Disney+, le Sauveur de Disney ?
L'article
Et si Disney+ était, en fait, le sauveur de Disney ?
Comment ça ?
Disney se porte à merveille : ses résultats financiers sont époustouflants et elle est souvent le leader - ou au moins un acteur majeur - dans tous les secteurs où elle est présente
Certes, c'est incontestable.
Pourtant, de gros nuages viennent assombrir son horizon sur ses marchés historiques : les résultats au box-office sont, en effet, en trompe-l'œil tant en dehors des blockbusters aux enjeux financiers colossaux, ses films de catalogue ont du mal à fédérer tandis que la télévision linéaire marque le pas et voit la nature de son public changer, les jeunes générations la désertant. Nier ces difficultés en devenir ou rester immobile serait l’assurance, à terme, d’en périr. Or sans crier gare, Disney+, bien plus qu’une action en défense d’une major attaquée sur un flan dans un secteur délimité, est en réalité une redoutable attaque tous azimuts qui dépasse de loin le seul périmètre occupé par une plateforme de vidéos à la demande. C’est d’accès aux contenus dont il est question ici et du lien direct et privilégié que Disney entend absolument préserver avec ses publics.
Comme avant lui l’industrie musicale qui n'a pas su anticiper le changement de comportement des consommateurs et a vu s'effondrer tout son modèle économique avant de le réinventer, le média audiovisuel est, il est vrai, en effervescence.
Le cinéma, évidemment, subit le premier les coups de butoir technologiques (il est plus que jamais possible dans son salon d'avoir des équipements très performants) mais aussi et surtout éditoriaux (les séries offrent désormais des spectacles que le 7ème art n'est plus en capacité de renier) qui le contraignent à devoir réenchanter l'expérience en salles, au risque de voir le public rester chez lui. Et cela passe aussi par une refonte de son modèle économique : les majors toutes puissantes sont devenues des colosses aux pieds d'argile qui jouent dorénavant leur vie au premier échec au box-office tant les investissements pour assurer le spectacle à chaque film sont vertigineux.
La désertion a, quant à elle, déjà commencé pour la télévision linéaire dont les téléspectateurs se détournent au profit des services de vidéo à la demande de type Netflix. Si le désamour est général pour le petit écran, il est, toutefois, plus ou moins marqué selon les générations. Les séniors restent, en effet, de gros consommateurs de programmes télé alors que les jeunes passent leur tour massivement : ils ne regardent plus la télévision mais la consomment, choisissant de voir leurs programmes quand ils le souhaitent et au rythme qu’ils décident.
Cette révolution des comportements des « spectateurs » et « téléspectateurs » (ce dernier terme tombera peut-être un jour en désuétude) fait déjà ses premières victimes. S'agissant du grand écran, des majors sont carrément absorbées puis digérées tandis que le petit écran compte déjà ses victimes, à commencer par les chaînes Jeunesse, placées bien malgré elles en première ligne. Leurs audiences s’effondrent, en effet, à travers la planète, les jeunes n'acquérant plus le réflexe de la grille de programmes imposée et du rendez-vous à heure fixe. Il s'agit pour eux de voir ce qu'ils veulent quand ils le veulent. Or, comme ses chaînes constituaient souvent des réservoirs de marge aux groupes qui les possèdent (elles sont toutes largement bénéficiaires !), elles commencent à devenir de vrais sujets de préoccupation dans un marché de l’audiovisuel bousculé, impactant l’équilibre économique de tout le secteur. Des chaînes vont fermer et personne n’échappera à l’hécatombe : elle a d'ailleurs déjà commencé chez Mickey...
Une anecdote récente, relayée par Variety, en dit notamment long sur la révolution silencieuse qui est en train de se passer. Le magazine américain souligne, il est vrai, que la perte par Netflix (aux États-Unis) de nombre de productions animées a entraîné une bronca de ses utilisateurs. C‘est d’ailleurs le retrait de Vaiana, la Légende du Bout du Monde qui a été le marqueur de cette désillusion, les familles accusant l’offre du pionnier géant de la SVàD de n’être plus désormais à la hauteur de ce qu’elles attendent pour leurs progénitures. Et c’est là que cela devient intéressant. Les études montrent que dans les motivations d’abonnement à un service de vidéo à la demande, l’offre pour la jeunesse est l’une des premières (après les séries, mais avant le cinéma au sens général).
Ainsi, disposer d’une solide offre pour enfant dans son catalogue est aussi la clé du succès : et évidemment Disney+ sera remarquablement bien dotée sur ce point. De quoi s’en réjouir pour The Walt Disney Company et pas juste uniquement sur la réussite de sa plateforme à naître ! La firme de Mickey détient ici la réponse à la lame de fond qui va, à terme, balayer ses juteuses chaînes jeunesse mais pas que. Car sans Disney+, toute la compagnie allait se retrouver à terme dépossédée d’un accès privilégié direct aux familles. Or, pour The Walt Disney Company, plus que pour tout autre acteur de divertissement, rompre ce lien serait mortifère pour l’ensemble de ses activités dont la synergie est la clé du dynamisme. Il faut toujours garder à l’esprit que les productions (cinématographiques ou télévisuelles) nourrissent certes les chaînes de télévision du groupe et la plateforme Disney+ mais aussi les Parcs, les produits dérivés, les croisières… qui eux-mêmes nourrissent les productions. Un cycle redoutablement efficace que rien ne doit venir gêner au risque de mettre toute la compagnie en panne.
Disney+ n’est donc pas qu’une réponse à l’ogre Netflix : elle est bien plus que cela. La plateforme est avant tout un élément-clé de la défense (la survie diront certains) de The Walt Disney Company dans un environnement plus que jamais en pleine mutation. Elle vise à préserver (en le renouvelant via un nouveau canal) le lien direct et si précieux que Disney a su bâtir au fil de son histoire avec les familles. Il s’agit là de s’assurer que ses publics aient accès à ses contenus qui ensuite feront le reste pour les attirer en magasin, dans les Parcs, en croisière, et partout où Disney entend être.
Plus que simple plateforme de vidéo à la demande, Disney+ est une passerelle directe entre une firme et le client qui la nourrit. Un nouveau relai qui sera capable de pallier l'affaiblissement du cinéma et de la télévision linéaire, histoire de continuer à soutenir l'exploitation des licences en marchandisage et sur les Parcs. Qu'il soit sûr que, toujours fidèle à la volonté de son créateur, The Walt Disney Company entend bien conserver, et pour longtemps, la place de choix dont elle dispose au sein des foyers, et ce, dans le monde entier...