L'Étrange Noël de Monsieur Jack
La Bande Originale du Film
Éditeur : Walt Disney Records Date de sortie USA : Le 12 octobre 1993 Genre : Bande originale |
Durée : 59 minutes |
Liste des morceaux
01.Overture (Score) / Ouverture (Instrumental) - 1:48
02. Opening / Présentation - 0:57
(VO : Patrick Stewart, VF : Henri Poirier)
03. This Is Halloween / Bienvenue A Halloween - 3:16
(VO : The Citizens of Halloween Town, VF : Les Habitants de la Ville de Halloween)
04. Jack's Lament / La Complainte De Jack - 3:14
(VO : Danny Elfman, VF : Olivier Constantin)
05. Doctor Finklestein/In the Forest (Score) / Docteur Finklestein/Dans La Forêt (Instrumental) - 2:36
06. What's This? / Que Vois-Je ? - 2:59
(VO : Danny Elfman, VF : Olivier Constantin)
07. Town Meeting Song / Réunion Au Sommet - 2:56
(VO : Danny Elfman, Halloween Cast, VF : Olivier Constantin, Habitants de la Ville de Halloween)
08. Jack and Sally Montage (Score) / Rencontre De Jack Et Sally (Instrumental) - 5:17
09. Jack's Obsession / L'Obsession De Jack - 2:46
(VO : Danny Elfman, Halloween Cast, VF : Olivier Constantin, Habitants de la Ville de Halloween)
10. Kidnap the Sandy Claws / Kidnapper Le Perce-Oreilles - 3:02
(VO : Paul Reubens, Catherine O'Hara, Danny Elfman, VF : Michel Costa, Karine Costa, Bertrand Liébert)
11. Making Christmas / La Fête Approche - 3:57
(VO : Danny Elfman, The Citizens of Halloween Town, VF : Olivier Constantin, Habitants de la Ville de Halloween)
12. Nabbed (Score) / Le Piège (Instrumental) - 3:04
13. Oogie Boogie's Song / Le Boogie Blues - 3:17
(VO : Ken Page, Ed Ivory, VF : Richard Darbois, Henri Poirier)
14. Sally's Song / La Complainte de Sally - 1:47
(VO : Catherine O'Hara, VF : Nina Morato)
15. Christmas Eve Montage (Score) / La Soirée De Noël Se Prépare (Instrumental) - 4:43
16. Poor Jack / Pauvre Jack - 2:31
(VO : Danny Elfman, VF : Olivier Constantin)
17. To the Rescue (Score) / A L'Aide ! (Instrumental) - 3:38
18. Finale/Reprise / Final - 2:44
(VO : Danny Elfman, Catherine O'Hara, The Citizens of Halloween Town, VF : Olivier Constantin, Nina Morano, Habitants de la Ville de Halloween)
19. Closing / Fin Du Chapitre - 1:26
(VO : Patrick Stewart, VF : Henri Poirier)
20. End Title & Credits (Score) / Titre De Fin & Crédits (Instrumental) - 5:05
La critique
L'Etrange Noël de Monsieur Jack, ou Tim Burton's The Nightmare Before Christmas en anglais, le « Tim Burton's » ayant été rajouté dans le titre original lors de sa seconde exploitation en 3D en salles en 2006, est une adaptation d'un poème de Tim Burton qui s’inspire des programmes télévisés diffusés chaque année lors des périodes des fêtes de fins d'années et d'une passion pour le Dr. Seuss, écrivain pour enfants, connu pour Le Grinch, Voleur de Noël. Ce poème, appartenant à The Walt Disney Compagny, puisque rédigé lors de ses années de service pour le studio alors qu’il était animateur au début des années 80, est ainsi adapté en 1993 et produit par Touschtone Pictures, aile de production Disney de films plus adultes. De cette époque, Burton retient d’ailleurs :
« Je ne savais même pas si Disney en avait encore les droits. On a demandé à mots couverts : ” C’est possible d’aller jeter un coup d’œil dans vos archives ? ” Et on a constaté que Disney possédait encore les droits. Parce que Disney possède tout. Quand on vous engage, on vous fait signer un papier stipulant que, durant votre contrat de travail, toutes vos idées sont la propriété de la ” Police de la Pensée “. Comme il n’y avait pas vraiment moyen de faire les choses en douce - même si on a tenté le coup -, ils n’ont pas tardé à pointer le bout de leur nez. Ceci dit, ils ont été plus magnanimes - ce qui n’est pas dans leur nature -, et je leur en suis reconnaissant. Je précise que c’était après Edward aux Mains d’Argent et Batman. Et si l’Étrange Noël… a vu le jour, c’est parce que j’avais eu la chance de rencontrer le succès. C’est l’unique raison. »
Burton pense d’abord à faire adapter le poème par Michael McDowell, son scénariste sur Beetlejuice, avant de s’orienter très vite vers un projet musical avec la collaboration de Danny Elfman et celle, tout aussi judicieuse, de Henry Selick, en tant que réalisateur spécialiste en stop-motion.
Tim Burton et Danny Elfman
Sixième collaboration avec l'univers de Burton, Danny Elfman saute sur cette occasion en or pour réaliser ce que beaucoup considèrent encore aujourd'hui comme son épitaphe artistique, son œuvre la plus aboutie, bien qu'il ait avoué n'avoir de préférence pour aucun de ses travaux. Comme les frères Sherman avec Mary Poppins, Elfman ne recule devant absolument rien pour parfaire son travail au point de considérablement influencer la production du film. Complètement absorbé pendant les trois années de réalisation du long-métrage, son talent alors en pleine émergence n’est pas sans provoquer une série de désaccords, voire de violentes discordes, entre Burton, Selick et lui-même. Les tensions étant ce qu'elles sont, le duo Burton-Elfman sera exceptionnellement dissout pour le film suivant du réalisateur, Ed Wood. Un fait particulier dans leur collaboration puisqu'il s'agit de leur unique absence de coopération. Mais la rancœur n'est jamais tenace et le désir de retravailler ensemble est le plus grand, jusqu'à ne jamais plus se démentir.
Bien que l'histoire contée dans le film soit une pure invention issue de l'imagination de Burton, trouvant son origine dans un poème qu'il avait lui-même écrit plusieurs années auparavant, Selick qui est en charge de la réalisation, apporte lui aussi son lot de modifications et d'améliorations qui conduisent les aventures du Père Noël et de ses ravisseurs vers la postérité. Cependant, et à un niveau égal, Elfman transpose le script en une lecture musicale tout à fait incroyable et très audacieuse par ses envolées sombres et cyniques, bien loin des habituelles partitions produites par Disney pour son jeune public. A l'époque, ni lui, ni Burton n'ont aucune idée de comment créer une comédie musicale. Mais cela s'avère vite être un avantage, estime Elfman, car cela les libèrent des clichés et des conventions musicales standards que les consommateurs avaient l’habitude de voir dans les autres films d'animation.
En pleine résurrection, les studios Disney promeuvent, en effet, une forme de spectacles « à la Broadway », appuyés par des chansons pop, dont les chefs de fil étaient Alan Menken et Howard Ashman. Ne dénigrant aucunement l'incroyable talent des susnommés, Elfman se sent pourtant en total désaccord artistique avec ses semblables. D'un commun accord avec le réalisateur, il suggère donc la conception d'un style intemporel, qui ne trouve aucun écho avec aucune époque contemporaine ou précise. Tout cela allant à contre-pied du nouvel âge d'or qui se met alors en place.
Elfman est influencé essentiellement par le compositeur juif-allemand de la première moitié du XXème siècle, Kurt Weill, de l'éclectisme du compositeur-chef d'orchestre américain Bernard Herrmann (son travail sur le film Fahrenheit 451 de François Truffaut aura d'ailleurs une influence majeure sur la carrière de Danny Elfman), du duo de compositeurs victoriens d'opéras comiques William Gilbert et Arthur Sullivan, ainsi que d'un autre duo de musiciens américains, Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II, qui se sont illustrés dans l'écriture de comédies musicales à succès (Oklahoma!, Le Roi Et Moi et La Mélodie du Bonheur : ce sont eux !). Il s'acharne à produire tous les trois jours, une chanson que Burton vient écouter et valider. Chose notable : Danny Elfman n’essuie absolument aucun refus sur les démos qu'il propose !
Dans un style éthéré, les notes du compositeur, d'une fluidité et d'une élégance remarquable, convainquent et flattent l'oreille tout en nimbant d'une atmosphère mystérieuse chaque scène du récit. D'abord et avant tout le style « elfmanesque » est défini par un choix et une combinaison d'instruments très particuliers. Bien qu'il établisse habituellement la base d'une palette traditionnelle de cordes / cuivres / bois, il ajoute souvent des saxes, du piano, des cloches et des carillons, un usage fréquent de la harpe et bien sûr un chœur féminin, pourtant quasi absent dans L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Les choix d'instruments ne sont pas arbitraires mais servent le score. Tintements et carillons, par exemple, ajoute une touche de magie. Il est important de noter qu'aucun de ces « instruments caractéristiques » n'est particulièrement exotique ou inhabituel. Ce qui est inhabituel, cependant, c'est leur utilisation fréquente et constante. Ce n'est pas le fait qu'Elfman utilise ces variations tantôt célestes, tantôt macabres qui définit son style mais le fait qu'il les utilise judicieusement et raisonnablement.
Non seulement Elfman emploie une palette spécifique d'instruments, mais il s'assure également que son auditoire peut tous les entendre, si ce n'est les authentifier. Chaque instrument dans sa musique est tangible et représentatif d'une couleur succincte. Les différents instruments sont, en effet, souvent séparés les uns des autres et mélanger deux d'entre eux peut créer un nouveau son attrayant mais qui perd de sa teneur initiale. Aussi, la combinaison de timbres ressemble beaucoup à un mix de couleurs. Mélanger le bleu et le jaune invoque du vert, mais incorporer d'autres teintes crée un désordre pictural disgracieux. Il en va de même pour la combinaison d'instruments. Plus un compositeur mélange des couleurs, plus il enfante une masse de sons troubles et inaudibles. La musique d'Elfman utilise cette « loi des combinaisons » de deux manières différentes. Lorsque des lignes spécifiques doivent être entendues, telles que des lignes marquantes comme des mélodies ou des lignes de rythmes, elles sont habituellement données à des instruments uniques ou à une seule couleur d'instruments (une trompette solo ou un groupe de trompettes). Quand les lignes sont moins importantes, telles que les figures d'accompagnement, il peut adoucir le son en combinant des instruments ensemble. La combinaison des instruments fait donc perdre aux lignes leur précision et leur clarté. Ce n'est pas pour autant une règle stricte, et parfois des timbres différents jouent des lignes marquantes ensemble. Mais quand ils le font, les timbres sont souvent très différents, c'est-à-dire interprétés par deux familles d’instruments le plus souvent séparées par des octaves. De cette façon, même si les violons et le haut-bois jouent en même temps, ils sont chacun entendus clairement et distinctement. Mais que serait une comédie musicale sans paroles ? Car en plus d'être en charge de l'habillage sonore, Danny Elfman signe aussi l'intégralité des textes chantés. Et force est de reconnaître qu'il est touché par la grâce, d'autant plus qu'il compose la bande-originale et les paroles sans aucun storyboard, ayant pour seules indications le poème de Burton et des consignes immédiates de vive voix. Par cette tactique, Elfman compose une première chanson, La Complainte De Jack, puis une deuxième, puis les autres, jusqu'à embrocher autant de citrouilles sur un piquet. Pour l'aider dans cette manœuvre, il n'hésite pas à s'entourer d'artefacts morbides, d'objets rituels du monde entier, tels que des restes humains momifiés et des sculptures sacrificielles pour constituer une ambiance de travail propice, éclipsant toute réalité.
Caroline Thompson, compagne d'Elfman à l'époque et déjà scénariste d'Edward aux Mains d'Argent, écrit, quant à elle, le scénario et le remodèle considérablement en fonction des observations des storyboarders, des frivolités mélodiques de son époux pour être ensuite une dernière fois réécrit en profondeur par Henry Selick et son équipe au cours de la réalisation, à mesure que le film prend forme visuellement.
En France, Philippe Videcoque est engagé pour adapter dans la langue de Chateaubriand l'ensemble des dialogues et des chansons du film. Depuis des années, il met son prolifique talent au service de l'industrie du doublage. Après des études de lettres classiques, il est tout d'abord engagé chez Disney comme assistant marketing européen pour ensuite être promu en tant que directeur artistique sur le doublage des films de la firme. Depuis 1987, il transforme les dialogues et les chansons de nombreuses productions pour convenir au public français. Il adapte, entre autres, les dialogues de Peter Pan pour son second doublage en 1992, d’Aladdin, de Pocahontas, une Légende Indienne et les chansons de plus de quinze longs-métrages Disney, parmi lesquels La Ferme se Rebelle ou La Princesse et La Grenouille. Se faisant la main sur plusieurs cartoons de quelques minutes qui comprennent des parties chantées, il s’exerce intensivement pour ensuite se voir confier une œuvre colossale dont la moitié comprend des chansons, celle de L’Étrange Noël de Monsieur Jack. D'une incroyable vélocité, il ne lui faut qu'un peu plus d'un mois pour adapter les onze chansons du catalogue alors qu'il est de coutume d'y consacrer jusqu'à cinq fois plus de temps que sur la transposition des dialogues, dont il a également la charge.
Un fardeau qui est accru par le phrasé très riche des protagonistes de L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Pour adapter une chanson comme il se doit, la difficulté est de faire exprimer aux personnages les mêmes sentiments qu’en version originale sans trop s’écarter du sens précis pour restituer l’émotion finale, tandis que les dialogues sont pour leur part, plus contraignants et subtils. Néanmoins, les chansons constituent une incommodité supplémentaire avec laquelle le traducteur doit jongler, tel que la prosodie (ensemble des règles permettant d'établir une correspondance juste entre les syllabes accentuées ou atones des paroles et les temps forts ou faibles de la musique), la rime, etc. Un défi dont la résultante doit être chantable, fluide et harmonieuse. C'est-à-dire que l'auditoire ne doit pas butter sur les mots, que les appuis soient aux mêmes endroits et que le synchronisme soit convenable. Un véritable travail de titan relevé haut-la-main, l'âme du film étant intacte.
Les doubleurs français n’ont rien à envier au casting américain puisque le respect de l'interprétation originale est ici exemplaire. C'est Olivier Constantin qui, délivré de deux précédentes collaborations pour les studios Disney avec respectivement Robin des Bois et le second doublage en 1981 de La Belle au Bois Dormant, endosse le costume filiforme de Jack Skellington. Une illustre charge puisqu'il s'agit du personnage principal du conte et qu'il est interprété en anglais par nul autre que Danny Elfman. Sally est vocalisée en anglais par Catherine O'Hara qui est une habituée des réalisations de Tim Burton puisqu'elle interprète le rôle de Delia Deetz dans Beetlejuice et prête une nouvelle fois sa voix en 2012 à trois personnages de l'adaptation en version longue de Frankenweenie. En outre, elle joue aussi Shock (ou Stram en français), la petite kidnappeuse du trio infernal. En France, c'est Nina Morato qui fredonne sous les traits de la soupirante de Jack pour son unique collaboration avec les studios Disney, Stram étant interprété par Karine Costa. Barrel (ou Gram en français), autre membre des ravisseurs du Père Noël est lui campé par Danny Elfman en VO et Bertrand Liébert dans l'hexagone, qui endosse brièvement par la suite le rôle anecdotique de Baz, le crabe dans Le Monde de Nemo. Lock (ou Am en français), le dernier membre est, quant à lui, affublé de la voix de Paul Reubens, l'inoubliable interprète de Pee-Wee dans le premier long-métrage de Burton, Pee-Wee's Big Adventure, et en français par Michel Costa. Le terrible Oogie Boogie épouse lui la voix caverneuse de Ken Page en anglais, qui continuera son affiliation jusqu'au doublage du personnage dans la saga vidéoludique Kingdom Hearts, et celle de Richard Darbois en VF qui doublait l'année précédente l'extraordinaire Génie d'Aladdin. Enfin, l'ensemble du casting qui joue les habitants d'Halloween Town sont quant à eux crédités sous le nom des citoyens de la ville d'Halloween.
Dans la réalisation de cette épopée, Elfman s'est allié à Steve Bartek pour l'orchestration des chansons et la direction musicale - il est l'un des membres fondateurs et guitariste du groupe Oingo Boingo, de Mark McKenzie pour la musique originale orchestrée et de Mark Mann pour l'orchestration additionnelle. L'album est en outre produit par Bob Badami et Richard Kraft, le premier ayant travaillé par la suite pour Batman Le Défi.
En guise d'ouverture, Elfman n’offre rien d'autre qu'une minute et quarante-huit secondes d'un condensé harmonieux qui laisse augurer un éclectisme et un apport de mélodies captivants. Quatre thèmes distincts sont ainsi concentrés successivement. Mais avant cela, il enrobe cette brève symphonie de quelques mesures supplémentaires qui soulignent avec aplomb le début d'un conte et invitent le spectateur à s'abandonner dans un univers onirique.
La première, Que Vois-Je ! (What's This? en anglais), particulièrement entraînante, est sans aucun doute la piste la plus radieuse de l'ensemble de la bande originale. Tournée vers l'emphase propre aux fêtes de fin d'année, son rythme est particulièrement soutenu, ce qui traduit l'excitation d'une découverte bouleversante qui sera révélé plus tard dans le récit. Cuivres et grelots s'en donnent à cœur joie dans ce ballet festif. Un contraste d'autant plus fort qu'il est suivi d’un des thèmes les plus emblématiques du film, mettant lui aussi en exergue une fête très populaire outre atlantique. A peine suggérée par quelques notes, Bienvenue A Halloween (This Is Halloween en anglais) ne laisse transparaître que quelques accords de liaison entre la piste précédemment citée et la suivante. Timorée, elle véhicule une tessiture plus douce, bien loin de son orchestration originale, afin d'appuyer l’agressivité et l'inquiétude du prochain extrait, La Fête Approche. Antonyme de l'insouciant Que Vois-Je !, La Fête Approche peut s'avérer lourde et étouffante mais est représentative de l'univers effrayant dans lequel évolue le héros. La production de ce segment est aussi très révélatrice. Tambours et percussions abondent et imitent ce que l’auditoire pourrait imaginer comme des ossements entrechoqués ou une célébration macabre. Un certain malaise envahit alors la musique pour ensuite enchaîner vers un air angélique mêlant célesta et cordes légèrement martelées qui s'élance ensuite en valse de violons. La Complainte De Jack vient donc clore cette introduction, appuyée par des notes étirées en vibrato soumettant le début de l'histoire.
Elfman, loin de se contenter d'un chapelet sonore prétentieux qu'il utiliserait comme une vitrine de son talent, s'affaire à quelque chose de bien plus audacieux : transfigurer et suggérer les émotions et le parcours de Jack Skellington au travers d'un assemblage de mélodies bien plus cohérent qu'il n'y parait. L'introduction étant un reflet des ambitions du héros et de l'impact qu'il aura sur la ville de Halloween, il n'y a rien d'anodin à ce que ce soit Que Vois-Je ! qui ouvre les festivités. L'histoire commence donc réellement lorsque Jack se retrouve dans ce monde merveilleux qu'est Christmas Town. En découle le désir d'organiser chez lui son propre Noël par le prisme de sa communauté de montres, plan qui se voit anéanti autant par l'incompréhension du monde des humains à l'égard de Jack, que par ses désillusions. Il est brillant de constater que même si le récit n'a pas encore débuté, la trame principale est déjà clairement effleurée et laisse augurer divers rebondissements. Pourtant, cette piste ne figure pas dans le film. Néanmoins, et malgré les réticences du compositeur, l'inspiration de Broadway est flagrante et la rend particulièrement irrésistible et indissociable du reste.
La seconde piste, Présentation, est le véritable terrier du Lapin Blanc. Faisant office de vestige au matériel d'origine, à savoir le poème de Tim Burton, sur lequel le film prend appui, l'introduction narre, tout en rimes contées par Henri Poirier en version française et l'acteur shakespearien Patrick Stewart en version originale, les prémices de l'histoire. Elle dévoile en quelques lignes la thématique du film : mais d'où viennent les fêtes (ou les vacances dans la mouture américaine) ? pour ensuite mieux projeter le spectateur dans un univers improbable.
Cette introduction a de formidable, en amont de son efficacité, de proposer une trouvaille particulièrement intéressante et non sans conséquence, qui sera reprise dans la réédition américaine par Ed Ivory, Patrick Stewart ayant était coupé au montage. En effet, Henri Poirier ne se contente pas seulement de doubler le narrateur, mais aussi et surtout de prêter son timbre de voix si singulier au Père Noël. Une idée somme toute géniale et propre à l'édition française, puisqu'elle positionne le Père Noël comme hôte du spectateur, renforçant la dimension de conte de Noël. Immersive et académique, dans le sens où l'assistance est invitée solennellement à se taire et à écouter attentivement, la présentation met en avant le texte au détriment de la mélodie qui est alors mise en retrait. Cela étant, l'arrangement reste très efficace en optant pour des cordes dilatées, invoquant le passage vers une autre dimension, le célesta pour souligner la féérie et surtout le haut-bois comme instrument dominant dans une décision qui trouve sa valeur dans son utilisation au combien fondée. Le haut-bois est symboliquement associé aux fêtes champêtres et aux célébrations dans la nature. Un tour de force ici lorsque le sonore est superposé au visuel. Dans le film, l'introduction se passe, en effet, au milieu d'un bois plongé dans l'aube, ou sept arbres se dressent les uns en face des autres en un cercle parfait, chacun représentant une fête. Il traduit également les instants de grande joie humaine et les émotions tendres. Le haut-bois est à ce moment précis nul autre que l'âme de Jack Skellington. Il transmet enfin la bonne nouvelle d’une libération et les confidences discrètes, ce qui rend l'emploi du Père Noël comme narrateur absolument incontestable et pose le public en confident privilégié.
Premier véritable thème en tant que tel, Bienvenue A Halloween est utilisée pour présenter en chanson la ville d'Halloween Town. Danny Elfman s'attèle à créer un hymne aussi fameux dans sa notoriété qu'aurait pu l’être Vive Le Vent ou On Vous Souhaite Un Joyeux Noël pour les fêtes de Noël. Extrêmement efficace, voici ce que beaucoup considèrent comme le plus connu de l'ensemble des titres de la bande originale. Avec une personnalité affirmée, le rythme invite, en effet, l'auditeur à pénétrer dans un univers obscur et expressionniste très fermement inspiré par un morceau de Kurt Weill, Alabama Song, écrit en 1927, où les rythmes se calquent sans vergognes. Chanson chorale, elle est fragmentée par plusieurs interprètes, ayant chacun une tessiture de voix différentes de la précédente ou de la suivante, créant un ambitus confus mais opérant. Elle pourrait être assimilée dans son agencement à la chanson Bonjour ! de La Belle et La Bête, bien qu'elle soit davantage triviale. Ainsi, elle révèle à son auditoire une multitude d'informations sur les autochtones et leur mode de vie tout en introduisant l'hôte de l'histoire : Jack Skellington, roi des citrouilles et grand maître de l'épouvante. La musique provoque un tel impact dans la culture populaire qu'elle est désormais utilisée chaque année lors de la saison de Halloween dans tous les parcs Disney du monde entier, mais aussi lors de nombreux rassemblement relatifs à cette célébration. Son orchestration laisse l'occasion aux cordes d'apporter un rythme soutenu, vite rejoint par le même haut-bois entendu dans la présentation qui introduit Jack sans que le spectateur puisse le reconnaître : avec l'apparence d'un épouvantail à tête de citrouille. Saxophone et autres cuivres apportent alors une influence jazzy discrète mais suffisamment téméraire et les percussions, via un wood-block, nimbent la mélodie d'une structure non seulement musicale mais aussi « osseuse ». Enfin, dans la version originale, un des couplets cache une référence à la chanson Tender Lumplings du groupe de Danny Elfman, Oingo Boingo, par la citation de son titre.
Une complainte est une chanson généralement formée de nombreux couplets qui retracent des événements sombres ou tragiques, à l'opposé de la chanson de geste qui relate, elle, des épopées héroïques et légendaires. Poème aux formes variables mettant en lumière les épreuves d'un personnage dont l'adversité et l'infortune tournent au drame, Elfman utilise cette variante pour introduire le thème principal du personnage de Jack qui chante en solo. Lente et grave, La Complainte De Jack tranche ainsi avec la piste précédente. Elle est en outre enregistrée en deux versions différentes. La première, présente dans le film, est engagée par une orchestration plus riche reprenant le haut bois caractéristique et les cuivres, tandis que la seconde, qui figure sur l’album, plus limpide et émotionnelle, met en exergue le célesta quelque peu noyé dans la version filmée. Instrument à percussion composé de lames de bois ou, ici, de métal d'inégales longueurs, le célesta est mélodiquement synonyme dans son interprétation négative de lente agonie et de problèmes sentimentaux, ce dont souffre précisément Jack. Il n'est sans doute pas anodin que cette musique soit aussi mise en scène dans un cimetière. Le saxophone dispose logiquement aussi d'une place prépondérante lors du second couplet. Par ce procédé, Elfman veut exprimer ce qui provient du plus profond de son alter ego. Il établit une connexion absolue entre l'être et son subconscient, entre ce qu'il projette et ce qu'il est réellement, entre réalité et fantasme :
« Quand j'ai écrit ces chansons avec Tim (Burton), j'ai eu l'impression d'écrire à partir de mon propre point de vue, même si Jack en était évidemment le moteur principal. Il était complètement la création de Tim, mais j'étais totalement connecté au personnage pour lequel j'écrivais ces chansons. A ce moment de ma vie, je jouais dans un groupe (Oingo Boingo) et curieusement, c'est ce que je ressentais à ce sujet. Quand vous êtes le meneur d'un groupe de musiciens, vous êtes comme le roi d'un monde minuscule. J'avais vraiment envie de le quitter mais je ne savais pas comment m'y prendre. Donc quand j'écrivais sur Jack et la ville d'Halloween, j'écrivais sur moi-même d'une certaine manière. »
L'interprétation est alors nimbée de désœuvrement mais reste incroyablement poétique. C'est précisément cette partition qui a poussé son créateur à suggérer l'idée d'interpréter lui-même le rôle-titre, sans quoi cela l'aurait anéanti. Elle est d'ailleurs dans sa thématique très similaire à ce qui a déjà était fait pour La Petite Sirène, avec Partir Là-bas.
La cinquième piste, Docteur Finkelstein / Dans La Forêt, est un interlude musical morcelé en deux ambiances distinctes. Débutant par quelques notes empruntées au futur thème de Sally, il se détourne bien vite de cette mélancolie faite musique pour revêtir un habit bien plus patibulaire et comique. Révélant le personnage du Docteur Finkelstein, savant fou mégalomane inspiré du Docteur Frankenstein apparu dans le livre Frankenstein Ou Le Prométhée Moderne de Mary Shelley, cet air emprunte aussi bien à l'imagerie cartoonesque avec ses tubas qu'aux airs orientaux avec son haut-bois et ses violons arabisant qui ajoutent une pointe de mystère à l'ensemble. Créateur et geôlier de Sally, le thème de Finkesltein, bien que morceau de transition, est une suite logique à Bienvenue A Halloween qui reprend son rythme soutenu et plusieurs de ses éléments orchestraux, même s'ils s'avèrent discrets.
La seconde moitié est plus délicate. Aérienne, la flûte traversière est ici synonyme d'éveil. Culturellement, elle représente l'harmonie intérieure, l'apaisement et la sérénité. Elle est utilisée lorsque Jack erre sans but au cœur de la forêt toute la nuit durant jusqu'à se retrouver devant l'étrange amoncèlement d'arbres vus dans l'introduction, précisément là où l'histoire débute réellement. Elle s'achève crescendo sur les premières notes de la piste suivante, révélant une orchestration bien plus joviale et entraînante jusqu'à une apothéose en « boite à musique ».
Cas unique, Que Vois-Je ! (What's This? en anglais) tranche avec l'ensemble du score de L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Complètement détachée de l'aura sombre de Halloween, elle n'est qu'immodération, allégresse et exaltation. Elfman saute sur cette occasion inouïe pour laisser éclater toute la liesse qu'éprouverait un être à la découverte d'un univers chatoyant et lumineux où la blanche neige recouvrirait un relief fait de montagnes duveteuses et d'arbres décorés. Harpes, carillons, cuivres comme un champ lexical festif, arpentent des gammes plus hautes que ce qui a pu être précédemment entendu. La dynamique orchestrale est brillante et transcende l'interprétation d'Elfman et de Constantin qui rivalisent d'enthousiasme. Structurée en exclamations et interrogations, Que Vois-Je ! se veut proche de ce que ressentirait un enfant face à la majesté d'un environnement dont il ignore tout mais qui le charmerait. Il serait presque judicieux d'attribuer à l'ossature de ce morceau un effet moteur particulier : celui de la dynamogénie, soit une production d'énergie physique ou psychique sur les sentiments d'un sujet. Un effet appuyé par trois fois en utilisant une orchestration plus lente pour reprendre de plus belle. A l'écoute, il est judicieux de trouver des similitudes avec une composition d'un grand compositeur russe du XXème siècle, Sergueï Prokofiev et son œuvre Troika, pour sa suite symphonique pour orchestre, ou Opus 60, Danny Elfman ne cachant pas son admiration pour ce dernier.
La Réunion Au Sommet est une piste chorale qui est jouée lors du retour de Jack dans la cité de Halloween après son excursion secrète. Donnant la part belle au saxophone pendant les premières mesures, ce qui peut rappeler une ambiance clandestine et impromptue comme celle d'un film Noir, Jack s'applique à expliquer le plus judicieusement du monde ses découvertes à ses semblables. Grâce à une mise en scène, le squelette exécute une valse éclairante qui subjugue l'auditoire. Tout cela offre à Elfman et Videcocq un écrin pour l'étendue de leur talent : jeux de mots et boutades fleurissent çà et là, à la grande joie des spectateurs. Elle est scindée en deux variations, une pour Jack et l'autre pour les villageois. La première, cérémonieuse et interprétée par Jack, est toute en fluidité et assez conventionnelle. Plus aiguë et jouée par des cuivres et un hautbois distinctif, la seconde est dissonante et personnifie une curiosité et une forme d'angoisse. Après tout, les villageois découvrent un nouveau monde par un médiateur qui en ignore tout. Jouant sur le modèle d'un « question/réponse », l'air amuse et divertit.
Instrumental de plus de cinq minutes, la plus longue de la bande originale, la Rencontre de Jack et Sally est digne des plus belles heures du cinéma muet. Diverse, elle englobe la plupart des thèmes entendus dans le film. Reprenant dans l'ordre Docteur Finkelstein/Dans La Forêt, L'Obsession De Jack, La Complainte De Jack, La Complainte De Sally et l'Ouverture, ce n'est pas moins de cinq thèmes majeurs qui sont ici synthétisés, inoculant même deux d’entre eux. Elle fait donc ouvertement office d'intermédiaire entre l'ouverture et le final, d'autant plus qu'elle figure quasiment au centre de la bande originale. Dithyrambique, elle est une réussite totale pour bien des raisons et rappelle le travail réalisé sur Edward aux Mains d'Argent. Empruntant une once d'affabilité à Philip Glass dont il admire les travaux, combiné à une orchestration un tant soit peu burlesque et frénétique à la Kurt Weill, Danny Elfman fait sur ce morceau des miracles. Dans la grande tradition de la narrativisation musicale qui consiste à projeter sur la musique un récit associé à celle-ci, le compositeur s'affaire en effet à créer un accompagnement lyrique, là où les mots alourdiraient un sous-entendu qui pourtant saute aux yeux du spectateur : l'attachement plus que platonique de Sally envers Jack. Tour à tour mélancolique, inquiétante, romantique et mystérieuse, ce thème est un lit de soutien qui dirige émotionnellement l'auditeur vers un dénouement heureux mais rocambolesque.
L'Obsession De Jack est une musique qui est construite sur un décompte. Comme dans un compte à rebours, la musique accompagne le tic-tac d'une montre. Cet artifice oblige les interprètes à chanter dans une cadence répétitive, assez stressante, mais qui reprend à merveille l'idée d'une idée fixe dévorante et d'un désir de comprendre le plus rapidement possible quelque chose qui dépasse le commun des « mortels ». Comme déjà auparavant, Elfman attribue un aspect phonétique et rythmique particulièrement mis en relief. Jouant sur des intonations désespérées avec des violons instables et un célesta en trémolo ; ici une alternance de deux notes polyphoniques sous forme d'accord. L'obsession de Jack en devient pathétique. L'auditeur ressent l'oppression qui le ronge et la folie qui l'envahit.
Chanson stridente et dérangeante, Kidnapper Le Perce-Oreille ou Kidnap The Sandy Claws en anglais est une musique diabolique servie par des voix enfantines. Basée sur un jeu de mot intraduisible, Perce-Oreille faisant référence au Père Noël, ou Sandy Claws - littéralement Griffes de Sandy(?) - à Santa Claus, le titre est un maelstrom de sons acérés et de voix diaboliques à l'unisson. Chantée à tue-tête par Paige O'Hara, Paul Reubens et Danny Elfman en version originale et Michel Costa, Karine Costa et Bertrand Lieberg en français, tout y est délirant. De la tournure musicale aux paroles acides, l'auditeur est face à un carnaval terrifiant. Comme une manigance, les cordes pincées insufflent un air de conspiration à l'introduction tandis que la flûte piccolo outrepasse les aigüs pour paralyser l'échine. Une épreuve à passer qui néanmoins hante longtemps après l'avoir entendue.
Cette œuvre est tellement indissociable de l'idée que les gens se font d’Halloween, que les Parcs de Californie et de Tokyo en utilisent une version instrumentale dans leurs manoirs hantés.
Bien que le titre laisse imaginer le contraire, La Fête Approche est dans l'ensemble en désaccord total avec une chanson de joyeuse célébration, du moins pas dans le sens habituel. Elfman met, en effet, l'accent ici sur un thème qui ne reflète en rien la mièvrerie d'une fête de Noël et qui rappelle davantage une danse macabre. Elle interpelle alors par la mauvaise interprétation d'une commémoration, jusqu'à son atmosphère musicale. Elle crée un sentiment d'inquiétude qui est articulée par l'apport d'un rythme lourd et grave mais rapide, chanté plusieurs octaves au-dessus traduisant une excitation palpable. Le tambour et l'orgue s'en donnent à cœur joie et fédèrent un climat aussi bien guerrier que sépulcral. Toutefois, l'autre moitié qui compose ce morceau, joue sur un registre féérique. Détournant le même air sous une orchestration différente, le constat est tel que l'auditeur est subjugué par cet exercice de style. Elfman prouve une fois de plus la complète domination de son talent et offre une alternative grandiose à cet hymne funeste, flûtes et grelots remplaçant en bonne et due forme des instruments de musique inassimilables. Enfin, quelques notes de La Complainte De Jack se font entendre comme pour souligner sa mégalomanie grandissante.
Enième pièce instrumentale, Le Piège est une fusion d'autres partitions : Kidnapper Le Perce Oreille, L'Obsession De Jack, Bienvenue A Halloween, La Complainte De Sally et le segment du Docteur Finkelstein ; thèmes multiples interagissant en toute transparence et se complétant les uns aux autres avec une certaine élégance. Plus anecdotique en comparaison du reste, elle n'en reste pas moins nécessaire et livre une interprétation sonore convaincante de l'enlèvement du Père Noël par le trio infernal Am-Stram & Gram et ancre l'ambiance intimidante d'un futur boogie anthologique.
Thème principal du grand méchant de l'histoire, Oogie Boogie, Le Boogie Blues est une œuvre jazzy dont la teneur fait écho aux mimiques fantastiques de Cab Calloway et Fats Waller, deux artistes noirs américains phénoménaux du XXème siècle. Interprétée par la voix rauque et puissante de Ken Page, elle est construite sous le modèle d'un Jazz dit de la « Nouvelle-Orléans », un courant issu du Blues et du Ragtime, tout en conservant bien entendu un registre plus funèbre. Elle reprend en outre l'introduction et la structure du morceau The Mooche de Duke Ellington, autre influence capitale de l'artiste, ainsi que celle de Minnie The Moocher par Cab Calloway. Deux œuvres qui partagent donc bien plus que leurs titres, cette dernière figurant dans le cartoon du même nom mettant en scène la célèbre Betty Boop en 1931. Avec un rythme menaçant, une partition au piano empruntée au film muet, des cuivres plaintifs et un saxophone langoureux, Elfman parvient ici à créer une atmosphère malsaine mais enivrante, proche de la pantomime. Totalement impliqué dans son rôle, Page, qui devait initialement n’enregistrer que les parties chantées de Oogie Boogie, s'est vu offrir l'opportunité de doubler l'intégralité des dialogues du personnage :
« Je ne m'attendais aucunement à enregistrer l’entièreté du personnage d'Oogie Boogie. La décision a été prise lorsque j'ai expliqué à Elfman et Selick mon inspiration pour l'interprétation de la chanson, à savoir un mix quelque part entre Bert Lahr, qui interprète le Lion poltron dans Le Magicien d'Oz et la voix du démon joué par Mercedes McCambridge dans L'Exorciste. Une décision qui leur a manifestement plu. »
Face à face entre l'antagoniste de l'histoire et sa pauvre victime, le Père Noël, Le Boogie Blues (Oogie Boogie's Song en anglais) est avec Kidnapper le Perce-Oreille, la seconde des deux chansons les plus malveillantes. Il est également intéressant de faire la parabole entre le nom de Oogie Boogie et celui du groupe de Danny Elfman, Oingo Boingo, avec qui il entretenait des rapports fastidieux au moment de l'écriture. Absent du poème d'origine, Oogie Boogie pourrait être une création commune à Burton et Elfman, à qui ce dernier aurait donné un nom proche de ce qui lui paraissait être envahissant à l'époque pour lui. En revanche, aucun lien avec le courant musical survolté boogie-woogie.
Deuxième des trois complaintes qui figurent dans la bande originale, La complainte De Sally, Sally's Song en anglais, est le thème principal du personnage de Sally ainsi que l'influence majeure pour le thème du couple qu'elle forme avec Jack. Interprétée à bout de souffle, comme au bord d'un précipice, les voix de Catherine O'Hara et Nina Morato sont mises à rude épreuve. Partageant plusieurs similitudes avec la chanson Tango-ballade de Kurt Weill écrite en 1929 une octave au-dessus, cette courte mélodie est très expressive et rappelle jusque dans sa mise en scène, les scènes bohèmes d'un Paris fin XIXème. Comme une flamme dans le vent, l'auditeur est suspendu aux lèvres de l'interprète tant celle-ci semble étranglée par l'émotion. Malgré sa courte durée, cette mélodie est peut-être l'une des plus réussie. Elle fait fi de toutes prouesses vocales pour restituer au mieux le message et la fragilité de Sally, qui ne tient que par des points de suture. Il ne pouvait donc qu'être impossible de l'habiller d'une voix puissante.
Selick dira de ce personnage :
« Sally est un personnage très original que Tim a imaginé (...) : morte, belle, voluptueuse et beaucoup de points de suture. »
Il semblerait qu'Elfman n'eut pu rendre meilleure copie et aussi bien traduire une personnalité en musique.
Fidèle à l'esprit de Danny Elfman, La Soirée De Noël Se Prépare est peut-être son travail le plus facilement identifiable. Unique morceau où peut être entendu un chœur féminin, qui habituellement hante littéralement les œuvres du compositeur, il accompagne la chevauché céleste d'un Jack grimé en Père Noël. Introduites par des cordes et des cuivres inspirés et agités, les premières secondes rendent spectaculaire cet allégorie d'un esprit hivernal et surnaturel qui caractérise la nuit du 24 au 25 décembre. Le célesta n'est pas en reste avec un emploi quasi permanent tout au long de la piste accentuant la magie qui entoure la distribution de cadeaux. Cette féérie orchestrale est par intervalles régulière, devenant plus sombre lorsque les actes de Jack créent le chaos autour de lui. Comme à son habitude pour les morceaux instrumentaux, Elfman incorpore un patchwork d'autres thèmes qui au final en produisent un nouveau. La Fête Approche, La Complainte De Jack, Que Vois-Je ! et Pauvre Jack s'invitent donc dans cette chorale d'instruments, et même si la recette peut sembler scléroser, le résultat fonctionne allègrement !
De toutes les chansons interprétées par Jack, Pauvre Jack est de loin la plus désabusée. Face au fiasco qu'il aura perpétué lors de la nuit de Noël, il s'offre une deuxième complainte encore plus névrosée que la précédente. Devant un malheur qu'il a lui-même provoqué par son arrogance teintée de générosité, Jack s'affaire à ce qu'il connaît désormais très bien : partager ses peines en musique. Triste et lente, l’air ne dégage rien d'autre que du découragement et un désir d'auto flagellation. Quoi de mieux que des cordes et un haut bois abattu pour traduire ce puéril désarroi. Toutefois, la seconde moitié se relève de cette déprime pour reprendre une instrumentation moins plaintive qui s'affranchit par un regain de cuivres glorieux et de violons ardents. Dans un élan de vanité totale, Jack s'amnistie de toute responsabilité et transfigure un plausible pardon en un hymne à sa gloire déchue. L'arrangement est alors grandiloquent au possible et assez spectaculaire. C'est peut-être pour cela que le ridicule de la situation touche enfin l'épouvantail et le résonne quasi instinctivement pour reprendre immédiatement le contrôle de la situation, avant que ce cauchemar anéantisse pour de bon l'esprit des fêtes de fin d'année.
Chanson de la confrontation entre Jack et Oogie Boogie pour secourir le Père Noël, A l'Aide ! est une piste menaçante qui rappelle l'orchestration qu'Elfman a pu réaliser pour Batman tout en reprenant la nonchalance du Boogie Blues. Sans doute un message subliminal pour avoir revêtu un statut de justicier in promptu. Thème uniquement musical, il reflète parfaitement l'humour et la querelle qui opposent les duellistes par un ton jazzy assumé et particulièrement réussi. Le compositeur parvient aussi à apposer quelques notes de La Complainte De Jack et de La Fête Approche comme pour insister sur les regrets que nourrit Jack à l'attention de l'otage.
Final est une refonte de Bienvenue A Halloween vue par le prisme d'une boule-à-neige. Un octave au-dessus par rapport à son modèle, cette reprise est une interprétation éloquente d'un chant de Halloween avec une orchestration festive. Elle bifurque très vite vers une version chorale de Que Vois-Je ! chantée par les villageois d’Halloween. Elle aboutit à un final qui est peut-être la plus belle orchestration de tout le score. Reprenant La Complainte De Sally, chantée en duo par Jack et Sally mais avec de nouvelles paroles, l'émotion est palpable. Non seulement le spectateur s’apprête à faire ses adieux à ces créatures, mais les sentiments réciproques des deux héros sont enfin échangés. Danny Elfman déploie donc une délicate mélodie qui présage d'un avenir radieux pour le couple.
Absente du montage final du film, Fin Du Chapitre s'inscrit directement dans la grande tradition des fins de contes de fée. Rappelant à bien des égards la musique d'Edward aux Mains d'Argent, elle clôt en douceur un récit plutôt dynamique comme un livre qui se fermerait sous les yeux d'un enfant. La harpe, le célesta et le haut-bois offrent ce qu'ils ont de plus doux pendant que les cordes glissantes s’affairent en une rêverie mélodique. Le calme et la quiétude envahissent l'auditeur et l'invitent à reprendre le cours normal des choses sans pour autant négliger une pointe de magie. C'est sans compter sur la présence des deux ultimes pistes qui le prennent par surprise et offrent un étui plus spectaculaire à la démesure du protagoniste principal.
Le Final 1 et 2, étrangement segmenté en deux pistes, est un ultime medley qui s'apparente à la finale d'acte des opéras buffa du XVIIIème siècle. Il est un véhicule scénaristique qui énumère la grande majorité des thèmes entendus auparavant dans une relecture s'éloignant quelque peu des originaux. Comme une ultime parade, tout ce qui a fait le sel du score s'invite et défile dans un joyeux carnaval. Cependant ses dernières notes sont très révélatrices du message que le film souhaite véhiculer. Très graves et menaçantes, elles reprennent quelques mesures de La Fête Approche, ce qui inscrit en droite ligne L’Étrange Noël de Monsieur Jack comme digne représentant d'une tradition qui lie les contes de fée à sa source, celle d'une histoire résolument sombre. Même si le merveilleux et la fantaisie gagnent, la menace d'un rebondissement plane jusque dans les dernières notes, la magie rejoignant les ténèbres. Pas de doute, Burton, Selick et Elfman ne sont pas si catégoriques à l'idée de conclure par un happy ending et la morale de leur histoire paraît moins évidente qu'elle devait être.
L'écoute complète de L’Étrange Noël de Monsieur Jack est un exercice que tout mélomane accompli devrait effectuer. Très stimulante, elle invoque un sentiment de grandeur et d'originalité qui foisonne de références. Pourtant, Disney n'a jamais été minutieux dans la restitution fidèle de la musique de L’Étrange Noël de Monsieur Jack sur compact disque. Elle souffre aussi de la comparaison déplacée avec la trilogie Menken - La Petite Sirène, La Belle et la Bête et Aladdin - avec qui elle ne partage pourtant aucune similitude, outre l'aspect comédie musicale. Les Oscars ignoreront aussi les travaux de Danny Elfman jusqu'à ne pas le nommer pour la bande originale de l'année. Une hérésie.
Habituellement l'une des erreurs les plus courantes commises par les novices est de penser qu'un son complet est obtenu en doublant tout. Ainsi, chaque mélodie et harmonie est doublée, triplée ou même quadruplée à l'unisson et à l'octave dans beaucoup de compositions. Mais le travail apporté par Danny Elfman démontre que cette méthode de doublement n'est pas nécessairement la clé d'une bonne orchestration. Ce qui semble être plus important est de permettre à chaque instrument de se faire entendre avec clarté en donnant à chaque timbre son propre espace.
Le film n’étant à sa sortie pas tout à fait assumé par les studios, il est d'ailleurs produit par une filiale, il est projeté sur les écrans américains deux semaines avant Halloween tandis que le CD initial retrouve les étagères des revendeurs dix jours après les festivités. Le produit contient toutes les chansons mais seulement environ la moitié de la bande originale instrumentale est incluse. Pour sa réédition en 2006, Disney commercialise un double CD sans saisir ironiquement l'opportunité de corriger son erreur en immisçant les partitions manquantes. Il offre toutefois le plaisir de découvrir des performances rares de quatre chansons par Elfman, y compris This Is Halloween, qui était déjà apparue sur la compilation Music For A Darkened Theatre, Volume 2. Cependant ils sont regrettablement accompagnés par cinq versions de chansons produites par Marilyn Manson, Fiona Apple, et d'autres qui sont misérables et illégitimes. Une erreur qui n'empêche pas le label du studio d’éditer deux ans plus tard un autre album, mais cette fois si, avec seulement des reprises de chaque chansons par des artistes populaires. Cet opus est l'exemple même d'un désir purement mercantile dont les marchés commerciaux font preuve avec vacuité, en s'appropriant des artistes de culture et de genre radicalement différents, en leur donnant à chacun l'opportunité de produire leur propre version d'un matériel qui a réellement exigé un énorme travail de recherche de la part de son auteur. L'esprit des partitions originales de Danny Elfman est complètement perdu dans cette compilation, sauf dans les cas de Sally's Song et Poor Jack, qui ressemblent à peu près à l'enregistrement original. Parfois, certaines de ces restitutions sont si incongrues qu'elles en sont méconnaissables. Il est d'autant plus frustrant d'observer que Disney, en trois éditions, n'a jamais jugé opportun de fournir aux fans une sortie complète qui inclut la quantité importante de matériels et de partitions restés inédits, au grand dam des connaisseurs. Le seul aspect vraiment soigné de l'album de 2008, Nightmare Revisited, est la nouvelle narration pendant l'ouverture et le final. Pour ces morceaux, l'orchestration originale est accompagnée des enregistrements d'Elfman exécutant lui-même le rôle du narrateur. Sa voix a bien évidemment quelque peu changée au cours des dernières années, bien qu'il y ait encore un soupçon de cette tessiture propre à Jack Skellington ; et même si la version de Patrick Stewart, sans surprise, est sans doute supérieure, le plaisir d'entendre Elfman dans un énième rôle l'emporte.
De décennies en décennies, L’Étrange Noël de Monsieur Jack acquiert le statut d’œuvre incontournable. Provoquant, ce Disney, tout d'abord boudé pour connaître une ascension fulgurante dans les années 2000, est à l'image de ce qu'il a toujours été : novateur, impertinent, sinistre et malgré tout, incroyablement poétique. La musique, vecteur émotionnel du film, est depuis encensée et figure parmi les bandes originales les plus identifiables. Preuve en est les orchestrations qui pullulent et fleurissent chaque année dans des concerts commémoratifs, joués à guichets fermés et qui mettent en scène le casting original sous la direction d'Elfman. Son implication avec le public est telle qu'il s'est approprié ces mélodies jusqu'à retourner une situation à l'avantage du long-métrage : Disney, conscient de cette aura, le figurera officiellement dans son catalogue et ne remettra jamais plus la popularité de Jack Skellington en question.