Le Rat

Si les artistes des studios Disney ont su donner naissance à des méchants iconiques dotés de pouvoirs surnaturels incroyables, ils ont aussi parfois utilisé comme antagonistes des menaces du quotidien qui, à leur niveau, représentent malgré tout un danger. Dans La Belle et le Clochard, c’est ainsi un simple Rat qui incarne une menace pour Lady, Clochard et surtout le petit bébé de Jim et Darling.

Le Rat apparaît furtivement dès la huitième minute du film. Alors que Lady, devenue adulte, se promène joyeusement dans le jardin au petit matin, le rongeur surgit d'une pile de bois. Il est toutefois coupé dans son élan par la chienne qui lui fonce dessus en aboyant. Effrayée, la petite vermine parvient à s’échapper en se glissant dans une entaille creusée en bas de la clôture. Elle traverse alors une ruelle et passe chez un voisin. Lady cesse de la poursuivre lorsque son attention est détournée par le facteur qui arrive avec le journal.

Le Rat disparaît ainsi de l’intrigue pour ne revenir que durant l’acte final. Sur ordre de Tante Sarah, Lady a été attachée à l’extérieur de la maison. Désespérée, l’héroïne vient en outre d’éconduire Clochard qui, pense-t-elle, n’est qu’un coureur de jupons sans vergogne. Alors que la nuit est en train de tomber, le Rat profite de l’instant pour s’immiscer dans le jardin. Pénétrant par le même trou dans la clôture qui lui avait permis plus tôt de fuir, le rongeur est une fois encore surpris par Lady qui, désormais enchaînée, n’est pas en capacité de le chasser. Rien n’empêche dès lors le Rat de grimper le long d’un treillis, de longer la gouttière et enfin de rentrer à l’intérieur de la maison, dans la chambre même du bébé de Jim et Darling…

Alerté par les aboiements de Lady, Clochard fait demi-tour et revient sur ses pas. Tentant de toute ses forces de se détacher, en vain, la chienne prévient son amant qu’un Rat se trouve dans la chambre du bébé. Grâce à la chatière, Clochard réussit lui-même à entrer dans la maison. Montant à l’étage, il ne tarde pas à apercevoir les yeux luisants du Rat, caché sous une commode.

Commence alors un combat dantesque entre le chien et le rongeur. Dans l’obscurité de la pièce seulement éclairée par la foudre qui frappe dehors, tous les deux se cherchent à travers le mobilier. Si Clochard possède des crocs acérés et une force physique supérieure, le Rat bénéficie de sa rapidité et d’une aptitude à se cacher dans tous les recoins. Une chaise est renversée. Une cruche et son bassin sont brisés sur le sol…

Soudain, le Rat parvient à grimper sur le landau du bébé. Parvenue à briser sa chaîne, Lady surgit elle aussi dans la chambre au moment où Clochard saute sur le petit lit pour neutraliser l’animal. Sous son poids, le meuble bascule. Réveillée par les pleurs du bébé, Tante Sarah débarque enfin. En découvrant la pièce sens dessus dessous, la vieille femme panique. Après s’être précipitée pour s’assurer que le nouveau-né allait bien, elle s’en prend aux chiens. Lady est placée à la cave. Blessé à la patte, Clochard est enfermé dans le placard en attendant que la fourrière n’arrive pour l’emmener.

La vérité n’éclate que bien plus tard, lorsque Lady parvient à montrer à ses véritables maîtres, Jim et Darling, le cadavre du rat gisant sous le rideau. Une course effrénée débute alors dans la nuit pour sauver Clochard d’une mort certaine. Ce dernier est finalement sauvé de la fourrière in-extremis grâce à l’intervention de Jock et César.

Si le film ne sort dans les salles américaines qu’en juin 1955, la genèse de La Belle et le Clochard remonte à la fin des années 1930. Fort du succès incroyable de Blanche Neige et les Sept Nains, Walt Disney lance en effet le développement de dizaines de scripts destinés à la production de futurs longs-métrages animés. Galvanisé par tout ce remue-méninge, le scénariste Joe Grant propose alors le premier jet d’un récit mettant en scène sa petite chienne, Lady. Si Disney est au départ enthousiaste, le texte est cependant écarté au moment où la Seconde Guerre mondiale frappe de plein fouet l’activité des studios.

Ward Greene

Lorsque la production est remise sur les rails, Walt Disney souhaite coupler l’histoire de Lady avec un ouvrage qu’il a récemment découvert, Happy Dan, the Whistling Dog, and Miss Patsy, the Beautiful Spaniel de Ward Greene. L’auteur est lui-même associé à l’écriture d’un nouveau roman, Les Aventures de Lady, publié en 1955, année de la sortie du film. Dans ce livre, le Rat entre en scène dans le chapitre XI. Le lecteur apprend alors que le rongeur surveille la maison des Darling depuis bien longtemps, maintenant. Vivant dans un puisard au bout du jardin, il profite de la nuit noire pour pénétrer dans la cuisine grâce à la porte restée entrebâillée. Il grimpe bientôt les escaliers, attiré par la lumière de la veilleuse du bébé. Prêt à attaquer l’enfant, le Rat est finalement tué par Clochard (ou le Kid dans la traduction française de 1956). Pourtant, au moment où le chien des rues est emporté à la fourrière, le corps du rongeur a disparu. Impossible, donc, pour Lady, de prouver l’acte de bravoure de son compagnon. Le Rat sans vie a en fait été chapardé par Am qui, pour faire une blague, l’a caché sous une couverture. Culpabilisé par Si, le siamois se décide finalement à montrer l’animal mort afin de sauver Clochard d’une mort certaine.

Extraits du storyboard la première version de La Belle et le Clochard
dans laquelle Lady chasse le Rat dans la chambre du bébé

S’inspirant du travail de Ward Greene, les scénaristes Erdman Penner, Joe Rinaldi, Ralph Wright et Don DaGradi décident de prendre un chemin quelque peu différent au moment d’adapter l’histoire pour le grand écran. Ils introduisent ainsi le Rat dès les premières minutes afin que la menace pèse sur le reste du film. Le combat entre le rongeur et Clochard est par ailleurs plus haletant. La disparition du corps, caché par Am, est supprimée. Dans les premières versions de l’intrigue, c’est d’ailleurs Lady elle-même qui combat le Rat. Dans les premiers jets, l’animal, baptisé Herman, était en outre plus comique dans son apparence et son caractère. Pour renforcer la menace, choix est cependant fait de ne pas l’humaniser. Anonyme, le Rat apparaît donc sous une forme réaliste, son caractère mauvais étant renforcé par ses yeux luisants dans le noir et sa fourrure hirsute. Pour l’animer, les artistes disposent alors d’une cage à l’intérieur de laquelle sont enfermés douze spécimens. Dans leur ouvrage, Les Méchants chez Walt Disney, Frank Thomas et Ollie Johnston plaisantent d’ailleurs au sujet de l’affreuse odeur qui se dégageait de certains bureaux !

Extraits du storyboard la première version de La Belle et le Clochard
dans laquelle Lady chasse le Rat dans la chambre du bébé

Le duel entre le Rat et le Clochard est principalement animé par Wolfgang Reitherman. Né le 26 juin 1909 à Munich, l’artiste sort diplômé de l’Institut Chouinard en 1933 avant d’intégrer les rangs de Disney. Parmi ses créations, figurent notamment des personnages comme Dingo, Monstro, le Tyrannosaure, Timothée et Tick-Tock le crocodile. Nommé superviseur de séquence sur La Belle au Bois Dormant, il passe à la réalisation et dirige tous les classiques de Disney des (Les) 101 Dalmatiens aux (Les) Aventures de Bernard et Bianca. Couronné d’un Disney Legends Award remis à titre posthume en 1989, il se tue dans un accident de voiture le 22 mai 1985. Il avait soixante-quinze ans.

Wolfgang Reitherman

Quelques apparitions du Rat sont également animées par Marvin Woodward, Jerry Hathcock, Eric Cleworth et Harry Holt.
Né le 8 décembre 1905 dans le Colorado, Marvin Woodward entre chez Disney au tout début des années 1930. Aux côtés de Fred Moore et de Wolfgang Reitherman, il travaille alors sur des dizaines de courts-métrages et anime Mickey dans Fantasia, le train coloré de Saludos Amigos, Jiminy Cricket dans Coquin de Printemps, Ichabod Crane, Gus et Jaq, le Lapin Blanc, les Garçons Perdus ainsi que le Rat et certains chiens de la fourrière dans La Belle et le Clochard. Après avoir quitté Disney au milieu des années 1950, il passe chez UPA et planche ensuite sur 1001 Arabian Nights, The Famous Adventures of Mr. Magoo, puis Jack and the Beanstalk produit par Hanna-Barbera. Marvin Woodward disparaît le 14 octobre 1971 à l’âge de soixante-cinq ans.

Extrait du storyboard de la version finale par Joe Rinaldi

Originaire de Senath, dans le Missouri, où il voit le jour le 3 avril 1911, Robert Gerald (Jerry) Hathcock intègre les studios Disney à la fin des années 1930. Associé à l’animation de quelques cartoons avec Pluto, il donne notamment vie au Prince, au Roi et au Grand-Duc dans Cendrillon, au Capitaine Crochet et aux sbires de Maléfique. Renvoyé au milieu des années 1950 au moment où des coupes sévères sont réalisées au sein des effectifs du département animation, l’artiste poursuit sa carrière chez UPA où il collabore à plusieurs épisodes de Mr. Magoo et du (The) Dick Tracy Show. Père de Bob Hathcock, l’un des réalisateurs de La Bande à Picsou, Jerry Hathcock décède le 8 mars 1997 à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Né le 3 janvier 1920 à Minneapolis, dans le Minnesota, Eric Cleworth rejoint les rangs des studios Disney en 1939. Au cours de sa carrière, il participe notamment aux productions de Peter Pan, La Belle et le Clochard, Goliath 2, Le Livre de la Jungle. Créateur, entre autres, de Peter Pan, Jock, Sire Kay et Sire Hector, le roi Louie et Baloo ou bien encore Maléfique, il participe à l'écriture des (Les) Aristochats et des (Les) Aventures de Winnie l'Ourson. Il quitte les studios à la fin des années 1970. Il disparaît le 10 décembre 1999 à l'âge de soixante-dix-neuf ans.

Dessins d'animation

Né le 11 avril 1911, Harry Holt est engagé chez Disney en 1936, à la toute fin de la production de Blanche Neige et les Sept Nains. Au cours de sa carrière, il anime en particulier Lulubelle, le Rat et les chiens errants de La Belle et le Clochard avant de quitter les studios en 1956. Il rejoint alors Hanna-Barbera pour qui il travaille, entre autres, sur The Yogi Bear Show, Les Jetson, Wally Gator, Les Pierrafeu, Godzilla et Les Schtroumpfs. Il est également associé à la création des (Les) Maîtres de l’Univers pour le compte de Filmation. Malgré sa retraite prise en 1982, il collabore de nouveau avec les studios Disney en tant que dessinateur dans l’attraction The Walt Disney Story à Walt Disney World. Harry Holt décède le 14 avril 2004 à l’âge de quatre-vingt-treize ans.

À l'instar de l’ensemble des protagonistes du film original, le Rat est présent dans la nouvelle adaptation de La Belle et le Clochard réalisée par Charlie Bean en 2019. Son rôle est dès lors identique.

Comme dans le classique animé, Lady l’aperçoit dès le début du film au moment où elle cherche à savoir qui a cassé les œufs et renverser le lait sur le perron de la maison. Elle ne parvient toutefois pas à le capturer à temps. Elle demande alors son aide à César qui lui conseille de ne pas se précipiter.

De retour à la maison après son passage à la fourrière, la petite chienne revoit le Rat qui entre par la fenêtre dans la chambre du bébé. Elle tente donc de prévenir ses maîtres, en vain. Prévenu par ses aboiements, Clochard se charge de chasser le rongeur, tué lors du combat.

Souvent oublié, le Rat n’en reste pas moins l’un des grands méchants de La Belle et le Clochard et le seul qui représente réellement une menace pour Lady, le Clochard et surtout le bébé.