Chimpanzés
Le synopsis
Oscar, un petit chimpanzé, fait ses premiers pas au cœur de la forêt tropicale africaine et découvre la vie entre humour, émotion et angoisse quand, séparé de sa mère, il se retrouve seul au sein de la jungle hostile : seul un miracle de la Nature peut le sauver... |
La critique
Chimpanzés est le film Disneynature le plus paradoxal de son jeune catalogue. S'il révèle en effet une histoire extra-ordinaire à plus d'un titre ; son mode de narration prend le parti pris de la simplicité et zappe le côté épique recherché jusqu'alors par toutes les productions du label de documentaires de Disney. Seule concession à la signature disneyenne, il utilise, comme Félins avant lui, la personnification des animaux pour raconter son histoire, mais conserve là un ton bien trop léger, pour profiter à plein de la force des images qu'il propose.
En 2008, la compagnie de Walt Disney renoue avec le genre du documentaire animalier que le papa de Mickey lui-même avait décidé de populariser quelques soixante ans auparavant. Passionné de flore et de faune, Walt Disney peut, en effet, être considéré comme le pionnier du documentaire animalier grand public. Dès 1948, il met, ainsi, en chantier la collection des True-Life Adventures dont les courts et longs-métrages seront multi-oscarisés. Cette série, inaugurée avec le mini documentaire, L'Ile aux Phoques, constitue d'ailleurs la première véritable incursion de la compagnie au château enchanté dans la production de films "live". Elle comporte un total de sept courts-métrages dont La Vallée des Castors (1950), La Terre, Cette Inconnue (1951), Le Seigneur de la Forêt (1952), Les Oiseaux Aquatiques (1952), Au Pays des Ours (1953), Everglades, Monde Mystérieux (1953), avant de s'ouvrir, en 1953, avec Le Désert Vivant, au format des longs-métrages. Ce dernier devient, à partir de cette date, la norme de production des True-Life Adventures et concerne, au final, six œuvres dont La Grande Prairie (1954), Lions d'Afrique (1955), Les Secrets de la Vie (1956), Le Grand Désert Blanc (1958), Le Jaguar, Seigneur de l’Amazone (1960). Au total, en comptant les courts et longs-métrages, la série aura gagné en tout, pas moins de huit Oscars !
Cocorico ! La renaissance de la production de documentaires axés sur la nature et les animaux sauvages au sein du catalogue Disney est due à l'initiative du français Jean-François Camilleri. Alors manager de la filiale hexagonale de Walt Disney Studios Motion Pictures, il a, en effet, en 2005, la brillante idée d'accorder sa confiance à un jeune réalisateur tricolore, Luc Jacquet, en acceptant de produire son premier film, La Marche de l'Empereur. Le pari est osé. Proposer sur grand écran, à destination du grand public, un long-métrage, documentaire animalier, sur la vie des manchots empereurs vivant en Antarctique apparait, il est vrai, à l'époque comme un rêve doux-dingue, caprice d'un producteur, en mal de respectabilité auprès de l'intelligentsia hexagonale, sacrifiant, pour une fois, la recherche du seul profit commercial sur l'autel de l'expérimentation cinématographique. L'avenir prouvera le parfait contraire. Seul contre tous, Jean-François Camilleri démontre l'incroyable potentiel du genre, confirmant son rang dans le milieu du cinéma français de producteur hexagonal à part entière, véritable découvreur de talents. La réussite commerciale de La Marche de l'Empereur est, en effet, loin d'être un succès d'estime. En France, le film taquine allègrement les deux millions d'entrées ! Le résultat est tel que l'intérêt de proposer le documentaire à l'export apparait vite évident. Comble de l'ironie, le marché américain lui ouvre rapidement ses portes, mais sans Disney. La maison mère de la filiale française menée par Jean-François Camilleri fait, en effet, la fine bouche et refuse cette histoire de manchots incongrue. Warner, elle, sent le joli coup venir et accepte de distribuer le film sur le sol américain. Il devient vite à l'époque le plus gros succès pour un long-métrage français en Amérique du Nord. Il remporte même l'Oscar du Meilleur Documentaire, véritable pied de nez à la France qui lui a refusé le moindre César. Devant l'ironie de l'histoire, Jean-François Camilleri ne prend pas ombrage et pardonne à sa tutelle, son erreur d'appréciation. Il la comprend même tant son pari était osé... Il entend d'ailleurs l'aider à la réparer et à l'amener à occuper enfin le terrain du documentaire grand public, à destination des salles obscures. Il crée pour cela, une société de production spécifique, Disney Nature Productions, qui présente ainsi un premier long-métrage en 2007, Le Premier Cri, film ethnologique sur la naissance à travers le monde, beaucoup moins abordable qu'un simple documentaire animalier. Il continue ensuite de faire confiance à Luc Jacquet et distribue son deuxième long-métrage, Le Renard et l'Enfant, un docu-fiction axé sur l'amitié d'une petite fille et d'une renarde. L'œuvre très personnelle séduit à nouveau le public français.
Patiemment, le remuant patron de la filiale française convainc sa maison-mère d'investir le marché. Elle accepte finalement de créer un nouveau label de films à l'instar de Walt Disney Pictures, Touchstone Pictures ou Hollywood Pictures. Disneynature est ainsi présenté mondialement en avril 2008. Basé en France, il est logiquement dirigé par Jean-François Camilleri et poursuit deux objectifs : distribuer des productions "maison" à l'international et productions étrangères aux Etats-Unis. Les premiers chantiers sont déjà sur les rails. Le programme est alléchant. Les Ailes Pourpres, Le Mystère des Flamants sort ainsi en décembre 2008, Pollen le 16 mars 2011 en France tandis que les USA accueillent Félins à sa place le 22 avril 2011 (les français devant attendre le 1er février 2012 pour le découvrir). Chimpanzés, est, quant à lui, proposé le 20 avril 2012 (le 20 février 2013 pour la France). Enfin, Grizzly est attendu pour 2014. Un Jour sur Terre s'intercale dans ce calendrier déjà dense et débarque sur les écrans aux États-Unis, sous label Disneynature, à partir du 22 avril 2009, soit un an et demi après le reste du monde et notamment l'hexagone, où il est sorti en premier, le 10 octobre 2007. Dans la même veine, et toujours en attendant la réalisation de productions "maison", Disneynature se charge de labéliser aux USA un autre long-métrage français - distribué dans son pays d'origine par Pathé. Le public tricolore découvre ainsi Océans dès le 27 janvier 2010 tandis que les spectateurs outre-Atlantique patientent eux jusqu'au 22 avril 2010...
Chimpanzés est donc réalisé, pour Disneynature,
par Alastair Fothergill et Mark Linfield
Alastair Fothergill débute à la télévision anglaise sur des documentaires
animaliers. Il investit ensuite vite le grand écran, sur le même créneau et
toujours avec succès. Ce scénariste et réalisateur britannique est ainsi à
l'origine du long-métrage La Planète Bleue, de la série télévisée
Planète Terre ainsi que du film dérivé de celle-ci, Un Jour sur Terre
(celui-là même distribué par Disneynature aux USA).
L'homme et le label commencent alors une jolie collaboration qui aboutit aux
réalisations de Félins
et Chimpanzés.
Sur Chimpanzés précisément, Alastair Fothergill est secondé par Mark Linfield
qu'il retrouve après leur collaboration sur la série télévisée Planète Terre
ainsi que du film dérivé de celle-ci, Un Jour sur Terre...
L'action de Chimpanzés se déroule principalement dans le parc national de Taï en Côte d'Ivoire. Situé à l'Ouest du pays et proche de la Guinée et du Liberia, la réserve couvre 3 500 km² autour du mont Niénokoué et renferme l'une des dernières forêts primaires d'Afrique. Le parc national de Taï est surtout un espace vital pour les grands mammifères, oiseaux et autres animaux, menacés d'extinction en Afrique de l'Ouest. Il est inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1982 et fait partie des réserves mondiales de la biosphère. Le climat est de type subéquatorial, chaud et humide toute l'année et se caractérise par une pluviométrie moyenne annuelle supérieure à 1.600 mm sur tout le massif.
Comme son nom l'indique, le film traitre essentiellement des chimpanzés.
Le chimpanzé est un genre de grand singe apparenté à l'humain, membre de la
famille des Hominidés et de l'ordre des primates. Ces anthropoïdes d'Afrique
équatoriale sont les animaux les plus proches de l'humain physiquement et
génétiquement ! La répartition géographique du chimpanzé s'étend de la Sierra
Leone et de la Guinée aux lacs Tanganyika et Victoria. L'espèce présente ainsi
des traits physiques, affectifs, mentaux, de même que des comportements
relationnels et sociaux, voire moraux et spirituels, particulièrement
remarquables pour l'Être Humain dans leur similitude ou parfois même leur
différence. Pour cette raison, les populations de chimpanzés sont des sujets
privilégiés d'études scientifiques avec en arrière-plan l'énigme de la nature
humaine et de son histoire évolutive. Les chimpanzés sont néanmoins gravement
menacés d'extinction du fait essentiellement de l'activité humaine qui détruit
leur habitat naturel quand la chasse ou la guerre ne les déciment pas.
Les chimpanzés de Taï, spécifiquement, présentent la particularité ultime
d'utiliser des techniques transmises depuis au moins 200 générations ; cette
connaissance ayant donc les caractéristiques d'une culture ! Ils fabriquent, en
effet, plusieurs types d'outils comme des tiges effeuillées pour attraper les
termites et les fourmis, un faisceau de brindilles pour recueillir du miel, de
grosses pierres pour casser des noix sur des morceaux de bois... Un ensemble de
méthodes qui le rapprochent toujours plus de l'Homme primitif.
S'inscrivant dans la droite ligne de la qualité technique des autres Disneynature, Chimpanzés offre des images tout simplement fabuleuses. Grâce à elles, le spectateur ressent parfaitement la densité et l'humidité de la forêt équatoriale africaine. Mieux encore, il s'approche au plus prés de ses animaux et s'étonne à chaque plan. Le chimpanzé est incroyablement proche de l'homme. Sa capacité à utiliser des outils pour manger, que cela soit des pierres ou des brindilles, son processus d'apprentissage et son aptitude à la réflexion sont étonnantes. Les étudier permet ainsi d'en apprendre sur l'Homme lui-même tant le mode de vie de ces grands singes est proche de celui des hommes primitifs, il y a des milliers voire des millions d'années. Mais au delà de l'utilisation des outils, c'est assurément la capacité d'amour et d'altruisme des Chimpanzés qui est incroyablement touchante car foncièrement humaines. Certains séquences sont bouleversante d'humanité !
Reprenant le processus déjà utilisé pour Félins et véritable marque de fabrique des mythiques True-Life Adventures, Chimpanzés utilise beaucoup la personnification des animaux en leur attribuant un nom. Il y ainsi Oscar, le jeune chimpanzé placé au centre du récit. Presque bébé, regorgeant de vie, il est un petit garnement joueur qui ne s'éloigne jamais très loin de sa mère Isha. Maman attentionnée, cette dernière élève et protège son petit au sein du clan de Freddy, un male dominant d'un certain âge dont le rôle est d'unir sa tribu et de la protéger contre les attaques extérieures. Notamment, il se méfie des singes d'autres clans, dont celui de Scar, un vieux chimpanzé hostile. L'idée de donner des noms aux animaux est intéressante en soi car elle facilite l'entropie avec les images et permet de mieux véhiculer l'émotion. En revanche, le choix n'est prénoms n'est pas très heureux, à l'exemple de l'emprunt de Scar au (Le) Roi Lion, qui, s'il avait un sens pour Félins, est ici totalement incongru !
En réalité, Chimpanzés ne supporte guère la comparaison avec Félins.
Malgré ses indéniables et nombreuses qualités, il pêche, en effet, trop souvent
par des choix artistiques regrettables. Son montage, tout d'abord, est par trop
enfantin et ôte à l'ensemble le côté épique que son genre de récit exige.
Ensuite, son propos insiste un peu trop sur le comique venu de l'apprentissage
d'Oscar ; le summum de l'incongru étant atteint par la chanson jazzie (That
Man par Caro Emerald), en début et fin d'opus. Ce rythme à la légèreté
appuyée est, il est vrai, contre-productif et gène la prise de conscience du
spectateur sur ce qui devrait être, pour lui, une belle révélation. Le constat
est d'ailleurs encore plus grand en version originale ; les films Disneynature
ciblant toujours clairement le public des enfants américains. La narration de
Tim Allen, très enjouée, se situe ainsi à des années lumières des types de
narration solennelles dont le public français aime à être rassasié, convaincu de
la sorte, de plus se cultiver que de se divertir...
Étonnamment donc, la narration d'Ary Abittan dans la version française atténue à peine le ton
de l'originale.
Basées sur une autre musique, et montées sur un autre tempo, les images auraient
pu être plus attendrissantes et, surtout, moins tourner en ridicule l'animal.
C'est d'autant plus dommageable que seuls les chimpanzés sont au programme : le
film – et c'est là compréhensible – faisant l'impasse sur la faune et la flore
les côtoyant...
Les studios Disney l'ont toujours su : les chimpanzés au cinéma sont particulièrement vendeurs ! Pas étonnant dès lors que de nombreux films du label de Mickey les aient mis en avant : Un Pilote Dans la Lune (1962), The Misadventures of Merlin Jones (1964), Un Neveu Studieux (1965), Singes, Go Home ! (1967) ou Un Singulier Directeur (1971). Et encore une fois, en 2012, le succès est au rendez-vous : Chimpanzés réalisant le meilleur démarrage d'un Disneynature aux USA avec presque 11 millions de dollars de recette. Et même si avec ses 28.9 millions de dollars de recette finale, il ne parvient pas à battre Un Jour sur Terre, le meilleur Disneynature au box-office, il n'en est pas loin ! En tout cas, son succès vient mettre un terme à un lente érosion des résultats constatée depuis Océans et Félins. Il renforce ainsi la marque Disneynature et convainc Disney US de continuer l'aventure : Grizzly étant déjà prévu pour 2014 et Jungle Story pour 2015.
Fort de ses images magnifiques, Chimpanzés est un Disneynature de grande qualité, traitant d'une espèce fascinante, notamment du fait de son statut de « cousin germain de l'homme ». Seule la personnification des personnages, par trop appuyée, gêne en réalité l'opus en lui ôtant la sobriété requise pour son propos. Mais, il serait véritablement outrancier de bouder son plaisir sur cet unique motif...