La Couleur des Sentiments
(The Help)

La Couleur des Sentiments (The Help)
L'affiche du film
Titre original :
The Help
Production :
DreamWorks Pictures
Date de sortie USA :
Le 10 août 2011
Distribution :
Touchstone Pictures
Genre :
Drame
Réalisation :
Tate Taylor
Musique :
Thomas Newman
Durée :
140 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Dans les années 60, en plein Sud des Etats-Unis, à Jackson, une ville du Mississippi, trois femmes, que l'apartheid social alors en vigueur oppose, se lancent le défi à la fois simple et fou, d'écrire ensemble un livre sur leurs conditions de vie. Elles n'imaginent pas alors la portée de leur projet...

La critique

rédigée par

Film au ton juste porté par un casting parfait et apte à bouleverser son auditoire, La Couleur des Sentiments (The Help) s'inscrit à l'évidence dans la lignée de The Blind Side. Bénéficiant d'un bouche-à-oreille remarquable, il remporte, en effet, dès sa sortie aux Etats-Unis, un succès d'une ampleur aussi inattendue qu'enthousiaste et offre au pays tout entier une belle opportunité de revenir sur une période de son Histoire qui marque le début d'un grand et irréversible bouleversement sociétal. Situant son action dans un état sudiste, terre d'accueil de la vieille mentalité esclavagiste américaine, il développe ainsi son récit à l'époque précise où se produit dans la société de l'Oncle Sam des frémissements de réflexion sur l'ordre social établi, et notamment la place des gens de couleurs. Il prend pour cela l'angle des femmes et raconte, avec beaucoup de finesse et un zeste d'humour, le destin de trois d'entre elles, venues d'univers fort différents mais unies par un même projet dont elles ne soupçonnent pas tout de suite l'ampleur de l'enjeu...

La Couleur des Sentiments (The Help) est l'adaptation d'un premier roman éponyme, devenu best-seller aux Etats-Unis et dans le monde entier, s'écoulant par exemple, sur le seul sol américain à 3 millions d'exemplaires depuis sa sortie en 2009. Il reste ainsi 103 semaines dans la liste des best-sellers du New-York Times dont 6 à la première place. En France, alors même que le film ne sort qu'à la fin de l'année 2011, il affiche déjà un score de 360 000 unités vendues. Ce succès foudroyant revient à l'écrivaine Katthryn Stockett. Originaire de Jackson dans le Mississipi, une ville où elle a passé toute son enfance, elle décroche un diplôme d'anglais et d'écriture à l'Université d'Alabama, puis part s'installer à New York pour y travailler pendant neuf ans dans l'édition de magazines. Elle débute son roman très exactement le 11 septembre 2001, alors qu'enfermée dans son appartement situé non loin du World Trade Center, elle se trouve dans l'impossibilité de joindre sa famille (le réseau téléphonique est surchargé...), et en particulier la nounou qui l'a élevée et pour laquelle elle conserve une grande affection. Elle le termine cinq ans plus tard mais essuie alors près de 60 refus d'éditeurs. C'est finalement son meilleur ami, Tate Taylor, un réalisateur de cinéma, qui l'ayant lu et dévoré, lui conseille de persévérer en lui annonçant qu'il est même prêt à en signer une adaptation sur le grand écran. Fort de ce soutien, elle poursuit sa recherche d'éditeur et convainc finalement, en 2009, Penguin Books de sortir le roman avec le succès qui sera le sien...

Tate Taylor entreprend donc d'en mener l'adaptation cinématographique. Pour cela, il s'attache d'abord à condenser l'histoire pour la faire tenir dans le format de 90 minutes et se met en quête d'un financement. Il a dans l'idée de frapper à la porte d'un producteur de renom, aux reins suffisamment solides pour disposer d'un gage de sérieux. Il le trouve en la personne de Chris Columbus, le réalisateur d'Harry Potter à l'Ecole des Sorciers et L'Homme Bicentenaire. Malgré ce soutien de poids, il n'est pas au bout de ses peines : nombre de studios refusent en effet de produire le film avant que Dreamworks Studios ne se décide finalement à le faire ; Touchstone Pictures en assurant la distribution dans le cadre de son nouvel accord avec le label...

La qualité de son scénario est logiquement la première pierre de la franche réussite de La Couleur des Sentiments (The Help). Il livre, il est vrai, un récit d'une force incroyable en contant, sans aucuns temps morts, le destin de femmes ordinaires qui vont, avec une candeur touchante, poser la première pierre qui conduira à un changement de société, comme il s'en produit rarement dans l'histoire d'une nation tout entière. Leur histoire a, en effet, cela de bouleversant qu'elle révèle le visage d'une Amérique figée dans ses carcans depuis la fin de la Guerre de Sécession. Car si l'esclavage a bien été aboli, la société américaine n'a, en réalité, que très peu évolué dans son rapport entre les Blancs et les Noirs : les aprioris ancrés dans la bourgeoisie blanche du sud des Etats-Unis vis à vis des afro-américains sont tels que les positions se sont figés. La servitude des uns par les autres est ainsi toujours de mise. L'une des protagoniste du film, Aibileen, raconte par exemple le plus tranquillement du monde, comment, comme sa mère avant elle, elle était destinée au métier de servante, un poste déjà occupé par sa grand-mère, en qualité d'esclave, elle... Certains éléments caractéristiques des rapports sociaux font d'ailleurs froid dans le dos à l'image de cette croyance qui veut que tout doit être séparé pour ne pas être contaminé, à commencer par les toilettes. Ce qui frappe dans cette peinture de la société américaine, c'est d'abord et avant tout le poids de l'héritage. Alors même que les jeunes filles blanches sont le plus souvent élevées par leurs bonnes noires qui leur apportent bien plus d'amour que leurs propres mères, occupées elles exclusivement à tenir leur rang social, elles ont toutes, une fois parvenues à l'âge adulte, devenant épouse et mère à leur tour, le réflexe conditionné de reproduire une ségrégation identique, oubliant toute l'affection prodiguée par leurs nounous noires. La pression de la société est telle que la peur de l'autre l'emporte sur tout le reste. Le rouleau compresseur de la xénophobie continue ainsi sa marche effroyable sans que rien, ni personne ne semble être en mesure de le stopper. A ce stade du récit, La Couleur des Sentiments (The Help) aurait sans doute pu sombrer dans le mélodramatisme facile. Il n'en est rien ; parce que le film ne prend pas forcément d'emblée parti pour l'une ou l'autre des positions. Le sujet est trop complexe pour le réduire au seul cas de conscience, tranché moralement, faisant fi de la réalité du terrain. Les bonnes sont clairement exploitées, maltraitées, discriminées mais les bourgeoises blanches sont, elles aussi, prises au piège de carcans qui les dépassent et les soumettent, dans un système où le courage, la rébellion et les opinions personnelles n'ont pas leur place. Car, derrière elles, se trouve l'ombre des hommes qui décident pour elles. Soumises par lâcheté, conformisme et/ou violence, blanches ou noires, les épouses, filles et mères, en plus des pressions raciales de la société, doivent tout simplement faire avec leur simple statut de femmes !

L'incroyable force des réflexions menées au travers du combat silencieux de ces trois femmes osant dépasser l'ordre établi, au-delà la qualité intrinsèques de leurs écritures, provient également du casting qui les sert, tout simplement impeccable.
Emma Stone interprète ainsi Skeeter, une jeune femme blanche, récemment diplômée de l'université et rêvant de devenir écrivaine. Hors norme, elle est totalement différente des membres de sa communauté : elle ne cherche pas désespérément un mari, n'envisage pas de rester cloitrée chez elle et de fonder une famille. Son idée d'un livre sur les bonnes du Mississipi est doublement motivée par son ambition professionnelle et artistique et un souci de revanche personnelle après le renvoi par ses parents de la bonne qui l'a élevée petite. Ce traumatisme va bien vite se révéler être le déclencheur puis le ciment d'un grand mouvement, tout juste né par le murmure à sa nounou...
Viola Davis tient elle le rôle d'Aibileen, une bonne qui a perdu son fils et continue malgré ce drame, à élever les enfants des autres. Totalement repliée sur elle-même depuis la tragédie qui l'a touchée, elle voit sa vie tourneboulée plus encore par sa rencontre avec Skeeter qui lui offre l'opportunité de reprendre confiance en elle, en retrouvant un but. Son histoire comme son personnage bouleversent alors littéralement le spectateur comme cela se produit rarement au cinéma...
Minny, jouée par Octavia Spencer est elle aussi une servante. Meilleure amie d'Aibileen, elle est, comme elle, extrêmement douée pour la cuisine mais, contrairement à elle, assez culotée pour tenir tête à ses patrons. Elle paie d'ailleurs au prix fort son insolence par l'application d'une double peine non écrite : perdant finalement son travail, elle sera battue pour ce motif par son mari ! Deuxième à répondre présente auprès de Skeeter, elle apporte à son projet un humour subtil, offrant par ricochet au film des moments légers, lui permettant de ne jamais sombrer dans le registre du larmoyant facile...
Hilly (Bryce Dallas Howard) assume pour sa part le rôle de méchante de service. Cette bourgeoise provinciale tient, en effet, d'une main de fer la communauté des femmes blanches de la ville. Manipulatrice, autoritaire et cruelle, elle se débarrasse sans états d'âme particuliers de tout ce qui est susceptible de la gêner dans sa quête du pouvoir social : de sa bonne à sa mère ! Son personnage est à bien des titres jubilatoire tant elle parvient à se faire haïr du public. C'est d'autant plus vrai qu'elle perd de sa superbe quand ce dernier prend enfin conscience de l'incroyable énergie désespérée qu'elle met à protéger le système raciste et social sans lequel elle ne serait finalement pas grand-chose...
La galerie des personnages principaux est épaulée par des rôles secondaires tout aussi bien définis. Celia, tout d'abord, est une pin-up venue d'un milieu défavorisé et propulsée dans la bourgeoisie locale par son mariage avec un garçon du sérail. Totalement rejetée par les jeunes filles « bien comme il faut » qu'elle se voit désormais contrainte de côtoyer, elle vit une vraie forme de maltraitance. Elle se révèle alors par sa gentillesse et sa candeur puis son courage sourd : embauchant Minny fraichement licenciée, elle mène il est vrai, sans forcément en prendre conscience, sa part du combat...
Missus, la mère d'Hilly, est tout aussi excellente. Atteinte de la maladie d'Alzheimer, elle est bien plus drôle et moins ancrée dans les traditions que sa fille, révélant là, la régression idéologique opérée en l'espace de deux générations ! A l'inverse, Charlotte, la mère de Skeeter, est, elle, prise au piège des carcans de l'idéologie du sud et s'affaire toujours à sauver les apparences, malgré son cancer qui la ronge.

Globalement bien accueilli par la critique américaine, La Couleur des Sentiments (The Help) est littéralement plébiscité par le public outre-atlantique. Ayant démarré modestement, avec une deuxième place lors de son premier week-end, son bouche-à-oreille est tellement fort qu'il prend la tête du classement lors de son deuxième week-end et la conserve la semaine suivante, dépassant les 100 millions de dollars en 21 jours. Beau succès pour un film qui n'a couté que 25 millions de dollars et dont la carrière commence à peine...

Touché par la grâce, La Couleur des Sentiments (The Help) est un film au sujet fort et au ton juste. Bien écrit, bien joué, bien réalisé, il offre un grand moment de cinéma.

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