Le Seigneur des Ténèbres
Date de création : Le 24 juillet 1985 Nom Original : The Horned King Créateur(s) : Phil Nibbelink Steven Gordon Doug Krohn |
Apparition : Cinéma Télévision Jeux Vidéo Parcs Voix Originale(s) : John Hurt Voix Française(s) : Jean Violette (1985) Bernard Tiphaine (1998) |
Le portrait
Au début des années 1980, le département animation des studios Disney est en plein marasme. Walt est mort. La majorité de ses artistes historiques, dont la totalité de ses Vieux Messieurs à l’exception d’Eric Larson, sont partis à la retraite. La nouvelle génération doit prendre la relève. Le défi est de taille. Les scénaristes portent leur attention sur l’œuvre de Lloyd Alexander Les Chroniques de Prydain, publiée en 1962. Dans le rôle du méchant, le terrible Seigneur des Ténèbres.
A l’époque de la réalisation de Taram et le Chaudron Magique, l’heroïc-fantasy est en vogue à Hollywood. Les plus grands studios s’y sont en effet intéressés. Ralph Bakshi a adapté Le Seigneur des Anneaux de Tolkien. Sont également sortis en salle durant la décennie des films comme Conan le Barbare, Excalibur, Le Dragon du Lac de Feu, Dark Crystal, Legend, L’Histoire sans fin ou Willow. Avec Les Chroniques de Prydain, une série de cinq livres, les studios Disney pensent tenir un bon filon. Leur choix se porte alors principalement sur les deux premiers ouvrages de la collection, Le Livre des Trois et Le Chaudron Noir.
Dans l’œuvre de Lloyd Alexander, le Seigneur des Ténèbres n’est pas le principal antagoniste du récit. Nommé le Roi Cornu dans le texte, il apparaît dans le premier ouvrage de la série, Le Livre des Trois (The Book of Three). L’histoire est celle de Taran, jeune valet de ferme en charge du cochon Hen Wen et rêvant d’évasion et d’aventure. Sa vie est chamboulée lorsque le Roi Cornu arrive sur les terres de Prydain. Envoyé par le Roi Arawn, le méchant est là pour tuer la truie douée d’un pouvoir de divination. Capturé, ainsi que le Seigneur Gwydion, par le méchant à tête de cerf, Taran est libéré par la jeune magicienne Eilowny. Armé de l'épée de Dyrnwyn, il affronte alors le Roi Cornu Arawn, une liche, créature légendaire se maintenant dans un état de mort-vivance grâce à la magie, et son armée de morts revenus à la vie grâce aux pouvoirs du chaudron.
Au moment d’adapter Les Chroniques de Prydain et d’écrire le scénario de Taram et le Chaudron Magique, les scénaristes de Disney décident d’apporter toute une série de changements à l’histoire originale. Le but est de simplifier le propos. Parmi les modifications notables, le rôle du méchant principal est changé. Le Roi Arawn, propriétaire du chaudron magique capable de réveiller une armée de morts, est évincé de l’intrigue. Seule la courte introduction évoque son personnage sans jamais le nommer directement. Il est remplacé par le Roi Cornu. Dans l’œuvre originale, il s’agit du meilleur serviteur d’Arawn, envoyé dans le tome 1 pour tuer la truie. Ce choix de substituer un méchant par un autre s’explique par le fait que les artistes, ainsi que le producteur Joe Hale, pensaient, au moment de la production du film, que le public adhèrerait davantage à un méchant doté de cornes comme Maléfique et Chernabog. Le méchant de Taram et le Chaudron Magique s’apparente donc davantage à un mélange du Roi Arawn et du Roi Cornu. A noter que dans la version française, il change de nom. Les traducteurs refusent en effet de conserver le titre de Roi Cornu, Horned King dans la version originale, jugé trop connoté. Le méchant devient alors en France le Seigneur des Ténèbres.
Le Seigneur des Ténèbres apparaît pour la première fois dans une vision du cochon Tirelire. Lancé au grand galop, ses dragons et lui cherchent quelque chose… le chaudron magique… artefact ancien, une arme terrible cachée depuis des siècles capable de ramener les morts à la vie. Si Taram se propose pour lutter contre le démon, Dalben le met en garde contre ses maléfices. Observant son jeune garçon de ferme partir avec le cochon magique, le vieil homme s’inquiète des dangers qui attendent le héros… Sans être encore entré dans l’intrigue, le Seigneur des Ténèbres est annoncé comme un ennemi redoutable. Vivant dans un château en ruines couvert de ronces et noyé dans l’obscurité, cet ennemi attend en effet son heure. Si le spectateur ne sait rien de ses origines, il en apprend bientôt plus sur ses sombres desseins. Au cœur de la forteresse, il a rassemblé les cadavres de ses anciens soldats… Des dizaines, des centaines, des milliers de squelettes en armures défaits lors des guerres passées. A son armée de morts, il promet de trouver bientôt le chaudron qui la fera renaître. Et lorsqu’il sera enfin son maître vénéré, il pourra étancher sa soif d’être un Dieu et régner sur les mortels…
En attendant de réveiller les morts, le Seigneur des Ténèbres doit composer avec les hommes. Brigands et mercenaires de toutes espèces occupent le château du méchant. Passant leur temps à faire la fête, à boire, à manger et à martyriser Crapaud, le serviteur hideux du méchant, ils semblent inconscients du danger et ignorants des terribles projets de leur maître. Vivant dans l’insouciance la plus totale, ils n’ont pour l’heure qu’une seule crainte, le Seigneur des Ténèbres lui-même qui, lorsqu’il entre dans sa demeure, inspire tellement la peur qu’un silence de mort envahit les lieux. Un vent lugubre fait bouger les bannières en lambeaux. La musique cesse. L’obscurité l’emporte sur la lumière des bougies. Les durs à cuir cessent de boire et de manger. Dans un torrent de flammes, de lumière et de fumée, le Seigneur des Ténèbres apparaît… Seul Crapaud semble se réjouir de l’arrivée de son Maître, là pour utiliser les pouvoirs magiques de Tirelire, fraichement kidnappée.
Mais c’est sans compter sur Taram qui a escaladé les murs du château pour venir en aide à sa protégée. Sommé de faire parler l’animal magique, le garçon parvient à le faire échapper. Et Taram lui-même réussit à s’enfuir de la forteresse grâce à ses amis et à son épée magique. Le Seigneur des Ténèbres, ignorant toujours où se trouve le chaudron magique, semble pour le moment hors course… Il envoie ses dragons suivre le garçon de ferme qui, il l’espère, les mènera vers l’objet magique. Avec de la chance et du hasard, c’est chose faite après que Taram ait conclu un marché avec les Sorcières de Morva. Le Seigneur des Ténèbres, dont l’armée des morts continue à grossir au fur et à mesure que des squelettes lui sont amenés, peut exercer sa sorcellerie. Sous les yeux de Taram, Eilowny et Ritournelle, ligotés, il plonge l’un des cadavres dans le chaudron crachant de la lumière. Une mystérieuse fumée verte se répand dans la pièce, ramenant sur son passage les morts à la vie.
Les soldats défunts de toutes les guerres des siècles passés se mettent en marche sous les yeux de leur Maître et de ses mercenaires qui, pour ceux qui ne sont pas tués, prennent la fuite. Le Seigneur des Ténèbres triomphe et envoie ses guerriers de l’au-delà répandre la mort et la désolation. Mais le sortilège du chaudron a une faille. Si un être vivant se jette dedans de son plein gré, toute magie cesse immédiatement. Gurgi, la boule de poils, se dévoue. En plongeant dans le chaudron, il provoque l’anéantissement de l’armée des morts. L’objet magique ravale sa mystérieuse fumée verte et engendre un souffle terrible avalant tout sur son passage. Sur le point de tuer Taram, le Seigneur des Ténèbres est aspiré. Déchiqueté, le démon est vaincu par le chaudron…
Décrit comme un homme dans l’œuvre de Lloyd Alexander, le Seigneur des Ténèbres est clairement, dans le film de Disney, un monstre, un squelette pourri dépourvu de chair mais possédant encore sa peau verdâtre vérolée sur les os. Nul ne sait si le méchant est mort ou vivant. Vêtu d’un large manteau pourpre rehaussé d’un col de fourrure, son crâne percé de deux cornes est dissimulé dans l’ombre, sous une capuche ne laissant entrevoir que ses yeux rouges. Le Seigneur des Ténèbres est un ennemi redoutable ne souhaitant rien de moins que de devenir un Dieu. Grand, mystérieux, le démon se déplace lentement et parle d’une voix caverneuse. Inspirant une crainte immense à ses hommes de mains, notamment Crapaud, il est capable des pires cruautés pour arriver à ses fins. Enlevant toute personne capable de l’aider à trouver le chaudron magique, il est prêt à tuer ceux qui se dressent en travers de son chemin. Il condamne ainsi à mort la cochonne Tirelire dès lors que, Taram refusant d'user de ses pouvoirs, elle ne lui est d'aucune utilité. Cependant, si le Seigneur des Ténèbres est terrifiant, il se salit jamais les mains et n’use que de très peu de magie. Il dispose en effet de bras armés pour accomplir ses projets. Dragons et mercenaires sont, il est vrai, aux ordres de celui qui ne semble jamais quitter son lugubre château.
Sur le papier, le Seigneur des Ténèbres est un méchant formidable. Une intrigue dans laquelle les héros sont menacés par un démon aux pouvoirs extraordinaires est en effet très attrayante. Mais le résultat est-il réellement à la hauteur ? Celui qui maîtrise la sorcellerie n’use pas de sa magie… Celui qui aurait dû rester dans l’ombre apparaît trop souvent en pleine lumière, révélant tout le côté mystérieux de son apparence… Celui qui aurait dû s’élever au-dessus du lot partage le même environnement que des mercenaires minables et pitoyables… Celui qui aurait dû inspirer une crainte immense est à un moment neutralisé par Taram qui lui envoie une simple projection d’eau dans les yeux… Celui qui contrôle le chaudron est incapable de résister à son aspiration dans l’objet ensorcelé… Le Seigneur des Ténèbres ne tient manifestement pas son rang ! Le méchant a clairement souffert des frasques de la production. Lancée sous l’ère Ron Miller, la réalisation de Taram et le Chaudron Magique est léguée en 1984 aux équipes de Roy E. Disney, Michael Eisner et Frank Wells. Jeffrey Katzenberg, nouveau responsable du département animation, assiste stupéfait à une projection calamiteuse du film et sanctionne les équipes par des coupures drastiques dans une histoire jugée médiocre. Pour rendre le film sortable, il supprime plusieurs scènes du méchant et de son armée de morts. Le Seigneur des Ténèbres est sacrifié sur l’autel de la décence…
Dans l’œuvre de Lloyd Alexander, le Roi Cornu / Seigneur des Ténèbres est décrit comme un homme imposant, vêtu d’une armure et d’une cape rouge et portant un masque en forme de tête de mort ornée de cornes. Envoyé pour tuer Tirelire, il inspire la crainte avec ses bois de cerfs. Chez Disney, le personnage perd son armure, bien que celle-ci soit présente sur certaines recherches graphiques qui le montre d’ailleurs à cheval. Ressemblant sensiblement, sur certains dessins, à un Nazgûl tout droit sorti du (Le) Seigneur des Anneaux, le méchant est principalement animé par trois artistes, Phil Nibbelink, Steven Gordon et Doug Krohn. Elève de CalArts, Nibbelink débute auprès d’Eric Larson sur Rox et Rouky. Il travaille ensuite sur Basil Détective Privé, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit, puis Fievel au Far West et Les Quatre Dinosaures et le Cirque Magique pour Amblin et Casper pour Universal. Steven Gordon débute avec Ralph Bakshi sur Le Seigneur des Anneaux, American Pop, Hey, Good Lookin et Tygra, la Glace et le Feu. Il passe ensuite chez Disney et collabore à Taram et le Chaudron Magique, Basil Détective Privé et Oliver & Compagnie. Son nom est également au générique du (Le) Cygne et la Princesse, la série animée X-Men : Evolution, Madagascar, Shrek 2, Nos Voisins, les Hommes, Avengers, l’Ere des Supers-Héros. Après le Seigneur des Ténèbres, Doug Krohn a quant à lui travaillé sur Basil Détective Privé, Oliver & Compagnie, La Petite Sirène, Le Prince et le Pauvre, Bernard et Bianca au Pays des Kangourous, La Belle et la Bête, Aladdin, Pocahontas, Une Légende Indienne, Le Bossu de Notre-Dame, Atlantide, l’Empire Perdu, La Famille Delajungle, La Planète au Trésor - Un Nouvel Univers, Les Razmokets et La Petite Fille aux Allumettes.
Dans la version originale, le Seigneur des Ténèbres est doublé par John Hurt. Le comédien d’origine britannique est notamment à l’affiche de films comme Midnight Express, Alien, le Huitième Passager, Elephant Man, La Nuit de l’Evasion, 1984, Rob Roy, Harry Potter à l’Ecole des Sorciers, Hellboy, V pour Vendetta, Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal ou Hercule. Pour Disney, il narre en outre Les Aventures de Tigrou et prête sa voix à Felix dans Vaillant - Pigeon de Combat !.
En Français, le méchant est interprété par Jean Violette dans le premier doublage de 1985. Voix d’Ernest Borgnine, Lee Marvin et Anthony Quinn, Violette a également doublé le chef Œil noir dans Davy Crockett, Roi des Trappeurs et Jenner dans Brisby et le Secret de NIMH. Lors du redoublage de 1998, il est remplacé par Bernard Tiphaine, voix attitrée de Christopher Walken, Chuck Norris, James Caan, Donald Sutherland, Warren Beatty, John Hurt et interprète de personnages comme le Docteur Finkelstein et Anton Ego.
Le Seigneur des Ténèbres refait quelques apparitions dans la série télévisée Disney’s Tous en Boîte. Dans l’épisode Le Club de Magie, Daisy utilise en outre son chaudron magique et réveille par mégarde les morts.
Le méchant est également présent dans plusieurs jeux vidéo. Il apparaît dans l’adaptation de Taram et le Chaudron magique et est aussi le boss du jeu vidéo Land of Illusion starring Mickey Mouse ainsi que du jeu Mickey Mouse.
Le Seigneur des Ténèbres est représenté dans l’ancienne attraction de Tokyo Disneyland, Cinderella Castle Mystery Tour. Les visiteurs y croisaient le Miroir magique et faisaient face au démon devant le chaudron magique. L’un d’eux devaient alors vaincre le méchant à l’aide de l’épée magique.
Il Était une Fois un Studio
En 2023, les Walt Disney Animation Studios célèbrent en grande pompe leur centième anniversaire avec Il Était une Fois un Studio, un court-métrage spécial dans lequel sont exceptionnellement rassemblés des centaines de personnages Disney d’hier et d’aujourd’hui. Le Seigneur des Ténèbres est notamment de la partie et figure sur la grande et belle photo de famille prise sur l’esplanade du Roy E. Disney Animation Building.
Si la promesse était grande, le Seigneur des Ténèbres est un méchant qui laisse sur sa faim. Le démon ne possède en effet pas de scène digne de ce nom. Vaincu trop facilement, il demeure l’une des grandes déceptions de Taram et le Chaudron Magique…