La Forme de l'Eau
The Shape of Water
Le synopsis
Muette de naissance, Elisa Esposito travaille comme femme de ménage au sein d'un laboratoire gouvernemental basé à Baltimore. Enfermée dans un quotidien monotone, la jeune femme ne trouve de réconfort qu'auprès de son voisin, Giles, et de sa collègue Zelda. L'arrivée d'une créature sous-marine au sein du centre de recherches va bouleverser son existence... |
La critique
Si certains films s'oublient aussitôt leur visionnage terminé, d'autres parviennent à interpeller leur auditoire en mal comme en bien et laissent une trace indélébile dans la mémoire des spectateurs. Il va sans dire que La Forme de l'Eau - The Shape of Water fait partie de la seconde catégorie. Véritable pépite, l'opus de Guillermo del Toro marque les esprits et s'impose vite comme un long-métrage incontournable du 7ème art...
Guillermo del Toro Gómez naît le 9 octobre 1963 à Guadalajara au Mexique. Élevé au sein d'un foyer catholique par une mère femme au foyer et un père entrepreneur, le jeune Guillermo se passionne pour la réalisation à l'âge de huit ans lorsqu'il tourne de nombreux courts-métrages mettant en scène des jouets inspirés par le film La Planète des Singes. Il révèle déjà un goût prononcé pour le domaine du fantastique signant notamment un court-métrage plaçant au centre de l'intrique une patate tueuse. Fort de ces expérimentations, il intègre par la suite l'université de Guadalaraja pour y parfaire ses connaissances dans le domaine de la réalisation.
Après ses études, del Toro travaille tout d'abord comme scénariste et réalisateur de quelques épisodes de la série La Hoja Marcada, équivalent mexicain de La Quatrième Dimension. Mais la véritable révélation pour le jeune homme intervient lorsqu'il commence à étudier les techniques de maquillage et d'effets spéciaux avec l'artiste Dick Smith, reconnu pour son travail sur des films comme L'Exorciste, Le Parrain ou encore Taxi Driver. Il faudra alors attendre 1993 avant de voir son premier film, Cronos, sortir sur les écrans. L'opus reçoit les louanges des critiques et du public et propulse la carrière du tout jeune réalisateur qui se verra ensuite proposer la coquette somme de 30 millions de dollars afin de réaliser le film Mimic, produit par Miramax Films. Si les avis sont plus que positifs sur la seconde production de del Toro, la production, elle, se révèle chaotique.
Ayant pris de l'assurance, del Toro enchaîne avec un film tourné entièrement en langue espagnole, L'Echine du Diable avant de se voir confier la réalisation de Blade II pour Marvel dans lequel il apporte sa patte artistique si particulière. Il réalise ensuite l'adaptation du comics Hellboy puis prend les commandes du (Le) Labyrinthe de Pan, ce dernier ayant rapidement acquis un statut de film culte au fil des années grâce à son univers enchanteur et son histoire touchante. Il s'attelle alors à la suite des aventures de Hellboy intitulée Hellboy II : Les Légions d'Or Maudites et réalise deux long-métrages qui lui tiennent particulièrement à cœur : Pacific Rim et Crimson Peak, l'un étant un film typique du mouvement kaiju-eiga (se traduisant par cinéma de monstre), populaire au Japon, tandis que l'autre lui permet de proposer sa propre version du film de fantômes.
Del Toro est également connu pour être un bourreau de travail : il n'est ainsi pas surprenant de le voir cumuler de nombreux projets dont certains n'aboutiront jamais : l'adaptation du livre Le Hobbit de Tolkien qu'il quittera finalement peu de temps avant le début du tournage ; une adaptation de l'attraction Haunted Mansion présente dans les resorts Disney aux États-Unis, ou encore une nouvelle version du conte La Belle et la Bête avec Emma Watson dans le rôle-titre (pied de nez du destin : l'actrice interprétera tout de même le rôle de Belle en 2017 dans le film live produit par les studios Disney).
Ce dernier projet avorté se retrouve d'ailleurs dans la structure de La Forme de l'Eau - The Shape of Water : il est, en effet, possible de remarquer plusieurs similitudes avec le conte popularisé par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont : une jeune femme tombe ainsi sous le charme d'une créature rejetée pour sa différence. Le scenario prend rapidement des airs de fable onirique tant dans sa construction que dans son déroulement, certes classique mais terriblement efficace et renforcé par son atmosphère intemporelle et enchanteresse propre au réalisateur. Pourtant, au delà de cet aspect, del Toro revendique un thème fort : la tolérance. Ainsi, le choix de ses protagonistes est loin d'être anodin et ne se limite pas qu'à la créature présente dans l'opus. Elisa est muette de naissance est rejetée à cause de cet handicap qui l'empêche de communiquer avec ses semblables. Giles, son voisin de palier, est homosexuel à une époque où il n'était pas si facile d'assumer sa sexualité. Enfin, Zelda est une femme noire qui tente de se faire respecter malgré le racisme ambiant. Chacun de ses personnages se bat donc pour ne plus être rejeté par les diktats imposés par la société si bien que l'attachement envers eux est instantané.
Mais le long-métrage ne serait pas ce qu'il est sans le travail de son réalisateur. Guillermo del Toro filme, en effet, ses personnages dans un quotidien étouffant brisé par l'arrivée de la Créature qui vient apporter la touche de "fantaisie" caractérisant l'opus. La réalisation sait aussi se faire plus intimiste lors des moments de romance ou plus énergique lors des scènes plus intenses... del Toro sait où il va, ce qu'il veut et entend filmer son intrigue "à sa façon".
Si La Forme de l'Eau - The Shape of Water possède une réalisation impeccable et un scénario terriblement efficace, il ne serait pas devenu culte sans ses acteurs qui livrent sur lui des performances toutes plus inoubliables les unes que les autres !
Sally Hawkins campe ici le rôle principal. Femme de ménage muette, elle n'est pas une demoiselle en détresse pour autant et n'hésite pas à mettre sa vie en danger pour sauver la créature dont elle s'éprend. L'actrice développe ici une performance sans fausse note et touchante à souhait tant elle parait toujours crédible dans ce rôle puisant son inspiration dans les films de Charlie Chaplin, Buster Keaton ou encore Laurel et Hardy. Même sans aucun dialogue, Hawkins parvient à transmettre des émotions fortes et toucher au cœur le spectateur : elle porte littéralement le film sur ses épaules !
Face à elle, point de trucages numériques ou de marionnettes pour donner vie à la Créature mais bien un acteur de chair et d'os en la personne de Doug Jones. Le comédien habitué des films de Guillermo del Toro pour avoir incarné de nombreuses créatures lors de ses précédents opus se glisse avec une aisance remarquable dans la peau de ce monstre amphibien qui semble dès lors plus vrai que nature.
Gravitant autour de ces deux amants, les personnages secondaires ne déméritent pas ! Giles, voisin d'Elisa, est ainsi l'une des rares personnes à fréquenter la jeune femme qui voit en lui une sorte de confident prêt à l'aider du mieux qu'il pourra. Vieil homme solitaire obsédé par son apparence, il est, comme Elisa, banni de la société à cause de son orientation sexuelle. Richard Jenkins apporte tout son talent sur ce rôle touchant et réconfortant écrit à la base pour Ian McKellen, retenu sur un autre tournage.
Le personnage de Zelda, interprété par l'actrice oscarisée Octavia Spencer (La Couleur des Sentiments (The Help)) est également à saluer. Apportant une touche comique au long-métrage, ses nombreuses répliques font toujours mouche tandis que son caractère bien trempé ne manque jamais de faire fondre les spectateurs.
Enfin, difficile de ne pas évoquer le personnage du colonel Richard Strickland incarné par Michael Shannon. "Antagoniste" de l'histoire, il met tout en oeuvre pour réaliser les ordres donnés par ses supérieurs concernant la Créature qu'il a lui-même capturé. Représentant cliché de l'American Way of Life, misogyne et sadique, Strcikland se révèle être un personnage détestable auquel Shannon apporte tout son brio.
La musique du film est, comme le reste, juste parfaite. Composée par le français Alexandre Desplat, bien connu à Hollywood pour avoir signé les bandes-originales de The Grand Budapest Hotel ou encore L'Île aux Chiens de Wes Anderson, elle est construite sur une partition douce et magique, renforçant l'aspect conte de fées moderne et créant la sensation pour le spectateur d'être immergé. Pour ce faire, le compositeur n'utilise quasiment pas de percussions mais s'entoure d'un orchestre d'une douzaine de flûtes qui, selon lui, apportent une douceur et un effet de flou à la musique renforçant cette sensation d'être en apnée. L'utilisation de quelques notes de piano vient enfin soutenir les scènes romantiques, leur donnant un véritable cachet émotionnel. Le long-métrage se permet aussi quelques moments musicaux orientés jazzy grâce aux chansons You'll Never Know ou une reprise de la célèbre chanson de Serge Gainsbourg : La Javanaise, interprétée respectivement par Renée Fleming et Madeleine Peyroux.
La Forme de l'Eau - The Shape of Water est dans un premier temps présenté au Festival International du Film de Venise le 31 août 2017 avant de sortir de manière très limitée aux États-Unis le 1er décembre 2017. Sur ses trois premières semaines d'exploitation limitées, il rapporte un peu plus de quatre millions de dollars avant d'atterrir sur un plus grand nombre d'écrans américains le 22 décembre 2017 face à de nombreux films attendus tels que Pitch Perfect 3 ou encore Downsizing. Cette distribution chaotique ne l'empêche pas de rencontrer un succès plus qu'honorable pour ce genre de productions lui permettant de rapporter environ quatre millions de dollars de plus sur la période du 22 au 26 décembre 2017.
Mais le succès n'est pas seulement public, les critiques sont dithyrambiques à son sujet et évoquent l'un des meilleurs films réalisés par Guillermo del Toro tout en saluant la prestation de Sally Hawkins. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de le voir figurer parmi de nombreux top 10 des meilleurs films de l'année 2017, atteignant parfois la première place dans certains classements.
Pourtant, le début de la consécration pour La Forme de l'Eau - The Shape of Water s'effectue lorsqu'il se voit nommé dans treize catégories pour la cérémonie des Oscars en 2018. Suite à ses nominations, il ressort au cinéma et attise la curiosité de nombreuses personnes désireuses de découvrir le film dont tout le monde parle : il engrange alors plus de cinq millions de dollars supplémentaires. Il faut ensuite attendre le 4 mars 2018 pour voir La Forme de l'Eau - The Shape of Water remporter quatre statuettes sur treize : celles de la Meilleure Bande Originale, des Meilleurs Décors, du Meilleur Réalisateur pour Del Toro et enfin, la plus prestigieuse, celle du Meilleur Film. Ainsi, en comptant ses nominations aux Oscars, La Forme de l'Eau - The Shape of Water accumule 243 nominations dans différentes cérémonies et décroche 83 prix dans de nombreuses catégories, prouvant ainsi l'amour des critiques et des professionnels du cinéma pour cette romance atypique.
Il n'empêche, comme de nombreux long-métrages appelé à devenir culte, La Forme de l'Eau - The Shape of Water n'échappe pas aux accusations de plagiat. Ainsi, le réalisateur et son producteur associé Daniel Kraus se voient reprocher de s'être inspirés un peu trop de la pièce de théâtre écrite par Paul Zindel : Let Me Hear You Whisper mettant en scène une jeune femme de ménage tentant à tout prix de sauver la vie d'un dauphin retenu prisonnier au sein d'un centre de recherches. L'enquête est finalement classée sans suite et les charges pesant sur del Toro et son associé tout bonnement abandonnées.
La Forme de l'Eau - The Shape of Water est une véritable perle dans la filmographie de Guillermo del Toro. Puissant et touchant, tout en revêtant un message d'ode à la différence, le film ne laisse personne indifférent et s'impose rapidement comme une œuvre culte grâce à des performances d'acteurs hors du commun, une réalisation soignée, une musique enchanteresse et des thèmes universels. Un grand film à voir absolument !