La Belle et le Clochard
Titre original : Lady and the Tramp Production : Walt Disney Pictures Date de mise en ligne USA : Le 12 novembre 2019 (Disney+) Genre : Comédie musicale |
Réalisation : Charlie Bean Musique : Sonny Burke Peggy Lee Joseph Trapanese Durée : 103 minutes |
Le synopsis
En ce Noël de 1909, Jim Chéri offre en cadeau à sa femme, Darling, une jolie petite Cocker qu'elle nomme Lady et qui devient vite le centre de leur monde. Toute cette joyeuse famille se voit, ensuite, bien vite, comblée par l'arrivée d'un bébé... |
La critique
La Belle et le Clochard est une adaptation en prises de vues réelles du classique animé éponyme de 1955. Et alors que le spectateur pouvait craindre un remake inutile et bâclé, il se retrouve devant un film incroyablement charmant aux décors superbes, porté par un casting attachant, aussi bien humain qu'animal. À une scène près, le long-métrage réalise un sans-faute, proposant à la fois une aura nostalgique et des valeurs contemporaines. Il offre ainsi l'occasion rare et pourtant très simple de sourire après un instant de bonheur.
Les premières ébauches de La Belle et le Clochard, le film d'animation de 1955, remontent avant la sortie de Blanche Neige et les Sept Nains. En 1937, Joe Grant propose en effet à Walt Disney des esquisses de sa chienne, Lady, avec l'idée d'en faire un film. Le Maître de l'Animation, enthousiaste, lui demande tout de go d’en constituer un story-board qui finalement ne le convaincra pas ; le projet est donc remisé... Il revient sur le devant de la scène en 1943 lorsque Walt Disney lit une nouvelle - alors peu connue - de Ward Greene : Happy Dan, the Whistling Dog, and Miss Patsy, the Beautiful Paniel. Ce dernier, écrivain de son état, n’est, en fait, pas un inconnu de la compagnie puisqu’il y est en charge des bandes dessinées Disney. Mais une fois encore, il manque pour le papa de Mickey le petit quelque chose pour valider le lancement d’un long-métrage. Il faut alors attendre dix ans, en 1953, pour qu’une équipe constituée de Joe Rinaldi, Erdman Penner, Ralph Wright et Don DaGradi parvienne à décrocher la timbale : elle combine les deux histoires de Joe Grant et Ward Greene pour en tirer la trame finale de La Belle et Le Clochard !
Le remake de La Belle et le Clochard sort dans une année particulièrement prolifique pour la branche "live" des studios Disney sous la présidence de Sean Bailey. Après avoir proposé l'excellent Dumbo de Tim Burton, ils ont en effet enchaîné avec Aladdin de Guy Ritchie qui, à la surprise générale, grâce à un excellent bouche-à-oreille, a dépassé le milliard de dollars de recette mondiale tandis que la nostalgie a été plus forte encore avec le remake animé Le Roi Lion de Jon Favreau, raflant pas moins de 1.6 milliard de dollars à travers le monde entier, devenant le sixième film de l'histoire au box office mondial hors inflation et surtout le meilleur résultat, et de loin, pour un film du label Disney. Et c'est sans compter Maléfique : Le Pouvoir du Mal qui, s'il ne démérite pas, n'arrive tout de même pas à reproduire le succès du premier opus sorti en 2014.
La Belle et le Clochard s'inscrit également dans une tradition que la branche chargée des films "live" des studios de Mickey a pris depuis quelques années : adapter, en prises de vues réelles ou en animation réaliste, les classiques de l'animation du label. Il faut de la sorte remonter à 2010 pour voir les studios Disney relancer le genre en grandes pompes avec leur adaptation d'Alice au Pays des Merveilles par Tim Burton. La formule est toute trouvée : une nouvelle adaptation d'un classique de la littérature enfantine, déjà traité par le passé par les studios, avec la vision, si possible, d'un réalisateur de renom. Ainsi, viennent ensuite une préquelle au (Le) Magicien d'Oz avec Le Monde Fantastique d'Oz en 2013 réalisé par Sam Raimi, puis en 2014 La Belle au Bois Dormant avec Maléfique par Robert Stromberg ; en 2015, Cendrillon par Kenneth Branagh ; en 2016, Le Livre de la Jungle par Jon Favreau et Peter et Elliott le Dragon par David Lowery ; en 2017, La Belle et la Bête par Bill Condon ; en 2018, Jean-Christophe & Winnie par Marc Forster.
Parmi tous ces remakes, se remarquent toutefois deux catégories. La première est formée de films qui s'éloignent du matériel de référence pour proposer une relecture de l'histoire originale. Ce fut le cas avec Alice au Pays des Merveilles, Maléfique, Peter et Elliott le Dragon ou Dumbo. L'autre propose des films qui suivent au plus près le matériel de base, que cela soit le conte ou le film d'animation. Ainsi Cendrillon, Le Livre de la Jungle, La Belle et la Bête ou Le Roi Lion s'inscrivent dans cette veine. La Belle et le Clochard rentre à l'évidence dans cette deuxième catégorie même s'il possède suffisamment de différences dans son traitement par rapport à l'original pour ne pas être une photocopie paresseuse comme pouvait l'être Le Roi Lion.
Les studios Disney, surtout depuis que Bob Iger a pris les rênes de The Walt Disney Company, ancrent leur label historique dans une identité parfaitement reconnaissable par le public. Dès lors et forcément, nombreux fans et spectateurs s'accordent à dire que la mode des remakes à foison des classiques d'animation est à la fois inutile et sans imagination, ni prise de risque. Oui, mais voilà, le public en raffole et plébiscite en salles ces histoires classiques où il peut emmener ses enfants découvrir de nouvelles versions, modernes, de films qu'il a aimés dans sa jeunesse. Il n'est pas étonnant ainsi de voir l'une des premières oeuvres originales à être proposées sur Disney+ être un remake d'un film d'animation, le genre étant actuellement un produit d'appel auprès du public. L'ouverture le 12 novembre 2019 de Disney+, une plateforme de service de vidéo à la demande par abonnement créée par The Walt Disney Company, est, en effet, un tournant aussi stratégique qu'historique pour le studio aux grandes oreilles qui acte le nouveau comportement des (télé)spectateurs délaissant la télévision linéaire pour un nouveau type de consommation de flux audiovisuel.
Pour réaliser le film de 2019, les studios Disney font appel à un petit nouveau dans le monde du tournage en prises de vues réelles : Charlie Bean. Ce réalisateur est, il est vrai, plus connu pour sa carrière dans l'animation, notamment en tant que réalisateur de séries télé principalement grâce à la superbe et saluée Tron La Révolte. Auparavant, il a fait ses armes en qualité de metteur en scène sur Robotboy, une série diffusée sur Cartoon Network, appartenant à Warner. Et avant cela, il a également travaillé comme animateur, scénariste ou designer sur des séries telles Samurai Jack (Warner), Le Laboratoire de Dexter (Warner), Les Tiny Toons (Warner), Les Aventures de Sonic (Sega) et même une série Disney, Timon & Pumbaa - Les Héros du Film Le Roi Lion, pour quelques épisodes seulement. Sa première incursion dans le format long-métrage se fait, en revanche, en 2017 avec Lego Ninjago - Le Film, toujours pour Warner. La Belle et le Clochard représente ainsi son premier film "live" mais le fait qu'il soit tiré d'un film d'animation ne le dépayse pas, si bien que le recours à ses services s'avère un choix judicieux tellement il arrive à retranscrire à merveille le charme du dessin animé originel.
Le remake en prises de vues réelles de 2019 de La Belle et Le Clochard est ainsi à la fois fidèle à son homologue animé tout en disposant de sa touche personnelle : son visionnage permet donc au spectateur d'être en terrain conquis sans forcément s'ennuyer par rapport aux petites touches rajoutées de-ci de-là. Le nouvel opus propose surtout d'apporter beaucoup de profondeur à l'histoire, à commencer par épaissir les caractéristiques des maîtres de Lady, Jim Chéri et Darling. Les deux personnages sont en effet ici incroyablement attachants, amenant encore plus d'amour et de chaleur dans le foyer de la jeune cocker. Le passé du Clochard est lui aussi approfondi, proposant à l'occasion une scène particulièrement poignante qui bouleversera tous propriétaires de chiens ou de chats. Une simple séquence de flashback permet ainsi de dénoncer avec beaucoup de pudeur l'abandon d'animaux, le long-métrage montrant cet acte atroce du point de vue du chien et de ce qu'il ressent. Ce passage aide évidemment à creuser la psychologie du Clochard, le rendant encore plus fouillé et apportant des explications, ou du moins une certaine compréhension, à quelques traits de son caractère.
La Belle et Le Clochard fait aussi quelques entorses au film d'animation qui, si elles n'étaient pas nécessaires, apportent tout de même un peu de fraîcheur à l'ensemble en ne cherchant pas à livrer un simple copier / coller. Par exemple, le terrier écossais Jock devient une femelle répondant au nom de Jacqueline. Cette dernière voit ainsi sa maîtresse adorer la déguiser pour faire des portraits d'elle. Lady, quant à elle, ne se fait pas enlever sa muselière par un vrai castor habitant un zoo mais à l'aide d'une statue de bronze de castor situé dans un parc. Il s'agit ici à la fois d'un joli clin d'oeil au long-métrage tout en apportant une touche réaliste opérée avec goût. De nombreux autres éléments changent également comme l'identité des personnages faisant tel ou tel agissement mais aussi des scènes carrément rajoutées modifiant légèrement la personnalité de certains personnages. À ce titre, celle qui évolue le plus est assurément Lady. La cocker s'avère en effet bien moins timide et moins en retrait que dans le film d'animation. Elle a plus de caractère, plus d'énergie et n'hésite pas à prendre part à l'action pour protéger ceux qu'elle aime.
L'un des plus gros changements menés par rapport au film d'animation tourne autour de Tante Sarah et de ses chats Si & Am. Déjà, elle est un peu plus jeune que son pendant animé. Son caractère évolue lui aussi pas mal et ne se limite plus à son amour des chats. Elle est, en effet, bien plus aristocrate, hautaine et pimbêche. Elle ne vient plus surveiller le bébé quand Darling et Jim Chéri s'en vont mais uniquement la chienne, les parents emmenant le bébé avec eux. En plus d'elle, ses deux chats changent également beaucoup. Et politiquement correct oblige, ce ne sont plus des siamois, histoire d'enlever toutes allusions malvenues avec des stéréotypes de caricatures d'asiatiques, avec des yeux bridés et des incisives proéminentes et écartées. La conséquence directe de ce changement est que leur chanson La Chanson des Siamois (The Siamese Cat Song) est remplacée par Quel Dommage (What a Shame) composée par Nate "Rocket" Wonder, Roman GianArthur et Janelle Monáe. Si la modification de cette séquence peut s'admettre, son exécution, elle, n'est pas très avenante. Déjà, la ritournelle est loin d'être réussie, mais en plus, le fait d'avoir utilisé des chats animés uniquement en CGI se remarque affreusement à cause d'effets spéciaux ratés. Et c'est bien dommage car il s'agit de la seule faute dans son rendu de tout le long-métrage.
Le reste de La Belle et Le Clochard étonne, en effet, beaucoup en étant incroyablement charmant. Dès les premiers instants, le spectateur se retrouve dans un cocon emmitouflant et chaleureux venu sûrement du côté nostalgique et bienveillant qui se dégage du film. Le récit se situe ainsi au début du siècle dernier dans une petite ville fictive des États-Unis, magnifiée par les superbes décors tournés principalement en extérieur dans la superbe ville de Savannah dans l'État de Géorgie. L'autre côté séduisant du long-métrage est la bonne idée d'avoir proposé un casting varié en faisant notamment des propriétaires de Lady un jeune couple mixte fort sympathique avec Jim Chéri un jeune homme caucasien et Darling une jeune femme afro-américaine. Ce genre de situation aurait cependant tout bonnement été impossible à l'époque où se situe l'action, La Belle et Le Clochard offrant donc une vision idyllique du passé, presque mensongère ; l'essentiel étant que le long-métrage crée une histoire intemporelle et merveilleuse.
L'autre grande réussite du long-métrage est d'avoir choisi de recourir à de vrais chiens pour la plupart des personnages canins. À force de les côtoyer, le public est, en effet, habitué à lire les émotions de ses animaux de compagnie, ce qui rend leurs réactions dans le film incroyablement naturelles et leurs expressions évidentes. Ici donc, les animaux sont aussi mignons qu'adorables et ne peuvent que faire craquer l'auditoire. Mais il restait toutefois une ombre au tableau : le fait de devoir faire parler des animaux. L'expérience dans le remake animé du (Le) Roi Lion avait été ainsi catastrophique, perdant en crédibilité et ne parvenant pas du tout à retranscrire l'émotion des personnages. Étonnamment et heureusement, dans La Belle et le Clochard, l'effet passe beaucoup mieux. Le CGI est ainsi utilisé principalement dans les dialogues nécessaires à la compréhension de l'histoire, en faisant bouger la gueule et les yeux, mais tout semble relativement naturel et globalement convaincant, profitant à plein du casting de vrais animaux et non de doublures numériques. Quand c'est le cas d'ailleurs, comme avec les chats, cela se voit tout de suite et le rendu est un cran en dessous. Dernier détail, mais qui a son importance par rapport aux animaux : les chiens choisis pour jouer dans le film, dont ceux qui interprètent Lady et Clochard, viennent d'un refuge puis ont été adoptés à la suite du tournage. Un beau geste pour un beau film.
Le casting de La Belle et le Clochard brille par ses talents.
Jim Chéri est ainsi interprété par Thomas Mann, attachant à souhait. Il est clairement la révélation du film, donnant une présence chaleureuse au personnage tout en affichant un côté un peu fragile venu de son manque d'assurance : il n'est en revanche jamais avare en marques de tendresse à l'égard de sa femme, sa fille ou sa chienne.
Kiersey Clemons joue, quant à elle, Darling. Plus dynamique que son homologue animée, elle est par ricochet un peu moins douce mais possède, en contrepartie, plus de caractère. L'alchimie qu'elle forme avec Jim Chéri fonctionne à plein, aussi bien dans l'intimité qu'en société, notamment dans la fameuse fête nuptiale très amusante.
Le rôle de la Tante Sarah est tenu par Yvette Nicole Brown qui s'amuse à camper une dame de la haute bourgeoisie qui dénigre le mari de sa nièce mais aussi son amour des chiens. Bien plus méchante que dans le dessin animée, elle est plutôt antipathique et le spectateur prend un réel plaisir à la voir se faire secouer par Darling.
Parmi les autres personnages humains, il sera noté l'employé de la fourrière animale (joué par Adrian Martinez) qui s'est fixé comme but d'attraper coûte que coûte le Clochard.
Pour les voix américaines des chiens, le studio Disney a fait, en outre, appel à quelques célébrités comme Tessa Thompson (connue pour être la Valkyrie découverte dans Thor : Ragnarok) qui assume ici Lady ou encore Justin Theroux (vu dans Star Wars : Les Derniers Jedi dans le rôle du cracker de code à la boutonnière) qui lui double Clochard.
En dehors de Quel Dommage citée plus haut et écrite spécialement pour le nouveau long-métrage, les autres chansons de l'opus sont reprises du classique de 1955, signées à l'époque par Sonny Burke et Peggy Lee. Que la Paix soit Éternelle (Peace on Earth) débute ainsi le film avec une introduction aussi nostalgique que charmante en pleine période de Noël quand la joie est dans chaque foyer. La La Lu est ensuite la douce berceuse de Darling chantée au petit bébé. Et que serait La Belle et le Clochard sans Belle Nuit (Bella Notte), la fameuse chanson d'amour où Clochard et Lady vont manger des spaghettis, interprétée joliment en anglais par F. Murray Abraham et Arturo Castro qui jouent aussi respectivement Tony et Joe, les restaurateurs italiens dans le film. Elle n'a certes pas le même charme que la version du dessin animée mais, pour autant, la magie opère tout de même à plein. Janelle Monáe, qui tient le rôle vocal de Peg, la femelle pékinois, entonne quant à elle Il se Traîne (He's a Tramp) dans une version plus moderne. Enfin, la musique instrumentale est confiée à Joseph Trapanese (The Greatest Showman) qui livre un travail vraiment satisfaisant en donnant des thèmes aussi emmitouflants que nostalgiques.
La Belle et le Clochard est une excellente surprise qui arrive à retrouver le charme du film d'animation tout en développant sa propre identité. Le spectateur s'étonne à passer un excellent moment devant une histoire simple mais incroyablement touchante et émouvante comme seul Disney est capable d'en produire. Du pur bonheur !