L'Étrange Noël de Monsieur Jack
Titre original : Tim Burton's The Nightmare Before Christmas Production : Touchstone Pictures Skellington Productions Walt Disney Pictures (Depuis 2006) Date de sortie USA : Le 22 octobre 1993 Genre : Animation Image par Image 3-D |
Réalisation : Henry Selick Musique : Danny Elfman Durée : 76 minutes |
Le synopsis
Les étranges habitants d'Halloween-Ville, au premier rang desquels le roi des citrouilles, Jack Skellington, célèbrent, avec toujours beaucoup d'entrain, la fête éponyme de leur cité. Pourtant, après les cérémonies, Jack, las, s'isole et part se promener. Au détour d'un chemin , il tombe sur Noël-Ville, ses couleurs chatoyantes, ses millions de jouets et sa population chaleureuse. Fasciné, il n'a plus, dés lors, qu'une seule obsession : s'approprier Noël et ses fastes... |
La critique
L'étrange Noël de Monsieur Jack, petit bijou de l'animation image par image, empli de grâce, poésie et lyrisme est l'œuvre de l'excellentissime Tim Burton. Après des études à la California Institute of the Arts, le futur brillant réalisateur intègre les Studios Disney en 1976, pour collaborer notamment à l'animation de plusieurs productions, dont Rox et Rouky. Après cette expérience, il se lance dans la réalisation de deux courts métrages, l'un d'animation, Vincent (1982) et l'autre de facture classique, Frankenweenie (1984), une parodie assumée de Frankenstein et des films de la firme Hammer. En 1985, il quitte la compagnie de Mickey pour réaliser son tout premier long métrage, Pee Wee's Big Adventure, qui annonce déjà les bases de son univers très personnel où le fantastique se dispute à l'onirisme. Mais c'est véritablement trois ans plus tard que Tim Burton se révèle au grand public avec Beetlejuice, une comédie, fable fantastico-macabre, dans laquelle il fait incarner à Michael Keaton un "bio-exorciste" totalement déjanté. Il retrouvera d'ailleurs le comédien pour deux autres films - de commande cette fois-ci - Batman (1988) et Batman, le défi (1991), démontrant par la même, sa capacité à travailler dans le cadre traditionnel d'Hollywood. En 1993, il retrouve ses premières amours et revient chez Disney pour produire un film d'animation image par image.
L'origine de L'étrange Noël de Monsieur Jack remonte à la période où, tout juste sorti de l'école, Tim Burton entre chez Disney. Il écrit, en effet, une parodie du poème de Clement Clark Moore, The Night Before Christmas, qui devient sous sa plume, The Nightmare Before Christmas. Il puise d'ailleurs son inspiration dans le style du Dr Seuss, un auteur américain très populaire aux USA et heureux papa notamment de Comment le Grinch a volé Noël ?. Le poème lui rend, à l'évidence, un vibrant hommage. Tim Burton réalise parallèlement divers croquis pour l'illustrer, qui témoignent aujourd'hui de son idée première d'en faire un long-métrage. Bien qu'il ne possède que les personnages de Jack, de Zéro et du Père Noël, le fil conducteur de l'histoire est clairement posé. Il n'évoluera, en fait, que de façon très marginale par rapport au scénario final. Malheureusement, la Direction de Disney de l'époque n'est pas prête pour une œuvre aussi subversive. Ce mélange de gothique, naïveté et optimisme n'entre pas, et de loin, dans ses standards. Pire, l'idée d'une production d'animation image par image déconcerte la team de Mickey même si elle en maitrise parfaitement la technique comme en témoignent des génériques de film, (La fiancée de Papa) ou des courts-métrages (Noah's Ark). Si le staff de la compagnie au château enchantée semble hermétique aux choix de Tim Burton, il a tout de même une once de lucidité en lui offrant la possibilité de réaliser un petit court-métrage, en animation image par image, Vincent, qui sort en 1982. Le réalisateur s'en console et laisse son ambitieux projet murir dans un coin de sa tête pour passer finalement à autre chose. Il quitte en effet Disney pour voler de ses propres ailes et signe deux succès remarqués : Batman et Edward aux mains d'argent. Tim Burton se fait ainsi un nom dans le milieu du cinéma. Surfant sur sa popularité, il reprend à son compte le projet de L'étrange Noël de Monsieur Jack mais affronte, une fois encore, l'hostilité du tout Hollywood. Par un joli pied de nez, Disney, qui lui avait dit non dix ans plus tôt, accepte de financer le long-métrage. Le changement de Direction à la tête de la compagnie de Mickey n'est pas étrangère à ce revirement. L'inspiré PDG, Michael Eisner, redonne, il est vrai, le gout de l'ambition à son studio. Seule réserve mis au projet : L'étrange Noël de Monsieur Jack ne porte pas la signature Disney mais celle de son autre label, Touchstone. Le label historique du grand Walt est jugé en effet trop décalé par rapport à la nature du projet.
Tim Burton lance donc son film d'animation image par image en abordant avec sérénité le challenge. Le danger qu'il craint le plus est de voir le public se focaliser sur la technique en oubliant l'histoire et les personnages. Aussi, demande t''il, très vite à Henry Selick d'en assurer la réalisation, en se limitant personnellement au rôle de producteur et de designer des personnages. Déjà, le titre choisi trompe son monde. Il donne, en effet, à l'œuvre des airs de film d'horreur alors même qu'elle est à des années lumières du genre. L'histoire, il est vrai, ne contient aucune scène effrayante. En fait, seuls les personnages peuvent provoquer la peur ou l'inquiétude par leur design. Le ressenti est d'autant plus étrange quand il apparait que le casting ne comporte, en réalité, aucun vrai méchant. Le récit est positif de bout en bout et met en exergue la volonté de faire le bien et d'apporter du bonheur autour de soi. Et tant pis si les intervenants sont maladroits dans leur démarche. Seule l'intention doit compter. Le film, optimiste sur la durée, change pourtant brutalement de nature à sa conclusion, mélancolique à souhait. Jack, le héros solitaire et incompris n'est, en effet, pas parvenu à réaliser sa vision. Il a enfin compris qu'il faut laisser faire les choses à ceux qui savent. La thématique est alors bien sulfureuse puisque fort éloignée de la pensée répandue en Amérique, chantre de l'ambition et de la réussite. Le héros (comme le spectateur !) se consolera aisément pour avoir enfin trouvé l'amour.
Mélangeant avec bonheur des genres antinomiques, Tim Burton signe un récit associant ses deux fêtes préférées : Noël et Halloween. Pourtant, il n'est pas totalement satisfait de son scénario. Il ne parvient pas, en effet, à exprimer toute l'émotion qu'il souhaite et bloque sur l'expression des sentiments. Cherchant à se sortir de cette situation frôlant la perte d'inspiration, il s'appuie sur son compositeur et parolier fétiche, Danny Elfman. Il lui demande, sans détour, d'écrire les chansons du film pour organiser, une fois n'est pas coutume, le long-métrage autour d'elles. Tous deux se persuadent vite que l'atout de L'étrange Noël de Monsieur Jack doit aussi être sa bande son. Ils reprennent ici une construction très courante chez les Grands Classiques Disney où les airs et chansons ne sont pas de simples intermèdes, mais participent à l'histoire, en favorisant son déroulée. La recette mis en place fonctionne vite à merveille. Onze titres viennent ainsi soutenir le récit et décupler l'émotion émanant des personnages. Tout le film profite alors d'une poésie et d'un lyrisme incontestable. Ajoutez à cela, les musiques et mélodies apportées au long métrage par le seul Danny Elfman et L'étrange Noël de Monsieur Jack revêt alors une ambiance aussi particulière que bluffante.
Scénario en poche, Tim Burton fait entrer son film dans la phase de production. Là, encore, il ne déroge pas à la règle et met l'histoire sous forme de storyboard. Vient alors la phase éminemment technique du projet. L'animation image par image a cela de particulier qu'elle est extrêmement longue à créer. L'étrange Noël de Monsieur Jack prend ainsi plus de trois ans à voir le jour. Le procédé choisi est, en effet, une technique d'animation minutieuse permettant de créer un mouvement à partir d'objets, à l'origine, immobiles. Le concept est très proche de celui d'une séquence animée. Une scène (en général, constituée d'objets) est filmée par une caméra capable de ne prendre qu'une seule image à la fois. Elle effectue une sorte de photographie sur la pellicule de film. Entre chaque image, les objets de la scène sont très légèrement déplacés. Ce n'est qu'une fois la scène projetée à vitesse normale, que l'ensemble s'anime. Ainsi, avant de commencer ce long et fastidieux travail, il est nécessaire de s'attacher à construire et constituer décors et personnages. Les premiers sont de consistance solide afin de faciliter le travail des animateurs tout en restant le plus proche possible de la vision du réalisateur. Les seconds, eux, sont bâtis sur une armature métallique qui autorise le mouvement. Un moule reprend leurs traits et accueille une mousse de latex qui donne sa forme finale au personnage. Ce dernier est ensuite peint et prêt à "prendre vie".
Alors même qu'il s'attache à donner à ses "acteurs" une
animation sans reproche, Tim Burton s'évertue parallèlement à leurs transmettre
un solide capital sympathie. Il parvient d'ailleurs à les doter d'un destin
particulièrement riche.
Jack, tout d'abord, roi des citrouilles et de la ville d'Halloween, n'en peut
plus de la routine qui l'entrave. Rien d'étonnant, dès lors, à le voir, dans la
ville de Noël, avec une seule idée en tête : apporter du bonheur au monde
entier. Il se décide en effet à organiser Noël à la place du Père Noël. Mais,
les choses ne tardent pas à lui échapper.
Sally, ensuite, la future petite amie de Jack, est une poupée de chiffon, sorte
de Frankenstein au féminin. Elle est en réalité à bien des égards l'ange gardien
de son aimé et tente de lui faire entendre raison.
Oogie Boogie est, enfin, le méchant de service bien qu'il ne soit pas
véritablement effrayant. D'ailleurs, sa séquence est plutôt colorée là où le
film tout entier apparait bien sombre. Drôle de sac rempli d'insectes, il jouit
d'un égo démesuré au point de faire emprisonner le Père-Noël qu'il juge plus
maléfique que lui.
Autour de ces trois rôles principaux, l'histoire dispose d'une multitude de
personnages secondaires tous plus succulents les uns que les autres, tant dans
le monde de Noël que dans celui des humains ou d'Halloween. Les monstres en
particulier, à la fois drôles et pathétiques, sont plus tendres qu'il n'y
paraissent au premier abord, et assurément plus que les hommes. Le maire d'Halloweentown,
Zéro, le chien fantôme de Jack ou Am, Stram, Gram, les trois garnements d'Oogie
Boogie sortent à l'évidence du lot.
L'Etrange Noël de Monsieur Jack
est présenté en 1993. Les critiques, enthousiastes, ovationnent littéralement le
film. Pourtant, le public ne suit pas et lui concède une recette ridicule de 50
millions de dollars, là où
Aladdin
rapporte cinq fois plus, un an auparavant.
Les spectateurs ont, en fait, du mal à intégrer l'animation image par image, qui
plus est, en format long-métrage, une première à l'époque. Ils rejettent
également l'univers si particulier de Tim Burton. Le désamour semble total.
Pourtant, le temps aidant, le film va peu à peu se constituer une base de fans
toujours plus grande. Ses diffusions sur le petit écran en font même un
classique de la télévision à la période de Noël et d'Halloween. Il franchit
ensuite un rang supérieur en devenant un film culte, reconnu par tous comme un
chef d'œuvre du septième art.
Signe
de l'intérêt que lui porte son studio, chaque année, à Los Angeles, L'Etrange Noël de Monsieur Jack
est proposé, pour la période d'Halloween, au cinéma de
la Walt Disney Company sur Hollywood Boulevard, El Capitan Theatre. Mieux, la
société de Mickey ne craint plus de lui associer son label historique et le
sort, sous la signature du grand Walt, lors de sa distribution en DVD. Tim
Burton a tellement bien réussi son pari qu'il revient à l'animation image par
image, pour produire, le film suivant d'Henry Sellick, James et la pêche
géante, toujours chez Disney. Il signe
ensuite, à la réalisation cette fois-ci, un nouveau long-métrage d'animation en
2005, Les noces funèbres, mais chez le concurrent, Warner Bros.
Exemple parfait du talent de Tim Burton, L'Etrange Noël de Monsieur Jack a pris son temps pour récolter les faveurs du public Peu facile d'accès, il est vrai qu'il se mérite : passé le choc visuel du premier visionnage, il transmet, en effet, toute sa force au spectateur. Chef d'œuvre incontestable, il est à voir et à revoir.
A noter :
Aux Etats-Unis, en octobre
2006, Disney présente au cinéma, dans environ quatre vingt salles, une version
de L'Etrange Noël de Monsieur Jack en 3
dimensions nécessitant des lunettes adéquates et remasterisée digitalement.
C'est ainsi la seconde sortie 3-D orchestrée par Disney après
Chicken Little.
Le coup d'essai se révèle un coup de maitre. La nouvelle version rapporte, en
moyenne , trois fois plus par salles que l'ancienne, soit six millions de dollars
en deux semaines d'exploitation seulement. Tim Burton et Henry Selick ont bien
évidemment été associés à la démarche. De l'aveu même du réalisateur, certains
effets impossibles à retranscrire à l'époque, via la technique linéaire de l'image par image, ont pu l'être cette
fois-ci.