Le Québec, province canadienne francophone perdue dans un océan anglophone,
se bat depuis des siècles pour la survie de la langue française en Amérique. Pourtant la langue parlée dans la Belle Province, si elle est identique à l'écrit, se distingue sur bien des points du français parlé dans l'Hexagone. Les expressions, les intonations et, bien entendu l'accent, définissent ainsi les deux variétés de français. C'est donc dans le but d'adapter au public franco-américain les films et séries télévisées que le doublage québécois naît dans les années soixante, que ce soit pour un doublage franchement québécois (comme Les Pierrafeu ou, plus récemment Les Simpson) ou pour un doublage en québécois dit international. Il s'agit là d'un français dénué de l'accent symptomatique à la nuance près que les anglicismes y sont prononcés avec une tonalité anglo-saxonne inusitée en France : exit donc l'argot parisien ou certaines expressions que seuls les Québécois purs souches ne sauraient comprendre.
La Walt Disney Company est, avec Un
Singulier Directeur du côté des films de prises de vue réelles et
Oliver et
Compagnie pour les films d'animation, l'une des premières compagnies du cinéma hollywoodien à décider de faire doubler (presque) tous ses films au Québec. Et c'est un fait notable dans la mesure où il n'existe pas – contrairement à la France – de législation contraignante en la matière : dans l'Hexagone, il n'est, en effet, pas permis de sortir en salles un film avec un doublage V. F. non réalisé en France. Ainsi, si Les Muppets ou Les 2 Font la Père ne bénéficient pas d'un doublage franco-français, c'est uniquement parce que ces deux films ne sont pas sortis au cinéma dans l'Hexagone, mais directement en vidéo (ce marché échappant à la contrainte d'un doublage national). Tant pour son label historique que pour celui de ses filiales, Disney a donc su se démarquer rapidement dans le marché cinématographique québécois avec une V. F. locale, enregistrée dans la province et impliquant de fait une adaptation, des comédiens de doublage, des chansons et… des titres qui sont dès lors différents de la France !
Et encore : en ces matières, il n'existe pas de règle 100% figée !
Pour les longs-métrages d'animation, il faut par exemple attendre la suite des Aventures de Bernard et Bianca
pour voir une légère différence dans un titre, même si le film bénéficie du
même doublage qu'en France ; l'œuvre s'appelant dans la Belle Province Bernard et Bianca en Australie. Il s'agit là d'une tendance très marquée au Québec de rester au plus proche possible, dans ses traductions de titres et ses adaptations de dialogues, des productions originelles autant cinématographiques que télévisuelles. Manque d'imagination ? C'est mal connaitre la détermination québécoise. Exigences des studios américains ? Plus surement. Il faut prendre conscience, pour comprendre la démarche, que les marchés canadien et mexicain sont intégrés au marché américain : or, la plupart du temps, les titres sont choisis par l'équipe marketing d'Hollywood, tout comme le titre original, qui par souci d'unicité, reste attaché à son respect !
Si des films affichent des titres différents des deux côtés de l'Atlantique, beaucoup de productions sont aussi appelées de façon identique sur les deux marchés, que ce soit pour des raisons évidentes (comment traduire autrement Le Bossu de Notre-Dame ou Hercule
?) ou littéraires (quel outrage au conte original aurait-il été de l'appeler autrement que La Petite Sirène ?) ; et cela, bien que ces films aient eu des doublages différents !
Au contraire, certains longs-métrages qui n'ont jamais bénéficié d'un doublage « made in » Québec, voient leurs titres traduits de deux façons différentes. Mélodie Cocktail et Le Crapaud et le Maître d'École s'appellent ainsi Le Temps d'une Mélodie et Contes d'Automne et de Printemps. Bizarrement pour ces deux cas, les titres québécois ont le désir de s'éloigner des originaux, alors que ceux de la France s'y collent plus ! Dans la même lignée, Dingo et Max et Les Aventures de Porcinet, ne bénéficiant eux-aussi que d'un seul doublage français, sont nommés en Amérique Complètement Dingo et Le
Grand Film de Porcinet.
Un autre phénomène purement québécois est de traduire tous les titres de films, alors que la France garde souvent les titres anglais (quelques fois accompagnés d'un sous-titre). Dans le cadre d'un Québec qui se bat pour protéger et promulguer la langue française, ce serait, en effet, une véritable hérésie
que de laisser les titres en langue originale. Contrairement à l'Hexagone, la Belle province s'est, il est vrai, longtemps sentie menacée par la suprématie de l'anglais, et a très vite dû lutter pour préserver son identité socioculturelle. Bien que très ouverte à l'anglais, il est donc normal que la population québécoise fasse très attention à sa langue et trouve, dans sa défense, légitime de traduire tous les titres de productions audiovisuelles anglophones. C'est pourquoi Toy Story, Cars, Chicken Little et The Wild deviennent respectivement Histoire de
Jouets, Les
Bagnoles, Petit Poulet et La Vie Sauvage au Québec. Ce qui évite en même temps de grossières erreurs de prononciation des titres de films dont les Français se sont fait une spécialité !
À un tout autre niveau, les suites des films d'animation se voient aussi souvent additionnées de sous-titres différents dans les deux pays, alors que le titre principal reste le même. Pocahontas 2 : Un Monde Nouveau, Le Roi Lion 2 : L'Honneur de la Tribu et Lilo & Stitch 2 : Hawaï, Nous Avons un Problème !, pour n'en nommer que quelques-unes, deviennent alors Pocahontas II : À la
Découverte d'un Monde Nouveau, Le
Roi Lion II : La Fierté de Simba et Lilo et Stitch 2 : Stitch
Fait Clic au Québec.
Cependant, depuis quelques années, de plus en plus les titres semblent devenir les mêmes en France et au Québec. Bienvenue chez les Robinson, La
Princesse et la Grenouille, Raiponce, Rebelle et même le petit dernier : Les Mondes de Ralph font titre commun dans toutes les communautés francophones. Serait-ce le son du glas pour la différenciation des titres québécois et européens ? Un effet collatéral de la mondialisation de l'information et du marketing ; un titre identique facilitant la propagation d'une campagne sur le net ? Une chose est sure : quelle perte serait-ce de ne plus avoir cette petite particularité qui permet de distinguer les versions québécoises ! Heureusement, là encore, la règle n'est pas figée : certains titres québécois (L'Université des
Monstres, le prochain Pixar, par exemple) continuant de se distinguer du cousin français...