La Reine Moustoria

Au milieu des années 1980, les studios Disney lancent la production de Basil, Détective Privé, l’adaptation sur grand écran du best-seller Basile Détective (Basil of Baker Street) signé par Eve Titus et illustré par Paul Galdone en 1958. Parodie avec des rongeurs des célèbres aventures de Sherlock Holmes imaginées par Sir Arthur Conan Doyle, l’histoire prend place dans le Londres de la fin du XIXe siècle, au moment où le très discret Royaume des Souris s’apprête à fêter les soixante ans de règne de sa pétillante souveraine, la Reine Moustoria.

La Reine Moustoria est mentionnée dès les premières minutes de Basil, Détective Privé, lorsque le docteur David Quentin Dawson, de retour dans la capitale anglaise, informe les spectateurs d’une catastrophe imminente. « Nous étions à la veille du soixantième anniversaire de notre bonne reine. Et cette année-là, le gouvernement de sa majesté fut au bord du désastre ». Se refusant d’en dire davantage afin de laisser au public le temps de comprendre le contexte et de découvrir les protagonistes de l’histoire, le bon médecin laisse alors planer un certain suspense concernant ce coup d’état prochain.

Il faut par conséquent attendre la quatorzième minute et l’entrée en scène du Professeur Ratigan pour en apprendre davantage au sujet du complot qui se trame contre la souveraine. Palabrant devant ses hommes de main, le vil rat envisage en effet de profiter du jubilé de la Reine pour l’assassiner et, dès lors, prendre sa place sur le trône. Pour ce faire, il a déjà enclenché un plan savamment orchestré. Pendant que Buckingham Palace prépare les festivités, il a fait enlever Hiram Flaversham, un fabricant de jouets chargé, contre son gré, d’assembler un automate à l’effigie du monarque. Grâce à lui, Ratigan pourra ainsi rouler dans la farine la cour et s’arroger les pleins pouvoir. Devenu le suprême leader du Royaume des Souris, il ne lui restera plus qu’à tuer Moustoria en la livrant en pâture à sa chatte Félicia qui, vu son appétit vorace, n’en fera qu’une bouchée…

La Reine Moustoria entre finalement à son tour dans l’histoire durant le dernier acte du film. Les machinations de Ratigan ont fonctionné à merveille. Pour protéger sa fille retenue captive, Hiram Flaversham a obtempéré et livré un clone robotisé de la souveraine. Basil, pour sa part, est à présent ligoté avec Dawson au cœur d’une machine infernale lui garantissant une mort certaine. Quant à la garnison de Buckingham, elle a été neutralisée, les sbires de Ratigan ayant pris la place des soldats…

Ignorant absolument tout de cette conjuration qui se trame en coulisse, la Reine Moustoria est d’humeur joyeuse. Vêtue de sa plus belle robe et de son manteau en hermine, elle se pomponne devant son miroir en attendant le début des célébrations. Ajustant sa couronne, elle est toutefois interrompue lorsque Fidget et les complices de Ratigan, tous déguisés en gardes, lui amènent une mystérieuse boîte entourée d’un ruban. « L’on me gâte ! Oh, c’est merveilleux ! Vraiment… J’adore les jubilés ! ».

Trépignant à l’idée d’ouvrir ce gros cadeau, la Reine s’interroge malgré tout en découvrant la mine patibulaire de Fidget. « Êtes-vous depuis longtemps à notre service ?... », questionne-t-elle avant de se détourner pour lire le petit mot accompagnant le présent. « À sa majesté tant aimée, dans l’espoir qu’elle daigne accepter ce cadeau qui couronne la fin de soixante ans de règne… ».

Circonspecte, la reine Moustoria n’est pas certaine de bien comprendre. « C’est extraordinaire ! », s’exclame-t-elle en découvrant sa réplique mécanique à peine déballée. Mais elle a à peine le temps de l’observer que déjà, le robot se met en marche et se lance à sa poursuite. Lorsque Ratigan sort de l’ombre, elle perçoit enfin le danger qui la guette.

Saisie manu-militari par Fidget et deux sbires hilares, la Reine est emportée sans ménagement. Ligotée et bâillonnée, elle est ensuite traînée jusqu’à un balcon au pied duquel Félicia attend avec impatience son quatre heures… Fort heureusement, Basil, Dawson et Olivia sont parvenus à se libérer du piège de Ratigan. Arrivés au palais grâce à l’aide de Toby, ils réussissent in extremis à sauver la Reine et à évincer Félicia. Le plan criminel de Ratigan s’écroule ainsi pierre après pierre. Loin de subir la suite des événements, Moustoria participe au sauvetage de son trône en ficelant elle-même Fidget puis en tentant d’arrêter l’immonde rat.

Disparaissant de l’intrigue au moment où Basil, Dawson et Flaversham se lancent à la poursuite de Ratigan qui s’est échappé par les airs non sans avoir enlever la petite Olivia, la Reine Moustoria est évoquée en toute fin du film. The Illustrated London Mouse, l’un des quotidiens du royaume, consacre en effet la Une de son édition du lundi 21 juin 1897 à son sauvetage héroïque. Pour accompagner l’article, une photographie la montre alors en train d’honorer Basil et Dawson.

Particulièrement truculente et haute en couleur, la Reine est la souveraine adorée du Royaume des Souris. Appartenant à la longue liste des têtes couronnées Disney, elle demeure durant tout le film totalement anonyme. Aussi bien Basil que Dawson, ou même Ratigan, ne parlent en effet d’elle qu’en l’appelant simplement « la Reine ». La feuille de modèle utilisée par les animateurs la mentionne également comme telle.

Son prénom, Moustoria (Mousetoria en version originale) provient en réalité de diverses bandes dessinées dans laquelle le personnage est mis en scène. Il s’agit alors d’un mot-valise construit à partir du terme « mouse » (souris en anglais) et de Victoria, du prénom de la célèbre souveraine et impératrice des Indes. Née le 24 mai 1819, elle monte sur le trône en 1837. Dernier monarque anglais issu de la famille des Hanovre, elle n’a que dix-huit ans et entame ainsi un règne long de plus de soixante-trois ans (un record battu un siècle plus tard par Elizabeth II avec ses soixante-dix ans de règne). Durant sa vie, l’Angleterre est entrée de plein pied dans l’Âge industriel et la période coloniale. Mariée à son cher Albert et mère de neuf enfants qui donneront naissance aux plus grandes familles royales européennes, celle qui est surnommée la « Grand-Mère de l’Europe » a magistralement marqué de son empreinte le XIXe siècle durant ce qui est encore appelée l’époque victorienne. Bien avant sa mort survenue le 22 janvier 1901, elle a inspiré nombre d’artistes et d’auteurs. Les aventures de Sherlock Holmes imaginées par Sir Arthur Conan Doyle se déroulent notamment durant son règne.

Vivant, comme son alter ego humaine, au sein du luxueux palais de Buckingham, la Reine Moustoria apparaît sous les traits d’une souveraine potelée. Son âge a laissé quelques traces, en particulier sur sa chevelure, d’un blanc immaculé. Sa vue, plus faible, nécessite en outre l'usage d'une paire de lorgnons. Vivant dans des appartements feutrés, elle porte une robe couleur lavande et un manteau pourpre rehaussé d’hermine. Une voilette et un col rose bonbon complète son costume. Sa petite couronne, avec son armature en or et ses pierres précieuses, est un clin d’œil à l’une de celles que portait la Reine Victoria à la fin de son règne.

Développée par les artistes de Disney, la Reine Moustoria est animée par Andreas Deja. Né à Gdańsk, en Pologne, le 1^er avril 1957, l’artiste se découvre une passion pour l’animation après avoir découvert Le Livre de la Jungle à l’âge de onze ans. Naturalisé allemand, il se met alors en tête de travailler un jour pour les studios Disney à qui il écrit des lettres et envoie ses dessins. Encouragé à persévérer, il suit les cours de l’université Folkwang Hochschule d’Essen d’où il sort diplômé. Passant de l’autre côté de l’Atlantique, il correspond un moment avec le vétéran Eric Larson avant de finalement réaliser son rêve. En août 1980, il est en effet engagé par les studios Disney qui le mettent au travail sur Taram et le Chaudron Magique. Collaborant avec Tim Burton, il produit alors des dizaines de recherches graphiques et anime certains passages avec le héros. Promu animateur puis superviseur, Andreas Deja donne notamment naissance à des personnages comme la Reine Moustoria, Roger Rabbit, le roi Triton, Gaston, Jafar, Scar et Hercule. Créateur de Mickey dans Le Prince et le Pauvre et Fantasia 2000, il anime Flying John, la reine Narissa, Lilo, Alameda Slim, Mama Odie et Tigrou. Associé à la restauration de plusieurs classiques des studios parmi lesquels Blanche Neige et les Sept Nains et Pinocchio, il quitte finalement Disney. Récompensé par un Disney Legends Award le 14 août 2015, il travaille entre 2019 et 2023 sur le film Mushka, sa première réalisation.

En version originale, la Reine est interprétée par Evelyn (Eve) Brenner. Née à San Diego, en Californie, le 19 mai 1926, la comédienne débute en 1953 en jouant le rôle de Betty dans Les Aventures de Superman. Elle ne revient ensuite sur les écrans qu’en 1965 dans le film Rat Fink. Présente au théâtre, elle apparaît aussi au cinéma dans Il Était une Fois… La Légion (1977), Tormant (1986), Killer Cats (1991), Meutre à Alcatraz (1995), À la Recherche de Kelly (2000), Play the Game (2009), ainsi qu’à la télévision dans des dizaines de séries telles que Les Routes du Paradis (1987), Arabesque (1989), Code Quantum (1990), Amour, Gloire et Beauté (1991), Alerte à Malibu (1994), Docteur Quinn, Femme Médecin (1995), Demain à la Une (1997), Seinfeld (1998), Ally McBeal (2000), X-Files : Aux Frontières du Réel (2000), Urgences (2003), Rizzoli & Isles (2010) et Des Jours et des Vies (2016).

En français, le rôle est confié à Perrette Pradier. Née à Hanoï le 17 avril 1938, la comédienne entame sa carrière au cinéma et au théâtre à la fin des années 1950. À l’affiche, entre autres, des pièces Boeing Boeing, La Bonne Adresse, Les Caves du Vatican, Le Dindon, Les Fourberies de Scapin, L’Avare, Volpone et Le Saut du Lit, elle apparaît sur grand écran dans des films comme Les Amours de Paris (1960), Le Jeu de la Vérité (1961), Les Trois Mousquetaires (1961), Furia à Bahia pour OSS 117 (1965) et Un Cri dans l’Ombre (1968). Dès les années 1970, elle se consacre finalement presque exclusivement au doublage. Surnommée la « Reine » ou la « Papesse », elle prête ainsi sa voix à Faye Dunaway, Jacqueline Bisset, Kate Jackson, Lynn Redgrave et plus ponctuellement à Jane Fonda et Julie Andrews. Elle incarne également les personnages de Madame Médusa, Ma Dalton, Grièche, Sarafina, La Volière, Atropos et Eema. Directrice artistique sur des dizaines de doublage, Perrette Pradier disparaît le 16 janvier 2013 à l’âge de soixante-quatorze ans.

Comme celles des autres protagonistes de Basil, Détective Privé, les apparitions de la Reine se limitent à la portion congrue. La souveraine est ainsi présente dans l’adaptation en bande dessinée du long-métrage animé. Elle figure également dans quelques-unes des histoires inédites publiées dans la presse Disney, notamment en France dans Le Journal de Mickey. Les lecteurs la retrouvent en particulier dans The Mystery of the Missing Crown Jewels.

La Reine Moustoria, tout comme sa copie mécanique, possède par ailleurs une carte à son effigie dans l'extension La Fin est Proche ! du jeu de stratégie Disney Villainous.

Bien que peu visible à l’écran, la Reine Moustoria est un sympathique second rôle qui contribue à son niveau à offrir tout son charme à Basil, Détective Privé.