Poucelina
Titre original : Thumbelina Production : The Don Bluth Group of Companies Date de sortie USA : Le 19 février 2002 (Vidéo) Distribution : 20th Century Fox Genre : Animation 2D Date de sortie cinéma USA : Le 30 mars 1994 (Warner Bros.) |
Réalisation : Don Bluth Gary Goldman Musique : Barry Manilown William Ross Durée : 85 minutes |
Le synopsis
Pas plus grande qu'un pouce, née dans une fleur, Poucelina tombe amoureuse de Cornélius, le prince des fées. Soudainement enlevée à son quotidien par de drôles de personnages, la jeune fille est alors à la merci de tous les dangers du monde extérieur et doit s'armer d'espoir si elle veut rejoindre sa famille et son nouvel amour. |
La critique
Alors qu’En Avant livre une histoire originale sur le monde de la fantasy, certains classiques sont entrés depuis longtemps et pour toujours au panthéon des adaptations filmiques animées consacrées au thème. Poucelina est de ceux-là !
Co-réalisateur de Poucelina, un homme en particulier contribue à enraciner certains de ces films dans le temps : loin d’être un simple dessinateur, Don Bluth est en effet un réalisateur et un animateur dont la première expérience remonte à 1959 sur La Belle au Bois Dormant. Son style s’imprègne donc naturellement d'une animation 2D, l'essence même des Walt Disney Animation Studios. Mais en tant qu'artiste, Don Bluth développe peu à peu une atmosphère bien à lui, bien plus mystique et mature, l'emportant doucement vers une carrière escarpée. Un an avant la sortie de La Belle au Bois Dormant, Alfred Hitchcock utilise ainsi pour la première fois la technique du CGI (computer-generated imagery) pour son nouveau long-métrage, Sueurs Froides. Le générique et la scène du cauchemar de Scottie sont ainsi probablement les premiers effets visuels jamais créés par ordinateur. Et Hollywood s'en montre très vite friand : l'animation passe alors de simple branche du cinéma à concurrent direct de l'ingénierie cinématographique. De fait, la technologie esthétique et les codes d’Hollywood finissent par remplacer l'art ancestral du dessin.
Se rappelant d’un tournant qui a lieu en 1964 au sein des studios Disney, le réalisateur de Poucelina raconte alors assister à la présentation du tout premier animatronique : une vraie prise de conscience, explique t-il, "là où la réalité prenait le pas sur le dessin". Mais un événement en amorce souvent un autre : en 1972, Gary Goldman est embauché par les Walt Disney Animation Studios où il fait la connaissance de Don Bluth. De cette rencontre naît une bromance, et quelle bromance : leur collaboration est désormais indéfectible. Nouvelle preuve depuis début 2020, année où Netflix annonce plancher sur l'adaptation de Dragon's Lair, un jeu d'arcade des années 80, brillant et visionnaire pour l'époque, issu de l'imaginaire de Bluth et Goldman. La plateforme prévoit d'ailleurs d'accueillir Ryan Reynolds comme tête d'affiche du projet. Gary Goldman est donc "l'autre Don Bluth". D'abord intervalliste pour Robin des Bois, il passe animateur sur Les Aventures de Winnie l’Ourson, Les Aventures de Bernard et Bianca, et devient même directeur de l'animation pour Le Petit Âne de Bethléem. Goldman est également l’animateur principal de l’attachante Big Mama dans Rox et Rouky. Soucieux du détail et hypersensible, il devient entre temps un pilier pour Don Bluth. Engagé, croyant à l’intérêt éducatif d’un film et surtout fort de ses expériences, Gary Goldman donne souvent des conférences et des cours sur l’animation et la production de l’animation.
Si Bluth et Goldman réalisent ensemble Poucelina, le responsable de la direction de l’animation du film n'en est pas moins important. John Pomeroy est en effet un illustre dessinateur, storyboarder, réputé dans son milieu pour avoir un coup de crayon plus rapide que son ombre. Mordu d'animation et de dessin, il est un "matte painter" (un barbarisme qui désigne le peintre d'un décor sur cache). À ses débuts, John Pomeroy souhaite en fait surtout mettre son talent au profit de l’art de l’arrière plan et des paysages qui sont pour lui ”une œuvre d’art à eux tout seuls”. Mais il laisse sa passion le guider et finit par trouver son équilibre en jonglant entre l'animation, la production et le scénario. Ainsi, son affection pour les studios de Don Bluth (Rock-O-Rico, Charlie, Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles), les studios Disney (Peter et Elliott le Dragon, Fantasia 2000, La Planète au Trésor - Un Nouvel Univers) et les non moins célèbres personnages de Tom et Jerry ne se démentira jamais.
Quitte à en perdre des plumes, Bluth, Pomeroy et Goldman prennent leur indépendance avec un premier projet commun. En 1973, le garage de Don Bluth accueille ainsi Don Bluth Productions tandis que tous trois claquent en 1975 ensemble les portes de Disney. Peu de temps après, ils sortent un tendre court-métrage : Banjo, le Chat Malicieux. Plutôt bien accueilli par la presse, ce premier essai reçoit même le prix d'excellence du National Advisory Board. En 1982, Don Bluth emploie près d'une centaine employés afin de livrer un travail de qualité sur son premier long-métrage : Brisby et le Secret de N.I.M.H.. Pourtant remarquable, l'opus ne rapporte pas autant d'argent que prévu et conduit le studio Don Bluth Productions à la faillite. Mais profitant du développement des home-cinemas désormais en vente sur le marché, Brisby et le Secret de N.I.M.H. peut en plus compter parmi ses fans un allié de poids : le jeune Steven Spielberg (Indiana Jones, Cheval de Guerre, Pentagon Papers) tombe, il est vrai, littéralement amoureux du film et décide alors de soutenir le trio.
En 1983 Bluth, Goldman et Pomeroy relancent ainsi la machine en s'intéressant aux jeux d'arcades, armés d'un nouveau studio, et donc d'un nouveau nom, Bluth Group. Mais deux ans plus tard, c'est un nouveau coup dur pour les trois compères, obligés de remettre les clés sous la porte, les jeux d'arcades étant brutalement remplacés par le business des consoles de jeu. Un petit miracle se produit alors la même année : l'homme d'affaire Morris Sullivan propose en effet de subvenir aux besoins des trois animateurs ; l'ancien Bluth Group devenant dans la foulée le Sullivan Bluth Studios. En 1986, Morris Sullivan leur offre ainsi près de cinq millions de dollars pour démarrer la production de leur prochain chef d'oeuvre : Fievel et le Nouveau Monde. Spielberg en devient alors le producteur exécutif. Le film rencontre un réel succès et ouvre la voie, toujours avec Spielberg, à la production de la prochaine pépite de Don Bluth : Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles, un film d'animation sorti en 1988.
Selon Don Bluth, l’art de raconter une histoire s’attache directement à la philosophie du point de vue : le réalisateur explique par exemple ”préférer remplacer le mot cauchemar par rêve plaisant”. Cette sensibilité-là définit parfaitement l’artiste autant que l’homme : fan inconditionnel de Blanche Neige et les Sept Nains, il parle de l’animation comme d'une ”musique visuelle”. Une métaphore parfaite, celle d’un véritable maniaque de la lumière et de la couleur. Ainsi sur un tournage dirigé par Don Bluth, au lieu d’avoir des "caches" sur lesquelles superposer plusieurs couleurs, il emploie des palettes entières (Bluth et ses deux amis les surnomment ”l’orchestration de couleurs”). En d’autres termes, dès lors que l’éclairage change sur un personnage, ses couleurs s’adaptent à la nouvelle lumière. À lui tout seul, le personnage principal de Brisby et le Secret de N.I.M.H. en compte par exemple quarante-six ! Avec une technique plus intellectuelle, la dream team de Bluth cherche donc à oser et à rendre à ses films une forme de réalisme de plus en plus délaissée (quitte à parfois s'emballer un peu trop). Avec leur type d'animation, les corps sont parfois étirés, caricaturés et bien souvent l’immense et l'imperceptible s'entrecroisent.
Une autre ligne de conduite selon Don Bluth est l’importance de donner aux personnages ”le contrôle sur la direction qu’ils veulent prendre”. Et pour Gary Goldman, un film se doit d’être "responsable en prenant le spectateur par la main, un peu comme une baby-sitter”. Sortir des sentiers battus afin d'assumer ses propres choix est dès lors une caractéristique des trois animateurs, et coïncidence ou non, ce leitmotiv est aussi celui du père de Poucelina, puisque de son vivant, Hans Christian Andersen ne souhaitait jamais être considéré comme un écrivain pour enfants. Ses écrits font en effet aujourd'hui partie de l’inconscient collectif de chacun, mais entre le conscient et l'inconscient il n'y a qu'un pas.
Le lien entre l'univers d’Andersen et le mode d’animation de Pomeroy, Bluth et Goldman est alors évident : souvent dystopiques, les éco-fictions du conteur danois sont extrêmement visionnaires et engagées, tant sur le plan psychologique (La Petite Sirène, Le Vilain Petit Canard) qu'écologique (La Reine des Neiges, Poucelina). Dans l’univers des trois compères, les animaux, personnages phares, sont très grands ou minuscules, et le tout toujours agrémenté d'un d'humour noir très pointu. Certains personnages comme Jeremy le corbeau de Brisby et le Secret de N.I.M.H. ou Bartok, la petite chauve-souris d'Anastasia, peuvent ainsi être très drôles car ils sont un savant mélange d'émotions et d'ironie.
Non contents de prendre des risques dans la vraie vie, les trois artistes en prennent également avec leur vision de l’animation. Le seul qu'ils ne prennent pas est de tomber dans le cercle infernal des "sequels" (les suites d'une œuvre). Un concept rarissime pour eux, bien décidés à innover à chaque fois. En 1989, les trois rebelles misent donc à nouveau sur une ambiance sombre et un scénario anticonformiste : Charlie, Mon Héros - Tous les Chiens Vont au Paradis. Ivre de liberté, un chien mort un peu trop tôt à son goût revient finalement sur terre chargé d’une mission : sauver une petite fille d’un triste destin. Tantôt sinistre, tantôt ultra-coloré, l'opus est touchant d’humanité et remporte par la même occasion plus de 27 millions de dollars au box-office. Mais c'est aussi malheureusement le début d'une pénible traversée du désert pour Don Bluth : Rock-O-Rico fait un flop en 1992 et en 1994, Le Lutin Magique tombe rapidement aux oubliettes. Seulement voilà, cette même année, la production de Poucelina a déjà démarré. Un calvaire pour le sixième film des trois animateurs, Poucelina n'est même pas dans la boîte que Sulivan Bluth Studios doit faire des économies pour limiter la casse. Don Bluth se sépare ainsi de plusieurs de ses employés et finit par léguer ses droits non plus aux studios Metro-Goldwyn-Mayer comme prévu mais à Warner Bros.. Contre vents et marées, Don Bluth et Gary Goldman parvienent ainsi à achever la production de Poucelina.
Dans Poucelina, la scène d’ouverture est guidée par un gentil moineau, Jaquimo. Cet oiseau ressemble d'ailleurs beaucoup à Henri, un pigeon plus français que français dans Fievel et le Nouveau Monde. La voix de Jaquimo provient ainsi des cordes vocales de Gino Conforti (Monstres & Cie, Le Cheval de Feu) dans la version originale et de celle du très talentueux Michel Elias en français (Pumbaa dans Le Roi Lion, plusieurs personnages dans L'Étrange Noël de Monsieur Jack, Kirikou et les Bêtes Sauvages).
Un livre s’ouvre donc à la manière de bien des fictions de Disney et le spectateur plonge avec la voix de Jaquimo dans le conte de Poucelina. D'abord narrateur, il relate l’histoire d’une gentille sorcière qui donne un grain d’avoine magique à une femme seule et désespérée de ne pas avoir d’enfant. Lorsque la graine pousse, une fleur éclôt et donne littéralement vie à Poucelina, ”celle qui n’est pas plus grande qu’un pouce”. C'est d'ailleurs un joli propos, qui rappelle que l’arrivée d’un enfant peut prendre bien des formes ! Désormais chez elle, Poucelina est entourée par les animaux de la ferme de sa mère et raconte son quotidien en chanson. ”Her name was Lola, she was a show-girl” : une chose est sûre, si la Lola de Barry Manilow est devenue une icône musicale, sa Poucelina, elle, n’a pas connu la même renommée. Composée en effet par Barry Manilow, la bande originale du film compte une dizaine de chansons loin de faire toutes l'unanimité. Quoiqu'il en soit, le premier morceau chanté par l’héroïne et tous ses amis donne le ton : Poucelina, C’Est Moi se distingue en effet par la ligne de basse très présente (signature même du compositeur). Entraînante mais simpliste.
Poucelina est le profil type de l’adolescente aux rêves immenses. Son maquillage est inspiré par ceux de Madonna et la voix qui lui est attribuée provient de Jodi Benson (La Petite Sirène, Toy Story 2, Il Était une Fois) actrice spécialiste du doublage depuis les années 80 et abonnée aux contrats chez Disney. En français, elle est vocalisée par Julie Thurin, connue pour doubler les actrices Jessica Biel (Hitchcock) et Hilary Duff (Lizzie McGuire - Le Film) ou encore le personnage d'Amy Wong dans Futurama. Le film prend donc un bon départ : un soir, Poucelina avoue à sa mère son mal-être quant à sa taille et c’est précisément ce sentiment de différence et de vulnérabilité qui donne autant de charme à l’histoire originelle de Poucelina. Mais cet état d'âme ne fait que planer au dessus du film plus qu’il ne l’accompagne...
La mère de Poucelina est par ailleurs une terrible déception : ressemblant à s’y méprendre à l’adorable Veuve Tartine, mère adoptive du petit renard dans Rox et Rouky, aucune autre comparaison n’est possible quant à leur charisme respectif. Peu présente, absolument pas combative… Joliment doublée par Barbara Cook dans la version originale, la chanteuse américaine ne parvient pas non plus à transcender les paroles ou la musique de ses chansons, plus banales que jamais. Et c’est encore pire en français : Françoise Cadol, actrice pourtant spécialisée dans le doublage, n'arrive à rien non plus...
Un peu plus tard dans la soirée, la jeune fille se retrouve nez à nez avec Cornélius, le prince des fées : ce dernier, non content de fêter le début de l’automne aux côtés de ses parents, préfère faire l’école buissonnière à dos de son adorable sidekick de bourdon, Buzz. Les parents de Cornelius sont d'ailleurs à la limite de l'inutile : à part se demander à haute voix où leur fils passe ses nuits, ils sont là pour être là. À noter néanmoins, la Reine est doublée dans la version originale par June Foray A.K.A. Mémé, des Looney Tunes ! En vol, Cornélius entend la voix de Poucelina et les deux adolescents tombent illico fous amoureux !
Dans le conte original, le personnage du prince est bien moins élaboré que dans le film où il n’apparaît qu’à la fin de l’histoire pour sauver Poucelina, presque comme dans Blanche-Neige et les Septs Nains ! Côté look, dans la version de Bluth, le Prince Cornélius ressemble à un ado pré-pubère : loin d'être viril, sa coupe de cheveux (un carré dégradé dessus-dessous) offre à elle seule toute une singularité au film. Le personnage tient sa voix originale de l’acteur américain Gary Imhoff (La Ligne Verte, La Caravane de l’Étrange) et en français de celle de Serge Faliu. Ce dernier rassemble près d’une vingtaine d’expériences de doublages sur des films d’animation dont Les Noces Funèbres de Tim Burton, La Cour de Récré : Vive les Vacances !, Le Tableau de Laguionie, Les Incognitos ou encore En Avant.
La rencontre des deux amants se prolonge sur un duo mais aussi la chanson la plus célèbre du film, L’Amour A des Ailes. Il s'agit là d'une ballade mélodieuse, engageante et par la même occasion le morceau le plus connu de l'opus pris et repris un peu à outrance. Il faut dire que cette chanson ressemble étonnamment à l'indétronâble Ce Rêve Bleu révélée deux ans plus tôt au grand public par Aladdin et Jasmine… Certains n’y voyant là qu’une pâle imitation, d’autres se souviennent de L’Amour A des Ailes comme du meilleur passage musical de Poucelina. De retour chez Poucelina, les deux ados se jurent de s’aimer et de se revoir dés le lendemain.
Seulement voilà, Poucelina se réveille chez Madame Crapaud : un amphibien qui ne rêve que d’une chose, la gloire, quitte à kidnapper la jeune héroïne. En plus d'être LE personnage féminin iconique du film, l'excentrique Madame Crapaud, plus affectueusement surnommée "Mama", est le premier élément perturbateur du récit. En français, le personnage tient sa voix de Marion Game (Ruby dans Hannah Montana - Le Film, Lolita Malgré Moi, Cars - Quatre Roues, Cars 3). Dans la version originale, il s'agit de la chanteuse Charo : cette dernière n'a que peu d'expérience de doublage même si le personnage de Mama lui ressemble trait pour trait. Sa chanson Chante Poucelina traduit alors une bonne dose de cupidité et d’auto-suffisance. Une chose est sûre, s'il y a bien un morceau où la pâte ensoleillée de Barry Manilow à la sauce rumba est présente, c’est bien celle-ci. Chanteuse, danseuse, impresario, Mama s’assume et il n'y a rien qui compte plus à ses yeux que son spectacle, et éventuellement le bonheur de ses enfants. Quitte à kidnapper la pauvre Poucelina...
À côté, le protagoniste qui résume parfaitement la définition d’un forçeur dans l'univers animé est Grosso. Obsédé par Poucelina, il est encore plus oppressant que sa mère. Ultra-égocentrique, dénué de tout charme et animé par l'unique force de ses biscotos, le fils chéri de Mama harcèle littéralement Poucelina. Doublé en anglais par Joe Lynch (Le Deuxième Homme) et par Mario Santini en français (Rock-O-Rico), Grosso est un stalker, un vrai, mais le personnage en lui-même est tout le long du film insupportable.
Pendant que Poucelina se retrouve mystérieusement seule (et donc libre) sur le bateau des crapauds espagnols, sa mère, elle, est désespérée en apprenant la disparition de sa fille. Cornelius heureusement ne perd pas une minute quand il la trouve sous le choc et lui promet alors de partir à sa recherche... sans que cela ne la fasse réellement réagir ! Dommage. Pendant ce temps, la petite héroïne qui cherche à retrouver le chemin de sa maison rencontre Jaquimo. Le narrateur fait donc désormais figure de marraine la bonne fée pour Poucelina : en chantant Laisse Donc Voler Ton Coeur et en mettant tout en œuvre pour aider la jeune fille à prendre confiance en elle, il la laisse à nouveau seule pour s’envoler à la recherche de Cornélius. C’est d’ailleurs problématique : il est bien difficile de savoir tout le long du film si la quête ultime de Poucelina est de rentrer à la maison ou de retrouver son prince. Dilemme qui fondamentalement n’en est pas un tant Poucelina pouvait logiquement souhaiter l’un comme l’autre.
Jaquimo parti, Poucelina fait la rencontre de Baltringue, un scarabée sans scrupules, très tactile aux fausses allures "Fred Astairiennes". Cet impresario sorti tout droit d'un mauvais vaudeville est doublé par Gilbert Gottfried (Aladdin) dans la version originale, et par Michel Elias en français (l'acteur double donc ici deux protagonistes). Assez drôle car très caricatural, le personnage de Baltringue est par contre trop prévisible tandis que son animation reste très moyenne. Charmé lui aussi par la voix de la Poucelina, le scarabée lui propose donc une représentation sur scène et, en échange, lui promet de l’aider. Grosso, lui, piqué dans son ego, part à son tour à la recherche de Poucelina, furieux en apprenant qu'elle s'est enfuie. S'ensuit la scène du Scarabée Show, le spectacle de Baltringue ; séquence la plus psychédélique du film (et de loin). Rappelant la séquence de la future chanson de Raspoutine dans Anastasia, elle n’est elle pas rentrée dans les mémoires. Pourtant, elle reste très piquante : la critique envers le star-system, peut-être même Disney, voire le tout Hollywood, se construit autour de couleurs contrastées, tantôt flamboyantes et tantôt ternes (à la limite du glauque). Poucelina y apparaît sous le feu des projecteurs : sur le devant de la scène, elle est grimée et porte de fausses ailes. Très heureuse de chanter en public, elle doit pourtant faire face à l'hostilité des spectateurs d’insectes présents. Se tenant pour une fois au-dessus des autres, Poucelina goûte cependant un instant de gloire, stoppée dans son élan par les préjugés qui fourmillent parmi les critiques de certains insectes.
Sans aucune explication audiovisuelle, Poucelina finit encore une fois par être esseulée, en haut d’un arbre cette fois (celui du scarabée show ? Nul ne le sait). Alors que, toute déconfite, elle dit à voix haute perdre espoir, Jaquimo apparait pour la réconforter (encore une fois en un temps record). Poucelina lui fait alors part de ses doutes quant à sa beauté et il est intéressant de voir qu'un film d’animation aborde aussi directement la notion de l’estime de soi. La foule qui assistait au spectacle de Baltringue ayant été un condensé de vulgarité, de jugement à l’image, de remarques ouvertement sexistes, bien que tournées au ridicule, est ainsi responsable des nouveaux complexes de la jeune fille en fleur ! L’idée est certes très bonne mais elle n’en reste pas moins aussi vite mise de côté : Jaquimo, ”coach de vie”, reprend en effet la route et, lors d’une course-poursuite avec un renard, se blesse à l’aile. Au même moment l’hiver arrive - vraie incohérence temporelle - et Cornélius, toujours à la recherche de Poucelina aux côtés de son bourdon, affronte une tempête de neige. Victime des intempéries, le jeune homme tombe dans un lac glacé : une aubaine pour Grosso et Baltringue (deux antipodes) désormais partenaires de crime, qui pensent pouvoir retourner la situation à leur avantage (et récupérer Poucelina). Mais en récupérant le corps congelé de Cornélius, une fois encore il manque une bonne dose d'explications en plus d'une suite logique à ces deux "méchants".
Quoiqu’il en soit, Poucelina, plus seule que jamais, s’endort à nouveau dans la neige. Une théorie apparue après la sortie du film résoudrait peut-être bon nombre de questions au sujet de sa chronologie : Poucelina serait narcoleptique (un trouble du sommeil qui endort toute personne atteinte de manière incontrôlable). Mais à force, les siestes de l'héroïne lasseraient n'importe qui. Qu'à cela ne tienne, s’ensuit une ballade irritable et très insensible chantée par la mère de Poucelina, qui soit dit en passant ne bouge pas un petit doigt en comptant sur les autres pour retrouver sa fille... Et un nouveau personnage s'y attelle désormais : Mademoiselle Farfouine, certainement le dernier intervenant un peu surprenant du film. Sauvant Poucelina d’une tempête, elle représente la figure féminine peu encline à la liberté et encore moins à l’empathie. Doublée dans la version originale par Carol Channing, issue de plusieurs années de comédie dans La Croisière s’Amuse, Mademoiselle Farfouine est une souris très bavarde qui sauve Poucelina de la mort par hypothermie. Un élément dérangeant survient d'ailleurs rapidement : dés le réveil de sa petite protégée, le rongeur connaît inexplicablement son nom. Mais ce genre de couacs est monnaie courante dans le film. Quoiqu’il en soit, Mademoiselle Farfouine suggère le décès du Prince Cornélius, et là encore la réaction de Poucelina est pathétique. D’abord submergée de tristesse, elle suit l’instant d’après Mademoiselle Farfouine pour rendre visite à Monsieur Miro, et en chanson qui plus est ! Et quelle chanson : Épouse M. Miro est très drôle si l'écoute se fait au quatrième degré. Mademoiselle Farfouine loue l’opportunisme et les bienfaits du mariage intéressé, rabaissant ouvertement les histoires à l’eau-de-rose. Ce titre gagnera d'ailleurs un Razzie Award lors de la quinzième cérémonie en 1995. Aux yeux de Mademoiselle Farfouine, Poucelina doit donc impérativement épouser Monsieur Miro, devenir riche et oublier son prince ! Dépendance affective ou peur incontrôlable d’être seule ? En tous les cas, la jeune fille ne refuse pas spécialement. Mais encore une fois, il est probable que les décisions (ou les non-décisions) de Poucelina soient dues aux nombreux problèmes que connaît la production du film.
La rencontre entre Monsieur Miro et Poucelina est soporifique : rien d'intéressant ne se passe, les détails deviennent de plus en plus rares, et Monsieur Miro la grosse taupe richissime propose très mécaniquement d'épouser Poucelina. Antipathique, terriblement snob, fade, il est doublé par John Hurt (Alien, le Huitième Passager) dans la version originale et par un acteur bien connu des français, Michel Modo, le gendarme Berlicot de la brigade de Saint-Tropez. Mais le nom ne fait pas la voix, si bien que tout le potentiel de M. Miro passe à la trappe. La scène la moins crédible du film est ainsi et certainement celle où Poucelina remonte l’allée d’une église dans une robe de mariée afin d'accepter la demande de M. Miro : à partir de là, des événements se succèdent plus vite que jamais, ce qui est franchement désagréable.
Même si Poucelina refuse finalement la patte de Monsieur Miro, arrivent ensuite un Grosso enragé, un Baltringue survolté, et enfin Cornélius, sauvé des eaux ! Tout ce beau monde court après Poucelina qui se révèle enfin. Cette fois (et heureusement), elle semble plus forte : guidée par la lumière, sa rébellion est devenue salvatrice. Mais Poucelina ne sait toujours pas que Cornélius est bien vivant et qu’il est toujours à sa recherche. De retour, Jaquimo dépose Poucelina dans la tant attendue vallée des fées, où elle retrouve enfin son Cornélius. Le Printemps, la magie aussi, et tout est bien qui finit bien sous le symbole de l’arc-en-ciel !
Lorsque les personnages sont trop nombreux, il est commun de ne pas réussir à équilibrer la prestance de chacun. Poucelina en est un parfait exemple : avec un casting pourtant sérieux sur le papier, Jenny Gerard, la directrice artistique de doublage qui comptabilise plus de deux cents films à son actif (Balto, Chien Loup, Héros des Neiges, Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban, Le Roi et Moi, Le Silence des Agneaux), ne parvient pas à sauver les meubles. Outre un problème au niveau de la distribution des rôles, les paroles répétitives des nombreuses chansons sont trop souvent inutiles. Pire encore pour un scénario : les motivations des personnages manquent cruellement. Résultat, aucun ne tend à catharsiser. Trimbalée d’un endroit à un autre, sans grande continuité, l'évolution personnelle de Poucelina est en outre plus que faible, son hyper-naïveté n'arrangeant pas les choses.
Seuls Goldman, Bluth et Pomeroy peuvent se vanter de rendre hommage à Andersen en introduisant dans le film chaque personnage figurant dans le conte initial ! Une honorable initiative, mais aussi une bonne raison de se faire déborder même si le film de Bluth conserve la philosophie d'Andersen : quoi de plus actuel finalement que la peur d'être invisible dans un monde comme celui d'aujourd'hui ? Après tout, c'est exactement de cela que souffre la jeune Poucelina. Mention spéciale à Buzz tout de même, l'intrépide bourdon qui sauve Cornélius et Poucelina bon nombre de fois ! Il est par ailleurs un personnage muet - coïncidence ? - tout simplement adorable.
Contrairement aux chefs-d’œuvre comme Anastasia ou Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles, les personnages de Poucelina ressemblent plus à de petites marionnettes. Et pour couronner le tout, les arrières-plans sont très, très statiques. En termes de montage, les fondus enchaînés sont surutilisés sans doute parce qu'il s'agit d'une autre technique facile et ressource inépuisable, très à la mode dans les années 80 d'ailleurs ! Le montage de Poucelina est assuré par Fiona Trayler, une amie de longue date de Don Bluth : leur collaboration débute en 1986 où elle livre un montage de grande qualité sur Fievel et le Nouveau Monde. Elle est également en charge du montage de Rock-O-Rico en 1991, puis de Poucelina, ainsi que du superbe Anastasia. Pas de mauvaises ni de bonnes surprises sur celui de Poucelina, si ce n’est que la succession des plans se fait de façon assez prévisible. Sortant la même année que Le Roi Lion dont le budget est de plus de 260 millions de dollars, Poucelina est loin de faire le poids (pour ne pas dire la taille) avec un budget de 28 millions de dollars. Un petit budget comparable par exemple à celui de Oliver & Compagnie, sorti en 1988 avec un budget de 31 millions de dollars.
Un heureux hasard empêche Poucelina de tomber ad vitam æternam dans l’oubli. De la fin des années 80 aux années 90, Disney vit ses plus belles années et les autres studios concurrents décident de fonder (ou de remanier) leurs propres studios d'animation. Parmi eux figurent les Pixar Animation Studios, créés en 1986 à partir d'une unité de Lucasfilm Ltd. acquise par Steve Jobs. Il y a aussi Blue Sky Studios, qui fait son apparition chez Fox Entertainment Group en 1987. Ou encore DreamWorks SKG qui naît en 1994 de la collaboration entre trois réalisateurs et producteurs dont deux assez familiers : Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg l'ancien Président des studios Disney (de 1984 à 1994) et David Geffen, spécialisé dans la production musicale. Quelques mois avant la sortie de Poucelina (le 30 mars 1994), 20th Century Fox lance donc son propre studio d’animation sous le nom de Fox Animation Studios qui en profite pour faire appel à Bluth et Goldman. Ainsi, les deux animateurs quittent leur studio irlandais (Sullivan Bluth Studios) pour retourner vivre une nouvelle vie aux États-Unis.
La distribution du film change aussi d’horizon : en 2002, Warner Bros. Animation lègue les droits de Poucelina et du (Le) Lutin Magique au studio 20th Century Fox. Dès lors, la sortie en vidéo des deux longs-métrages est prévue, mais plus tard, un second changement de distribution s'effectue avec le célèbre rachat de 20th Century Fox par The Walt Disney Company en mars 2019. Poucelina entre alors officiellement dans le catalogue des films d'animation de Disney puis intègre celui de la plateforme Disney+ dès son lancement, le 12 novembre 2019.
Poucelina n'est pas une épopée grandiose, ni une démonstration fulgurante de toutes les techniques d'animation et l'adaptation en elle-même est tout sauf révolutionnaire. C'est juste un conte très poétique, un peu "dark" et dégoulinant de messages mignonnets, parfois forts. Il y a une poignée de très bons moments et l'ambiance venue de l'éclairage du film rappelle presque celle de Barry Lyndon. Mais il est vrai que l'ensemble apparaît brouillon et que le côté mielleux de l'opus tend à endormir n'importe quel spectateur au départ motivé. Les films de Don Bluth sont de toute façon plus ensorcelants que magiques : bien que mal acheminé, Poucelina n’en est pas moins culte, sans forcément avoir à se justifier. Et c’est exactement ça l’effet Don Bluth ! Ce qu'il faut en retenir ? Quelques mots du réalisateur, passé 70 ans : "L’argent est aussi important que l’art ". À méditer.