachiosaure.

Les brachiosaures doivent leur nom au paléontologiste américain Elmer S. Riggs qui, le 4 juillet 1900, est le premier à retrouver un squelette du gigantesque animal près de Grand Junction, dans le Colorado. Formé à partir des mots grecs « brachiôn » (bras ou épaule) et « sauros » (lézard), il fait alors référence aux membres antérieurs, plus longs que les membres postérieurs.

Reconstitution d'un brachiosaure (Encyclopædia Universalis France)

Parmi les animaux les plus grands, les plus gros et les plus lourds que la Terre ait portés, le brachiosaure mesurait environ 25 mètres de longs et 12 mètres de haut. Sa tête, marquée par des naseaux situés au sommet et non sous les yeux, reste pourtant très petite par rapport au reste du corps. Son cou, pour sa part, représente près de la moitié de sa hauteur. Pouvant peser entre 32 et 50 tonnes, c’est un herbivore qui se nourrit en broutant les feuilles des arbres ou les aiguilles des confères. Grâce à sa taille, massive, et son cou, longiligne, il peut ainsi récupérer une nourriture riche qu’aucun animal hormis lui ne peut atteindre. Dinosaure forcément lourd et lent, le brachiosaure se déplaçait certainement en troupeaux, les adultes protégeant ainsi les plus petits des grands prédateurs.

Squelette de brachiosaure, Musée d'histoire naturelle de Berlin

Les brachiosaures vivaient en Amérique du Nord, en Europe et en Afrique, il y a environ 150 millions d’années, au Jurassique supérieur. Le plus grand squelette quasiment complet a été découvert en Tanzanie entre 1909 et 1913 par les scientifiques de l’université de Berlin. Il est d'ailleurs exposé au musée d’histoire naturelle de la ville. Parmi les dinosaures les plus populaires auprès du public, le brachiosaures apparaît dans d’innombrables fictions telles que la saga Jurassic Park, la série Dinotopia, le long-métrage L’Âge de Glace 3 : Le Temps des Dinosaures ou bien encore le manga One Piece dans lequel le personnage de Queen peut prendre son apparence grâce à la magie d’un fruit du dragon.

Baylene entre dans l’histoire au moment où Aladar et sa famille, pourchassés par des vélociraptors, rencontrent la horde. La situation est alors particulièrement catastrophique. Une large partie de la planète est à présent recouverte de poussière après qu’un astéroïde a frappé le Terre. Obligés de quitter leur foyer, des dizaines de dinosaures ont par conséquent pris le chemin de l’exil. Guidés par Kron, tous marchent ainsi vers la Terre des nids, un endroit semble-t-il protégé où la nature et l’eau sont encore accessibles.

Faisant trembler le sol au moindre pas, Baylene est à la traîne. Accompagnée par son amie Eema, une vieille styracosaure, et son compagnon à quatre pattes, un ankylosaure nommée P’tit Rex, elle souffre de son grand âge. Fort heureusement, le temps est venu pour la horde de s’arrêter pour prendre un peu de repos. « Oh… Eema, je voudrais que nous soyons déjà à la Terre des nids », se lamente Baylene, « Toute cette ruée… Cette bousculade… Tout ça pour une place où dormir. Je ne suis pas habituée à ce genre de comportement ». Encouragée par Eema à utiliser ses gigantesques pieds pour « botter les fesses » des autres dinosaures qui se faufilent partout, Baylene désespère. « Quelles horribles excroissances poilues », commente-t-elle au moment d’apercevoir Yar, Plio, Suri et Zini sur le dos d’Aladar.

Les présentations commencent. Aladar apprend que Baylene est la dernière de son espèce. Malgré sa taille, elle supporte très mal la manière dont Kron dirige la horde. Autoritaire, celui-ci n’en a en effet cure des plus vieux et des retardataires. Selon lui, le seul intérêt est que ces derniers ralentiront les prédateurs. Il n’acceptent dès lors pas de changer le rythme de la marche, au grand dam de Baylene qui, désormais âgée, n’a ni la force d’accélérer, ni le courage de demander à Kron de ralentir.

Le lendemain matin, le soleil est à peine lever qu’il faut déjà repartir. « Oh… Miséricorde… Nous sommes partis pour une longue marche », se désole Baylene qui, bon gré, mal gré, essaye de suivre le mouvement. Sous un soleil brûlant et implacable, il faut deux jours entiers à la horde pour parvenir au point d’eau suivant. Mais le bonheur d’être arrivé laisse immédiatement place à la stupeur. Le lac providentiel, autrefois profond, est désormais vide. L’eau a disparu…

Lui-même abasourdi, Kron donne l’ordre de reprendre la marche. Eema s’allonge sur le sol. Impossible, pour elle, de repartir. Baylene a beau essayer de l’encourager, la vieille styracosaure est à bout de force. Avançant vers sa pauvre amie, elle descend vers le fond du lac complètement à sec. Sous son poids, le sol craque. La couche supérieure se fissure. Pour Aladar, la couche de poussière cache peut-être quelque-chose. Aidé par Zini, il se met à creuser avant d’ordonner à Baylene d’appuyer le plus fort possible. La masse du brachiosaure est telle que la terre s’affaisse et l’eau se met à jaillir. « Par le ciel ! », s’enthousiasme Baylene qui, malgré elle, vient de sauver la horde. Tous les dinosaures se précipitent. Avec violence, Kron exige d'avoir la priorité.

Après une nuit de quiétude, l’aube est marquée par un nouveau drame. Bruton, le bras-droit de Kron parti en repérage, annonce que deux carnotaures sont sur leurs traces. Il faut repartir… Encore. À la nuit tombée, Aladar, sa famille, P’tit Rex, Eema et Baylene sont seuls. Ils ont accumulé trop de retard et les autres dinosaures, terrifiés par Kron, n’ont pas attendu. Alors que la pluie commence à tomber, ils trouvent refuge dans une grotte. Au passage, ils accueillent dans leur groupe le pauvre Bruton qui, blessé, a lui aussi été abandonné.

Plus tard dans la nuit, les carnotaures parviennent jusqu’à l’entrée de la grotte. Il semble impossible de leur échapper. Les deux prédateurs bloquent l’entrée. Le fond de la grotte est quant à lui entravé par la roche. Par reconnaissance pour l’aide qui lui a été apportée, Bruton accepte de se sacrifier. En se précipitant contre la paroi, il réussit à provoquer un éboulement fatal pour l’un des carnotaures. Pour se prémunir du second, Aladar et les autres doivent trouver un moyen de sortir. Refusant de baisser les bras, Baylene apport une aide une nouvelle fois précieuse. Se mettant debout sur ses pattes arrière, elle se laisse retomber sur la paroi. Grande et lourde, elle parvient ainsi à détruire l’enchevêtrement de pierres et à faire s’effondrer le fond de la grotte.

Tout le monde est sauvé. Mieux ! Derrière le mur de pierres détruit, apparaît la Terre des nids ! Au comble du bonheur, Baylene se jette dans le lac, provoquant une gigantesque onde à la surface. Pour Aladar, le calvaire n’est pas encore terminé. Il repart immédiatement pour guider la horde. Reprenant le commandement en lieu et place de Kron qui, obstiné, provoque sa propre perte, Aladar parvient à éliminer le dernier carnotaure et à sauver les autres dinosaures.

À présent à l’abri, chacun peut couler des jours paisibles sans se soucier de l’avenir…

La production de Dinosaure débute dès 1986. Il s’agit alors d’un long-métrage en prises de vues réelles confié au réalisateur Paul Verhoeven, épaulé par le responsable des effets spéciaux Phil Tippett et le scénariste Walon Green qui imaginent utiliser des maquettes et la technique de l’animation en volume pour créer les monstres préhistoriques. La réalisation est cependant victime de nombreuses hésitations et autres atermoiements. Après le départ de Verhoeven, le projet passe entre les mains du réalisateur Thomas G. Smith et de la scénariste Jeanne Rosenberg avant d’être finalement remisé au placard. Il y reste de nombreuses années avant que le triomphe de Jurassic Park de Steven Spielberg ne change la donne.

Récupéré par le département animation de Disney, Dinosaure est remis à l’ouvrage sous la direction de George Scribner, le réalisateur d’Oliver & Compagnie et Le Prince et le Pauvre. Parti rejoindre les équipes de Walt Disney Imagineering, celui-ci est remplacé par Eric Leighton et Ralph Zondag, deux pionniers qui peuvent compter sur les dernières technologies informatiques développée par le Secret Lab. Un nouveau concept est alors choisi, à savoir placer des dinosaures animés au cœur de décors filmés aux quatre coins du monde. L’idée est de concevoir un film réaliste. Les créatures sont par conséquent représentées de la manière la plus fidèle possible, à l’exception des yeux et des bouches, indispensables pour les dialogues et la communication des émotions.

Les différents protagonistes sont notamment imaginés par l’artiste David Krentz. Originaire de Winnipeg où il voit le jour en 1969, il étudie à l’Institut CalArts avant de rejoindre Disney à la fin des années 1990. Il travaille alors sur plusieurs projets tels que Fantasia 2000, Dinosaure, La Planète au Trésor - Un Nouvel Univers et John Carter. Devenu un spécialiste des dinosaures, il collabore aussi à la création des documentaires Sur la Terre des Dinosaures pour la chaîne BBC et Dinosaur Revolution pour Discovery Channel. Couronné aux Emmy Awards, sa filmographie compte aussi des participations à Eragon, Les Gardiens de la Galaxie, Ant-Man, Doctor Strange, Baby Driver, Les Gardiens de la Galaxie Vol. 2, Avengers : Endgame, What If… ?, Primal, Donjons & Dragons : L’Honneur des Voleurs…

Initialement, le personnage du brachiosaure était un mâle plus jeune nommé Sorbus. Malgré sa grande taille, il est victime du vertige, ce qui donne lieu à plusieurs passages comiques. Gardant sa tête à ras du sol, il est alors interprété par l’acteur comique Chris Farley (Saturday Night Live, Wayne’s World, Le Ninja de Beverly Hills). Suite au décès du comédien et à la réécriture de Dinosaure, le rôle est finalement donné à une femelle âgée de soixante-cinq ans. Dernière de son espèce, elle est nommée Baylene. L’idée de s’amuser avec sa corpulence est gardée. Baylene est ainsi un être doux dont la délicatesse et la timidité tranchent radicalement avec sa taille et son poids. Mal préparée à cet exode improvisé, elle apporte par ailleurs une certaine dose de tragédie au script. Vue comme une matriarche ayant une certaine expérience du monde, son caractère plein de douceur et d’élégance est notamment inspiré aux artistes de Disney par la comédienne Joan Plowright choisie pour lui prêter sa voix.

Absolument magnifique, Baylene devient très rapidement un réel défi technique pour les animateurs. Contrairement aux autres personnages, il est en effet difficile de la faire tenir dans le cadre. Michael Belzer, le superviseur, la compare à un « mur de viande » avec une « tête au bout d’un bâton ». Il faut de plus animer ses mouvements différemment pour insuffler toute cette lourdeur que les autres animaux n’ont pas. Enfin, la texture de sa peau doit être définie au cordeau. Du fait de sa corpulence et de la petitesse des protagonistes qui partagent ses scènes, il n’est pas rare qu’il faille zoomer sur telle ou telle partie de son corps, au point, parfois, de cacher entièrement le décor qui est derrière elle. Pour l’animer de manière réaliste, les artistes vont ainsi observer les éléphants dans les zoos voisins. Un pachyderme est même amené aux studios durant un après-midi.

La création de Baylene est supervisée par Michael Belzer. L’artiste se lance dans l’animation dès l’âge de treize ans. Débutant sa carrière en freelance, il est engagé par Colossal Pictures puis par Pixar. Associé à la conception de plusieurs publicités, il collabore à la production de L’Étrange Noël de Monsieur Jack et James et la Pêche Géante. Rejoignant Disney en 1997, il est associé à l’animation de Dinosaure, Bienvenue Chez les Robinson et Volt, Star Malgré Lui. Il planche aussi sur Kangourou Jack, Scooby-Doo 2 : Les Monstres se Déchaînent, Garfield, le Film, Tempête de Boulettes Géantes et Shrek 4 : Il Était une Fin.

Michael Belzer travaille aux côtés de l’animateur Brian Wesley Green. Spécialisé dans l’animation assistée par ordinateur, l’artiste crée la foule de Parisiens dans Le Bossu de Notre-Dame, ainsi que le Léviathan dans Atlantide, l’Empire Perdu. Également associé à la production de Fantasia 2000, sa carrière est brutalement interrompue par son décès le 12 mai 2005.

Sur une idée de Thomas Schumacher, le responsable de Disney Feature Animation and Theatrical Productions, le rôle de Baylene est offert à la comédienne Joan Plowright. Née à Brigg, dans le nord de l’Angleterre, le 28 octobre 1929, elle débute au théâtre en 1948. Faisant le choix de s’installer à Londres, elle intègre la troupe du Royal Court Theatre en 1956. Elle enchaîne alors les rôles dans des pièces comme The Country Wife, Les Chaises, La Paix du Dimanche, Major Barbara, Rhinocéros, The Entertainer, Sainte Jeanne… Mariée à Laurence Olivier, Plowright apparaît également au cinéma dans Moby Dick, Three Sisters, Sophie, Denis la Malice, Jane Eyre, Les 101 Dalmatiens, Un Thé avec Mussolini ou bien encore Les Chroniques de Spiderwick. Icône du théâtre anglais, Joan Plowright est élevée au rang de Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique en 1970 puis Dame Commandeur en 2004.

En France, le rôle est tenu par Lily Baron. Née le 13 mars 1921 et décédée le 4 novembre 2017, l’actrice arrive à Paris en 1939. Apparue dans les films Après l’Orage, L’Invité de la Onzième Heure, On Ne Meurt Pas Comme Ça, La Rose de la Mer, Clochemerle et Si Versailles m’Était Conté, Lily Baron se fait rapidement un nom dans le monde du doublage. Elle est ainsi la voix des comédiennes Uta Franz, Barbara Bel Geddes, Suzanne Pleshette qu'elle double dans Quatre Bassets pour Un Danois et Le Fantôme de Barbe-Noire, Michele Lee dans Un Amour de Coccinelle, Katherine MacGregor dans La Petite Maison dans la Prairie, Geraldine McEwan dans Miss Marple. Elle interprète aussi Grand-Mère Kincaid dans le redoublage de Danny, le Petit Mouton Noir, Madame Samovar dans le redoublage de La Belle et la Bête, Grand-Mère Fa dans Mulan, Madame Hogenson dans Les Indestructibles et Jocasta Nu dans Star Wars : The Clone Wars.

Comme l’ensemble des personnages du film, Baylene apparaît dans l’adaptation de Dinosaure en bande dessinée. Quelques minces produits dérivés ont par ailleurs été produits en lien avec la sortie du film. Faute de succès au box-office, ces derniers ont rapidement disparu des rayonnages pour ne jamais y revenir.

Baylene apparaît enfin dans les jeux vidéo dérivés de Dinosaure, Disney’s Dinosaur et Dinosaur Activity Center.

Baylene est un personnage magnifique, tant du point de vue de sa conception que de son animation et de son interprétation. Animal iconique du Jurassique, elle ajoute une réelle valeur ajoutée à Dinosaure qui, faute de succès, n’a malheureusement fait entrer aucun de ses protagonistes dans la postérité.