Le Prince Jean
Date de création : Le 08 novembre 1973 Nom Original : Prince John Créateur(s) : Ken Anderson Ollie Johnston |
Apparition : Cinéma Télévision BD Parcs Voix Originale(s) : Peter Ustinov Voix Française(s) : Philippe Dumat |
Le portrait
En 1973, les studios Disney offrent au public une nouvelle adaptation de Robin des bois. Déjà transposée des dizaines de fois sur le petit et le grand écran avec notamment Robert Frazer, William Russell, Douglas Fairbanks, Errol Flynn, Richard Todd, Richard Greene, Sean Connery, Kevin Costner ou encore Russell Crowe dans le rôle-titre, cette énième interprétation des aventures du héros détroussant les riches pour donner aux pauvres se démarque toutefois des autres en proposant de représenter les personnages sous la forme d’animaux anthropomorphes tout droit inspirés par le travail d’étude entrepris près de dix ans plus tôt à l’époque de la production de Chantecler et le Renard, un projet finalement suspendu au début des années 60. Renards, ours, chiens, chats, loups, lapins, tortues, volailles et serpents peuplent ainsi la forêt de Sherwood. Et parmi cette faune tout à fait inhabituelle, un animal tire son épingle du jeu, le légendaire prince Jean, vingt-quatrième roi d’Angleterre représenté pour sa part sous les traits d’un lion décharné…
Cinquième fils du roi Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine né le 24 décembre 1166, Jean n’est, à sa naissance, pas destiné au trône. Exclu comme le veut de la tradition de la succession au profit de ses aînés, il reçoit alors le surnom de Jean sans Terre. Laissé pour compte, il retrouve cependant rapidement les faveurs de son père après la révolte de ses frères organisées entre 1173 et 1174. Devenu seigneur d’Irlande, il se voit ainsi remettre des terres sur le continent. Accédant au trône en 1199 après la disparition de ses trois premiers frères, Guillaume, Henri et Geoffroy, et la mort de Richard Cœur de Lion durant la troisième croisade, le roi Jean doit dès les premières semaines de son règne affronter la menace représentée par le roi Philippe II de France qui parvient à mettre la main sur la Normandie. Durant ses années au pouvoir, il n’a alors de cesse de tenter de reconquérir ses terres perdues jusqu’à sa défaite à Bouvines en 1214. Tentant de réformer son armée, il lance également une politique économique offensive grâce à laquelle il parvient à remplir les caisses du trésor royal. Mais l’augmentation des impôts soulève bientôt contre lui les barons anglais qui parviennent à lui imposer en 1215 de signer la Magna Carta, la Grande Charte dans laquelle les libertés individuelles sont désormais garanties pour les hommes du royaume. Refusant toutefois d’appliquer le texte, Jean doit affronter la noblesse soutenue par la France lors de la Première Guerre des barons dont il ne voit pas la fin, emporté par la dysenterie en 1216.
Perçu par les historiens comme un général expérimenté et un dévot désireux de mieux organiser l’Église dans son pays au risque d’être excommunié par le pape Innocent III, Jean Sans Terre a surtout laissé l’image exagérée d’un tyran égoïste, faible et cruel écrasant le peuple sous les taxes, une image rapidement colportée par des auteurs comme Shakespeare dans La Vie et la Mort du Roi Jean et Walter Scott dans Ivanhoé au point de s’ancrer définitivement dans l’inconscient collectif en même temps que la légende de Robin des bois. Réputé pour être le méchant de l’histoire, Jean est dès lors représenté ainsi dans les différentes adaptations cinématographiques, les deux versions produites par les studios Disney, Robin des Bois et ses Joyeux Compagnons et Robin des Bois, ne faisant pas exception à la règle.
Dans la première réalisée par Ken Annakin directement au Royaume-Uni et sortie dans les salles en 1952, le rôle du prince est tenu par le comédien et auteur britannique Hubert Gregg, l’une des voix de la BBC à l’affiche de films comme The Rooth of All Evil, La Rose et l’Oreiller, The Third Visitor, Final Appointment et Stars in Your Eyes. Peu remarquable à l’écran, le personnage reste alors associé aux clichés du genre, l’interprétation de Gregg, très classique, se confondant finalement avec celles de Claude Rains dans le classique de 1938 et de Guy Rolfe dans Ivanhoé sorti la même année que le long-métrage en prises de vues réelles de Disney.
Dans la seconde adaptation, animée cette fois et la plus connue évidemment, c’est en pleine collecte des impôts que le deuxième prince Jean version Disney apparaît pour la première fois dans le classique animé de 1973. Parvenu à évincer son frère Richard parti à la Croisade après avoir été hypnotisé par le serpent Triste Sire, le souverain traverse donc les bois entouré de sa colossale garde chargée pour lui de remplir le trésor royal au grand dam des habitants assommés par les taxes. Bien décidé à faire payer le bon peuple de Nottingham, il est cependant surpris par Robin des bois qui, déguisé en diseuse de bonne aventure, parvient à dérober sous son nez son argent avec l’aide de son ami Petit Jean. Dupé malgré les nombreuses mises en garde de Triste Sire, Jean est non seulement volé, mais également déshabillé et traîné dans la boue, au sens propre comme au sens figuré !
Bien décidé à se venger, le prince Jean choisit alors de prendre ses quartiers dans le château construit par sa mère à Nottingham et, grâce concours du vil shérif, d’assommer la population avec de nouveaux impôts jusqu’à ce que celle-ci ne lui livre Robin et ses complices, ceux qui ne peuvent pas payer finissant inexorablement dans ses geôles. Mais la réputation du héros auprès du petit peuple est telle que personne, malgré la forte récompense promise, n’accepte de le dénoncer. Le souverain change dès lors son fusil d’épaule et décide de piéger Robin en organisant un concours de tir à l’arc. Mais une fois encore, c’est un échec, le renard malin parvenant in extremis à fuir avec sa belle promise Marianne et son ami Petit Jean qui, avant de partir, n’a pas oublié de détrousser un peu plus le royal prince !
Moqué par la population, le prince Jean se venge une nouvelle fois en augmentant encore et toujours les taxes. Ses prisons se remplissent de détenus insolvables. Sa chambre à coucher croule pour sa part de sacs et de pièces d’or. Mais son ennemi court toujours et le monarque n’est pas satisfait. Apprenant que Frère Tuck, le curé de la paroisse, a été arrêté, il joue alors son va-tout et condamne l’ecclésiastique à la potence, espérant ainsi tendre un nouveau piège à Robin qui ne manquera pas de venir libérer son ami. Mais une fois encore, il essuie un cinglant échec…
À la barbe des gardes du château, Frère Tuck est libéré de prison comme l’ensemble des villageois. Pire, Robin parvient même à entrer dans les quartiers du roi et à dévaliser la chambre du prince, emportant jusqu’au dernier sac d’or sous le nez de Jean, profondément endormi au creux de son lit. Et l’alerte lancée par Triste Sire n’y change rien. Cerise sur le gâteau, en tentant de le poursuivre, l’idiot shérif de Nottingham incendie le palais. Suçant frénétiquement son pouce, le prince Jean voit alors son Némésis prendre la fuite avec le magot pendant le château de sa chère « môman » part en fumée ! Finalement, le bon roi Richard revient sain et sauf de la Croisade. L’argent est rendu au bon peuple. Tout rentre dans l’ordre, sauf pour Jean et ses sbires, le shérif et Triste Sire, envoyés au bagne et condamnés à casser des pierres jusqu’à nouvel ordre…
Lorsqu’ils se mettent en tête d’adapter la légende de Robin des bois, les animateurs de Disney savent qu’ils sont confrontés à un défi de taille. Après avoir participé à la production du (Le) Livre de la Jungle et validé le script des (Les) Aristochats, Walt, emporté par un cancer en décembre 1966, n’est en effet plus à leurs côtés. Inquiets pour l’avenir de la branche animation des studios, en sursis depuis l’échec de La Belle au Bois Dormant en 1959, ils décident alors de se rassembler derrière Wolfgang Reitherman et de miser sur un projet assez classique grandement inspiré des recherches entreprises dès les années 1940 sur Le Roman de Renart et sur le travail effectué au début des années 1960 sur Chantecler et le Renard. Jetant leur dévolu sur les aventures de Robin des Bois, ils savent qu’ils tiennent là de quoi faire une belle petite comédie animée avec un héros fringuant, une héroïne amante, une pléiade de seconds rôles amusants et surtout un grand méchant emblématique représentés depuis des années au cinéma comme un terrible tyran. Observant les interprétations d’Herbert Tree, de Claude Rains, d’Hubert Gregg, de Guy Rolfe ou encore de Donald Pleasance, les artistes de Disney font toutefois le choix de changer la donne et de donner vie non pas à un monarque cruel et tout puissant mais à un bouffon dans la veine des grands méchants d’antan comme la Reine de Cœur, le Capitaine Crochet et Madame Mim.
Représenté sous les traits d’un lion chétif, émacié et dépourvu de crinière, le prince Jean devient ainsi un souverain lâche et pleurnichard dont la couronne et le manteau royal sont bien trop grands pour lui. Totalement immature et profondément jaloux de son frère Richard, le préféré de sa mère selon lui, il passe son temps à se plaindre de son sort, chouinant à chaque fois qu’il est contrarié. Pour se consoler, il a alors la fâcheuse tendance de sucer bruyamment son pouce, une habitude que Triste Sire tente en vain de lui faire perdre ! Ricanant nerveusement à la simple vue de l’or, Jean est un ainsi dirigeant craintif incapable de se salir les mains, tremblant de tous ses membres lorsque la menace se fait trop présente. Il est surtout un monarque naïf ne voyant guère plus loin que le bout de son nez, aimant la flagornerie et se laissant duper facilement par ses ennemis déguisés en diseuses de bonne aventure ou en noble de province.
Mais malgré un côté enfant gâté sans grande personnalité, le prince Jean sait toutefois parfaitement se montrer redoutable et quelques fulgurances font de lui un stratège dangereux tout à fait capable d’éliminer ses opposants de la pire des manières. Avec l’aide de Triste Sire et de ses dons d’hypnotiseur, il parvient ainsi à laver le cerveau du roi Richard, envoyé malgré lui en Terre Sainte à la tête de ses armées. Débarrassé de son encombrant frère, Jean a alors le champ libre pour régner sans partage et ponctionner pour son plus grand plaisir l’argent du peuple afin de remplir le trésor royal. Un éclair de génie lui donne également l’idée de piéger Robin et de le faire sortir de sa cachette grâce à un concours de tir à l’arc auquel le héros ne manquera pas de participer. Vénal, cupide, sans cœur et méprisant vis-à-vis de ses serviteurs, il n’hésite par ailleurs pas à condamner les pauvres hères envoyés en prison lorsqu’ils ne peuvent pas payer. Quant à l’idée de voir Frère Tuck se balancer au bout d’une corde, elle fait rapidement son chemin dans la tête du monarque qui n’hésite pas une seconde à exécuter un religieux si cela lui permet de mettre la main sur Robin. Capable de perdre son sang-froid en une fraction de seconde, Jean accepte dès lors de devenir un criminel pour parvenir à ses fins. Fort heureusement pour le héros, les sbires du roi sont néanmoins suffisamment empotés et bras cassés pour faire échouer lamentablement tous ses plans.
Un temps imaginé par l’animateur Milt Kahl sous les traits d’un tigre avant d’être représenté par le directeur artistique Ken Anderson selon la tradition populaire représentant les rois sous les traits d’un lion, le prince Jean est sans conteste l’un des points forts de Robin des Bois. Son animation est supervisée par Ollie Johnston, l’un des dessinateurs de Mickey, des nains et de Pinocchio et créateur des personnages de Monsieur Mouche, d’Archimède, de Baloo et du chat Rufus qui est le premier à plancher sur Robin des Bois. Donnant au méchant quelques traits de caractères de son fils qui enfant suçait son pouce et tenait son oreille lorsqu’il était contrarié, Johnston s’est surtout inspiré de la remarquable interprétation de l’acteur anglais Peter Ustinov. Doublant également le personnage en allemand, Ustinov s’est notamment illustré à l’affiche de films comme Le Beau Brummel, Spartacus, Mort sur le Nil, Ashanti, Charlie Chan and the Curse of the Dragon Queen, La Révolution française, et a plusieurs fois collaboré avec les studios Disney pour Le Fantôme de Barbe Noire, Objectif Lotus et Le Trésor de Matacumba. Prêtant également sa voix au roi Richard Cœur de Lion, le comédien s’est en partie inspiré de son interprétation de l’Empereur Néron dans Quo Vadis dont il a parodié le ton pour rendre le prince Jean plus drôle.
Une fois n’est pas coutume, la version française de Robin des Bois n’a rien à envier à la version originale. Le jeu de Peter Ustinov en anglais est ainsi largement compensé par la brillante interprétation en français de Philippe Dumat. Acteur de théâtre dont la filmographie compte quelques petits rôles dans des classiques comme Les Lions sont lâchés, Les Parapluies de Cherbourg et Pouic-Pouic, Dumat est surtout resté célèbre pour ses nombreux doublages, prêtant notamment sa voix à Alec Guinness dans la première trilogie Star Wars, à Laurence Olivier dans Un Pont trop Loin, à Robert Hardy dans la saga Harry Potter, à Albert Sharpe dans Darby O’Gill et les Farfadets, à John Banner dans Papa Schultz, à Albert Finney dans Le Crime de l’Orient-Express, à Bernard Fox dans La Momie et aux personnages de la Chenille dans Alice au Pays des Merveilles, de Snoops dans Les Aventures de Bernard et Bianca, de Dalben dans le second doublage de Taram et le Chaudron Magique, du docteur Dawson dans Basil Détective Privé, de Fagin dans Oliver & Compagnie et surtout de Balthazar Picsou dans La Bande à Picsou.
Outre Robin des Bois où il vole la vedette au héros, le prince Jean fait partie des nombreux personnages apparaissant dans la série Disney’s Tous en Boîte où il est doublé en version originale par Kevin Michael Richardson. Aux côtés de Gédéon et Grand-Coquin, il est également l’un des méchants de l’histoire Les Habits Neufs de l’Empereur publiée dans la collection Disney’s Wonderful World of Reading en 1975 puis en France dans la série Mickey Club du Livre. Il apparaît en outre dans un certain nombre de comics notamment dans des strips de Noël du 4 au 23 décembre 1978.
Jouissant d’une belle popularité, Le Prince Jean est l’un des antagonistes les plus visibles dans les parcs Disney à travers le monde... Les visiteurs peuvent ainsi régulièrement prendre la pose à ses côtés. À Disneyland Paris, le souverain est par ailleurs visible sur les murs du Royal Banquet, le buffet à volonté du Disneyland Hotel qui a rouvert ses portes le 25 janvier 2024 après presque deux ans et demi de travaux. Permettant de faire de belles rencontres avec les personnages, le restaurant est divisé en plusieurs salles. Dans l'antichambre du restaurant, les méchants Disney de sang royal sont notamment mis à l’honneur, en particulier le Prince Jean assis sur son trône accompagné de son sinistre conseiller Triste Sire.
Il Était une Fois un Studio
En 2023, les Walt Disney Animation Studios fêtent dignement leur centième anniversaire avec Il Était une Fois un Studio, un court-métrage spécial dans lequel sont exceptionnellement rassemblés des centaines de personnages Disney d’hier et d’aujourd’hui. Le Prince Jean est lui-même de la partie. Les spectateurs l’aperçoivent alors en train de se refaire une beauté dans les toilettes pour hommes en attendant de prendre la pose pour la grande photo de famille prévue devant le Roy E. Disney Animation Building.
« Tandis que le bon Roi Richard
Se bat chez les barbares
Nous sommes saignés à blanc
Par ce bon à rien de Jean
Plus bête qu'une oie, sans foi ni loi
Au-dessous du pire, on l'appellera
"Messire le roi de mauvais aloi"
Maudit soit le roi de mauvais aloi ! »