Bohemian Rhapsody
L'affiche du film
Titre original :
Bohemian Rhapsody
Production :
New Regency Productions
Date de sortie USA :
Le 02 novembre 2018
Distribution :
20th Century Fox
Genre :
Comédie dramatique
IMAX
Réalisation :
Brian Singer
Musique :
Queen
John Ottman
Durée :
134 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

13 juillet 1985, Concert Live Aid, un milliard et demi de spectateurs, sur place ou derrière leur écran de télévision, attendent avec fébrilité le retour d'un groupe mythique qu'ils n'ont plus vu jouer ensemble depuis deux ans. Derrière le rideau de scène, les quatre musiciens de génie se remémorent, eux, leur rencontre, il y a quinze ans...
Qui aurait pu alors imaginer que Queen allait devenir le plus grand groupe de rock de tous les temps ?

La critique

Publiée le 25 octobre 2018

Queen est le groupe de rock anglais de tous les superlatifs : 300 millions d'albums vendus dans le monde, élu meilleur groupe britannique du siècle, jouant devant des stades de 350 000 personnes, avec des titres qui, tous confondus, ont occupé pendant vingt-sept ans les classements de vente de disques au Royaume Uni. En quatorze albums studio, et autant de tournées mondiales à guichets fermés, le groupe marque à jamais le monde de la musique et continue d'exister malgré la disparition de son chanteur en 1991. Avec un tel synopsis, il n'en fallait pas plus pour donner envie d'adapter cette extraordinaire aventure humaine à l'écran. Pourtant, rarement un biopic n'aura demandé autant de temps avant de parvenir aux spectateurs. Bien que ce projet soit très attendu par les fans du groupe, la critique et le public, il aurait pu ne jamais voir le jour tant sa production a été chaotique et sujette à rebondissements.

2010, Sacha Baron Cohen (Borat : Leçons Culturelles sur l'Amérique Profit Glorieuse Nation Kazakhstan, Sweeney Todd : Le Diabolique Barbier de Fleet Street, Les Misérables, Alice de l'Autre Côté du Miroir), acteur anglais, trublion du cinéma, annonce sur la BBC qu'il va incarner à l'écran le chanteur Freddie Mercury dans un film consacré au groupe Queen. Cette annonce est confirmée par le guitariste du groupe, Brian May, qui précise la même année que le scénario devrait s’intéresser à ce qui s’est passé de la rencontre des membres du groupe jusqu'au concert mythique du Live Aid en juillet 1985 au Stade de Wembley ; une performance scénique considérée encore aujourd'hui comme l'une des prestations les plus grandioses de toute l'Histoire de la Musique. L'écriture du script est alors confiée à Peter Morgan, scénariste multi récompensé et grand spécialiste de biographies (The Queen, Le Dernier Roi d'Écosse, Frost/Nixon, l'Heure de Vérité). La production de l'opus quant à elle, revient conjointement à Graham King (GK Films) qui s’investit sans condition dans le projet, et à Tribeca Productions, la maison de production de Robert De Niro. Afin d'être associés à toutes les étapes du film et mais aussi de gérer le patrimoine du groupe devant servir dedans, Brian May et Roger Taylor créent Queen Films (John Deacon ayant pris une retraite complète des activités liées à Queen); les deux derniers membres du groupe prenant ainsi part entière au projet !

Même si à ce moment précis, personne ne sait si Sacha Baron Cohen interprétera lui-même les chansons, il est soutenu en ce sens par le groupe qui déclare à la presse qu'il est né pour jouer ce rôle et que sans lui, l'idée même d'un film sur Queen n'aurait pu se concrétiser n’ayant, jusqu'alors, pas encore rencontré des acteurs en mesure de leur rendre justice. Il faut dire que le comédien a déjà donné de la voix, et notamment de manière remarquée, dans la version cinéma des (Les) Misérables. Fan de la première heure de Queen, il a, dès la connaissance du projet, quasi harcelé la production et les membres du groupe, clamant à corps et à cris que nul autre ne saurait interpréter avec justesse Freddie Mercury. Jouissant d'une notoriété conséquente d'acteur "bankable", la production se réjouit évidemment de son enthousiasme pour le projet. Le trublion propose même de prendre part à l'écriture du scénario et demande à son ami oscarisé Tom Hooper (Le Discours d'un Roi, Les Misérables, Danish Girl), habitué aux grandes fresques épiques, de s’occuper de la mise en scène alors que le reste de l'équipe souhaite plutôt y voir Stephen Frears (Les Liaisons Dangereuses, The Queen). Mais plus l'écriture du film avance, plus les divergences sur le scénario se créent. Sacha Baron Cohen veut faire un opus centré sur Freddie Mercury et insister plus particulièrement sur ses extravagances, son comportant théâtral voire hystérique, ses caprices mais aussi sa maladie et ses excès sulfureux dans les années 80. Tout au contraire, Brian May et Roger Taylor veulent un film plus familial qui rassemble les spectateurs autour du groupe, loin des clichés qu'ils se sont vus coller, dont ils ont pu souffrir et qui pourraient salir la mémoire du chanteur. D'un commun accord, l'acteur quitte donc le projet. Après cela, les relations avec le groupe se dégraderont par presse interposée, les uns accusant les autres d'avoir coulé le projet initial jusqu'à rompre toute communication en 2016.

Avec le départ de cet acteur très apprécié du public, le chantier stagne. Graham King ne renonce cependant pas et décide de continuer à porter le film avec le soutien financier de sa seule société. Une vague de d'acteurs-chanteurs est ainsi envisagée pour incarner Freddie Mercury : parmi eux se remarquent Dominic Cooper (Mamma Mia !, Cabaret, Captain America : First Avenger, Captain America : Le Soldat de l'Hiver) mais aussi Daniel Radcliffe (saga Harry Potter, How to Succeed in Business Without Really Trying) qui clame pourtant que le rôle serait bien trop grand pour lui. La préférence du groupe va alors à Ben Whishaw (Cloud Atlas, Skyfall, Spectre, Le Retour de Mary Poppins), le seul à être considéré comme un vrai acteur par ses membres (sic). Le projet est à nouveau menacé lorsqu’un des copropriétaires de GK Films s'en désolidarise considérant que les frais importants déjà engagés pour un long-métrage dont la concrétisation est incertaine, risquent de mettre en faillite la société tout entière plus encore à la suite à l'échec de leur dernière production : Hugo Cabret de Martin Scorsese.

Mais Graham King est tenace et il ne jette pas l'éponge si facilement. À l'automne 2015, il réussit à imposer l'auteur Antony McCarten qui a fait ses preuves dans la scénarisation biographique en adaptant avec brio pour le cinéma Une Brêve Histoire de Temps, le roman sur la vie du physicien Stephen Hawkins, et qui a obtenu les faveurs de la critique, des studios et du public. Un an plus tard, armé d'un scénario solide et approuvé, King propose à 20th Century Fox et à New Regency de s'associer pour produire et distribuer l'opus, ce qui permettrait surtout d'éviter de nouveaux aléas financiers qui pourraient mettre à mal le projet, encore une fois. En accord avec le groupe, le film trouve son nom dans le titre le plus représentatif du style rock si emblématique de Queen : Bohemian Rhapsody. Le tournage doit débuter en 2017 pour une sortie envisagée à l'aube 2019.
20th Century Fox avance le nom d'un de leurs réalisateurs fétiches : Bryan Singer (Usual Suspect, X-Men, X-Men 2, Superman Returns, X-Men : Days Of future Past, X-men : Apocalypse, The Gifted). Habitué aux tournages grandioses, il faut bien toute la mesure de son talent pour recréer les concerts du groupe qui ont marqué, à plusieurs reprises, Le Livre Guinness des Records. Le réalisateur s'investit lui aussi dans le projet et décide d’intégrer l'équipe de production via sa société Bad Hat Harry Productions. Il impose par ailleurs son chef monteur favori, John Ottman, qui a la particularité d’être aussi son compositeur attitré. C'est donc à lui que revient l'honneur d'écrire la partition des musiques additionnelles du film qui reprennent simplement en leitmotiv les chansons du groupe.

Pour avancer sur le casting, Bryan Singer propose le rôle de Roger Taylor, le séduisant batteur, à un acteur avec qui il a déjà travaillé sur X-Men : Apocalypse : Ben Hardy, le jeune premier du soap anglais EastEnders. La liste des rôles attribuée s'étoffe alors : Gwylin Lee, connu surtout des téléspectateurs britanniques, est Brian May et Joseph Mazello, le petit héros de Jurassic Parc qui a bien grandi depuis, incarne pour sa part le bassiste John Deacon, à l’origine du cultissime Another One Bites the Dust. Alors que tout semble enfin se mettre en ordre de marche, Freddie manque finalement à l’appel : le début de tournage étant à nouveau repoussé, Ben Whishaw doit renoncer au projet. L'acteur est malheureusement attendu sur le tournage du prochain James Bond, où il incarne Q dans les deux derniers opus, le génial inventeur des gadgets technologiques du héros. Bohemian Rhapsody se retrouve sans interprète principal à quelques mois du début du tournage. 

Poussé par son agent, Rami Malek, l'acteur prodige de la série Mr Robots, récemment auréolé d'un Emmy pour cette interprétation, décide d'envoyer à la production une démo où il imite Freddie Mercury. Le comédien américano-égyptien de 37 ans, qui n'a alors jamais connu que des seconds rôles au cinéma, a cependant marqué le public en incarnant le jeune Pharaon Ahkmenrah dans la trilogie Une Nuit au Musée, le vampire Benjamin de la saga Twilight et plus récemment Finn dans le film d'origine vidéoludique Need For Speed. Convoqué à une rencontre avec le groupe dans les studios mythiques d'Abbey Road, l'acteur croise le portrait du chanteur sur un mur ce qu’il perçoit comme un signe du destin. Queen le reçoit et le félicite pour le rôle. Lorsqu’il leur demande ce qu'ils ont pensé de sa prestation enregistrée pour le casting, ils lui annoncent, confus, qu'ils n'ont jamais pu voir son audition suite à un problème informatique et qu'il a été choisi pour son jeu d'acteur et sa troublante ressemblance avec le chanteur. Bohemian Rhapsody a enfin trouvé celui qui va incarner le mythe !

Habitué des plateaux de tournages de Game Of Thrones dans le rôle de Petyr Baelish ou ceux de la très anglaise Peaky Blinders, l'irlandais Aiden Gillen (Queer As Folks, trilogie Le Labyrinthe) rejoint le casting aux cotés du très anglais Tom Hollander (Pirates des Caraïbes : Le Secret du Coffre Maudit, Pirates des Caraïbes : Jusqu'au Bout du Monde, Mission Impossible : Rogue Nation) , pour incarner les managers successifs du groupe, John Reid et Jim Beach. Ne manque plus que l'entourage proche du chanteur : la femme qu'il aimera toute sa vie, Mary Austin, est jouée par Lucy Boynton (Le Crime de l'Orient-Express) et son manager personnel, Paul Prenter, celui qui l’entraînera dans tous les excès, est interprété par Allen Leech, principalement connu pour le rôle de Tom, chauffeur fougueux de la série Downtown Abbey ou bien encore pour celui de l'ambigüe John Cairncross dans le multi-oscarisés Imitation Game.

La production confie un caméo à l'acteur-réalisateur Mike Myers qui endosse le rôle du directeur de maison de disque Ray Foster, qui avait prédit la banqueroute du groupe s'il sortait le titre Bohemian Rhapsody (qui reste à ce jour le plus grand succès de Queen, et aussi le single le plus cher à produire de toute l'Industrie du Disque). Si aujourd'hui son nom est indissociable de l'espion psychédélique Austin Powers et de son double maléfique le Docteur Denfer ou bien encore de la voix de l'ogre Shrek dans les films éponymes, le comédien est aussi vénéré par une cohorte de fans des films Wayne's World. La chanson Bohemian Rhapsody y est utilisée pour une scène culte du premier film. Elle permet d’ailleurs de relancer les ventes du groupe qui réintègre ainsi les charts, malgré une retraite momentanée - suite à la disparition de son chanteur irremplaçable - et de faire découvrir Queen à toute une nouvelle génération.

Le casting bouclé, le tournage débute le 8 septembre 2017. Bryan Singer fait construire des plateaux gigantesques sur la base aérienne de Bovington dans le sud anglais de l'Hertfordshire, pour reconstituer le plus grand concert caritatif des années 80, le Live Aid, qu’il souhaite rendre le plus concret possible à l’écran. Malheureusement, la malédiction du film se poursuit : les méthodes exigeantes du réalisateur et ses sautes d'humeur sont très mal vécues, tant par les équipes techniques que par les acteurs avec lesquels il s'accroche violemment à de nombreuses reprises. Après une interruption de tournage pour les fêtes de Thanksgiving, le réalisateur ne se présente pas et déserte le plateau durant plusieurs jours, une absence qui oblige le Directeur de la Photographie, Newton Thomas Sigel, à jouer les réalisateurs pour ne pas laisser les équipes désœuvrées, prendre du retard sur le planning du tournage et engendrer ainsi de trop lourdes conséquences financières. Pour la 20th Century Fox, c'en est trop ! Suite à ses absences injustifiées qui coûtent une fortune à la production et aux rumeurs de harcèlement à son encontre alors que l’affaire Weinstein bat son plein, le studio renvoie son réalisateur prodige, rompant par la même occasion le contrat qui le lie à sa société de production pour de futurs projets puis se met en chasse d'un artiste de talent capable de le remplacer au pied levé pour les quinze derniers jours de tournage. Ridley Scott est courtisé mais c'est finalement Dexter Fletcher (Arnaques, Crimes et Botanique) qui reprend le siège de réalisateur le 6 décembre 2017. Ironie du sort, lui qui avait participé à la genèse du projet en 2013 avant d'en être écarté par manque d'expérience, ne verra pas son nom au générique : sous la pression du puissant syndicat hollywoodien, la Guilde des Réalisateurs d'Amérique, c’est en effet Bryan Singer qui doit apparaître comme réalisateur au générique ayant réalisé la plus grande partie du film. Toutefois, malgré son aura médiatique, l'ex-réalisateur n'en assurera pas la promotion qui échoue finalement à son remplaçant.

Quel que soit le comportement de Bryan Singer sur le tournage, sa maîtrise de la mise en scène est indéniable, tant dans les scènes de reconstitution fidèles des concerts (qu'ils soient dans des salles confidentielles ou dans des stades gigantesques où les effets de post productions sont d'ailleurs invisibles) que dans sa maîtrise du cadrage et des plans qui permettent de rendre l'émotion des séquences les plus intimes. Le scénario, à la construction fort simple, respecte la demande des membres du groupe et ne raconte que la période comprise entre leur rencontre et leur prestation du Live Aid de 1985. Le récit effectue également des allers-retours permanents entre la vie réelle et la vie sur scène, le parcours de Freddie Mercury servant de colonne vertébrale à la narration. 

L'histoire s'étend ainsi sur deux époques reproduites fidèlement par un foisonnement de décors et d'accessoires plus vrais que natures. D'abord à travers les seventies anglaises, marquées par l'avènement d'une certaine liberté de pensée et la libération des mœurs, période propice et fertile pendant laquelle va naître Queen. Cette époque inspire le groupe dans toutes ses dimensions, qu’elles soient scéniques ou musicales, à commencer par son nom : hommage respectueux tout britannique envers leur souveraine, il fait aussi référence à la signification irrévérencieuse de son argot. Ce vent de liberté des années soixante-dix, qui contraste avec la sobriété et le puritanisme de l'après-seconde-guerre mondiale, sert de fondement aux compositions audacieuses et extravagantes du groupe.

Leur musique, que personne n'avait entendu jusqu’alors, se situe à la frontière entre le classique lyrique (dont Mercury avait une grande maîtrise par ses années d'études de piano et de chant ainsi que par sa colorature exceptionnelle) et un rock électrique inédit bâti sur les talents incroyables du guitariste Brian May (dont l'instrument qu’il crée lui-même à l'âge 16 ans, sculpté à la main dans un manteau de cheminée en chêne et construit de matériel électronique de récupération, génère un son saturé si particulier qu'il est entré dans la légende des luthiers et des musiciens sous le nom de Red Special et dont il se sert encore aujourd'hui), des percussions énergiques et inventives de Roger Taylor (qui s’est servi de tout ce qui pouvait produire un son pour les sessions d'enregistrement) et de la ligne de basse appuyée de John Deacon (typique de ce qui deviendra le disco). 

Vient ensuite la deuxième décennie, abordée toujours avec autant de justesse. Les années 80 sont les années les plus internationales, les plus commerciales mais aussi les plus routinières de Queen. C'est une période où la créativité et la cohésion du groupe sont mises à mal. Leur chanteur, libéré d'une quête d'identité entreprise dix ans plus tôt, s'adonne à tous les excès de la célébrité et de sa facilité induite, l'ivresse de ses abus allant jusqu'à empoisonner sa vie spirituelle, sociale mais aussi physique avec en toile de fond le spectre du sida.

Avec une intelligence fine et évitant tous les écueils du genre biographique sans toutefois jamais verser dans le pathos, de nombreux thèmes sont abordés dans le film. Il y a tout d'abord la honte véritable que Freddie Mercury, né Farrokh Bulsarah à Zanzibar, alors colonie britannique, avait pour ses origines étrangères. Descendant des pârsî perses qui ont fui la persécution iranienne vers l'Inde, il a toujours très mal vécu ce rejet de la part des britanniques pour leurs ex-sujets coloniaux. Cachant sans succès sa couleur de peau et son léger accent indien, il tente de s'intégrer en anglicisant son nom. Il rejette ses traditions familiales, héritées d'un autre âge et d'une autre culture selon lui, en se faisant remarquer à travers cette musique rock qu'il adule et son audace vestimentaire. Pourtant, le credo de la religion zoroastrienne dans lequel il a été élevé - bien penser, bien parler, bien faire - revient à de nombreuses reprises dans les confrontations avec son père. Ce mantra est quasiment répété à chacune de leur entrevue, comme pour ancrer son fils dans une réalité bassement humaine dont lui veut absolument s'échapper. 

Le film fait ensuite la part belle aux oppositions scène et ville. La vie sur scène est ainsi idéalisée, flamboyante, irrévérencieuse, provocante, à l'image des magnifiques reconstitutions des tenues du groupe par le chef costumier Julian Day. Des extravagances glam rock des seventies devenues emblématiques du groupe à la brutalité bien plus virile et simpliste des années 80, tous les atours les plus célèbres, que les fans reconnaîtront, apparaissent dans Bohemian Rhapsody. Ils sont même une source régulière de répliques comiques.

À l'opposé, la vie à la ville est simple, dans des couleurs assombries. Le discours ainsi que les cadres sont d'une sobriété à toute épreuve (sauf pendant les fêtes fantasques que le chanteur donnait à son domicile, comme une incursion schizophrène de son personnage de scène, une parenthèse dans la vie réelle). Ces choix, tant techniques qu'artistiques, traduisent non seulement le calme de la vie hors scène mais aussi et surtout l'immense solitude de Freddie Mercury, malgré tout l'amour de ses fans et l'attention de sa cour d'admirateurs intéressés.

Alors que les autres membres du groupe ont tous une famille, une vie rangée, lui reste, en effet, désespérément seul, dans une immense maison avec pour unique compagnie les nombreux chats qu'il affectionne et auxquels il voue un culte au-delà du raisonnable. Toute la trame de Bohemian Rhapsody peut se résumer ainsi : d'abord une opposition à ses racines pour lui permettre de s'élever vers un statut quasi divin d'artiste et assouvir son besoin addictif de lumière ; puis un tiraillement entre des aspirations plus terrestres et plus humaines représentées par ses amis, tout en luttant contre ses démons qui l'entraînent dans une spirale infernale que n'aurait pas reniée Dante.

Le spectateur voit en Freddie Mercury un personnage à l'équilibre précaire. Il est en permanence partagé entre son tentateur, personnifié par son manager Paul Prenter, qui lui présente un monde de plaisirs faciles et encourage ses excès, et son ange gardien, sa douce Mary Austin qui le ramène à chaque fois dans le droit chemin et qui, par sa bienveillance, prendra soin de lui toute son existence.

Elle sera l'amour inconditionnel de sa vie, la seule femme qu'il n'aimera jamais et à qui il léguera la moitié de sa fortune, ses droits d'auteur et sa maison londonienne. Quant aux autres membres du groupe, même si la rupture née de l'égocentrisme des uns menace en permanence leur collaboration, ils sont toujours là pour le faire redescendre des sommets enivrants de la gloire. Que ce soit le sanguin Roger Taylor, le sage Brian May ou le flegmatique John Deacon, ils sont sa deuxième famille, le socle sur lequel il peut s'appuyer pour mieux repartir. Ils lui pardonnent ses erreurs et représentent pour lui la normalité à atteindre, loin de la notoriété qu'il n'a que trop goûté.

Dernier écueil que tous les critiques et les fans attendaient au tournant, l'évocation de la sexualité et de la maladie de Freddie Mercury. Une fois encore, l'intelligence du scénario est remarquable : ici pas de sensationnalisme. La quête d'identité du personnage principal est parallèle à celle de l'acceptation de son homosexualité, qui suit une série de coming out : à celle qui l'aime d'abord, puis à ceux qu'il désire et enfin à ceux qui l'ont vu naître. Quant à la question de sa maladie, en quatre scènes et quatre phrases tout au plus, la messe est dite...

Le choix de ce traitement pudique qui reste néanmoins explicite, est à l'image de celui choisi par Freddie Mercury, qui n'accepta de confirmer au public les rumeurs du mal qui le rongeait que vingt-quatre heures avant sa disparition. 
Ces deux aspects de la vie du chanteur sont abordés par l’écho continu entre la vie réelle, lui qui est toujours resté très évasif sur sa vie intime malgré les attaques virulentes des tabloïds anglais, et la trahison de Paul son manager, qui vendit aux plus offrants les plus sordides indiscrétions sur son employeur. 

Bien sûr, comme toutes les biographies, surtout celles orchestrées par des ayants droits ou par des protagonistes encore vivants, le scénario fait l'impasse volontaire sur quelques vérités et prend des raccourcis, évitant les heures sombres pour que le blason garde sa dorure. L'ensemble reste néanmoins cohérent, l’ascension du groupe et ses conséquences restant le sujet central du film.

Tous ces thèmes sont joués avec une justesse dérangeante tant les images paraissent réelles. Le traitement, à la limite du documentaire, est renforcé par le jeu des acteurs qui interprètent leurs rôles à la perfection. Seuls les yeux verts de l'acteur principal rappellent que le film est une fiction. Rami Malek n'a d'ailleurs pas participé à la bande originale de l'opus estimant, à juste titre : il n'y a et n'y aura qu'un seul Freddie Mercury. Pourtant, il a accepté de porter des prothèses dentaires qui lui octroient quatre incisives supplémentaires, ce qui, selon la légende, conféraient au chanteur la résonance si particulière de son timbre. Ces accessoires modifient également sa diction (du moins si le visionnage du film se fait en version originale) par un léger chuintement auquel s’ajoute un accent indien discret que l’acteur a choisi d’adopter pour mieux interpréter la star qu'il incarne.

Ses deux caractéristiques, qui disparaissaient lorsque Mercury chantait, le comédien les endure pour toujours plus de réalisme. Rami Malek est criant de vérité, à tel point que la sœur de Freddy n'a pu cacher son émotion en découvrant l'acteur dans le costume de son frère. Émouvant de sincérité dans les passages intimistes, le comédien irradie de charisme dans les moments de scène. Malgré toutes les errances de la production, le film a donc trouvé l’interprète idéal : ses vingt dernières minutes justifient d'ailleurs à elles seules le choix de ce casting. Cette prestation, mais aussi la justesse de son jeu, lui ouvre très certainement une voie toute tracée vers les prix d'interprétation masculine tant la performance est bluffante. Ne serait-ce pas là, la raison de la sortie anticipée du film à l'automne 2018, pile à temps pour concourir aux Oscars et aux Golden Globes ?

Pour terminer, il ne faut pas oublier l'actrice principale du film : la musique de Queen ! Elle ne sert pas ici de simple illustration sonore ou, comme cela a pu être le cas sur d’autres films, de prétexte pour vendre de nouvelles compilations à la sortie de l'opus en salle : chacune des chansons a été choisie avec soin par l'équipe. À l'instar du livret d'une comédie musicale, elles sont toutes là pour accentuer une émotion, appuyer la pensée ou l'état d'un personnage, prendre un raccourci dans le récit en accélérant une situation, et ce, de la transformation de la fanfare d'ouverture de la 20th Century Fox aux deux chansons choisies pour le générique de fin qui concluent magistralement ce voyage dans l'histoire du groupe. Cadeau ultime fait aux fans, les titres de la séquence du Live Aid n’ayant jamais été édités, leur écoute inédite est très attendue par les puristes. De ce fait, la bande originale entre ainsi dans la discographie officielle de Queen, liant à jamais le film, à l'immensité perenne de leur œuvre.

Malgré une pré-production chaotique qui aurait pu lui être fatale, Bohemian Rhapsody réussit le pari toujours dangereux de la biographie. Même si le film élude sciemment certaine parts sombres de la vie du groupe, il en raconte les grands épisodes à travers deux décennies et rend hommage à son génie créatif qui a révolutionné à jamais le monde de la musique et a inspiré des générations d'artistes. Des costumes aux décors, tout est fait pour servir d'écrin à une mise en scène réaliste et sans fioriture qui laisse la part belle aux émotions, qu'elles soient minimalistes ou grandioses. Le scénario aborde de nombreux thèmes, soulevés par l'histoire atypique de ce groupe et de ses protagonistes. Il est parfaitement servi par un casting dont la justesse permet de faire oublier qu'ils sont de simples interprètes. En tête d'affiche, Rami Malek incarne un Freddie Mercury à la limite de la résurrection tant il se glisse à la perfection dans la peau du chanteur, le montrant tour à tour pudique et grandiloquent. Son jeu habité rend justice à la personnalité complexe du personnage et à son parcours de jeune exclu devenu star planétaire. Le spectateur assiste en un peu plus de deux heures à un réel moment de vérité, lui donnant l'occasion unique de partager les joies et les affres de la célébrité, d'assister à un concert mythique dont la prestation est considérée comme la meilleure du vingtième siècle, mais surtout la chance de vivre l'histoire derrière la légende du plus grand groupe de rock de tous les temps : Queen.

Bohemian Rhapsody est à l'image de Freddy Mercury : de l'ordre du sublime.

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