From Hell
Titre original : From Hell Production : 20th Century Fox Underworld Pictures Barrandov Studios Date de sortie USA : Le 19 octobre 2001 Genre : Horreur |
Réalisation : Albert Hughes Allen Hughes Musique : Trevor Jones Durée : 122 minutes |
Le synopsis
Londres, 1888. L’inspecteur Frederick Abberline de Scotland Yard est engagé pour enquêter sur une vague de meurtres touchant les prostituées du quartier mal famé de Whitechapel. Si d’aucun pense qu’il s’agit de simples crimes crapuleux commis par les gangs locaux, celui-ci comprend très vite qu’il fait en réalité face à de véritables massacres orchestrés par un tueur en série possédant un sang-froid à toute épreuve et surtout une maîtrise parfaite de l’anatomie. Alors que la population sous le choc réclame justice et que les hautes autorités tentent d’étouffer une affaire dont les retentissements pourraient ébranler jusqu’à la Couronne elle-même, le policier toxicomane doit user de son instinct si particulier pour débusquer le psychopathe que la presse surnomme déjà Jack l’Éventreur…
La critique
Un jour, les Hommes me rendront hommage car je serai celui par qui le XXe siècle est né.
Jack l'Éventreur, 1888.
Au début des années 2000, Hollywood est prise d’une véritable frénésie d’adaptations de romans graphiques. C’est ainsi que le public voit débarquer sur les écrans des longs-métrages comme Les Sentiers de la Perdition (2002), American Splendor (2003), La Ligue des Gentlemen Extraordinaires (2003), Sin City (2005), A History of Violence (2005), V. Pour Vendetta (2006), 300 (2007) ou bien encore Watchmen - Les Gardiens (2009). Plus ou moins couronnée de succès, cette nouvelle mode est introduite dès 2001 avec From Hell, l'adaptation de la bande dessinée d’Alan Moore et Eddie Campbell transposée à l’écran par les frères Hughes pour le compte de 20th Century Fox.
Publiée entre 1991 et 1996, l’œuvre d’Alan Moore et Eddie Campbell s’inspire de l’histoire de Jack l’Éventreur. Véritable mythe moderne, celle-ci prend place en 1888 dans le quartier de Whitechapel, dans l’est londonien. Développé dès le Moyen Âge, l’endroit concentre à l’époque les tanneries, les brasseries, les fonderies, les abattoirs et toutes les activités pouvant incommoder par les odeurs dégagées la partie la plus aisée de la population de la ville, pour sa part installée à l’ouest. Réputé pour son insalubrité et, dans ses plus petites rues, son insécurité, Whitechapel est alors l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale anglaise, notamment dépeint par Charles Dickens dans son œuvre.
Durant l’année 1888, Whitechapel acquiert une renommée internationale avec la série de crimes attribués à Jack l’Éventreur. Elle-même précédée par d’autres assassinats, elle débute possiblement le 31 août 1888 avec le meurtre de Mary Ann Nichols puis, dans les semaines suivantes, par ceux d’Annie Chapman (le 8 septembre), d’Elizabeth Stride et de Catherine Eddowes (le 30 septembre), et enfin de Mary Jane Kelly (le 9 novembre). Plusieurs indices laissent alors à penser que toutes ces morts sont le fait d’un seul tueur en série. Les victimes sont en effet toutes les cinq des prostituées. Surtout, le modus operandi est sensiblement le même, avec un égorgement suivi de mutilations abdominales.
Pour clarifier ces affaires, plusieurs policiers sont engagés, notamment les inspecteurs en chef Frederick Abberline et Donald Swanson, ainsi que les détectives Henry Moore et Walter Andrews de Scotland Yard, tous placés sous l’autorité du chef de la police Charles Warren. Un médecin légiste, Thomas Bond, est également associé à l’enquête. Estimant que les forces de l’ordre n’avancent pas assez vite, les citoyens de l’East End forment eux-mêmes leur propre milice, le Whitechapel Vigilance Committee dirigé par George Lusk, afin de débusquer les éventuels suspects. Parmi eux, plusieurs chirurgiens, médecins, fourreurs et autres bouchers sont interrogés du fait de leur bonne connaissance de l’anatomie.
La presse est elle aussi, et malgré elle, impliquée. Durant l’enquête, des centaines de lettres arrivent en effet dans les rédactions qui, régulièrement, consacrent leur Une aux meurtres. Certains courriers n’ont aucune valeur. D’autres émanent de personnes cherchant à aider la police. Certaines lettres, en revanche, retiennent toute l’attention des enquêteurs. Remise à la Central News Agency de Londres le 27 septembre 1888, l’une d’elle débute par les mots « Dear Boss » et menace de « couper les oreilles d’une femme ». Trois jours, plus tard, le corps de Catherine Eddowes est retrouvé avec, entre autres mutilations, une oreille partiellement sectionnée. Restée à la postérité, la missive est signée « Jack the Ripper » - « Jack l’Éventreur ». Le 16 octobre 1888, George Lusk reçoit à son tour une lettre provenant « de l’Enfer » - « From Hell ».
Faisant les choux gras de la presse de l’époque, l’histoire de Jack l’Éventreur connaît un retentissement mondial. La culture populaire ne tarde dès lors pas à se l’accaparer. Plusieurs œuvres de fiction paraissent ainsi dès la fin des années 1890, à l’image de The Curse Upon Mitre Square de John Francis Brewer (1888). Le personnage de Sherlock Holmes est lui-même confronté au tueur en série dans des œuvres postérieures à celles d’Arthur Conan Doyle. Le roman The Lodger de Marie Belloc Lowndes (1913) donne bientôt naissance à cinq films parmi lesquels The Lodger: A Story of the London Fog d’Alfred Hitchcock avec Ivor Novello (1927). Boris Karloff incarne le criminel dans le téléfilm Jack the Ripper (1958). Michael Caine endosse quant à lui le costume de l’inspecteur Abberline dans la minisérie Jack l’Éventreur (1988).
En 1991, les auteurs britanniques Alan Moore et Eddie Campbell s’emparent à leur tour de la légende pour concevoir les dix parties de leur roman graphique From Hell. S’inspirant pour le titre des mots supposément écrits par l’Éventreur dans l’une de ses lettres, Moore se focalise en particulier sur l’identité du tueur et surtout ses motivations. L’auteur cherche également à livrer une description minutieuse et une critique acérée de l’époque victorienne et de ses injustices. Pour ce faire, l’histoire met en scène Albert Victor de Galles, le duc de Clarence et petit-fils de la reine Victoria, qui s’amourache d’Annie Crook, une vendeuse de l’East End.
Lorsque la nouvelle de leur mariage catholique arrive jusqu’aux oreilles de la souveraine, celle-ci décide d’y mettre un terme au plus vite. Le duc est ainsi éloigné de Londres. Annie Crook est pour sa part lobotomisée et internée dans un asile d’aliénés. Apprenant le destin funeste de leur amie, un petit groupe de prostituées décide de profiter de la situation pour faire chanter la Couronne et obtenir l’argent que leur réclame par un gang de malfrats. Soucieuse de ne pas voir le scandale éclabousser son trône, la Reine Victoria demande alors à l’un de ses médecins, Sir William Gull, de réduire au silence les importunes.
Conduit dans les rues de Londres par son cocher, John Netley, le médecin philosophe régulièrement au sujet du combat intestin que les hommes doivent mener depuis des siècles afin de priver les femmes du pouvoir que ces dernières possédaient durant les temps préhistoriques. C’est pour accomplir cette destinée qu’il accepte de répondre favorablement aux ordres de la Reine Victoria. Il enchaîne ainsi les meurtres des prostituées, une tâche qu’il considère comme le meilleur moyen d’exercer ce qu’il appelle la « magie sociale ». Relayés par la presse, les crimes sont tous plus atroces les uns que les autres. L’inspecteur Frederick Abberline est de son côté chargé de mener l’enquête pour retrouver l’assassin...
Prenant comme point de départ la théorie développée par l’écrivain Stephen Knight selon laquelle la série de crimes serait l’œuvre d’une conspiration maçonnique destinée à cacher la naissance d’un enfant illégitime au sein de la famille royale, From Hell est conçu dès la fin des années 1980 par le scénariste Alan Moore qui s’associe au dessinateur Eddie Campbell. Publiée sous la forme de dix livrets en noir et blanc entre 1991 et 1996, puis en un seul volume de 572 pages en 1999, l’œuvre se divise en quatorze chapitres assortis d’un prologue, d’un épilogue et d’appendices permettant d’apporter aux lecteurs les précisions nécessaires pour comprendre le contexte de l’époque et surtout identifier les sources utilisées et le point de vue des auteurs. Repris par les éditions Delcourt qui proposent cette version intégrale en France en octobre 2000, From Hell est, entre autres, récompensé par l’Eisner Award de la Meilleure Histoire à suivre dès 1993, les Eisner Awards du Meilleur Scénario en 1995, 1996 et 1997, puis par l’Eisner Award du Meilleur recueil en 2000, lequel est suivi un an plus tard par le Prix de la critique lors du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.
Fascinés depuis très longtemps par le mythe de Jack l’Éventreur, Albert et Allen Hughes décident d’adapter l’œuvre d’Alan Moore et Eddie Campbell dès le milieu des années 1990, alors même que la publication de celle-ci n’est pas encore achevée. Originaires de Détroit, dans le Michigan, où ils voient le jour le 1er avril 1972, les jumeaux découvrent leur passion pour le cinéma durant l’enfance. Réalisant leurs premiers courts-métrages à l’âge de huit ans, ils débutent leur carrière après leurs études en signant notamment plusieurs clips musicaux. Grâce à l’argent gagné, il réalise premier long-métrage, Menace II Society (1993), qui leur permet d’obtenir une belle notoriété. Suivent Génération Sacrifiée (1995) puis le documentaire American Pimp (1999) qui confirment leur talent. Le Livre d’Eli (2009), Broken City (2013), Alpha (2018) et la série télévisée Les Forces du Mal (2004) complètent leur filmographie.
Jusqu’ici détenus par d’autres sociétés de productions, les droits de From Hell sont récupérés par 20th Century Fox à la fin des années 1990. Les frères Hughes se positionnent alors pour diriger le film. Ils abandonnent pour cela la réalisation de La Planète des Singes dont hérite finalement Tim Burton. Le scénario des deux frères est repris par un autre duo d’auteurs, Terry Hayes et Rafael Yglesias. Né en Angleterre, le premier a derrière lui une brillante carrière de journaliste avant de devenir le scénariste de Mad Max 2 (1981), Calme Blanc (1989) et de la série Bangkok Hilton (1989). Son premier roman, Je Suis Pilgrim (2013), devient par ailleurs un best-seller. Également écrivain, Rafael Yglesias signe les scénarios d’État Second (1993), La Jeune Fille et la Mort (1994), Les Misérables (1998) et Dark Water - Eaux Sombres (2005).
Reprenant le premier jet des frères Hughes, Terry Hayes et Rafael Yglesias procèdent à leur tour à plusieurs changements afin d’adapter l’œuvre d’Alan Moore et Eddie Campbell et la faire tenir dans un film de 120 minutes. L’intrigue du roman graphique est dès lors considérablement altérée. Toute forme de message politique et de critique à l’encontre de l’ère victorienne est gommée. Le mobile de William Gull consistant à déposséder les femmes de toute once de pouvoir ne transparaît plus. Les longues digressions du chirurgien à ce sujet ainsi que ses nombreux commentaires sur les anciennes religions, les monuments de Londres et leur symbolique sont également entièrement supprimés. John Netley, le cocher qui dans la bande dessinée écoute Gull parler, n’est par conséquent plus qu’un faire-valoir qui l’assiste ponctuellement en le conduisant sur les lieux des différents crimes.
La personnalité du tueur est elle-même changée. Connu dès les premières pages du comics alors même que son identité n’est révélée que durant le dernier acte du film, William Gull n’est plus habité par des visions mystiques. Cette aptitude est désormais transférée au personnage d’Abberline qui, sous l’effet de l’opium et de l’absinthe mélangée à quelque gouttes de poison, aperçoit l’avenir dans des sortes de rêves prémonitoires. Plus jeune que dans l’œuvre originale, le futur de l’inspecteur n’est d’ailleurs plus le même à la fin du film. Alors que certains personnages voient leur rôle réduit comme peau de chagrin, à l’image d’Albert Victor de Clarence, d’autres sont enfin purement et simplement supprimés de l’intrigue, en particulier Robert James Lees, l'ami médium d'Abberline, ou bien encore l'inspecteur Donald Swanson. La femme de William Gull est elle aussi trappée, tout comme la princesse Alexandra de Danemark et le peintre Walter Sickert, l’un des compagnons du prince Albert à l'origine de sa rencontre avec Annie Crook.
Le rôle de l’inspecteur Frederick Abberline est initialement écrit pour le comédien Daniel Day-Lewis qui décline. Sean Connery, puis Jude Law et Brad Pitt sont également un temps envisagés. En apprenant qu’il est lui aussi fasciné par l’histoire de Jack l’Éventreur, les frères Hughes offrent ensuite le rôle à Johnny Depp qui, au départ, le refuse. Le comédien estime en effet que le personnage est trop proche de celui d’Ichabod Crane dans Sleepy Hollow : La Légende du Cavalier Sans Tête de Tim Burton (1999). S’entraînant à parler avec l’accent cockney, il accepte toutefois quelques semaines plus tard, après que le tournage de L’Homme qui Tua Don Quichotte a avorté. Né à Owensboro, dans le Kentucky, le 9 juin 1963, l’acteur ajoute ainsi From Hell à sa longue filmographie composée de titre tels qu’Edward aux Mains d’Argent (1990), Ed Wood (1994), Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl (2003), Neverland (2004), Charlie et la Chocolaterie (2005), Alice au Pays des Merveilles (2010), Lone Ranger : Naissance d’un Héros (2013), Les Animaux Fantastiques (2016), Le Crime de l’Orient-Express (2017) et Jeanne du Barry (2023). Marquée par une belle collaboration avec Burton, la carrière de Johnny Depp est couronnée par de nombreux prix parmi lesquels un Disney Legends Award remis en 2015.
Le comédien Nigel Hawthorne obtient pour sa part le rôle de William Gull, le médecin de la Reine. Né le 5 avril 1929, le comédien s’est fait un nom au théâtre, à la télévision et au cinéma dans des films comme Gandhi (1982), La Folie du Roi George (1994) et Amistad (1997). Voix de Ritournel dans Taram et le Chaudron Magique (1985) et d’Archimède Porter dans Tarzan (1999), Hawthorne abandonne toutefois le projet le 26 juillet 2000, trois semaines après le début du tournage. Atteint d’un cancer en phase terminale, il n’est en effet plus en mesure de tenir le rôle. Il décèdera le 26 décembre 2001, deux mois environ après la sortie de From Hell. Son nom est mentionné dans les remerciements adressés par les réalisateurs à la fin du générique, comme un hommage à l'acteur de talent qu'il était.
Conservant certaines des scènes tournées par Hawthorne dans lesquelles le visage du personnage n’apparaît pas, les frères Hughes engagent Ian Holm pour le remplacer. Né à Ilford, en Angleterre, le 12 septembre 1931, l’acteur débute en 1954 sur les planches du Shakespeare Memorial Theatre. Passant devant la caméra en 1966, il mène ensuite une prolifique carrière à la télévision et au cinéma avec des apparitions dans Alien, le Huitième Passager (1979), Les Chariots de Feu (1981), Frankenstein (1994), Le Cinquième Élément (1997), Le Seigneur des Anneaux (2001-2003) et Le Hobbit (2012-2014). Interprète de Skinner dans Ratatouille (2007), Ian Holm est anobli par la Reine Elizabeth II en juin 1998. Il disparaît le 19 juin 2020.
Dans le scénario, l’inspecteur Abberline est épaulé par le sergent Godley incarné par l’acteur écossais Robby Coltrane (Henry V, Les Aventures de Huckleberry Finn, GoldenEye, Hagrid dans la saga Harry Potter). Heather Graham hérite quant à elle du rôle de Mary Jane Kelly (Scream 2, Austin Powers 2 : L’Espion qui m’a Tirée, Very Bad Trip, The Last Son). Le vétéran Ian Richardson prête ses traits à Sir Charles Warren, le chef de la police (Brazil, Le Chien des Baskerville). Jason Flemyng joue le cocher John Netley (Le Livre de la Jungle - Le Film, Un Cri dans l’Océan, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, Le Choc des Titans, X-Men : Le Commencement). Les victimes de l’Éventreur sont interprétées par Annabelle Apsion, Katrin Cartlidge, Susan Lynch, Lesley Sharp et Estelle Skornik. Joanna Page, Paul Rhys, David Schofield, Terence Harvey, Mark Dexter et Liz Moscrop complètent le casting dans les rôles d’Annie Crook, du docteur Ferral, du gangster McQueen, de Benjamin Kidney, du Prince de Galles et de la Reine Victoria.
Les prises de vues de From Hell débutent le 5 juin 2000. Un tournage en Angleterre étant trop onéreux, les frères Hughes posent alors durant six semaines leurs caméras à Prague, en République Tchèque, ainsi que dans les studios Barrandov où le quartier de Whitechapel, aujourd’hui moderne, est reconstitué tel qu’il était au XIXe siècle. Quelques plans extérieurs sont malgré tout réalisés au Royaume-Uni, en particulier à Goldings Estate, dans l’Herfortshire, et à Crackington Haven, sur la côte des Cornouailles, où sont filmés certains des derniers plans du film.
Mis en musique par Trevor Jones (Excalibur, Dark Crystal, Arachnophobie, Le Dernier des Mohicans, À Armes Égales : G.I. Jane, Le Tour du Monde en Quatre-Vingts Jours), From Hell entre en post-production durant l’automne 2000. Plusieurs changements sont alors opérés afin que les quelques scènes filmées avec Nigel Hawthorne ne jurent pas avec les plans de son remplaçant, Ian Holm, plus petit que lui. Les monteurs George Bowers et Dan Lebental doivent également revoir leur copie suite aux premières projections-tests durant lesquelles le film est jugé beaucoup trop violent. Afin d’éviter qu'il ne soit classé NC-17 (interdit aux mineurs de moins de 17 ans), plusieurs séquences sont par conséquent modifiées et certaines images retravaillées pour masquer les passages les plus gores. From Hell reçoit ainsi la classification R-Restricted (Interdit aux moins de 17 ans non accompagnés d’un adulte).
Ce montage au cordeau est certainement l’une des grandes qualités de From Hell. Le film ne souffre en effet d’aucun temps mort. L’expertise de George Bowers (Randonnée Pour un Tueur, Les Nuits de Harlem, Les Country Bears) et de Dan Lebental (Iron Man, Cowboys et Envahisseurs, Ant-Man) permet aux scènes de s’enchaîner avec rythme en proposant des moments de calme salvateurs entre deux séquences de massacre. Peu bavarde, l’histoire se déroule de manière linéaire sans jamais laisser les spectateurs dans l’expectative.
La représentation de Londres et de l’ère victorienne est elle-même de toute beauté grâce à la photographie léchée de Peter Deming (Evil Dead 2, Austin Powers, Scream 3, Le Monde Fantastique d’Oz, Le Menu). Dès les premières minutes, le public est plongé au cœur de Londres, « The Old Smoke » avec ses cheminées et ses usines qui inondent les rues de leur fumée épaisse. La silhouette de la métropole se dessine alors avec ses monuments emblématiques, en particulier le dôme de la Cathédrale Saint-Paul qui se dresse dans un ciel d'aurore rougeoyant comme tout droit sorti des Enfers. La pénombre laisse entrevoir furtivement les nombreux coupe-gorges de Whitechapel et deviner les meurtres qui s’y produisent sans trop en révéler sur l’identité de l’Éventreur. L’usage de la couleur vert fluo pour signifier la présence dans les parages du tueur est elle-même particulièrement bien trouvée et participe à amplifier le caractère anxiogène de certains passages.
Le découpage et la photographie du film permettent de brillamment magnifier la distribution qui, elle aussi, est excellente. Johnny Depp incarne avec talent un inspecteur Abberline sévèrement impacté par les malheurs de la vie. Il offre alors une belle empathie à son personnage qui, s’il ne semble pas sourciller devant les corps mutilés des victimes, est malgré tout capable de briser la carapace et d’ouvrir son cœur lors de ses échanges avec le sergent Godley ou avec Mary Kelly. Le duo formé par Depp et Robbie Coltrane fonctionne au passage à merveille. Physiquement à l’opposé l’un de l’autre, tous les deux se complètent parfaitement, Godley agissant comme une sorte d’ange-gardien salvateur pour un Abberline totalement désabusé. Heather Grahame est elle-même irréprochable dans le rôle de Mary Jane Kelly à qui elle confère une belle dignité et beaucoup de force de caractère.
Le groupe des vétérans n’est pas en reste. Ian Richardson incarne avec flegme et hauteur Sir Charles Warren, le chef de la police dont la mission principale est moins de trouver le véritable coupable que de maintenir à tout prix l’ordre public, et qu’importe si cela nécessite de souiller une scène de crime et d’effacer des preuves. Mais la palme revient évidemment à Ian Holm. Bien qu’il soit arrivé dans le projet tardivement, le comédien est parvenu à brillamment s’approprier le personnage de Sir William Gull. Interprétant avec finesse le vieux et frêle médecin fragilisé par une attaque d’apoplexie, Holm est dans le même temps capable d’insuffler toute sa rage à son personnage au cours de scènes particulièrement déstabilisantes. Comme Johnny Depp et Robbie Coltrane, Ian Holm forme un beau duo avec Jason Flemyng qui joue le rôle de son cocher, Netley. Tous les deux se complètent en effet fort justement. Physiquement, le premier représente la « belle » noblesse lorsque le second symbolise les fanges les plus misérables de la population. Moralement, le premier est pourvu d’une force de caractère impressionnante quand le second est incapable de contenir ses nerfs face à l’ampleur du massacre auquel il est malgré lui associé.
Pour entrer dans la peau de leurs personnages respectifs, les comédiens ont pu profiter des saillants costumes créés par les ateliers de la costumière australienne Kym Barrett (Roméo + Juliette, Matrix Révolutions, The Amazing Spider-Man, Cloud Atlas, Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux). Ils ont par ailleurs pu évoluer dans les remarquables décors dessinés par Martin Childs (Henry V, Shakespeare in Love, Quills, la Plume et le Sang, Mr. Holmes). Obligé de récréer entièrement le quartier de Whitechapel dont les vestiges du XIXe siècle ont progressivement disparu, le directeur artistique a poussé le sens du détail très loin afin de plonger les spectateurs dans ce qui, à l’époque, s’apparentait à un véritable cloaque à ciel ouvert. Souhaitant créer une reconstitution absolument fidèle, Childs et ses équipes sont même allés jusqu’à acheter de véritables pavés d’époque afin de rendre les lieux encore plus authentiques. Il en résulte un environnement tout à fait crédible. Plusieurs matte-paintings numériques permettent en outre d’approfondir encore davantage le caractère immersif du film. Alors même que nombre de films hollywoodiens ne se soucient guère de la véracité historique, From Hell peut se targuer de plonger les spectateurs dans une pointilleuse vision de la Londres du XIXe siècle en montrant, par exemple, une représentation très proche de la façade de Buckingham Palace telle qu’elle était à une époque où les frontons triangulaires actuels n’existaient pas encore.
Fort de ses nombreuses qualités, From Hell n’est toutefois pas exempt d’écueils. Parmi eux, la musique de Trevor Jones ne restera pas dans les annales. S’ils permettent d’habiller les différentes séquences, aucun thème marquant, ni aucune envolée lyrique ne resteront en tête à la fin du visionnage. Mais le principal défaut de From Hell reste indéniablement son décalage vis-à-vis de l’œuvre originale. Si la bande dessinée d’Alan Moore et Eddie Campbell est la source d’inspiration principale du film, force est de constater que sa transposition à l’écran lui a fait perdre toute sa substance. Le message politique et social de l’œuvre est incontestablement perdu. Ce reproche peut d’ailleurs être fait pour la plupart des adaptations de romans graphiques au cinéma. From Hell peut dès lors être considéré comme une création originale à part entière, tant ses liens avec le support d’origine sont ténus.
La première de From Hell a lieu le 10 septembre 2001 lors du Festival International du Film de Toronto. Le long-métrage sort ensuite dans les salles américaines le 19 octobre 2001, à l’occasion des congés d’Halloween, puis en France le 30 janvier 2002. La critique est alors très partagée. Kim Newman, dans le magazine Empire, fait partie des convaincus en parlant d’un film d’horreur « rare et intelligent ». « From Hell est un film riche, atmosphérique et exaltant », écrit pour sa part Roger Ebert dans le Chicago Sun-Times. « From Hell est un film extraordinairement violent qui bénéficie de l’une des directions les plus époustouflantes que j’ai vu durant ces dernières années », pense Elvis Mitchell du New York Time, « Le film est réussi même s’il a ses propres défauts. La tentative de relier le mélodrame social et le suspense pèche par certains endroits. Mais le but des frères Hughes est ici de montrer une sauvagerie épique et ils parviennent avec brio à recréer cette ambiance ».
« Jack l’Éventreur est de retour », note de son côté Derek Elley dans les colonnes de la revue Variety, « Mais le résultat est plus proche d’un film de la Hammer que du véritable From Hell. Tous ceux qui s’attendait à ce que l’association des frères Hughes et du célèbre tueur en série victorien soit un film d’horreur stygien et dégoûtant seront déçus ». « Les Hughes fichent tout en l’air en enterrant leur formidable casting sous un tas de frayeurs convenues, de romances ridicules et de clichés tout droit sortis de l’Enfer », ajoute Peter Travers de Rolling Stone. Alan Moore, l’auteur de l’œuvre originale, enfonce lui-même le clou en reprochant au film le traitement des personnages, en particulier le bourru inspecteur Abberline remplacé ici par « un dandy amateur d’absinthe ».
Réalisé avec un budget de 35 millions de dollars, From Hell parvient à se placer en haut du podium lors de sa première semaine d’exploitation en battant Training Day et Le Dernier Château. Il dégringole ensuite et se fait voler la vedette par K-PAX : L’Homme qui Vient de Loin, 13 Fantômes et, dans un tout autre registre, Monstres & Cie. En fin de carrière, le long-métrage parvient à dégager des recettes à hauteur d’environ 75 millions de dollars dans le monde, réalisant de fait une performance toute relative.
Au final, From Hell s’avère être une remarquable plongée dans les méandres sinueux et peu ragoûtants de la Londres du XIXe siècle. Les amateurs de films d’horreur y trouveront forcément leur compte avec un bon lot de meurtres effroyables. Les passionnés de théories fumeuses seront eux-mêmes rassasiés en découvrant un pouvoir établi royalement écorné. Quant aux spectateurs recherchant davantage de psychologie, ils seront eux aussi comblés. Seuls les lecteurs de la première heure du From Hell d’Alan Moore et Eddie Campbell trouveront malgré tout à y redire dès lors que la substantifique moelle de l’œuvre originale est ici passablement perdue. Ceux qui n’ont jamais lu la bande dessinée, pour leur part, apprécieront l'ensemble pour ce qu’il est, à savoir un beau film d’époque horrifique portant sur l’un des mythes les plus célèbres et les plus populaires de l’Époque contemporaine.