La Guerre des Rose
Titre original : The War of the Roses Production : 20th Century Fox Gracie Films Regency International Pictures (Non crédité) Date de sortie USA : Le 8 décembre 1989 Genre : Comédie |
Réalisation : Danny DeVito Musique : David Newman Durée : 116 minutes |
Disponibilité(s) en France : | Autre(s) disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
Jeune étudiant en droit à l’université d’Harvard, Oliver Rose fait un jour la rencontre inopinée de Barbara lors d’une vente aux enchère sur l’île de Nantucket. Sous le charme l’un de l’autre, tous les deux ne tardent pas à se marier et à fonder une jolie famille. Les années passant, leur amour commence toutefois à s’étioler dramatiquement. Une certaine forme de rancœur s’installe dans le couple. Mari et femme ne se supportent plus. Le divorce semble inévitable. Les tensions se cristallisent alors autour de la luxueuse maison familiale qu’aucun des deux ne souhaite abandonner à l’autre. Une lutte sans merci débute ainsi entre Oliver et Barbara, encore mariés… Jusqu’à ce que la mort les sépare !
La critique
Deux ans après Balance Maman Hors du Train (1987), Danny DeVito fait son retour derrière la caméra avec La Guerre des Rose. Classique de la comédie noire, le long-métrage est alors une formidable occasion pour le comédien de retrouver ses complices Michael Douglas et Kathleen Turner avec qui il partageait déjà l’affiche d’À la Poursuite du Diamant Vert (1984) et de sa suite, Le Diamant du Nil (1985).
Racontant les seize années de vie conjugale d’Oliver et Barbara Rose durant lesquelles l’amour fou a eu tôt fait de laisser sa place à une haine viscérale, La Guerre des Rose est l’adaptation du roman éponyme de Warren Adler. Originaire de Brooklyn où il voit le jour en 1927, il débute comme journaliste au New York Daily News avant de rejoindre la rédaction du Queens Post. Correspondant de guerre pour le compte de l’armée américaine alors engagée en Corée, il se lance au milieu des années 1950 dans une carrière d’entrepreneur qui le conduit à posséder différentes stations de radio et de télévision locales. Également propriétaire d’une agence de publicité située à Washington, D.C., Adler se retire finalement des affaires en 1974 et se lance dans l’écriture de son premier roman, Undertow. Suivent plusieurs dizaines d’autres ouvrages tels que The Henderson Equation (1976), Trans-Siberian Express (1977), American Quartet (1982) ou bien encore La Dernière Rencontre (1984) adapté au cinéma par Sidney Pollack sous le titre L’Ombre d’un Soupçon (1999).
Warren Adler obtient son premier grand succès littéraire en 1981 grâce à La Guerre des Rose, une histoire qui trouve ses origines dans un dîner auquel il participa en 1979. Au milieu des invités, se trouvait un avocat qui, durant toute la soirée, ne cessait de regarder sa montre. Il souhaitait en effet être sûr de rentrer à l’heure pour ne pas subir les foudres de sa femme. Ouvrant la discussion, Adler découvrit alors que l’homme était en instance de divorce. En attente du jugement, il continuait malgré tout de vivre sous le même toit que son épouse avec qui un accord avait été passé. La maison familiale avait été divisée en secteurs. Les allées et venues des uns et des autres étaient elles aussi strictement réglementées !
Partant de cette anecdote, Warren Adler commence ainsi à construire son récit. Se renseignant auprès d’un juge expert en affaires familiales afin de construire un postulat de départ plausible, il imagine la rencontre de Jonathan et Barbara. Tombés immédiatement amoureux l’un de l’autre, tous les deux se marient et s’installent dans la banlieue de Washington, D.C. où ils achètent une maison de rêve. À l’intérieur, sont entreposés tous les meubles et autres objets acquis durant leurs premières années de couple. Parents de deux enfants, Eve et Josh, les Rose mènent une vie petite-bourgeoise témoignant de leurs succès personnels et professionnels, lui en tant qu’avocat reconnu, elle en tant que patronne de sa propre entreprise de traiteur. Les choses dérapent toutefois lorsque Jonathan est victime de ce qu’il pense être une crise cardiaque. Loin de se précipiter à l’hôpital pour être à son chevet, Barbara découvre alors qu’elle ne l’aime plus et que sa mort ne serait en réalité qu’une délivrance. Elle demande par conséquent le divorce. Choqué, Jonathan demande à ce que la séparation se déroule sans heurts avec un partage équitable du patrimoine familial. Mais Barbara refuse. Se payant le meilleur avocat de la ville, elle argumente en effet que c’est elle qui a déniché la maison et agencé tous les objets qu’elle contient. Elle estime donc que tout doit lui revenir. Aucun accord n’est dès lors possible entre le mari et la femme qui se lancent dans une lutte impitoyable marquée par autant d’actes de sabotages, de vandalisme et de violence.
Publié aux États-Unis en 1981, La Guerre des Rose retient immédiatement l’attention de la presse qui se montre parfois partagée. The Washington Star salue en particulier « une vision intelligente de l’éclatement d’un mariage, à la fois glaçante et révélatrice ». Le New York Daily News parle quant à lui d’un « roman très, très drôle ». Le critique littéraire du New York Times souligne de son côté « l’habileté et le sens de la scène » de Warren Adler. Il s’étonne toutefois du tournant que prend le livre, jugeant le comportement du couple totalement « aberrant ». Il ajoute que le lecteur risque par conséquent de se détacher des deux héros, qualifiés de « gens immatures ».
Entre l’enthousiasme des uns et les réserves des autres, La Guerre des Rose devient un best-seller. Le succès est tel que le roman s’internationalise bientôt avec une traduction dans pas moins de vingt-cinq langues. En France, les Presses de la Cité publient la traduction française en 1985 dans la collection « Paniques ». Warren Adler se lance quelques années plus tard dans une adaptation théâtrale qui fera le tour des États-Unis, de l’Amérique du Sud et de l’Europe. En 2004, l’écrivain offre une suite à l’œuvre originale. Titrée Children of the Roses (Les Enfants des Rose en France), il se concentre sur les conséquences désastreuses de la séparation de Jonathan et Barbara puis de leur lutte intestine sur la vie de leur fille Eve et de leur fils Josh.
Comme tout succès littéraire, La Guerre des Rose attire instantanément l’attention des studios hollywoodiens qui s’empressent de se disputer les droits d’adaptation pour le cinéma. Une option est alors placée par Richard D. Zanuck et David Brown, le duo de producteurs à l’origine de succès tels que L’Arnaque (1973), Les Dents de la Mer (1975), Le Verdict (1982), Cocoon (1988) et Miss Daisy et son Chauffeur (1989). Une première adaptation est commandée à Warren Adler. Elle n’aboutit cependant à rien, Zanuck et Brown décidant de mettre fin à leur partenariat. James L. Brooks, le réalisateur oscarisé de Tendres Passions (1983) et producteur des (Les) Simpson, récupère alors les droits et relance le projet via sa société Gracie Films.
Brooks engage le scénariste Michael Leeson qui travaille avec lui sur The Tracey Ullman Show (1987-1990). Né à Tucson, dans l’Arizona, en 1947, il s’est fait un nom au début des années 1970 en participant à l’écriture des séries Happy Days - Les Jours Heureux (1974-1984) et Cosby Show (1984-1992). Couronné aux Emmy Awards en 1981 et 1985, il a également écrit plusieurs films tels que Les Survivants de Michael Ritchie avec Walter Matthau et Robin Williams (1983). Partant du premier jet de Warren Adler, Michael Leeson propose une nouvelle mouture du script très proche de l’œuvre originale. Seuls quelques petits changements sont opérés. Le personnage de Jonathan est notamment rebaptisé Oliver. Les enfants sont pour leur part rebaptisés Eve et Josh. Présentée de façon indirecte telle un flashback, l’histoire est par ailleurs narrée par Gavin d’Amato, l’avocat de ce dernier. Quelques événements et autres mauvais coups commis par le couple sont enfin éludés pour éviter un caractère trop répétitif de l’intrigue.
Si quelques petites altérations sont imposées pour que le roman de deux-cent-soixante-trois pages tienne sous la forme d’un long-métrage d’une durée forcément limitée, son titre est évidemment conservé. Celui-ci est en effet un clin d’œil amusant à un conflit d’une autre nature, la Guerre des Deux-Roses qui, au Moyen-Âge, ensanglanta l’Angleterre. Véritable guerre civile qui dura de 1455 à 1485, elle opposait la maison royale de Lancastre (représentée par une rose rouge) et celle de York (symbolisée par une rose blanche), les deux branches cadettes de la maison Plantagenêt qui s’éteignit avec la mort de Richard III. Marquant profondément l’histoire de la Grande-Bretagne avant l’accession au trône de la dynastie des Tudor, le conflit fut lui-même une source d’inspiration inestimable pour la littérature, la télévision et le cinéma. L’affiche originale de La Guerre des Rose s’amuse d’ailleurs d’une possible confusion entre l’affrontement médiéval et la dispute conjugale. Elle tente par conséquent de prévenir de manière amusante les spectateurs en indiquant la mention « This is not that movie » - « Ce n’est pas ce genre de film » ! En France, la blague est toutefois perdue.
La production de La Guerre des Rose étant sur les rails sous l’égide de Gracie Films en partenariat avec 20th Century Fox, la recherche d’un réalisateur débute dès le milieu des années 1988. James L Brooks offre alors la place à Danny DeVito qui interprétait pour lui Vernon Dalhart dans Tendres Passions (1983) et surtout Louie de Palma dans la série Taxi (1978-1983). Né à Neptune Township, dans le New Jersey, le 17 novembre 1944, le comédien étudie à l’Académie des arts dramatiques d’Hollywood avant de débuter modestement sur les écrans dans Dream of Glass (1970), Bananas (1971) et Hot Dogs for Gauguin (1972). Il parvient ensuite à se faire remarquer en jouant l’un des fous de l’asile psychiatrique dans le film Vol Au-Dessus d’un Nid de Coucou coproduit par son ami Michael Douglas avec qui il vivait en colocation à New York dans les années 1960. Danny DeVito voit sa carrière s’envoler avec des apparitions dans Jumeaux (1988), Batman, le Défi (1992), Opération Shakespeare (1994), Junior (1994), L.A. Confidential (1997), Big Fish (2003), C’Était à Rome (2010), Dumbo (2019), Le Manoir Hanté (2023), Beetlejuice, Beetlejuice (2024)… Voix du satyre Philoctète dans Hercule (1997), l’acteur mène également de front sa carrière de producteur, via sa société Jersey Films, et de réalisateur avec Balance Maman Hors du Train (1987), La Guerre des Rose (1989), Hoffa (1992), Matilda (1996), Crève, Smoochy, Crève ! (2001) et Un Duplex Pour Trois (2004).
S’attribuant le rôle de l’avocat Gavin d’Amato, Danny DeVito offre celui d’Oliver Rose à son grand ami Michael Douglas. Fils aîné de la comédienne Diana Dill et du comédien Kirk Douglas, ce dernier se tourne lui aussi vers une carrière d’acteur. Élève de Wynn Handman, il débute dans L’Ombre d’un Géant (1966) avant d’obtenir le rôle principal d’Hail, Hero! (1969) pour lequel il est nommé aux Golden Globes. Interprète de l’inspecteur Steve Keller dans la série Les Rues de San Francisco où il apparaît aux côtés de son mentor Karl Malden (1972-1976), sa filmographie ne cesse alors de s’allonger avec des dizaines de films tels que Napoléon & Samantha (1972), Morts Suspectes (1978), Liaison Fatale (1987), Black Rain (1989), Basic Instinct (1992), Chute Libre (1993), Le Président et Miss Wade (1995), The Game (1997), Wonder Boys (2000), Traffic (2000), King of California (2007), Ma Vie avec Liberace (2013), Ant-Man (2015)… Couronné aux Oscars pour son rôle de Gordon Gekko dans Wall Street (1987), Michael Douglas est en parallèle un producteur prolifique, notamment récompensé par la statuette du Meilleur Film remise à Vol Au-Dessus d’un Nid de Coucou en 1976.
Si le nom de Cher circule un temps pour le rôle de Barbara Rose, décision est rapidement prise de reformer le trio Michael Douglas, Kathleen Turner et Danny DeVito. Né à Springfield, dans le Missouri, le 19 juin 1954, Turner commence sa carrière à la télévision dans le feuilleton The Doctors (1978) puis au cinéma dans La Fièvre au Corps (1981). Elle joue ensuite dans L’Homme aux Deux Cerveaux (1983), L’Honneur des Prizzi (1985) ou bien encore Peggy Sue s’est Mariée (1986). Voix originale de Jessica Rabbit dans Qui Veut la Peau de Roger Rabbit (1988), la comédienne est également présente au théâtre dans La Chatte sur un Toit Brûlant (1990), Le Lauréat (2000) et Qui a Peur de Virginia Woolf ? (2005). Atteinte de polyarthrite rhumatoïde, elle est désormais plus rare sur les écrans avec quelques apparitions dans Serial Mother (1994), Virgin Suicides (1999) et Marley & Moi (2008).
Le casting est également constitué de l’actrice allemande Marianne Sägebrecht (Bagdad Café, Astérix et Obélix Contre César) dans le rôle de Susan, la fille au-pair. Sean Astin (Les Goonies, Le Seigneur des Anneaux) et Heather Fairfield (Machination, Sexe et Autre Complication) incarnent Josh et Carolyn âgés de dix-sept ans. G. D. Spradlin (Le Parrain 2, Apocalypse Now, Ed Wood) prête ses traits à Harry Thurmont, l’avocat de Barbara. Michael Adler, le fils de l’auteur du roman original Warren Adler, joue le docteur Hillerman. Le client de Gavin d’Amaro qui l’écoute religieusement raconter l’histoire de Barbara et Oliver Rose est enfin interprété par Dan Castellanetta (la voix originale d’Homer Simpson).
L’ensemble de la distribution se retrouve pour le tournage qui dure du 21 mars au 25 juillet 1989. Danny DeVito et le directeur de la photographie Stephen H. Burum (La Foire des Ténèbres, Les Incorruptibles, Mission Impossible) posent leurs caméras à l’ouest de Los Angeles, au 119 Fremont Place utilisé comme doublure pour les extérieurs de la maison d’Oliver et Barbara. Les intérieurs de la luxueuse villa sont pour leur part assemblés par les équipes de la cheffe décoratrice Ida Random (Rain Man, Wyatt Earp, Fast & Furious 4) sur le plateau 15 des studios de 20th Century Fox. Disposé sur trois étages, le décor – gigantesque – reproduit ainsi le grand hall, le salon, la salle à manger, la cuisine, la chambre à coucher du couple, les combles ou bien encore le sous-sol avec son sauna. Les scènes censées se dérouler sur l’île de Nantucket sont quant à elles filmées dans la Réserve historique nationale d’Ebey’s Landing ainsi que dans la petite bourgade de Coupeville, toutes les deux situées sur l’île Whidbey, dans l’État de Washington. La petite ruelle enneigée où se trouve la première maison des Rose, alors encore jeunes parents, supposément située à Cambridge, dans le Massachusetts, est en réalité l’un des décors extérieurs des studios Universal de Los Angeles. L’hôtel de ville de Los Angeles et l’Institut Cal Tech servent également de décors ponctuels.
That’s a Wrap! Quatre mois après le début du tournage, Danny DeVito met la dernière scène de La Guerre des Rose en boîte. Se retrouvant dans la salle de montage avec Lynzee Klingman (Vol Au-Dessus d’un Nid de Coucou, Et Au Milieu Coule une Rivière, La Cité des Anges), il obtient quelques semaines plus tard une première version du long-métrage de près de quatre heures. Un gros travail de post-production débute par conséquent pour réduire la durée de moitié. Certaines scènes, indispensables pour la compréhension de l’intrigue, sont évidemment conservées, comme la rencontre de Barbara et Oliver, l’hospitalisation de ce dernier et leur ultime retrouvaille. Moins primordiales, d’autres séquences sont également gardées, comme ce passage où Oliver s’amuse à scier les talons des escarpins de Barbara, une sorte de clin d’œil au film À la Poursuite du Diamant Vert où le personnage de Jack Colson (incarné par Michael Douglas) fait de même avec les chaussures de Joan Wilder (jouée par Kathleen Turner).
Du côté des séquences supprimées, figure une large partie du premier acte à Nantucket qui montrait les jeunes Oliver et Barbara travaillant respectivement comme charpentier et serveuse. Toute la scène au tribunal pour statuer sur le divorce est elle aussi jetée. Un tri est par ailleurs effectué au milieu des multiples coups-bas et autres crasses que le couple s’inflige. La scène du déjeuner avec les associés d’Oliver est notamment raccourcie. C'est aussi le cas de son enfermement dans le sauna. Idem pour l’entretien entre ce dernier et son avocat Gavin qui cherche dans les différents codes de lois une parade pour lui éviter d’avoir à quitter la maison. La scène durant laquelle Barbara manque d’assommer Oliver en lui jetant du haut de l’escalier un sac poubelle contenant les talons coupés de ses chaussures ne survit pas au montage. La destruction de la collection d’orchidées du mari est pareillement sacrifiée, tout comme la tentative de le piéger dans le lit de la fille au pair. Le remplacement du Valium de Barbara par de la Dexedrine, un médicament utilisé pour lutter contre la narcolepsie, est tout autant abandonné. À la suite des multiples coupes, La Guerre des Rose est ainsi réduit à un peu moins de deux heures. Étonnamment, certains passages abandonnés figurent malgré tout dans la bande-annonce, réalisée avant le montage final.
Certaines interventions du personnage de Gavin sont elles aussi éludées, mais avec parcimonie. La narration de l’avocat, qui raconte à un client anonyme l’histoire du couple Rose, est en effet une ficelle importante du film. C’est elle qui permet d’enchaîner et de connecter les ellipses grâce auxquelles les spectateurs entrevoient les deux décennies de vie maritale d’Oliver et Barbara. Ces intermèdes, disséminés tout au long de l’histoire, contribuent en outre à offrir quelques moments de pause entre deux perfidies orchestrées par le couple. Ils offrent surtout du rythme à l’histoire qui, sans cela, aurait peut-être souffert d’une certaine forme de saturation et d’un sentiment pénible de répétition.
Son rythme est sans aucun doute l’un des atouts majeurs de La Guerre des Rose, tout comme sa mise en scène. Le public ne voit pas le temps passer, tant le récit se déroule sans accroc. Les scènes se suivent avec fluidité et panache. La tension monte crescendo. L’amour débridé des jeunes Oliver et Barbara laisse place à des sentiments plus simples au moment de fonder une famille. Ces sentiments plus simples sont bientôt remplacés par une certaine forme de frustration pour Barbara au fur et à mesure que la carrière d’Oliver décolle. La frustration se change pour lui en irritation lorsqu'elle décide de prendre à son tour son envol, au grand dam d’Oliver qui ne comprend pas le besoin de s’émanciper exprimé par sa femme. Cette irritation laisse se développer le dédain. Le dédain se transforme en dégoût. Le dégoût évolue en véritable répugnance. La répugnance fait naître une terrible haine entre les deux amants.
Ce passage de l’amour à la haine est remarquablement joué par Michael Douglas et Kathleen Turner qui, comme dans À la Poursuite du Diamant Vert et Le Diamant du Nil, forment un couple incroyable. L’alchimie entre les deux acteurs est absolument divine. La présence de Danny DeVito apporte elle aussi un beau petit plus. Quel dommage, d’ailleurs, de ne plus jamais avoir eu l’occasion de revoir le trio réuni à l’écran après la sortie de La Guerre des Rose. La maison est elle-même un personnage à part entière. Au début du film, elle tombe en décrépitude avant de retrouver tout son éclat. En somme, la demeure fait le chemin inverse de celui pris par la romance entre Oliver et Barbara. Magnifiquement reconstituée en studio, elle se dégrade ensuite du fait des états d’âmes du couple et des manigances de l’un ou l’autre. Les coins les plus apaisants de la villa se changent alors en véritables coupe-gorge, à l’instar du sauna. Les plus jolis objets amassés avec les années deviennent autant d’armes mortelles. Certains artefacts prennent d’ailleurs de l’importance au fur et à mesure que l’histoire avance, la palme revenant aux bibelots en porcelaine et surtout au lustre du hall, insignifiant au début de l’intrigue mais absolument central durant le dernier acte.
Rehaussé par la musique de David Newman (La Bande à Picsou - Le Film : Le Trésor de la Lampe Perdue, Les Petits Champions, Anastasia, West Side Story) qui alterne entre mélodies pompeuses (pour le générique, notamment) et tonalités plus comiques, La Guerre des Rose se savoure comme une pièce de théâtre. Le film reprend en effet certains codes propres aux planches. Les dialogues sont en particulier parfaitement ciselés. Il n’y a pas un mot de trop. Les paroles sont percutantes. Chaque réplique fait mouche. Chaque geste est lui-même calculé. Durant la séquence du dîner entre amis, le toast est par exemple une bonne occasion pour le couple d’afficher son mépris. Peu remarqueront alors que si Oliver fait sonner son verre en cristal en frappant dessus avec l’index, Barbara fait de même avec le majeur, adressant ainsi un beau doigt d’honneur à son mari ! Ce genre de petits détails fourmillent littéralement durant tout le film et il y a fort à parier que d’aucuns devront certainement revoir le film plusieurs fois afin de saisir chaque moment.
Avec ses dialogues et sa mise en scène calibrées au millimètre, La Guerre des Rose atteint un sommet dans le genre de la comédie noire. Le long-métrage s’offre au passage une belle critique de l’Amérique « propre sur elle » en mettant en exergue des problématiques souvent honteusement mises sous le tapis. Il pulvérise en particulier la jolie vie de couple affichée par certains. Il moque cette petite bourgeoisie qui ne voit que par les apparences. Il pointe du doigt le problème de l’obésité chez les jeunes... Alors qu’un film comme Kramer Contre Kramer (1979) abordait lui aussi le thème de la vie familiale brisée sur un ton beaucoup plus sérieux et dramatique, La Guerre des Rose se livre pour sa part à une véritable satire aussi grinçante qu’amusante. Ces mêmes ingrédients se retrouveront d’ailleurs dix ans plus tard mis en exergue de manière bien plus brutale encore dans le percutant American Beauty de Sam Mendes (1999).
La première de La Guerre des Rose est organisée à Los Angeles le lundi 4 décembre 1989. Deux jours plus tard, le film est proposé sur les écrans du Gotham Theatre de New York. Il sort ensuite dans tous les États-Unis le 8 décembre. Il est alors précédé par Family Therapy, un court-métrage avec les Simpson extrait de l’émission The Tracy Ullman Show. « La Guerre des Rose est une comédie noire, amère et implacable qui ferait passer pour résignée l’œuvre de James Thurber qui aborde un thème similaire », note Roger Ebert du Chicago Sun Times, « Le cinéma a déjà montré la guerre des sexes par le passé – entre Spencer Tracy et Katherine Hepburn, entre George C. Scott et Faye Dunaway, entre Mickey et Minnie – mais jamais de manière aussi haineuse. Il y a de nombreuses scènes très drôles dans le film. Mais ce dernier emprunte parfois une voix dangereuse. Il y a en effet des moments où sa férocité menace de franchir les limites de la comédie – à tel point que nous ne pouvons plus rire. C’est tout à l’honneur de DeVito et de ses co-vedettes d’aller aussi loin, cela relevant toutefois plus du courage que de la sagesse ».
« La Guerre des Rose est un film mordant et vicieux, un coup de canif en travers du visage du ‘divorce civilisé’ », écrit pour sa part Sheila Benson du Los Angeles Times, « C’est réfléchi et terriblement amusant ». « Sous la direction astucieuse de Danny DeVito, cette épopée de vengeance à l’acide est franchement drôle et dramatiquement audacieuse », commente Peter Travers dans Rolling Stone, « Turner et Douglas sont formidables et parviennent à incarner la submersion des émotions avec une exactitude effrayante. Les Rose sont loin d’être des gens sympathiques, mais ils paraissent incontestablement réels ». « Danny DeVito n’est pas du genre à adopter une vision idéalisée de l’amour », confie Janet Maslin du New York Times, « Comme dans son précédent film, il laisse entendre que l’amour et la haine sont les deux faces d’une même médaille. La Guerre des Rose est un sommet de mesquinerie où rien, ni les animaux de compagnie, ni les chaussures, ni les voitures, ni les protagonistes principaux ne sont épargnés. La méchanceté exceptionnelle du film, qui est d’ailleurs souvent diaboliquement drôle, possède quelque chose de réel et de reconnaissable. Les Rose ont beau être des caricatures, l’ascension puis le déclin de leur romance et le caractère vicieux de leur combat sont des choses que les spectateurs peuvent aisément appréhender. Le film est parfois un peu bancal, mais quand l’humour fonctionne, c’est vraiment hilarant. Monsieur Douglas et Madame Turner n’ont jamais été aussi à l’aise ensemble et tous les deux sont vraiment très drôles lorsqu’ils montrent leurs personnages aussi horribles l’un que l’autre. Si certaines scènes sont joyeusement vulgaires, le film perd rarement son sens de l’humour ».
Interrogé au sujet de l’adaptation de son roman, Warren Adler partage lui aussi un avis plus que positif. « Il est intéressant de noter que la plupart des personnes impliquées dans la création du film avaient elles-mêmes connu des divorces controversés », remarque-t-il, « C’est sûrement un facteur expliquant toute l’énergie déployée pour porter le livre à l’écran. Je suis assez content du résultat. James Brooks et le réalisateur Danny DeVito ont contribué à créer un long-métrage convaincant, durable et fidèle à l’histoire originale. Il traduit avec succès ce que j’avais à dire sur la manière dont l’avidité, le matérialisme et l’égoïsme peuvent miner l’intégrité d’un individu, détruire toute forme de bon sens et encourager l’expression de la violence. Cela illustre également l’effet dévastateur qu’un tel conflit conjugal pourrait avoir sur les enfants, victimes innocentes du processus. La Guerre des Rose en tant que film est à mon avis une excellente interprétation ».
Majoritairement plébiscité par la critique et salué par l’auteur du roman original, La Guerre des Rose réalise un score honorable et prend la première place au box-office américain durant la semaine du 10 décembre 1989 avec presque 10 millions de dollars de recettes. En fin de carrière, le long-métrage enregistre 87 millions de dollars en Amérique du Nord. 73 millions de dollars s’ajoutent dans le reste du monde, permettant au long-métrage d’empocher un total de 160 millions de dollars, soit plus de trois fois son budget de 50 millions de dollars. Parmi les pays ayant le plus apprécié le film, figure notamment l’Allemagne où l’expression Der Rosenkrieg est devenu un synonyme de divorce conflictuel.
La profession est elle aussi enthousiaste. Lors de la 47e Cérémonie des Golden Globes, La Guerre des Rose concourt dans les catégories Meilleur Film Musical ou Comédie, Meilleur Acteur et Meilleure Actrice. Miss Daisy et son Chauffeur rafle cependant la mise, Michael Douglas et Kathleen Turner voyant en particulier les prix leur échapper au profit de Morgan Freeman et Jessica Tandy. La Guerre des Rose est par ailleurs sélectionné pour le BAFTA du Meilleur Scénario finalement remis aux (Les) Affranchis. En Allemagne, le long-métrage est en lice pour l’Ours d’or du Meilleur Réalisateur et du Meilleur Film Musical ou Comédie lors de la Berlinale 1990. Danny DeVito est cependant battu par Michael Verhoeven, récompensé pour Das Schreckliche Mädchen. Music Box et Alouettes, le Fils à la Pattes repartent pour leur part avec l’Ours d’or du Meilleur Film. Le compositeur David Newman est heureusement plus chanceux au moment de récupérer un BMI Film & TV Award.
Devenu un classique de la comédie noire, La Guerre des Rose n’a de toute évidence pas pris une ride. Aussi drôle que piquant, le long-métrage offre une formidable dose de rires tout en questionnant intelligemment sur la nature humaine. À l’heure où Searlight Pictures annonce la mise en chantier d’une réinterprétation de l’histoire réalisée par Jay Roach avec Benedict Cumberbatch et Olivia Colman dans les rôles-titres, il écorne avec humour, justesse et acidité la belle société américaine en abordant des thèmes qui, aujourd’hui encore, font débat.