Le Voyage d'Arlo
Titre original : The Good Dinosaur Production : Pixar Animation Studios Date de sortie USA : Le 25 novembre 2015 Genre : Animation 3D 3-D |
Réalisation : Peter Sohn Musique : Mychael Danna Jeff Danna Durée : 95 minutes |
Autre(s) disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
La catastrophe cataclysmique qui a bouleversé la Terre et provoqué
l'extinction des dinosaures n’a jamais eu lieu si bien que les dinosaures ne se
sont jamais éteints. Dans ce contexte, Arlo, un jeune Apatosaure au grand cœur, maladroit et craintif, va vivre une aventure qui le conduit à faire la rencontre et prendre sous son aile un étonnant compagnon en la personne de Spot, un petit garçon sauvage et très dégourdi. |
La critique
La qualité au sein des Pixar Animation Studios ressemble depuis quelque temps à une véritable montagne russe. Deux films décevants (Cars 2, Rebelle), un film fort sympathique (Monstres Academy) et un petit bijou (Vice-Versa) sont en effet venus dernièrement étoffer son catalogue. 2015 restera d'ailleurs l'année où, pour la toute première fois de son histoire, le studio de Luxo Jr. sort deux opus. Mais voilà… Si Vice-Versa se plaçait facilement parmi les meilleurs Pixar, Le Voyage d'Arlo est, lui, à la peine. Il se situe, il est vrai, clairement, dans le bas du panier. La faute à une histoire par trop prévisible, une absence de double lecture pourtant jusque-là marque de fabrique du label, des personnages secondaires sans saveur et une impression de déjà-vu malgré une idée de départ excellente. Reste alors le minimum syndical pour un Pixar : à savoir ; des décors somptueux, une superbe musique, deux personnages principaux terriblement attachants et une émotion qui arrive à toucher le spectateur.
La création d'un film n'est jamais un long fleuve tranquille. Si Pixar a, en effet, déjà connu de gros aléas dans ses productions (Ratatouille, Cars 2, Rebelle..) ; celle du (Le) Voyage D'Arlo est assurément qualifiable de summum des errances jamais subies par le studio. Chose inhabituelle, ces difficultés se sont vues à l'extérieur : et pour cause, elles ont eu des conséquences sur ses employés et sur le calendrier du film. Retour sur une gestation chaotique.
L'idée du (Le) Voyage d'Arlo remonte à 2009 et revient à Bob Peterson. Ce dernier, né le 18 janvier 1961 dans l'Ohio, rentre chez Pixar en 1994 où il est embauché pour travailler sur des publicités avant d'être transféré sur Toy Story en tant qu'animateur et storyboarder. A partir de là, il va œuvrer sur quasiment tous les long-métrages pixariens en tant que scénariste, storyboarder ou doubleur. Il obtient son premier poste de co-réalisateur sur Là-Haut puis, succès aidant, se voit offrir de mettre en images son propre film, selon ses propres idées. Bob Peterson explique alors bien volontiers qu'il tire le thème du (Le) Voyage d'Arlo de la Foire Internationale de New York de 1964 dont il se rappelle l'attraction de Walt Disney, Magic Skyway. Il s'est ainsi benoîtement interrogé : « Et si la météorite n'avait pas heurté la Terre ? Et si les dinosaures n'avaient pas disparu et cohabitaient avec les humains ? ». A ces interrogations, il répond en postulat que les dinosaures resteraient toujours des dinosaures et qu'il était hors de question qu'ils portent des vêtements ou quoi que ce soit de civilisé tandis que la civilisation en serait, elle, à peu près au même niveau que celle des humains du Néolithique. Dans ce contexte, les herbivores seraient devenus des fermiers et les carnivores, des éleveurs….
L'histoire entre Spot et Arlo est donc déjà présente dans la première version du film même si sa thématique est à l'époque totalement différente de ce qu'elle sera à l'arrivée. Dans cette ébauche, Arlo est mal à l'aise au sein de sa famille et fait partie d'un groupe social bien plus grand que celui où il sera dans la version finale. Le casting anglais de cette première version comprend alors de grands noms comme Lucas Neff, John Lithgow, Frances McDormand, Neil Patrick Harris, Judy Greer et Bill Hader. Présenté lors de la D23 Expo 2011 sous le titre The Untitled Pixar Movie About Dinosaurs, le projet prend quelques mois plus tard son nom définitif. Prévu à l'origine pour sortir le 27 novembre 2013 (La Reine des Neiges des Walt Disney Animation Studios ayant finalement pris le créneau avec un succès sans précédent), il est repoussé dans un premier temps au 30 mai 2014. Patatras... Lors de la D23 Expo 2013, la présentation du film, se fait sans Bob Peterson ! L'opus est ainsi présenté par le co-réalisateur Peter Sohn et la productrice Denise Ream. Cette absence éveille les soupçons. Les spécialistes spéculent alors sur un éventuel problème dans la production. Tout tourne autour du fait que le réalisateur n'arriverait pas à mettre en place le dernier acte du film. La crainte se confirme un mois plus tard, avec l'annonce d'un nouveau report au 25 novembre 2015 mais surtout le départ du réalisateur Bob Peterson, la promotion de Peter Sohn en tant que réalisateur et la réécriture totale du script ! C'est la première fois dans l'histoire du studio qu'un film est décalé de la sorte ; précision faite qu'il est tout de même arrivé que certains opus soient carrément annulés très en amont de leurs sorties à l'image de Newt par exemple. Et ce n'est pas sans conséquence sur la vie du studio puisque 67 employés sont licenciés pour amortir les problèmes budgétaires et organisationnels. John Lasseter assume cette série de décisions difficiles en expliquant qu'il est absolument nécessaire de repousser le film pour qu'il soit le plus réussi possible…
Peter Sohn est donc choisi pour reprendre le flambeau. Né en 1977, il fait ses études à CalArts avant de commencer à travailler chez Warner sur Le Géant de Fer et Osmosis Jones. Il rentre ensuite chez Pixar pour travailler sur Le Monde de Nemo en tant que scénariste. Sur Les Indestructibles, en plus du scénario, il est également animateur et doubleur ; rôles qu'il reprend sur Ratatouille en assurant, en plus, la voix d'Emile. Il travaille sur les scénarios de WALLE, de Là-Haut et de Toy Story 3. Il sert même de modèle à Russel dans Là-Haut et prête sa voix à Squishy dans Monstres Academy. Il fait entre-temps ses débuts en tant réalisateur sur l'adorable court-métrage, Passages Nuageux.
L'histoire du (Le) Voyage d'Arlo est totalement repensée. Le personnage d'Arlo est en effet rajeuni et son environnement se focalise désormais uniquement sur sa famille. Une des conséquences de ces ajustements est une révision totale du casting. Seule Frances McDormand reprend finalement le rôle de la mère du jeune dinosaure. La Nature prend également une place bien plus importante que lors de la première version du film. Arlo, qui devait avoir trois frères, les voit fusionnés en un seul tandis qu'une sœur lui est rajoutée. L'apparence du film change aussi radicalement pour se concentrer sur des décors hyperréalistes. L'équipe utilise d'ailleurs à cette fin des données sur la topographie, le relief et l'altitude du terrain fournies par l'institut d'études géologiques américain.
L'idée de départ du (Le) Voyage d'Arlo est un postulat génial. Il s'agit de l'histoire d'un garçon et de son animal de compagnie mais avec un point de vue inversé. Le dinosaure est ainsi le « garçon », et c'est lui qui a la capacité de parler tandis que le jeune humain est « l'animal de compagnie » et ne pousse que des grognements. Mais voilà… A partir de là, le bas blesse ! Pourquoi retenir cette idée de se bloquer sur une civilisation, au final, peu développée ? Le principe était assez fort pour proposer un film qui se démarquait de tous les films d'animation sur les dinosaures ; un film qui aurait, par exemple, flirté avec l'univers suivi par Dinosaures des Studios Jim Henson mettant en exergue la capacité de ces grosses bêtes à être très inventives. Et au-delà, pourquoi ce même travers qui veut que les films d'animation avec des dinosaures soient toujours des road-movies ? C'était déjà le cas avec Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles co-produit par Lucasfilm Ltd. mais aussi avec Dinosaure des Walt Disney Animation Studios. Et malheureusement, Le Voyage d'Arlo ne déroge pas à la règle. Tout cela donne alors un terrible air de déjà-vu amplifié par le réflexe mal maîtrisé du réalisateur de picorer, à droite et à gauche, des éléments emblématiques d'autres films des studios Disney. La relation avec la Nature fait, il est vrai, par trop penser à Bambi ; la notion de père / fils tout comme certains personnages rappellent eux Le Roi Lion ; le parcours initiatique est, lui, une resucée de L'Incroyable Randonnée et son remake L'Incroyable Voyage ; la succession des rencontres imite pour sa part (Le) Livre de la Jungle ; enfin, le lieu de l'action et l'importance des empreintes singent Frère des Ours. Pire encore pour cette dernière référence : c'est la seconde fois qu'un Pixar s'inspire (mal) de Frère des Ours (Rebelle ayant été la première).
Déjà handicapé par une mise en scène d'une pauvreté coupable - d'autant plus coupable qu'elle devait servir une idée de départ juste formidable - Le Voyage d'Arlo présente un handicap de taille, inédit dans le catalogue Pixar. L'opus ne dispose en effet que d'un seul niveau de lecture ! Jusqu'à maintenant, tous les films du studio étaient aussi bien destinés aux enfants qu'aux parents, à l'exception peut-être de Vice-Versa qui s'est vu reproché d'être trop adulte ; un reproche qui n'a fort heureusement pas gêné sa carrière. Ici, c'est totalement l'inverse. Les adultes sont priés de passer leur chemin car ils vont avoir bien du mal à accrocher à cette histoire si linéaire, sans double lecture aucune. L'absence de méchant cause, dans ce cadre, beaucoup de tort au récit. Le manque flagrant de tension plombe, en effet, l'intérêt général. Ne pas disposer de Vilain n'est certes pas forcément un mal en soi mais faut-il encore que cet état de fait soit contrebalancé par d'autres éléments. Or, ici, rien n'est prévu pour prendre le relais… Comme pour les films de Princesse, Pixar a visiblement beaucoup à apprendre de Disney quand il s'agit pour lui d'explorer le genre des films pour enfants. Certains Disney à destination des tout-petits sont, en effet, des chefs-d'œuvre. Par exemple, Bambi profite d'une poésie et d'une simplicité de toute beauté alors que Les Aventures de Winnie l'Ourson dispose, lui, de personnages secondaires attachants, tous plus réussis les uns que les autres. Le Voyage d'Arlo pêche au contraire sur à peu près tout : en dehors de ses personnages principaux, Arlo et Spot, les autres sont, il est vrai, fades et sans surprises tandis que le récit est plan-plan à souhait et a bien du mal à conserver l'attention des spectateurs de bout en bout. L'ennui n'est jamais vraiment là mais aucune envie de nouvelle vision ne se fait jour à la fin de la séance. Aussitôt vu, aussitôt oublié !
La vraie réussite du film est toutefois à rechercher dans la relation entre Arlo et Spot. Les deux personnages sont réellement attachants et leur amitié
touche au cœur. Dans de nombreuses scènes, l'émotion est palpable
et crédible. Une des plus belles séquences est assurément celle où les deux
compagnons se racontent leur contexte familial ; les larmes des spectateurs sont
alors dures à retenir ! La fin, également, est une parfaite réussite dans ce
qu'elle est extrêmement poignante. Le film est alors peu bavard et profite à
plein de la superbe interaction des deux personnages qui le portent.
Arlo est donc un apatosaure, benjamin d'une famille de cultivateurs où chacun
doit avoir sa place et travailler pour les autres. Malheureusement, il est un
petit être frêle que tout effraie. La vie va bien vite lui jouer un sacré tour
en l'éloignant malencontreusement de chez lui : il va alors tout faire pour
retrouver les siens. Sa quête le fait grandir et lui permet d'affronter ses
peurs. Sa rencontre avec Spot, un jeune humain, avec qui il se lie d'amitié,
va d'ailleurs changer sa vie. D'une fidélité sans borne, le petit homme - non
doué de la parole - met, en effet, au service du petit dinosaure son agilité et
son courage pour le sortir de situations plus inextricables les unes que les
autres.
Si les scènes où Arlo et Spot sont réunis constituent les points forts du
film, les rencontres qu'ils font tout au long de leur périple plombent au
contraire littéralement le récit. La faute à des personnages secondaires sans
intérêt que cela soit Le Collectionneur, le styracosaure un peu fou (doublé en
français par Eric Cantona) ; Coup de Tonnerre et ses acolytes, les ptérodactyles
contrebandiers ; Butch, Ramsey et Nash, les tyrannosaures éleveurs ; ou encore
Bubbha et ses compères, les velociraptors voleurs. En dehors du fait que pour un
film sur les dinosaures, le nombre d'espèces est vraiment très limité, les
caractères des personnages sont par trop caricaturaux : le pire étant sans doute
atteint avec les velociraptors qui ressemblent à un croisement entre les hyènes
du (Le) Roi Lion et les vautours du (Le) Livre de la Jungle.
Errance supplémentaire, même les parents d'Arlo ne sont pas très attachants !
Henry, le père, est toutefois dans ce contexte peut-être le mieux défini. Il n'a
cependant pas le charisme d'un Mufasa et ce, même si de nombreuses scènes tentent de
rappeler, ici et là, de façon inconsciente ou non, ce personnage mythique. La
mère Ida, la soeur Libby et le frère Buck sont, quant à eux, trop passe-partout
pour mériter une once d'attention.
Au final, et en dehors d'Arlo et Spot, seul un autre personnage prend une importance capitale dans le film : il s'agit de la Nature elle-même, faune ou flore. Arlo au fil de son périple va, en effet, apprendre à vivre avec elle. En se nourrissant d'elle, en la combattant ou en la défendant, il va découvrir toutes ses merveilles cachées, plus belles les unes que les autres.
Ainsi, Le Voyage d'Arlo offre un visuel époustouflant. Les paysages sont tout simplement magnifiques et le rendu hyperréaliste est un régal pour les yeux. Ce sont un dépaysement total et un voyage digne d'un film Disneynature qui attendent le spectateur (il aura notamment l'impression d'être quelquefois devant Grizzly...). Le Voyage d'Arlo est indéniablement beau ! Une des plus grandes prouesses de l'opus est d'ailleurs assurément le rendu des nuages qui sont aussi vrais que natures. Entièrement volumétriques et non plus peints comme dans les précédents films des studios, ils ont ainsi la possibilité de bouger et subliment alors le côté réaliste des décors. Néanmoins, au delà de la prouesse technique qui est impressionnante, il est impossible de ne pas voir dans ce parti pris technique, une certaine paresse artistique. Restituer des décors réalistes ressemble plus à un travail de copie ou de photocopie là où l'animation permet, elle, d'avoir des univers plus personnels et donc de laisser divaguer son imagination. Ce sentiment est d'autant plus vrai que le visuel des décors est presque en contradiction avec l'apparence très cartoon des personnages, qui, pour le coup et dans ce cadre, font presque « jouets en plastique ». Le contraste obtenu entre les deux est ainsi déstabilisant et demande un petit effort au spectateur pour s'y habituer. Les décors du film n'en restent, pour autant, pas moins d'une magnificence sans égale et sont d'ailleurs superbement soutenus par une musique émouvante à souhait, signée des frères Jeff et Mychael Danna. Les deux compositeurs ont visiblement choisi de tirer des larmes aux spectateurs durant les moments d'émotion...
Depuis 2011 et le calamiteux Cars 2, Pixar a visiblement perdu
de sa superbe. Le Voyage d'Arlo se situe, en effet, dans le bas du
classement aux côtés des aventures de Martin agent-secret et de Mérida, fausse
rebelle. Le plus triste dans ce constat est que Le Voyage d'Arlo était,
avec Vice-Versa (une pépite lui), un des rares films originaux sur
le line-up de Pixar. Sur les cinq opus à venir, quatre sont, en effet,
des suites dont les deux prochains, particulièrement illégitimes et inutiles : Le Monde de Dory
en 2016 et Cars 3 en 2017. Comme en 2015, 2017 verra donc deux films
Pixar mais un seul sera totalement original : Coco.
Qu'arrive-t-il au studio de Luxo Jr. ? Ses difficultés sont peut-être à
rechercher du côté de son rythme de production. Jusqu'à 2015, Pixar
proposait, en effet, un film tous les ans. Le passage de trois films par période
de deux ans est à l'évidence une mauvaise idée ! Elle force les artistes à
sortir des opus à un rythme soutenu et plombe toutes volontés d'originalité.
D'autres studios sont d'ailleurs revenus de ce système de surproduction :
l'emblématique concurrent DreamWorks Animation a ainsi abandonné un
planning à trois films par an en 2015 pour ralentir à deux par an à partir de
2016… Pire, au sein de The Walt Disney Company, le rythme de production
de Pixar gène celui des Walt Disney Animation Studios. Ces
derniers conservent certes deux films tous les deux ans, sauf qu'au lieu de les
sortir tous à Noël, l'un des deux passe en mars, une période somme toute moins
propice au succès. Cette situation est d'autant plus dommageable que si Pixar
Animation Studios sont en panne d'imagination, Walt Disney Animation
Studios vivent eux leur quatrième âge d'or depuis
La Princesse et la Grenouille et dont
Zootopie devrait être un emblème
supplémentaire en 2016…
Le Voyage d'Arlo est un Pixar pour enfants, mignon comme tout. Les bambins vont adorer la bonne bouille d'Arlo et son amitié avec Spot. Les adultes, eux, risquent de s'ennuyer ferme en raison de l'absence coupable d'un deuxième niveau de lecture. Restent alors la beauté des décors, la sublime musique et… l'émotion tire-larme ici ou là.