Hitchcock
Le synopsis
La critique
Depuis plusieurs années maintenant, la mode des films biographiques s’est emparée d’Hollywood. Tous les studios ou presque, en effet, s’y sont lancés au premier rang desquels Disney (Rêve de Champion, Miracle, Un Parcours de Légende) et ses filiales (Evita, Nixon) ainsi que 20th Century Studios (The Greatest Showman, Bohemian Rhapsody) et ses propres labels Searchlight Pictures (Quills, la Plume et le Sang, Amelia, Tolkien) et Fox 2000 Pictures (Les Figures de l’Ombre). La concurrence, bien sûr, ne s’est pas laissée distancer et s’y est elle-même aventurée, d’Universal Pictures (De l’Ombre à la Lumière, Ray, First Man : Le Premier Homme sur la Lune) à Warner Bros. (J. Edgar), en passant par Paramount (Rocketman), Sony Pictures (Truman Capote), DreamWorks S.K.G. (Lincoln), Miramax (Aviator), FilmNation Entertainment (Le Fondateur), ou bien encore Legendary Pictures (Invincible) et Annapurna Pictures (Vice)…
Couronné par une pluie d’Oscars, le genre couvre désormais tous les domaines, le sport, la politique, la culture, la musique, la recherche scientifique… Et il devient même particulièrement schizophrène lorsqu’il s’agit pour Hollywood de raconter la vie des grandes figures… d’Hollywood. Charlie Chaplin (Chaplin), Edward Wood, Jr. (Ed Wood), Dalton Trumbo (Dalton Trumbo), Peter Sellers (Moi, Peter Sellers), Marilyn Monroe (My Week With Marilyn), Laurel et Hardy (Stan & Ollie), Judy Garland (Judy) et même Walt Disney (Dans l’Ombre de Mary - La Promesse de Walt Disney) ont ainsi eu droit parmi d’autres à leur propre biopic. En 2012, c’est à une autre légende du Septième art que Fox Searchlight Pictures décide de consacrer un film : l’incontournable et inimitable Alfred Hitchcock.
Né à Leytonstone, dans la banlieue de Londres, le 13 août 1899, le « Maître du suspense » débute sa carrière comme graphiste dans la publicité avant de se tourner vers le cinéma en 1920. Chargé de concevoir les intertitres pour le compte des studios Islington, il passe derrière la caméra par hasard lorsque le réalisateur Hugh Croise tombe malade. Hitchcock prend alors la relève pour terminer le film Always Tell Your Wife (1923). En 1922, il s’associe avec la comédienne Clare Greet et lance la réalisation de son premier film, Number Thirteen, qui avorte faute d’argent. Engagé par Gainsborough Pictures après la fermeture d’Islington, il sert pendant plusieurs années comme assistant réalisateur et rencontre sa femme Alma Reville lors du tournage de La Danseuse Blessée (1923). Passé par l’Allemagne où il participe à la création du (Le) Voyou (1925) dont il a co-signé le scénario puis réalise le long-métrage Jardin du Plaisir (1925), Alfred Hitchcock subit plusieurs échecs avant de voir sa carrière en Angleterre décoller grâce à des films comme Les Cheveux d’Or (1927), La Pente (1927), Chantage (le premier film parlant tourné au Royaume-Uni en 1929), L’Homme qui en Savait Trop (1934), Les 39 Marches (1935) ou bien encore Une Femme Disparaît (1938).
Fort de sa notoriété grandissante, Alfred Hitchcock attire bientôt l’attention du producteur américain David O. Selznick qui lui propose de venir à Hollywood. Après avoir tourné L’Auberge de la Jamaïque en Angleterre (1939), Hitch, sa femme Alma et leur fille Patricia s’installent ainsi à Scotts Valley en 1939. Jusqu’en 1947, le cinéaste met alors quatre films en boîte pour le compte de Selznick, le triomphal Rebecca (1940) et La Maison du Docteur Edwardes (1945) pour lesquels il est nommé à l’Oscar du Meilleur réalisateur, puis Les Enchaînés (1946) et Le Procès Paradine (1947). En parallèle, il s’engage dans l’effort de guerre en Angleterre tout en travaillant pour RKO (Soupçons, 1941) et Universal (L’Ombre d’un Doute, 1943). En 1941, 20th Century Fox lui confie par ailleurs la direction de Lifeboat pour lequel il est une fois encore nommé pour l’Oscar du Meilleur réalisateur. En 1948, il fonde avec son ami Sidney Bernstein sa propre société de production, Transatlantic Pictures, et réalise La Corde, son premier film en couleur avec Farley Granger et James Stewart, puis Les Amants du Capricorne (1949).
Le 3 janvier 1949, Alfred Hitchcock renoue avec les studios en signant un contrat de six ans avec Warner Bros. qui lui offre la bagatelle de 990 000 dollars. Disposant de moyens colossaux, le réalisateur enchaîne alors avec Le Grand Alibi tourné en Angleterre (1950), L’Inconnu du Nord-Express (1951), La Loi du Silence (1953) et Le Crime était Presque Parfait réalisé en 3-D avec en têtes d’affiche Ray Milland et sa chère Grace Kelly (1954). Prêtant en échange de 129 000 dollars par épisode son nom et son image à la série télévisée à suspense Alfred Hitchcock Présente diffusée entre 1955 et 1962, Hitch rejoint Paramount et retrouve James Stewart dans Fenêtre sur Cour qui lui vaut une quatrième nomination à l’Oscar du Meilleur réalisateur (1954), puis dans le remake de L’Homme qui en Savait Trop (1956) et enfin Sueurs Froides (1958). Il se lie également d’amitié avec Cary Grant qu’il dirige dans La Main au Collet (1955) et La Mort aux Trousses (1959). Alfred Hitchcock obtient sa cinquième et dernière nomination aux Oscars pour Psychose, son premier film d’horreur inspiré du roman de Robert Bloch (1960). Couronné en 1968 d’un Irving G. Thalberg Award pour l’ensemble de sa carrière, celui qui n’aura jamais été élevé au rang de meilleur réalisateur par la profession complète sa filmographie avec Les Oiseaux (1963), Pas de Printemps pour Marnie (1964), Le Rideau Déchiré (1966), L’Étau (1969), Frenzy (1972) et Complot de Famille (1976). En pleine préparation de The Short Night, Alfred Hitchcock décède le 29 avril 1980 à l’âge de 80 ans.
L’idée d’un biopic sur Alfred Hitchcock naît en 2005 lorsque la chaîne de télévision A&E annonce vouloir créer un téléfilm ou une minisérie inspirés d’Alfred Hitchcock and the Making of Psycho, le best-seller signé par l’historien du cinéma Stephen Rebello, également auteur entre autres des arts-of consacrés à Pocahontas, une Légende Indienne, Le Bossu de Notre-Dame et Hercule. Véritable plongée au cœur du tournage de Psychose, l’ouvrage, devenu une référence en la matière, a immédiatement été plébiscité par la critique et par les lecteurs à tel point qu’en plus d’A&E, plusieurs studios se sont également positionnés pour l’adapter au cinéma. En janvier 2010, Paramount, le distributeur original de Psychose en 1960, en achète ainsi les droits. Le film est alors développé sous l’égide de The Montecito Picture Company, la société de production d’Ivan Reitman et Ivan Pollock qui confie la direction à Sacha Gervasi, le scénariste du (Le) Terminal de Steven Spielberg dont c’est le deuxième long-métrage après le documentaire Anvil! The Story of Anvil (2008).
Écrit par John J. McLaughlin, le scénariste de Garde Rapprochée (2005) et Black Swan (2010) qui collabore pour l’occasion avec Stephen Rebello, le projet est finalement racheté en 2011 par Fox Searchlight Pictures, la filiale de 20th Century Fox spécialisée dans la production et la distribution de films d’auteur. Elle lance alors le casting dès décembre et révèle le nom de ses acteurs en mars de l’année suivante. Pour camper le mythique cinéaste anglais, Gervasi porte ainsi son choix sur une autre légende du Septième art, Sir Anthony Hopkins. Né au Pays de Galles le 31 décembre 1937, Hopkins commence sa carrière en 1960 au sein de la Royal Academy of Dramatic Art après avoir suivi les cours d’art dramatique du Royal Welsh College of Music and Drama dont il sort diplômé en 1957. Repéré par Laurence Olivier dont il devient la doublure au sein du Royal National Theatre, le comédien débute devant la caméra dans l’adaptation pour la télévision de la pièce La Puce à l’Oreille puis dans le film Le Lion en Hiver dans lequel il joue Richard Cœur-de-Lion. Couronné de deux Emmy Awards en 1976 et en 1981 pour ses rôles de Bruno Hauptmann et d’Adolf Hitler dans L’Affaire Charles Lindbergh et Le Bunker, celui qui est élevé au rang de commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique en 1987 enchaîne alors les rôles marquants dans Elephant Man (1980), Le Bounty (1984), Le Silence des Agneaux pour lequel il reçoit l’Oscar du Meilleur acteur pour son interprétation saisissante d’Hannibal Lecter (1991), mais aussi dans Retour à Howards End (1992), Dracula (1992), Les Vestiges du Jour pour lequel il est nommé à l’Oscar (1993), ou bien encore Amistad qui lui vaut une autre nomination à l’Oscar du Meilleur second rôle cette fois (1997), Instinct (1998) et Alexandre (2004, aux côtés d'Angelina Jolie)… Récompensé par sa propre étoile sur le Hollywood Walk of Fame en 2003 puis par un Cecil B. DeMille Award en 2006, il incarne entre autres le dieu Odin dans Thor et ses deux suites puis le pape Benoît XVI dans Les Deux Papes, un travail qui lui vaut une fois encore d’être nommé à l’Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle.
Pour faire face à Anthony Hopkins, Sacha Gervasi se met à la recherche d’une autre pointure. Le réalisateur porte alors son choix sur la comédienne Helen Mirren pour prêter ses traits à la femme d’Hitchcock, Alma Reville. Née le 26 juillet 1945 à Londres, Helen Mirren possède elle-aussi une filmographie impressionnante témoignant de toute l’étendue de son talent. Elle débute en effet au cinéma en 1969 dans Age of Consent. Menant en parallèle une passionnante carrière au théâtre ponctuée de dizaines d’adaptations de l’œuvre de Shakespeare, elle enchaîne ensuite avec des films comme Excalibur (1981), La Folie du Roi George (1995), The Pledge (2001), Gosford Park (2002), Benjamin Gates et le Livre des Secrets (2007), Red (2010), The Tempest (2010), Les Recettes du Bonheur (2014), La Femme au Tableau (2015), Casse-Noisette et les Quatre Royaumes (2018) ou bien encore L’Art du Mensonge (2019). Élevée au rang de Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique en 2003, Dame Helen Mirren décroche par ailleurs le Golden Globe puis l’Oscar de la Meilleure actrice pour son interprétation remarquable de la reine Elizabeth II dans le film The Queen de Stephen Frears (2006).
Aux côtés d’Anthony Hopkins et d’Helen Mirren, le casting permet en outre de ressusciter le Hollywood de la fin des années 1950 et de redonner la part belle aux comédiens dirigés par Hitchcock lors du tournage de Psychose. Acceptant de revoir leurs cachets à la baisse, Scarlett Johansson (L’Homme qui Murmurait à l’Oreille des Chevaux, Le Prestige, Black Widow) et Jessica Biel (Sept à la Maison, L’Illusionniste, Total Recall : Mémoires Programmées) interprètent Janet Leigh et Vera Miles. Pour les accompagner à l’écran, James d’Arcy (Master and Commander : De l’Autre Côté du Monde, Cloud Atlas, Agent Carter), un très bon ami de Sacha Gervasi, prête ses traits au mystérieux Anthony Perkins. Toni Collette (Muriel, Sixième Sens) incarne Peggy Robertson, l’assistante d’Hitchcock. Ralph Macchio (Karaté Kid, Ugly Betty) campe Joseph Stefano, le scénariste de Psychose. Michael Stuhlbarg (Lincoln, La Forme de l’Eau - The Shape of Water, Pentagon Papers) joue Lew Wasserman, l’agent d’Hitch. Richard Portnow (Les Filous, Good Morning Vietnam, Dalton Trumbo) tient le rôle de Barney Balaban, l’un des présidents de Paramount. La distribution est enfin complétée avec entre autres Michael Wincott (1492 : Christophe Colomb, Robin des Bois, Prince des Voleurs) dans le rôle du tueur en série Ed Gein, Kurtwood Smith (RoboCop, Le Cercle des Poètes Disparus) dans celui du directeur de la censure Geoffrey Shurlock, ainsi que par Danny Huston (Aviator, Le Choc des Titans, Wonder Woman) dans le rôle du scénariste Whitfield Cook.
Fort d’un casting 4 étoiles, Sacha Gervasi débute les prises de vues d’Hitchcock le 13 avril 2012 à Los Angeles. Les trente-cinq jours de tournage sont toutefois précédés par un intense travail de recherche afin de recréer avec minutie le Hollywood de la fin des années 1950. Les directeurs artistiques Alexander Wei et Susannah Carradine, la décoratrice Judy Backer épaulé par Robert Gould, la costumière oscarisée Julie Weiss, le chef coiffeur Martin Samuel et le directeur de la photographie Jeff Cronenweth se mettent ainsi au travail pour redonner vie à un Los Angeles révolu. Dans le même temps, les équipes de maquilleurs d’Howard Berger et Peter Montagna testent les différentes prothèses fabriquées pour transformer Anthony Hopkins en Alfred Hitchcock. Après des mois d’essais, ces derniers conçoivent ainsi un maquillage permettant de changer les joues, le menton, le cou, les lobes d’oreille et le nez du comédien, obligé de porter des lentilles de contact marron. La transformation, toutefois, n’est pas complète, le réalisateur Sacha Gervasi ayant fait le choix de garder certains traits permettant de reconnaître Anthony Hopkins sous le masque, en particulier son regard. Après une heure et demi de maquillage chaque jour, le comédien, plutôt athlétique, est par ailleurs attifé avec une combinaison permettant, sous le costume, de lui donner les rondeurs et la corpulence du célèbre cinéaste. Très tôt consultées, les personnes ayant travaillé avec le réalisateur, tels que Marshall Schlom, le responsable du scénario de Psychose, ou bien encore l’assistant-réalisateur Hilton A. Green, ont alors été particulièrement émues et troublées par la ressemblance entre Hopkins et Hitchcock.
Ainsi maquillé et costumé, Sir Anthony Hopkins est incontestablement l’un des points forts d’Hitchcock. Véritable caméléon, l’acteur a souhaité s’imprégner très en amont de son personnage en regardant des dizaines d’heures de reportages consacrés au légendaire réalisateur ainsi que la plupart des épisodes de son émission hebdomadaire. Fort de cette expérience, il incarne ainsi avec talent et truculence le flegmatique et pince-sans-rire Alfred Hitchcock dont la gouaille et l’humeur sarcastique sont restées dans l’inconscient collectif. Ne cherchant pas à imiter le réalisateur dont le mythique « Good Eeeevening » (« bonsoooiiiiir ») est resté dans l’Histoire, Hopkins livre, comme toujours, une prestation sans fausse note, laquelle est d’ailleurs fidèlement rendue en français grâce à l’excellente interprétation, là aussi sans faille, de Jean-Pierre Moulin.
Surtout, Anthony Hopkins offre avec élégance et justesse une nouvelle dimension au personnage en campant le Hitchcock privé, celui que peu de gens connaissent et qui, chaque jour, est hanté par ses craintes et ses vieux démons. À la fin des années 1950, Hitchcock, du haut de ses 60 ans, est en effet au sommet de sa gloire avec La Mort aux Trousses. Pourtant, en coulisses, il doit encore affronter une bonne partie de la profession et de la critique et prendre tous les risques afin de mener à bien le projet Psychose financé en grande partie sur ses deniers personnels grâce à l’hypothèque de sa maison. Avec une belle émotion et beaucoup de mélancolie, c’est donc le Hitch triste qu’Hopkins interprète avec brio à l’écran, celui qui craint plus que tout de revivre le même échec qu'avec Sueurs Froide, celui que chacun pense déjà mettre à la retraite afin de le remplacer par la nouvelle génération venue d’Europe, tels les Godard, Chabrol et autres Truffaut. L’acteur casse dès lors avec maestria l’image robuste du vieux lion bien décidé à rester jeune, à croquer la liberté à pleines dents et surtout à ne pas se laisser détrôner par ceux que tous les bien-pensants surnomment déjà… les « nouveaux Hitchcock » !
Mis au régime sec par son entourage et éloigné de l’alcool par sa femme et son assistante, le Alfred Hitchcock du film est aussi très bien dépeint comme ce vieil homme ayant toujours souffert de son apparence, de cette ostensible corpulence, de cette obésité qui, si elle continue pourtant de servir sa légende avec cette étonnante silhouette, l’a inévitablement distingué des autres. Conscient que son physique est par nombre d’aspects rebutant, Hitchcock, frappé d’une timidité maladive dès sa plus tendre et douloureuse enfance, s’est alors mis à fantasmer sur ses actrices. Hitchcock montre ainsi avec beaucoup d’authenticité le terrible conflit entre Hitch et Vera Miles, celle que le réalisateur voyait comme sa nouvelle égérie et qui, suite au tournage du (Le) Faux Coupable et Psychose, décida finalement de se détourner du metteur en scène trop intrusif pour fonder une famille. Le film s’arrête également sans ombrage sur le côté voyeuriste d’Hitchcock et sur la déception énorme qui fut la sienne lorsque Grace Kelly, devenue princesse de Monaco, lui a échappé. Sa fascination pour les comédiennes blondes est également intelligemment dévoilée, tout comme son caractère troublé et parfois violent mis en exergue au cours de scènes surréalistes durant lesquelles le cinéaste s’entretient avec Ed Gein, le meurtrier dont les actes barbares ont inspiré le personnage de Norman Bates dans Psychose.
Plus encore que l’interprétation de son comédien principal, le vrai génie du film est certainement cette volonté de donner la part belle non pas au seul Hitch, mais bien au couple Hitchcock et ce en accordant une grande place à Alma Reville, la femme du cinéaste. Née à Nottingham, en Angleterre, le 14 août 1899, soit le lendemain de la naissance d’Hitchcock, Alma Reville fait partie de ces figures de l’ombre qui, en coulisses, ont incontestablement marqué la carrière de leur mari. Scénariste, monteuse, assistante-réalisatrice, Reville rencontre Alfred Hitchcock au début des années 1920 à l’époque où ce dernier travaille pour les studios British Film Industry et Gainsborough Pictures. Marié le 2 décembre 1926, le couple, qui donne naissance à une petite fille, Patricia, collabore dès lors sur chacun des films du réalisateur, Reville signant notamment les scripts de Soupçons, L’Ombre d’un Doute, Le Procès Paradine et Le Grand Alibi. Elle continue ensuite de travailler avec Hitchcock bien que son nom disparaisse des génériques. Décédée le 6 juillet 1982, Alma Reville fut ainsi pendant plus de cinquante ans la collaboratrice et le soutien sans faille de son époux, en particulier durant le tournage de Psychose dont elle revoit le montage, éliminant alors les images montrant Janet Leigh en train de respirer alors que son personnage venait d’être assassiné par Norman Bates !
Imaginant au départ se concentrer surtout sur le tournage chaotique de Psychose, le réalisateur Sacha Gervasi et le scénariste John J. McLaughlin, encouragés par Stephen Rebello, ont rapidement changé leur fusil d’épaule afin de mettre en évidence cette collaboration extraordinaire entre Alfred Hitchcock et sa femme Alma Reville. Distillée tout au long du film, l’histoire du couple est ainsi passée au premier plan au cours de séquences remarquables portées par Anthony Hopkins, bien sûr, mais aussi par Helen Mirren, dont le jeu impeccable vaudra à l’actrice une pluie de nominations en tous genres notamment aux BAFTA et aux Golden Globes.
Recréant avec splendeur un âge d’or hollywoodien aujourd’hui disparu, Hitchcock offre au final aux spectateurs la possibilité de revivre le tournage de l’un des films les plus mythiques du Septième Art mais aussi la chance de pouvoir se glisser telle une petite souris dans la vie privée du couple Hitchcock. Si certaines scènes, bien que très documentées, sont évidemment romancées et si certaines situations sont évidemment forcées, le résultat est alors parfaitement à la hauteur. Ce bond dans le passé est d’ailleurs encore sublimé par la musique de Danny Elfman. Le compositeur de Dick Tracy (1990), L’Étrange Noël de Monsieur Jack (1993), Spider-Man (2002), Le Monde Fantastique d’Oz (2013) et de la plupart des films de Tim Burton, livre en effet une partition de qualité dont l’utilisation intensive des instruments à cordes s’inscrit dans la droite lignée des compositions réalisées par Bernard Herrmann pour les films d’Hitchcock, en particulier celle de Psychose qu’Elfman avait d’ailleurs réenregistrée pour accompagner son remake réalisé en 1998 par Gus Van Sant. Si aucun thème ne restera toutefois en tête à la sortie du film, la bande originale s’accompagne évidemment de la célèbre Marche Funèbre d’une Marionnette de Charles Gounod popularisée grâce à la série Alfred Hitchcock Présente.
Hitchcock est présenté pour la première fois le 1er novembre 2012, soit quelques jours seulement après la fin de son montage, lors de la soirée d’ouverture du festival annuel de l’American Film Institute organisée au Grauman’s Chinese Theatre. Projeté dans un nombre limité de salles à partir du 23 novembre 2012 afin de pouvoir concourir pour les Oscars, le film est proposé un mois seulement après la diffusion de The Girl, le téléfilm de Julian Jarrold produit par HBO et qui dépeint les relations entre Alfred Hitchcock et Tippi Hedren lors du tournage des (Les) Oiseaux et de Pas de Printemps pour Marnie. Dès lors, ne pouvant éviter la comparaison entre les deux réalisations, la critique se montre mitigée. « Hitchcock est bien réalisé », écrit notamment Tom O’Neil du (The) Huffington Post, « Il y a de l’humour et du suspense. Hitchcock aurait été fier du résultat ». « Voilà un film intelligent, plein d’esprit et très vivant grâce aux interprétations d’Anthony Hopkins et Helen Mirren », ajoute John Patterson du (The) Guardian rejoint par Mary Pols du Time et Roger Ebert du Chicago Sun-Tribune. Justin Chang note pour sa part dans les colonnes de Variety que « Hitchcock offre une image bien plus sympathique, voire même comique, du corpulent cinéaste ».
Peter Bradshaw compense en partageant sa déception avec les lecteurs du (The) Guardian. Rene Rodriguez du Miami Herald pointe par ailleurs le fait que le film « s’éloigne trop du plateau de Psychose pour se focaliser sur des événements hors-propos », Kelly Jane Torrance du Washington Examiner regrettant quant à elle de ne rien avoir appris sur le réalisateur. Manohla Dargis du (The) New York Times parle d’un film « raté ». Joe Morgenstern du (The) Wall Street Journal enfonce le clou en écrivant que « Hitchcock sonne faux du début à la fin »… Avec un budget d’environ 15 millions de dollars, Hitchcock parvient à presque doubler la mise en récoltant à la fin de son exploitation quelques 27 millions de dollars de recettes. L'opus est par ailleurs entre autres nommé à l’Oscar des Meilleurs maquillages mais échoue face aux (Les) Misérables de Tom Hooper.
Au final, Hitchcock est un long-métrage rafraîchissant, une belle plongée au cœur du Hollywood des années 1950 sur le plateau de l’un des films les plus mythiques, Psychose, réalisé par l’un des metteurs en scène les plus atypiques, Alfred Hitchcock. Les amateurs de biopics y trouveront forcément leur compte en découvrant la face cachée de l’un des réalisateurs les plus énigmatiques et les plus fascinants du milieu du XXe siècle. En cela, Hitchcock reste un très bon divertissement, un bon film de genre et surtout le compagnon idéal du documentaire The Making of ‘Psycho’ que Laurent Bouzereau avait mis en boîte en 1997.