La Dame de Katwe
Titre original : Queen of Katwe Production : Walt Disney Pictures Date de sortie USA : Le 23 septembre 2016 (Sortie limitée) Le 30 septembre 2016 (Sortie générale) Genre : Sport |
Réalisation : Mira Nair Musique : Alex Heffes Durée : 124 minutes |
Autre(s) disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
La critique
La Dame de Katwe est le nouveau film sportif de Disney. Enfin, sportif... Il vaut mieux parler là de compétition puisque les échecs sont plus un sport cérébral que physique. Mais plus que le jeu, le récit est surtout une merveilleuse ode à la découverte. Proposant de visiter un pays peu connu du public occidental, l'Ouganda, il explore en effet tout un mode de vie différent, formidablement dépeint et apte à dépayser le spectateur. Enfin, le long-métrage se voit porté par un casting qui fait des étincelles et dont tous les acteurs croient à leurs personnages. La Dame de Katwe est de la sorte un film simple mais d'une grande beauté et d'une grande sincérité.
Le label Disney a toujours été un grand amateur de sport. Pratiquer une discipline physique est, en effet, une institution aux États-Unis et il n'est donc pas étonnant de voir les studios de Mickey mettre régulièrement en avant des exploits sportifs dans leurs catalogues. Ainsi, c'est vraiment à partir des années 1990 que le sport devient le sujet principal de longs-métrages disneyens. Les films sont alors soit des comédies comme Les Petits Champions ou Rasta Rockett, soit des histoires fantaisistes comme Angels : Une Équipe aux Anges ou Air Bud. A partir années 2000, les films sportifs Disney deviennent des histoires vraies traitées de façon réaliste et dramatique. Le Plus Beau des Combats en 2000 est de la sorte le premier du lot. Il sera suivi par Rêve de Champion (2002), Miracle (2004), Un Parcours de Légende (2005), Les Chemins du Triomphe (2006) et Invincible (2006) ; ce dernier étant inédit en France. Tous sont construits sur le même schéma : ils narrent le destin exceptionnel d'un sportif de légende en mettant en valeur le rêve américain ; la réussite par le travail, le courage et la persévérance... Secretariat sorti en 2010 mis à part - il ne brosse pas le portrait d'un sportif en tant que tel -, le genre est ainsi resté muet au sein des studios durant huit ans jusqu'en 2014 avec Un Lancer à un Million de Dollars. En 2015, il propose également l'excellent McFarland, USA.
L'existence même de La Dame de Katwe dans le catalogue de The Walt Disney Company est une véritable bouffée d'air frais. L'échec de John Carter a, en effet, accéléré la démission de Rich Ross qui se voit vite remplacé à la tête de la direction cinéma des studios Disney par Alan Horn, remarqué lors de son passage à la direction des studios Warner de 1999 à 2011. Son arrivée marque alors une inflexion notable dans la vision du cinéma de Bob Iger. Celui-ci voyait, en effet, la branche cinématographique de The Walt Disney Company comme un pourvoyeur de franchises que cela soit pour les films d'animation comme pour les "Live". Une des premières conséquences du rachat de Pixar a, de la sorte, été le lancement des suites Toy Story 3 et Cars 2. Pour les longs-métrages à prises de vues réelles, le PDG de Disney souhaite, avec le même objectif, que le studio aux Grandes Oreilles produise moins de films, mais tous à gros budgets. Dans sa quête aux franchises, cette politique a notamment connu quelques succès comme l'adaptation d'histoires classiques (Alice au Pays des Merveilles ou Le Monde Fantastique d'Oz) mais aussi des échecs (L'Apprenti Sorcier, Prince of Persia : Les Sables du Temps ou Tron L'Héritage) voire des flops monumentaux (John Carter ou Lone Ranger : Naissance d'un Héros). C'est d’ailleurs en partie pour palier à cette incapacité de créer de nouvelles franchises chez le label Disney, que Bob Iger décide de racheter à coup de millions de dollars Marvel puis Lucasfilm Ltd.. Il souhaite, par là, doter The Walt Disney Company d'un certain nombre de titres plus à même de plaire aux garçons, une cible que le label de l'oncle Walt a décidément bien du mal à amener vers lui en dehors de Pirates des Caraïbes. A l'inverse, Bob Iger n'accorde aucun intérêt aux productions dont il ne peut pas tirer de franchises. Conséquence : il revend le studio de films d'auteurs, Miramax, limite le label Touchstone Pictures à la distribution des films DreamWorks Pictures et réduit à peau de chagrin les "petits" films intimistes du label Disney. L'arrivée d'Alan Horn change pourtant radicalement la donne et montre les limites de la vision purement mercantile de Bob Iger. Le nouveau directeur des studios augmente ainsi légèrement le nombre de films et démontre surtout qu'il n'y pas que les grosses productions qui créent un catalogue. Les budgets colossaux s'exportent certes facilement et rapportent gros (ou inversement coûtent très cher en cas d'échecs). Les petits films, eux, peuvent souvent compter sur le marché américain pour se rentabiliser et placer le label Disney sur un créneau diffèrent tout en servant aussi de contre-programmation. En 2015, trois longs-métrages au final bien différents sont proposés : un film de sport à petit budget, un remake de dessin animé à budget maîtrisé et un blockbuster de science-fiction à gros budget. Le succès de Cendrillon et l'échec d'À la Poursuite de Demain donnent malheureusement de mauvaises idées à Disney, toujours enclin à tout tourner en franchise en proposant des projets aux risques limités. Le label de Mickey a, en effet annoncé une ribambelle de suites et remakes mais au final, peu de projets vraiment originaux pour la période 2015 - 2018. Les seuls qui pointent le bout de leur nez sont le film d'action The Finest Hours avec Chris Pine qui signe un échec commercial et celui sur la joueuse d'échec, La Dame de Katwe.
La Dame de Katwe est donc réalisé par la talentueuse Mira Nair.
Née le 15 octobre 1957 à Bhubaneshwar, dans l'état d'Odisha, en Inde, elle est la cadette d'une famille de classe moyenne avec trois enfants. Elle fait ses études à l'Université de Delhi puis obtient une bourse pour Harvard, où elle étudie la sociologie. Elle débute sa carrière de cinéaste à la fin des années 70 d'abord sur des documentaires tel que So Far From India puis réalise son premier long-métrage de fiction en 1988 avec Salaam Bombay ! qui obtient pas moins que la Caméra d'Or et le Prix du Public au Festival de Cannes 1988. Elle réalise plusieurs opus qui se font remarquer tel Mississippi Masala (1991) avec Denzel Washington qui reçoit le Prix du Public au Festival de Venise ou encore Le Mariage des Moussons (2001) qui obtient le Lion d'Or à Venise. Elle affine ensuite son art sur les films Vanity Fair : La Foire aux Vanités (2004), un des segments de New York, I Love You (2007) ou encore L'Intégriste Malgré Lui (2013).
La Dame de Katwe se base sur le livre biographique, The Queen of Katwe : A Story of Life, Chess, and One Extraordinary Girl's Dream of Becoming a Grandmaster écrit en 2012 par Tim Crothers pour ESPN et qui raconte la vie de Phiona Mutesi. Les studios Disney s'y intéressent tout de suite et mettent une option sur son adaptation. Tendo Nagenda, un exécutif des studios, d'origine ougandaise, décide ainsi bien vite de mettre le projet en production. Avec l'aval du président du label Disney, Sean Bailey, il part alors présenter le sujet à la réalisatrice Mira Nair qui vit en Ouganda. Elle se déclare fascinée par cette histoire, d'autant plus qu'elle n'avait jamais rien filmé sur son pays d'adoption depuis 1991 avec Mississippi Masala. La réalisatrice rencontre ensuite Phiona Mutesi, sa mère ainsi que le groupe d'échec du coach, Robert Katende. Elle est également impressionnée par le fait que Disney s'éloigne de sa zone de confort en voulant produire un film se déroulant entièrement en dehors des États-Unis dans l'idée de faire découvrir une autre culture. Le seul ADN commun avec les autres films sportifs Disney est, en effet, cette volonté de présenter un être ordinaire vivant des situations exceptionnelles où il se révèle à lui-même et aux autres. Le projet emballe alors vraiment Disney : Alan Horn, le président des Walt Disney Studios, valide sa mise en chantier en janvier 2015.
La Dame de Katwe est ainsi un film sportif qui se concentre sur les échecs.
Le jeu d’échecs oppose deux joueurs de part et d’autre d'un plateau, l'échiquier, composé de soixante-quatre cases blanches et noires. Ils jouent à tour de rôle en déplaçant l'une de leurs seize pièces, claires pour le camp des blancs, sombres pour le camp des noirs. Chacun possède au départ un roi, une dame, deux tours, deux fous, deux cavaliers et huit pions. Le but est d'infliger à son adversaire un échec et mat, une situation dans laquelle le roi d'un joueur est bloqué sans qu'il soit possible d'y remédier. Comme les précédents longs-métrages Disney du genre, le film possède un récit sportif sans surprise avec son lot de découvertes, de réussites, d'échecs, de remises en question pour finalement arriver au dépassement final. De ce point de vue, La Dame de Katwe ne réinvente donc pas la poudre. Mais il faut aussitôt souligner la belle façon de filmer de Mira Nair qui arrive à intéresser le public à un jeu qui n'est pas, par définition, très télégénique. Les joutes d'échecs n'ont jamais été aussi passionnantes que dans ce film !
La Dame de Katwe étonne alors en étant à la fois frais et authentique. Car la vraie richesse de La Dame de Katwe ne se trouve pas forcément dans le sport qu'il met en lumière. Non. Il se situe dans son lieu dépeint et les personnages rencontrés. Il est rare que l'Afrique soit montrée de façon aussi sincère dans un film, surtout venant d'un grand studio et encore plus avec un message positif. Le quartier de Katwe est ainsi le centre d'attention de la réalisatrice plongeant tout de suite le spectateur dans un lieu exotique sans tromperie, ni artifice. Les problèmes de pauvreté sont ainsi abordés de façon plus ou moins frontale. Les difficultés pour se loger sont explicites notamment via la scène de l'inondation que subit la maison risquant de noyer l'un des frères de Phiona. Les problèmes d'accès aux soins sont tout aussi bien abordés quand son autre frère est hospitalisé et que sa mère n'a pas assez d'argent pour payer l'hôpital. Même la prostitution est effleurée avec la sœur aînée... Néanmoins, le film reste très positif et léger de par son message de dépassement de soi amenant la réussite de ses personnages. Le spectateur ressort content d'avoir suivi une belle histoire tout en ayant découvert des lieux et une culture méconnus.
L'autre grande force de La Dame de Katwe est assurément à rechercher dans son casting de premier choix avec des acteurs de grande qualité au jeu superbe.
Le film raconte ainsi l'histoire de Phiona Mutesi, une joueuse d'échec qui se fait remarquer en Ouganda. En 2005, cette dernière âgée alors de 9 ans, affamée, est accueillie dans un refuge apprenant aux gens à jouer aux échecs en échange d’une tasse de porridge. Elle n’avait alors jamais entendu parler des échecs ! Pourtant, tout de suite, elle est charmée par l'allure des pions. L’instructeur lui apprend alors les règles de base du jeu. Au fil des mois, la jeune fille développe son art au point de devenir la plus jeune gagnante des championnats africains d’échecs. Madina Nalwanga qui participe ici à son premier film assume le rôle de la championne. Elle arrive à rendre particulièrement attachant son personnage. La jeune fille joue en effet tout en subtilité et se place au centre du film sans jamais se faire vampiriser par les deux acteurs américains, bien plus aguerris.
Lupita Nyong'o est Nakku Harriet, la mère de Phiona. C'est une femme forte qui a perdu son mari et l'un de ses enfants. Elle fait tout pour se battre pour la survie du reste de sa famille. Dotée d'un fort caractère, elle élève ses enfants d'une main de fer même si elle a du mal avec sa fille aînée, aux mauvaises fréquentations. Elle subit de plein fouet les affres de la pauvreté ; les péripéties de la vie lui faisant même perdre son logement... Très terre-à-terre, elle ne voit pas d'un très bon oeil le temps passé par sa fille Phiona à jouer aux échecs. N'en saisissant pas le potentiel, elle n'envisage pas que le succès de sa fille puisse un jour tous les sortir de leur condition de misère. Lupita Nyong'o, qui a joué récemment dans Le Livre de la Jungle et Star Wars : Le Réveil de la Force, livre ici un travail formidable apportant beaucoup d'humanité à son personnage.
David Oyelowo est, quant à lui, Robert Katende, le coach de Phiona. Il va apprendre à la jeune fille les règles du jeu d'échecs mais aussi la guider dans les compétitions. Il va surtout être ce père qu'elle a perdu lui prodiguant conseils et réconfort ; sa femme, institutrice de son état, lui enseignant également la lecture. Robert Katende traverse pourtant lui aussi une période de doute : ingénieur, il a, en effet, du mal à trouver un emploi rémunérateur et gère donc le club d'échec autant pour occuper ses journées que pour survivre financièrement. Pourtant, quand il va finalement décrocher un poste bien mieux payé, il décide de décliner l'offre. Il ne veut ainsi pas abandonner ses élèves mais surtout se rend compte que c'est une activité qui le passionne et lui permet de s'épanouir. David Oyelowo est lui aussi parfait dans le rôle du mentor, parvenant à rendre son personnage attachant sans éclipser celui de Phiona. Tout en finesse, il assume à merveille un rôle masculin fort qui sert de guide à des femmes tout aussi fortes et charismatiques. Chez The Walt Disney Company, l'acteur a déjà été vu dans Lincoln et sert de voix au Sergent Kallus dans la série Star Wars : Rebels.
La Dame de Katwe est salué, voire acclamé par la critique. Elle aime particulièrement le casting et son portrait de l'Afrique. Le film participe alors à un certain nombre de festivals dont le Toronto International Film Festival. Présenté dans un réseau de salles réduit le 23 septembre 2016, dont El Capitan Theatre à Hollywood, cinéma appartenant à Disney, il a droit à sa sortie générale le week-end suivant. Malheureusement, malgré ses qualités et ses excellentes critiques, il ne parvient pas à rencontrer le public et passe complètement inaperçu. Il ne réalise ainsi que deux millions de dollars lors de son premier week-end ne se hissant qu'en septième position. Malgré son budget modique de quinze millions de dollars, il va donc avoir du mal à se rembourser. Cette situation américaine réduit alors à néant sa chance de le voir sortir de façon massive à l'international. Bien avant sa sortie, Disney France avait d'ailleurs choisi de ne pas le proposer en salles, et ce comme les deux autres précédents films sportifs du label (Un Lancer à un Million de Dollars et McFarland, USA) : il n'aura pas plus droit à une édition vidéo dans l'hexagone...
La Dame de Katwe est un très beau film, qui au delà de son histoire sportive déjà vue dans sa trame, propose des personnages forts évoluant dans un pays et une culture dépaysants. Un long-métrage à absolument découvrir pour aussi se convaincre que Disney sait parfaitement sortir des sentiers battus et de ses sempiternelles adaptations 'live' de films d'animation.