Jean-Christophe & Winnie
Titre original : Christopher Robin Production : Walt Disney Pictures Date de sortie USA : Le 03 août 2018 Genre : Aventure |
Réalisation : Marc Forster Musique : Geoff Zanelli Jon Brion Richard M. Sherman Durée : 104 minutes |
Le synopsis
Jean-Christophe a bien grandi. Il occupe en effet un poste haut placé chez un fabricant de bagages, désormais au bord de la faillite. Alors qu'il doit proposer dans l'urgence un plan de restructuration drastique, il décide de rester à Londres pour travailler dessus tout le weekend tandis que sa femme Evelyn et sa fille Madeline partent se reposer à la campagne. Le sérieux de la vie d'adulte lui a fait oublié les joies de son enfance dont les jeux avec ses amis de la Forêt des Rêves Bleus... |
La critique
Jean-Christophe & Winnie est à la fois une adaptation en prises de vues réelles des aventures animées de Winnie l'Ourson tout en étant également sa suite. En décidant de centrer l'histoire du long-métrage sur un Jean-Christophe adulte, son récit comporte une mélancolie et une nostalgie qui se mêlent à la tendresse, au charme et à l'émotion du monde de Winnie. Si cet opus en prises réelles n'arrive pas à égaler les versions animées que sont Les Aventures de Winnie l'Ourson ou Winnie l'Ourson, il permet tout de même à la magie d'opérer à plein : parents comme enfants sont immédiatement conquis par ces nouvelles aventures du "petit ourson de peu de cervelle".
Winnie l'Ourson est donc, à l'origine, une œuvre littéraire de fiction créée par Alan Alexander Milne sous le titre anglais de Winnie the Pooh. Dès 1924, l'auteur dramatique, également rédacteur au journal satyrique "Punch", introduit, en effet, un ourson dans un recueil de poèmes When we Were Very Young (littéralement Quand nous étions très jeunes). Il continue d'explorer le thème, deux ans plus tard, en publiant Winnie-the-Pooh, un premier opus d'une longue série. Il y raconte ainsi les aventures d'un ours en peluche et d'un petit garçon au milieu de la forêt. Il le fait suivre, en 1927, d'un recueil de poèmes inédits où apparaît, à nouveau Winnie the Pooh, Now We Are Six. En 1928, l'auteur signe un second ouvrage entièrement dédié, cette fois-ci, à l'ourson (The House at Pooh Corner). Les livres d'Alan Alexander Milne deviennent ensuite rapidement des classiques de la littérature enfantine et trônent depuis, en bonne place, dans bien des bibliothèques familiales à travers le monde.
Pour son personnage fétiche, Alan Alexander Milne s'inspire des relations de son propre fils, Christopher Robin (Jean-Christophe en français), avec son ours en peluche, un J.K. Farnell acheté chez Harrods en 1921 pour son premier anniversaire. Il l'entoure vite de toute une ménagerie (Tigrou, Cochonnet, Hi-Han, Lapin...) dont les membres sont également issus du coffre à jouets du bambin. Il fait parallèlement illustrer son récit par Ernest H. Shepard dont les dessins ont marqué depuis l'inconscient collectif de millions d'enfants.
Le nom de Winnie est, quant à lui, une référence à une ourse pensionnaire du zoo de Londres où l'auteur avait l'habitude de se rendre avec son fils. L'animal avait, en effet, été donné, au cours de la Première Guerre Mondiale, au parc de la capitale anglaise par le Capitaine Harry Colebourn. Ce vétérinaire de l'armée canadienne avait, il est vrai, apprivoisé une ourse, achetée à un trappeur dans la ville de White River en Ontario puis baptisée Winnipeg, en souvenir de sa ville natale.
Winnie l'Ourson apparaît pour la première fois sous la signature Disney en 1966 avec le moyen-métrage Winnie l'Ourson et l'Arbre à Miel. Deux ans plus tard, le studio remet le couvert avec Winnie l'Ourson Dans le Vent qui se paye, en plus, le luxe de remporter l'Oscar du Meilleur Court-Métrage. En 1974, Winnie l'Ourson et le Tigre Fou tente la même opération mais s'arrête cette fois-ci au seul stade de la nomination. Les Aventures de Winnie l'Ourson sort enfin en 1977 : tout premier long-métrage du petit ours, il se contente, en fait, de compiler ses trois moyens-métrages précédents en les reliant par des scènes de transition inédites.
L'extrême et rapide popularité de Winnie l'Ourson convainc Disney d'en exploiter le filon sous toutes ses formes. Le marchandisage tourne ainsi à plein régime ; et quoi de mieux pour le stimuler que de sortir pour le public de nouvelles productions ? Un quatrième et dernier moyen-métrage sous le titre de Winnie l'Ourson et une Sacrée Journée pour Bourriquet débarque ainsi sur les écrans en 1983.
Mais, c'est sans aucun doute à la télévision que le petit ourson va décupler son entreprise de séduction des bambins du monde entier. À partir de 1983, il investit, il est vrai, le petit écran dans une série intitulée Welcome to Pooh Corner. Il s'agit là d'un programme "live" où des "characters" habitent la Forêt des Rêves Bleues, comme Casimir le faisait dans l'Île aux enfants. En France, intitulée Les Aventures de Winnie l'Ourson et présentée par l'immense Jean Rochefort, la série occupe avec bonheur les samedis soirs de la chaîne publique, alors nommée FR 3. Elle reste gravée depuis dans l'inconscient collectif des téléspectateurs français...
En 1988, une nouvelle série, en animation 2D cette fois-ci, voit le jour sous le titre des (Les) Nouvelles Aventures de Winnie l'Ourson. Reprenant le design des moyens-métrages, elle emporte un double succès, public et critique. Pas moins de 82 épisodes standards sont finalement produits auxquels s'ajoutent quatre spéciaux réalisés plusieurs années plus tard : Winnie l'Ourson : Noël à l'Unisson (1991), Winnie l'Ourson : Hou ! Bouh ! et Re-Bouh ! (1996), Winnie l'Ourson : Thanksgiving (1998) et Winnie l'Ourson : Je t’Offre Mon Cœur (1999). De nombreuses compilations des épisodes de la série sont également sorties en vidéo à l'image des différents volumes du (Le) Monde Magique de Winnie l'ourson.
Dans la lignée des suites de Grands Classiques réalisées par Disneytoon Studios, d'innombrables productions estampillées « Winnie » sont mises sur le marché : soit directement en vidéo, qu'elles soient entièrement inédites comme Winnie l'Ourson 2 : Le Grand Voyage en 1997 ou Les Aventures de Petit Gourou en 2004, partiellement inédites à l'image de Winnie l'Ourson : Bonne Année ! en 2002 ou Lumpy Fête Halloween en 2005 ou simplement une compilation d'éléments existants liés par de courtes scènes de transition tel Winnie l'Ourson : Joyeux Noël en 1999 ; soit d'abord au cinéma avec Les Aventures de Tigrou en 2000, Les Aventures de Porcinet en 2003 et Winnie l'Ourson et l'Efélant en 2005.
En 2001, une nouvelle collection, destinée aux tout-petits, mélangeant des marionnettes et des décors en animation 3D, voit parallèlement le jour sous le nom du (Le) Livre de Winnie l'Ourson tandis qu'en 2007, une nouvelle série, Mes Amis Tigrou & Winnie, également pour tout-petits, mais intégralement en CGI cette fois-ci, voit le jour. Si les enfants plébiscitent, et les personnages, et les histoires, les adultes, eux, restent sceptiques tant ils regrettent le charme de la série 2D de leur enfance, élevée, entre temps, au rang de programme culte. Les studios Disney prennent vite conscience de cet inquiétant paradoxe. Décision est donc prise de recentrer l'univers de Winnie sur son apparence initiale, à savoir l'animation 2D. L'avenir de l'ourson de la Forêt des Rêves Bleus change ainsi de main et sort du périmètre de la branche télévision de The Walt Disney Company en se voyant de nouveau relevé de son studio originel, les Walt Disney Animation Studios. En 2011, ils sortent le petit film Winnie l'Ourson mais n'arrivent pas à susciter l'intérêt obtenant le plus petit score de la franchise au box-office. Celle-ci rentre en jachère jusqu'en 2015 où il est annoncé qu'une adaptation en prises de vues réelles va être menée...
La réalisation de Jean-Christophe & Winnie est donc confiée à Marc Forster. Né le 30 novembre 1969 en Allemagne, il déménage en Suisse à l'âge de neuf ans avant de partir à New York à vingt ans où il fait ses études de cinéma. Son premier film, Loungers, sort ainsi en 1995 mais c'est le suivant Everything Put Together en 2000 qui se fait remarquer, notamment au Festival de Sundance ; il transforme l'essai l'année suivante avec À l'Ombre de la Haine qui le fait découvrir au grand public. Les multiples nominations aux Oscars, dont celle du meilleur film, pour le biopic sur J.M. Barrie, Neverland sorti en 2004, avec Johnny Depp dans le rôle principal, finissent d'asseoir sa réputation. Il s'essaiera ensuite à différents genres cinématographiques : le thriller fantastique Stay en 2005, la comédie dramatique L'Incroyable Destin de Harold Crick avec Will Ferrell en 2006, le drame historique intimiste Les Cerfs-Volants de Kaboul en 2007, un épisode de James Bond Quantum of Solace avec Daniel Craig en 2008 ou encore un film de zombies World War Z avec Brad Pitt en 2013.
Jean-Christophe & Winnie raconte ainsi comment Jean-Christophe, une fois devenu adulte, va oublier ses amis de jeu de son enfance et devenir complètement omnibulé par son travail, ce besoin de sérieux et de sacrifice ayant été renforcé par son éducation stricte ainsi que des années de guerre terribles. Le film est ainsi une sorte de mélange entre Hook ou la Revanche du capitaine Crochet et Peter Pan 2 : Retour au Pays Imaginaire tout en étant une suite de tous les longs-métrages de Winnie l'Ourson des studios Disney. Du film de Spielberg, il reprend l'idée de l'adulte qui a oublié l'enfant qu'il était et impose son rythme de travail à sa propre progéniture. Du second, il emprunte un petit air avec l'idée que la fille de Jean-Christophe va apprendre sur le tard à jouer comme son père alors qu'elle avait été modelée en parfaite petite fille studieuse. Enfin, des films Disney, le spectateur retrouve toute la tendresse des personnages. L'univers de Winnie est ici parfaitement retranscrit et fidèle aux anciennes oeuvres. De nombreux clins d'oeil sont faits notamment en reprenant certains dialogues mais aussi en rendant hommage à quelques moments iconiques de la saga de l'ourson. Par exemple, le passage où Jean-Christophe retrouve Bourriquet flottant dans la rivière fait incroyablement penser au moyen-métrage Winnie l'Ourson et une Sacrée Journée pour Bourriquet. Le long-métrage a aussi l'excellente idée de commencer comme la plupart des films d'animation Disney à la façon d'un livre illustré de dessins crayonnés dont les chapitres défilent.
Jean-Christophe & Winnie est certes un petit film, inoffensif. Pour autant, il s'en dégage un immense charme mélancolique et nostalgique. En cela, il s'adresse aussi bien aux enfants qui seront ravis de voir ces peluches se balader dans les rues de Londres mais parlera aussi aux parents qui ont tendance à oublier l'importance de la famille face à un travail toujours plus prenant. Le long-métrage est ainsi une plongée dans son âme d'enfant. Retrouver le souvenir de ses jeux et de ses jouets permet de garder contact avec le merveilleux et surtout un lien humain avec les autres. Le film sait être, de la sorte, remarquablement touchant dans la relation que Jean-Christophe entretient avec Winnie et ses amis mais aussi émouvant quand il retrouve enfin sa famille qu'il avait perdue de vue avec son travail par trop prenant. Naïvement, le long-métrage propose aussi un petit discours syndical expliquant que les employés doivent être protégés à tout prix et non transformés en simple variable d'ajustement financier. Le film y parvient avec malice en faisant changer de perspective aux personnages. "Donner au lieu de prendre pour au final gagner plus" est une morale qui peut paraître simpliste mais qui est loin de l'être...
Jean-Christophe & Winnie donne donc envie de prendre son temps et surtout de retrouver ses jeux d'enfants et de les proposer à sa progéniture. Et le film y réussit avec intelligence. Ses dialogues, de prime abord simplistes, ont en effet souvent un double sens philosophique. Un exemple parmi tant d'autres est la première apparition de Winnie devant Jean-Christophe. Le film l'explique alors de la plus jolie des façons mélangeant mémoire et magie. Quand l'Ourson apprend à son propriétaire qu'il est passé à travers l'arbre qu'il franchissait tous les jours quand il venait le voir, Jean-Christophe s'en étonne car pour lui c'est tout bonnement impossible : l'arbre se trouve dans le jardin de sa maison de campagne et non dans un parc londonien ! Winnie répond alors une phrase toute simple mais lourde de sens « J'imagine qu'il est là où il doit être » : une vérité implacable mais qui questionne sur la provenance même de la peluche. Jean-Christophe considère évidemment l'idée farfelue. Pris au premier degré, sans aucun doute, mais en réfléchissant à deux fois, il prend conscience de ce que cela implique pour lui...
Jean-Christophe & Winnie est fort logiquement porté par des personnages attachants à commencer par Winnie et ses amis. Le choix a été de proposer des peluches en CGI afin de les rendre réalistes mais sans forcément s'éloigner de leurs traits d'origine. En fait, ils sont un mélange entre leurs apparences dans les films d'animation Disney et celles des illustrations originales du livre de Alan A.Milne par Ernest H. Shepard. Les peluches ont ainsi un côté "passé" sans être passéistes, comme si Jean-Christophe avait joué beaucoup trop avec, sans compter le temps qui a aussi fait son oeuvre. Autre détail, comme dans le livre et les films animés, Maître Hibou et Coco Lapin sont de vrais animaux à la différence des autres habitants de la Forêt des Rêves Bleus qui sont des peluches. Dernier point, il faut saluer l'excellent travail de doublage français. Dans la grande majorité, les voix françaises n'ont pas changé d'un iota et leurs intonations et phrasés restent identiques par rapport aux précédents films. Un vrai bonheur pour les fans.
Jean-Christophe est, pour sa part, incarné par le talentueux Ewan McGregor (Obi-Wan Kenobi dans Star Wars : La Menace Fantôme et les deux suivants). Il propose ici un personnage touchant dont le fond de bonté (il suffit de voir comment il se préoccupe de ses collègues de son entreprise) s'est perdu dans ses obligations professionnelles. Vite exaspéré par la naïveté de Winnie, il sombre au plus bas quand il se rend compte qu'il a osé rejeter son propre ours en peluche. Il prend alors conscience de ce qui est vraiment important et va pouvoir ensuite retrouver le goût de vivre.
Sa femme Evelyn est interprétée par la charmante Hayley Atwell (la fameuse Agent Carter dans Captain America - First Avenger). Elle aime son mari mais commence sérieusement à s'interroger sur son sens des priorités. Elle s'inquiète aussi pour sa fille Madeleine (Bronte Carmichael) qui voit peu son père, et quand c'est le cas, uniquement pour lui lire des livres historiques ou préparer son entrée dans un pensionnat.
L'autre force de Jean-Christophe & Winnie est clairement son visuel et sa bande-son. Les décors sont, il est vrai, de toutes beautés que ce soit le Londres de l'après-guerre ou alors la campagne anglaise du Sussex. Il y a également un remarquable effort de fait sur la photographie avec des couleurs à la fois pastels, pâles, presque automnales donnant à l'ensemble un envoûtant côté nostalgique. Il est d'ailleurs accentué par la musique absolument magnifique de Geoff Zanelli et Jon Brion. Les deux compositeurs n'hésitent pas, en effet, à utiliser de-ci de-là des airs tirés des chansons iconiques des frères Sherman des premiers films dont Winnie l'Ourson ou C'est Merveilleux d'être un Tigre. Richard Sherman écrit lui aussi trois nouvelles chansons : Goodbye Farewell, Christopher Robin et Busy Doing Nothing. La première est chantée dans le film par le casting tandis qu'il interprète les deux autres avec un joli caméo pour la dernière dans le générique de fin.
Jean-Christophe & Winnie n'est pourtant pas parfait. Il a notamment tendance à avoir du mal à démarrer. La première partie est un peu lente et en réalité, il faut attendre que Jean-christophe se souvienne des amis de Winnie pour que le film décolle vraiment. Son ton peut paraître, en outre, parfois un peu trop triste et manquer de punch. En choisissant comme héros un Jean-Christophe adulte, l'opus semble vouloir s'adresser d'abord aux parents qu'aux enfants. Même si c'est l'une de ses grandes qualités, sa colométrie un peu délavée, insistant sur la mélancolie, prend ainsi le risque de peu accrocher l'oeil de la jeune génération, nourrie aux couleurs chatoyantes. Néanmoins, au delà de ces considérations générales, il faut savoir, et sans que cela n'ait valeur de sondage représentatif, que les enfants présents lors de la séance ayant permis l'écriture de cette critique ont été captivés par le récit et emportés par la tendresse du film...
La critique américaine est au final plutôt positive avec Jean-Christophe & Winnie même si certains n'adhèrent pas à son côté par trop délavé et mélancolique. Malheureusement, si le film est plutôt bien accueilli par le public, il réalise un démarrage décevant avec un premier weekend à 24.6 millions de dollars là où les studios Disney en attendait entre cinq à dix de plus. Avec un budget de 75 millions de dollars, il devrait se rembourser mais aura du mal à atteindre son seuil de rentabilité estimé couramment à trois fois son budget.
Jean-Christophe & Winnie est un film empli de nostalgie. S'adressant autant aux enfants qu'aux parents, il est le genre de long-métrage doux qui ne se voit plus au cinéma. À la fois un hommage et une suite aux grands classiques animés, il est aussi touchant qu'émouvant. Il sera juste peut-être regretté un démarrage un peu lent mais vite pardonné devant le charme de ses personnages, définitivement attachants.