Windwagon Smith
Date de création : Le 16 mars 1961 Nom Original : Windwagon Smith Créateur(s) : Ernest Nordli (Conception) Julius Svendsen (Animation) Art Stevens (Animation) |
Apparition : Cinéma Télévision Voix Originale(s) : Rex Allen Voix Française(s) : Daniel Beretta |
Le portrait
Les légendes américaines regorgent de héros réputés pour avoir forgé l’histoire des États-Unis. Inspirés de personnages réels ou bien totalement fictifs, ces derniers sont ainsi devenus avec le temps les symboles de cette Amérique entreprenante et conquérante à l’image de Pecos Bill, Johnny Pépin de Pomme, Paul Bunyan, John Henry, Casey Jones ou bien encore du fantasque capitaine Windwagon Smith.
L’histoire de Windwagon Smith s’inspire d’un incident qui aurait eu lieu en 1853 à Westport, une petite bourgade située à quelques kilomètres de Kansas City, dans le Missouri. À l’époque, l’Amérique s’est prise de passion pour les terres sauvages de l’Ouest. Beaucoup espèrent en effet y trouver la fortune et la gloire. Des convois entiers se mettent dès lors en route pour traverser le pays en direction de cet Eldorado fantasmé.
Points de départ de l’Oregon Trail et du Santa Fe Trail, Kansas City, Independence et Westport sont en particulier des lieux de ralliement importants pour tous les migrants qui s’embarquent à bord du mythique conestoga, ce chariot hippomobile recouvert d’une grande bâche. La légende raconte alors qu’un individu se présenta un jour en ville. Nommé Windwagon Smith, il s’agissait d’un capitaine au long cours ayant abandonné la mer pour participer à son tour à la ruée vers l’Ouest. Étonnamment, son chariot n’était pas tracté par des chevaux ou des bœufs, mais, tel un navire, par une voile !
Photographie de pionniers à bord d'un conestoga, Bibliothèque du Congrès, Washington, États-Unis.
Dans d’autres versions de l’histoire, Windwagon Smith inventa et assembla son chariot directement à Westport. Pour démontrer la solidité et la vélocité de son engin, il proposa alors à plusieurs passagers d’embarquer. L’expérience tourna cependant court. Selon les uns, le chariot à voile fut rapidement détruit dans un accident. Selon les autres, la plupart des gens, charriés par les vents, furent bientôt victimes du mal de mer et sautèrent du véhicule en marche.
Si la légende de Windwagon Smithg relève du mythe, l’idée d’un chariot à voile, en revanche, est tout à fait réelle. Remontant au VIe siècle avant J.-C., à l’époque du règne de l’empereur chinois Xiao Yi de la dynastie des Liang, l’invention a parcouru les siècles. Les Égyptiens l’utilisaient dans l’Antiquité pour le transport de matériaux. Les Européens qui explorent la Chine au XVIe siècle, tels Gérard Mercator et Abraham Ortelius, en parlent notamment dans leurs Atlas respectifs. Simon Stevin, un scientifique originaire des Flandres, invente un appareil de ce type pour le compte du Prince Maurice d’Orange. À partir de la fin du XIXe siècle, le char à voile devient un outil ludique et sportif sous l’impulsion des Belges Benjamin et François Dumont.
Le concept s’exporte en Amérique dès le XIXe siècle. En décembre 1846, la presse relaie l’information selon laquelle un certain William Thomas a lui-même adapté la voile à un chariot. Sept ans plus tard, un prototype est présenté à l’U.S. Army. Une compagnie est même mise sur pied, l’Overland Navigation Company. Un autre homme, Samuel Peppard, aurait lui aussi tenté l’expérience d’un chariot à voile en 1860. Selon les journaux, il aurait parcouru quatre-cents kilomètres avant d’arriver à Fort Kearny, dans le Nebraska. Ces expériences, souvent peu fructueuses, ne tardent pas à inspirer les écrivains. Couronné d’un O. Henry Award, Wilbur Lang Schramm publie notamment Windwagon Smith and Other Yarns en 1947.
Windwagon Smith entre dans l’histoire avec grand fracas. La population de Westport vit tranquillement au rythme des pionniers qui, chaque jour, partent à l’assaut de l’Ouest sauvage en empruntant l’Oregon Trail et le Santa Fe Trail. Le vent souffle alors si fort dans la région que les habitants, exténués, passent une bonne partie de leur journée à dormir. Mais soudain, leur quiétude est rompue par l’arrivée tonitruante d’un étrange équipage.
Dans un épais nuage de poussière, Windwagon Smith fait son entrée en ville. La panique s’empare des habitants mais aussi des animaux jusqu’alors somnolents. Les Indiens prennent la fuite. Les chiens aboient quand la « caravane passe » ! Smith fixe bientôt ses amarres devant le bar de la rue principale. En retombant, la poussière laisse entrevoir un chariot de pionnier. Mais – étrange ! – il n’y a pas de bœufs pour le tirer. À la place, un pont a été installé avec un mât, une grande voile et une barre de gouvernail. À la tête de cet engin saugrenu, le fringant capitaine Windwagon Smith déploie l’échelle pour descendre et aller à la rencontre des badauds.
« Salut à vous, moussaillons ! », lance le baroudeur des océans à la foule plus que circonspecte en observant ce curieux attelage et son non-moins étrange capitaine. Avec panache, Smith explique alors être venu jusqu’ici pour sillonner les grands prairies de l’Ouest. « Comme on dit à Cancale, j’ai la dalle, Amiral ! ». Trêve de bavardages, Smith entre dans le saloon pour casser la croûte.
S’il est peu séduit par la nourriture locale, Windwagon Smith tombe littéralement sous le charme de la serveuse, Molly, qui n’est autre que la fille du maire. Complètement gaga, le capitaine ne parvient plus à contrôler ses sentiments. Le maire ne tarde cependant pas à lui remettre les pieds sur terre. L’édile s’interroge en effet sur ce mystérieux chariot. À défaut de transporter des passagers, peut-il déplacer des marchandises, se demande-t-il. Vantant les qualités de son vaisseau, Smith s’enflamme. « La prairie ressemble à l’océan, en plus vert et en plus sec », note-t-il. Pointant sa longue-vue vers une carte, il explique que son chariot est capable de remonter le Santa Fe Trail en seulement quatorze jours, contre deux mois pour un attelage à bœufs.
Sentant bien que cette invention pourrait participer à l’enrichissement de la ville, la population et son maire sont extatiques. Pour maximiser les gains, l’élu propose bientôt d’agrandir encore davantage le chariot à voile. Il partage alors la même idée que Smith qui, lui-même, avait pour ambition de construire un jour une goélette plus grande. La création d’une nouvelle société, The Prairie Clipper Company, est immédiatement entérinée. L’argent est rassemblé. Les travaux de construction du véhicule débutent sur le champ. Chaque soir, Windwagon Smith peut constater à quel point le chantier avance vite. C’est également l’occasion de conter fleurette à la belle Molly, au grand dam du maire qui tente par tous les moyens de mettre un terme à cette romance.
Le jour vient enfin où le gigantesque chariot à voile est prêt pour son voyage inaugural. Vêtu de son habit d’amiral, le capitaine Smith est lui aussi fin prêt à recevoir ses passagers. Tous les notables de la ville ont fait le déplacement. Les hommes sont invités à embarquer. Poussé par le vent, le galion se met enfin en mouvement, fendant à 60 km/h les herbes hautes de la prairie. Mais le roulis est tel que les passagers sont bientôt pris de nausées. Tous exigent de rentrer à la maison. Agacé par leurs jérémiades, Smith accepte de faire de demi-tour. Cap est donc mis sur Westport.
Mais rien ne fonctionne comme prévu... Les roues sont bloquées. Le gouvernail est coincé. Certains passagers se jettent par-dessus bord. Windwagon Smith se retrouve finalement seul à bord. Enfin, pas tout à fait... La belle Molly a embarqué en cachette. Leur romance est cependant mise à mal par la formation d’un gigantesque ouragan qui avale le chariot à voile. La légende raconte que depuis, Smith continue de lutter pour sortir de la tempête, voguant pour l’éternité dans l’étendue du ciel aux côtés de sa chère et tendre...
Mis en production à la fin des années 1950 afin d’occuper certains artistes entre deux projets d’envergure, La Belle au Bois Dormant et Les 101 Dalmatiens, Le Chariot à Voile est signé par Charles A. Nichols et Lance Nolley. Les deux auteurs s’inspirent alors de la légende, piochant par-ci, par-là des éléments dans ses différentes versions. Comme dans le récit original, Westport devient l’épicentre de l’intrigue. La tempête ayant détruit le vaisseau est également gardée, tout comme la scène des notables qui se jettent par-dessus bord pour échapper au mal de mer. L’idée qu’eut William Thomas de créer une compagnie pour le transport de marchandises est elle aussi conservée.
Ultime réalisation de Charles A. Nichols, Le Chariot à Voile est une étape charnière dans la long filmographie des studios Disney. Sorti en 1961, il est en effet l’un des derniers courts-métrages produits par la firme aux grandes oreilles. Après avoir fait la fortune de la compagnie, le format n’est plus rentable. Il n’est surtout plus plébiscité par les exploitants de salle. Le public lui-même préfère désormais les programmations rassemblant deux longs-métrages. Le court-métrage a fait son temps. Walt a donc décidé de tourner cette page et de concentrer les efforts sur des fictions plus longues.
À l’époque parmi les derniers du genre, Le Chariot à Voile se distingue par ailleurs par son style visuel. Au cours des années 1950 et 1960, la mode est en effet au minimalisme, un choix largement impulsé par les studios UPA avec des productions comme Gerald McBoing Boing et Mr. Magoo. Appréciée du public et surtout beaucoup moins onéreuse, cette animation limitée a dès lors pris le pas sur les animations complexes et les décors fourmillant de détails à présent jugés d’un autre temps. Bien qu’il déteste ce style, Walt Disney n’a lui-même pas eu d’autre choix que de prendre ce virage. Bien avant la fin de la réalisation de La Belle au Bois Dormant, dernier long-métrage produit avec la technique ancienne, il l’utilise alors pour créer des cartoons comme Adventures in Music : Melody. Il s’en sert aussi à la télévision. Le style minimaliste est également utilisé lors de la conception des (Les) 101 Dalmatiens.
Reprenant ce style plus simple, les personnages du (Le) Chariot à Voile sont conçus par Ernest Nordli. Né à Salt Lake City le 15 juin 1912, l’artiste étudie à la Santa Barbara School of the Arts avant d’être engagé par Disney en 1936. Il sert alors comme directeur artistique et artiste de layout sur des films comme Fantasia et Dumbo. Travaillant également sur plusieurs cartoons avec Donald, il quitte un temps les studios au milieu des années 1950 et débute une collaboration avec Chuck Jones. Nordli signe cependant rapidement son retour chez Disney. Il œuvre ainsi sur La Belle au Bois Dormant et Les 101 Dalmatiens, participant à définir le style si particulier de ce dernier film. Dans les années 1960, Ernest Nordli passe chez Hanna-Barbera et planche sur The Alvin Show, Yogi l’Ours ou bien encore The Man From Button Willow. Il décède le 22 avril 1968 à l’âge de cinquante-cinq ans.
Recherches graphiques pour le personnage de Windwagon Smith
Sous la mine d’Ernest Nordli, Windwagon Smith apparaît sous les traits d’un fringant capitaine de navire. Les épaules larges et la carrure imposante, son visage est marqué par un nez droit et pointu, une mâchoire prononcée et une chevelure blonde prolongée par des favoris. Certains pourraient voir dans ce profil une caricature de Kirk Douglas à l'époque où il jouait Ned Land dans 20 000 Lieues Sous les Mers, le classique d'aventure réalisé par Richard Fleischer en 1954. Malgré les mauvaises passes et les tempêtes, Windwagon Smith sourit toujours à pleines dents. L’un des ressorts comiques du film repose sur le fait que son visage est souvent montré de profil, comme si le bellâtre frimeur prenait la pose.
L’animation du court-métrage est assurée par un duo d’artistes, Julius Svendsen et Art Stevens.
Originaire de Norvège où il voit le jour en 1919, Julius Svendsen entre chez Disney en 1940. Engagé dans l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale, il participe alors à la création de plusieurs courts-métrages : Adventures in Music : Melody, Les Instruments de Musique, Donald Visite le Grand Canyon. Associé à la production des émissions Man and the Moon, Mars et Au-Delà et À la Conquête de l'Espace réalisées par Ward Kimball, il travaille aussi sur quelques longs-métrages, Les 101 Dalmatiens, Les Aristochats, L’Apprentie Sorcière ainsi que Robin des Bois et Les Aventures de Winnie l’Ourson pour lesquels il sert comme scénariste. Également auteur de bandes dessinées, Julius Svendsen disparaît en août 1971.
Art Stevens naît le 1er mai 1915 à Roy, dans le Montana. Commençant chez Disney en 1939 en tant qu'intervalliste sur Fantasia, il participe à la plupart des longs-métrages des studios, en particulier Peter Pan pour lequel il est promu animateur du personnage principal. En 1977, il coréalise Les Aventures de Bernard et Bianca aux côtés de Wolfgang Reitherman et John Lounsbery. Animateur d'Evinrude, il supervise ensuite Rox et Rouky et Taram et le Chaudron Magique. Il quitte les studios Disney en 1983, avant la fin de production de ce dernier film. Il décède le 22 mai 2007.
En version originale, Windwagon Smith est interprété par le comédien et chanteur Rex Allen. Né à Willcox le 31 décembre 1920, il se passionne très jeune pour la musique, la chanson et la scène. Exerçant comme cavalier de rodéo, Allen débute sa carrière à la radio en apparaissant sur les ondes de la station KOY établie à Phoenix, dans l’Arizona, puis sur celles de WLS à Chicago. Il profite alors de la mode pour les cow-boys chanteurs qui lui permet de signer à Hollywood. À l’affiche de nombreux westerns, le comédien se lie d’amitié avec Walt Disney qui utilise ses talents dans La Légende de Lobo, L’Incroyable Randonnée ou bien encore au sein du Carousel of Progress. Honoré d’un Disney Legends Award, Rex Allen disparaît le 17 décembre 1999.
En France, le rôle est tenu par Daniel Beretta. Né le 24 décembre 1946 à Audincourt, dans le Doubs, l’acteur commence le solfège dès l’âge de trois ans et monte sur scène dès ses treize ans. Repéré à Montbéliard, il monte à Paris et suit les cours du Petit Conservatoire de la Chanson de Mireille. Il y rencontre Richard de Bordeaux avec qui il forme un duo couronné de succès. Dès 1966, il apparaît au théâtre dans Copain Clopants, puis dans son premier film, Un Été Sauvage. Depuis 1988, Daniel Beretta est la voix française d’Arnold Schwarzenegger. Il interprète aussi, entre autres, Lumière dans La Belle et la Bête et le maire dans L’Étrange Noël de Monsieur Jack.
Protagoniste principal d’un court-métrage souvent oublié, Windwagon Smith n’en reste pas moins un personnage sympathique. Amusant et intrigant, il est surtout l’un des meilleurs représentants de l’animation Disney telle qu’elle était produite au tout début des années 1960.