Kingsman
Services Secrets
Le synopsis
Le jeune banlieusard désargenté Gary « Eggsy » Unwin se voit proposer par le mystérieux et distingué Harry Hart une formation d’espion pour devenir le prochain Kingsman, le nouveau membre d’une agence privée britannique très select. |
La critique
Avant d’être l’agence d’agents secrets la plus cool et irrévérencieuse de tout le grand écran, l'américano-britannique Kingsman : Services Secrets est d'abord un comic book britannique initialement publié en 2012 par Icon Comics (de la branche Marvel Comics), puis édité en France en 2015 par Panini Comics. Sobrement baptisé The Secret Service en version originale, il faut attendre l’adaptation cinématographique de 20th Century Studios pour que son « Kingsman » vienne désormais orner le titre du roman graphique lors de rééditions.
Kingsman : Services Secrets voit le jour grâce au scénariste Mark Millar (né en 1969 à Coatbridge, en Écosse) et le dessinateur Dave Gibbons (né en 1949 à Londres). Le premier débute chez DC Comics avant de rejoindre Marvel Comics pour la série Ultimate X-Men. Il est reconnu de tous pour être l’auteur de grands titres qui inspireront le cinéma comme Wanted (Wanted : Choisis ton Destin avec Angelina Jolie), Civil War (Captain America : Civil War), Old Man Logan (Logan) et Kick-Ass. Le second est réputé pour avoir travaillé sur Doctor Who et le personnage de Green Lantern chez DC Comics, avant d’illustrer le cultissime Watchmen d’Alan Moore, considéré inadaptable et pourtant brillamment porté à l’écran par Zack Snyder (Watchmen : Les Gardiens). Millar, fan du travail de l'illustrateur depuis toujours, lui écrit alors une lettre à l'âge de dix-sept ans dans laquelle il exprime le souhait de travailler un jour avec lui. Les années passent et Gibbons devient à son tour fan du travail de l'auteur. Kingsman : Services Secrets réunit ainsi les deux artistes avec succès pour la première fois.
Son adaptation est envisagée par Millar lui-même et le producteur/réalisateur/scénariste Matthew Vaughn (né en 1971 à Londres et fondateur de Marv Films) durant leur première collaboration sur Kick-Ass (2010). Succès critique, ce nouveau projet commun est annoncé en octobre 2012, pour lequel le réalisateur préfère renoncer à Kick-Ass 2 (2013) et X-Men : Days of Future Past (2014) - dont il reste producteur (en plus d’être scénariste pour le second) - après avoir brillamment mis en scène X-Men : Le Commencement (2011). Il délaisse ainsi l’univers des super-héros pour le monde de l’espionnage mais reste dans le thème ! Kick-Ass et Kingsman : Services Secrets font en effet partie du « Millarword », un monde à la Marvel Cinematic Universe qui regroupe plusieurs des œuvres de l’auteur. Récompensé d’un Empire Award du Meilleur Réalisateur par le magazine Empire pour son premier long-métrage Layer Cake (2004), qui permit à Daniel Craig de se faire remarquer pour les essais du nouveau James Bond, l’homme de cinéma semble donc plus que qualifié.
L’histoire est simple mais efficace : un espion guindé nommé Jack London décide de former son neveu délinquant Gary afin de le remettre sur le droit chemin et d’enquêter tous deux sur la disparition de célébrités… Vaughn souhaite cependant faire un film d’espionnage moins sérieux mais plus humain que ceux de ses congénères. Après avoir vu Casino Royale (2006) avec Daniel Craig justement, et quelque peu frustré, il souhaite surtout inviter le public à découvrir les origines et suivre la formation du héros. Avec sa fidèle scénariste Jane Goldman (née en 1970 à Hammersmith) - Miss Peregrine et les Enfants Particuliers (2016) de Tim Burton, La Petite Sirène (2021) - et Millar qui valide la moindre nouvelle idée en tant que producteur exécutif (rôle qu'il tient assidûment dans chacune de ses adaptations), de nombreux changements sont apportés. Loin de dénaturer l’œuvre originale, ils subliment son aspect so british. Telle la trouvaille de l'agence Kingsman, financée par les riches familles britanniques ayant perdu leurs héritiers durant la Première Guerre mondiale.
Point de MI6 donc (le réel service gouvernemental de renseignements du Royaume-Uni auquel appartient notamment l'agent de fiction 007), mais une société secrète davantage emplie d'histoire dont les agents portent le nom de chevaliers de la Table ronde. Jack London est renommé Harry Hart, alias Galaad. Gary, surnommé Eggsy, n'est plus son neveu mais le fils d'un agent décédé en mission en lice pour être le prochain Lancelot. Du côté des vilains, c'est le jeu des chaises musicales. Si tous deux personnifient le même mégalomane des télécommunications, le Docteur Arnold qui enlève Mark Hamill dans le roman graphique (idée validée par l’interprète de Luke Skywalker de la saga Star Wars en personne) cède ici sa place au mégalomane Richmond Valentine, qui enlève à son tour le professeur Arnold (interprété à l'écran par… le véritable Mark Hamill). Enfin, son homme de main semi bionique baptisé Gazelle devient une femme aux prothèses de jambes tranchantes. Et pour donner vie à ces délirants personnages et bien d’autres encore, le talent britannique est bien sûr à l'honneur.
Si son statut de Commandeur de l'Ordre de l'Empire britannique acquis en 2011 et sa classe naturelle sont un atout majeur pour le rôle de l’élégant Harry Hart/Galaad - inspiré du grand David Niven, personnification du gentleman anglais vu dans l'officieux Casino Royale (1967) - difficile d'imaginer le paisible Colin Firth dans la peau d'un redoutable espion sur le terrain. Premier choix (audacieux) de la production, l'acteur né en 1960 à Grayshott oscarisé pour Le Discours d'un Roi (2010) et à la longue filmographie, parmi lesquels Le Patient Anglais (1996), Shakespeare In Love (1998), Le Journal de Bridget Jones et Bridget Jones : L'Âge de Raison (2001 et 2004) pour Miramax, Hope Springs (2003) pour Touchstone, puis Le Drôle de Noël de Scrooge (2009) et Le Retour de Mary Poppins (2019) pour Disney, sans oublier Love Actually (2003), Nanny McPhee (2005) ou encore Mamma Mia! (2008 et 2018), est contacté dès 2012 avant la phase de réécriture. Vaughn voulait absolument voir Firth « tabasser des gens » et savoir s’il était prêt à s’entraîner pour. La réponse est oui !
À la tête de l'agence Kingsman trône un autre Commandeur (décoré en 1992 puis anobli en 2000) et comédien oscarisé qui apporte toute sa grandeur à Arthur : le légendaire Michael Caine. Né en 1933 à Londres et doté d’une impressionnante carrière, dont Noël Chez les Muppets (1992) pour Disney, Quills, la Plume et le Sang (2000) pour 20th Century Studios, ainsi que sa grande collaboration avec Christopher Nolan depuis la trilogie The Dark Knight (2005, 2008, 2012) comme le démontre Le Prestige (2006), Caine est vivement emballé par Kingsman : Services Secrets qu’il considère inhabituel. Pour le seconder, Vaughn fait appel pour la troisième fois à Mark Strong, né en 1963 à Londres et notamment vu dans Sherlock Holmes (2009), John Carter (2012), Imitation Game (2014), qui retrouve également pour la quatrième fois Colin Firth sur les plateaux de cinéma. Impeccable dans la peau du pince sans rire Merlin, sur tous les fronts et instructeur des nouvelles recrues potentielles, Strong parvient à rendre le personnage à la fois terriblement désinvolte et facétieux.
Au milieu de tous ces grands noms se retrouve l’impressionné (avant d'être impressionnant) Taron Egerton, qui auditionne à la simple lecture du script sans avoir connaissance du réalisateur et des acteurs affiliés au projet. Si Aaron Taylor-Johnson déjà dirigé par Vaughn dans le rôle-titre de Kick Ass est envisagé mais indisponible, la sympathie, la spontanéité et l’inexpérience du jeune homme le distinguent parmi les nombreux garçons castés et finissent par séduire le réalisateur. Trois caractéristiques qu'il estime parfaites pour l'apprenti espion Eggsy, aussi différentes que complémentaires face au contrôle et la maturité de Colin Firth et de Michael Caine. Recrue parfaite en coulisses comme à l'écran née en 1989 à Birkenhead et qui n'a à son actif qu'une participation à deux séries et au long-métrage Mémoires de Jeunesse en 2014, Egerton s'illustrera notamment dans les biopics Eddie the Eagle (2016) dans la peau du premier sauteur à ski olympique anglais Michael Edwards et Rocketman (2019) dans la peau d'Elton John qui lui vaut un Golden Globe.
Potentiel nouveau Lancelot, Eggsy n’est pourtant pas seul à convoiter le poste. Élevé au sein d'un reste de famille dysfonctionnelle de classe moyenne et ouvrière, il se frotte à l’élite de la nation chaudement recommandée et plus qu'avantagée. Il a pour principaux rivaux la studieuse et coopérative Roxy, interprétée par Sophie Cookson dans son tout premier film et préférée à la trop connue Emma Watson (Harry Potter à l’École des Sorciers, La Belle et la Bête), ainsi que le suffisant et individualiste Charlie, campé par Edward Holcroft. A contrario, Kingsman : Services Secrets devait dans la logique de son scénario catastrophe accueillir des célébrités britanniques telles que le sportif et sex-symbol David Beckham, la chanteuse et compositrice Adèle (Lady Gaga également), ou encore le chanteur et compositeur Sir Elton John. Sans suite... Excepté pour ce dernier qui illuminera avec beaucoup d'humour le prochain opus de la saga Kingsman. En attendant, la première nuit des nouvelles recrues, non préparées à ce qui les attend, sera fatale. Et ce n’est que le début !
Dressage de chiens qui peut sembler anodin mais s’avère déterminant à l’issue de la formation, saut vertigineux de groupe avec un parachute manquant, ou test de loyauté sur des rails avec un train approchant à grande vitesse, les étapes sont multiples. Tout comme les diverses trames du scénario. Dix-sept ans après l'introduction de Kingsman : Services Secrets mettant en scène la mort du père d'Eggsy et son héritage, la perte d'un autre agent nommé Lancelot - brièvement interprété par Jack Davenport (les trois premiers volets de Pirates des Caraïbes, les séries FlashForward et Smash) - voit donc l’avènement de la formation d'un nouvel espion au sein de Kingsman. Harry, encore coupable d'avoir laissé sans père Eggsy, décide de le parrainer et d'offrir à ce dernier, défavorisé et désabusé, un semblant d'avenir. Cependant, parallèlement à ces enjeux internes, tous deux doivent enquêter sur une menace d'ordre planétaire. En coulisses, Valentine promet à chaque habitant de la planète une puce de télécommunication gratuite à des fins encore mystérieuses...
Si Kingsman : Services Secrets se veut divertissant (mais pas du tout familial), il n'en reste pas moins brillamment intelligent, esthétiquement travaillé et bourré de surprises comme tout bon film d'espionnage. Les affiches préventives mettant en scène les jambes de Gazelle, de dos, sont d'ailleurs non sans rappeler celle de l'épisode bondien Rien que pour vos Yeux (1981). Un clin d’œil parmi tant d'autres... Loin d'être une Bond Girl cependant, Roxy ne fait pas office de love interest sexualisée mais reste une simple concurrente et amie. Preuve d'un élan de modernité, les personnages sont en effet scrupuleusement bien écrits. Si Harry est expérimenté et d'un calme à toute épreuve (ou presque), alors que son petit protégé est tout ce qu’il y a de plus novice et de nerveux, leur aventure semblant écrite d'avance est loin d'être linéaire et les rebondissements sont nombreux. Un soin tout particulier est également apporté aux vilains. Le spectateur ne perd pas au change avec l'excentrique et fantasque Valentine. Surtout quand il est campé par l’irrésistible Samuel L. Jackson.
Très apprécié de Matthew Vaughn, l'acteur né en 1948 à Washington D.C. et fan des comics dont est tiré Kingsman : Services Secrets, s’illustre notamment dans Pulp Fiction (1994), Une Journée en Enfer - Die Hard 3 (1995), Incassable (2000) et Glass (2019), tout en participant à la prélogie Star Wars, aux (Les) Indestructibles (2004, 2018) et au MCU dans la peau de Nick Fury. Afin que l'antagoniste ne soit pas trop pris au sérieux dès le début, Jackson décide d'affubler Valentine d'un zozotement (dont il souffrait réellement enfant), estimant également que tout vilain doit disposer d'un signe distinctif dans la plus pure tradition Bond. Aussi drôle et ridicule que fou et dangereux, ce médiatique nouveau riche (en contradiction avec les fils de riches que représentent les Kingsmen) qui reçoit ses hôtes à grand renfort de McDonald's accompagné de Château Lafite 1945 ne doit pas être sous-estimé. Il souhaite en secret libérer la planète des humains et ne garder que l'élite en provoquant des émeutes mortelles grâce à sa technologie faussement offerte à tous. Tout un programme !
Si Valentine déteste la violence, il compte sur la méticuleuse Gazelle pour faire le sale boulot et assurer ses arrières. Prévu pour la snowboardeuse américaine amputée de ses deux jambes Amy Purdy, qui délaisse le rôle pour les Jeux Paralympiques lorsque le tournage est retardé, c'est au final la danseuse de hip-hop franco-algérienne Sofia Boutella qui incarne la tueuse. Née en 1982 à Bab El Oued, l'égérie de la marque Nike en 2005 qui peut se vanter d'avoir accompagné Madonna sur deux tournées mondiales et sa prestation au Superbowl, puis porté le vidéoclip posthume de Michael Jackson, est choisie par Vaughn qui, après l'avoir vue danser, souhaite faire de Gazelle une adversaire gracieuse et pleine de prestance. Novice, hormis sa première expérience cinématographique dans StreetDance 2 (2012), elle enchaînera notamment avec Star Trek : Sans Limites (2016), La Momie (2017) avec Tom Cruise, Atomic Blonde (2017) avec Charlize Theron, ou encore Hotel Artemis (2018) avec Jodie Foster. Fatale et redoutable, elle donnera à Eggsy bien du fil à retordre.
Les protagonistes de Kingsman : Services Secrets se préparent en effet au pire et la préparation physique constitue également une véritable épreuve pour les comédiens. Volontaire et déterminé, Colin Firth s’entraîne des mois durant, à raison de trois heures par jour, cinq jours sur sept, pour assurer la grande majorité de ses cascades et réaliser un rêve de gamin. Parfait dans la peau d'Harry, il y met comme à l’accoutumée tout son charisme. Mais il y met de manière inédite son énergie et son physique avec tant de réussite qu'il peut sembler dommage d'avoir attendu aussi longtemps pour montrer au public l'étendue de ses talents d'homme d'action. Ou au contraire, pertinent d'avoir tardé à dévoiler ce tour de force après tant d'années de carrière. S’il démontre une habilité certaine lors de son premier combat face à quelques petites frappes insignifiantes qui menacent Eggsy lors de leur rencontre, Firth épate par son impressionnant carnage dans la scène se déroulant dans une église regroupant des fidèles extrémistes du Kentucky (un mariage dans la bande dessinée).
Les entraîneurs, chorégraphes et coordinateurs des cascades - affectueusement renommés « La Ligue des Gentleman Extraordinaires » par Firth - calibrent au millimètre près les combats, tout en devant laisser la possibilité à l’interprète de feindre la folie et la perte de contrôle (en proie aux puces téléphoniques de Valentine). Un moment dantesque tout simplement énorme ! Taron Egerton, qui pensait à tort disposer d’une doublure qui effectuerait le gros du travail, passe des heures à la salle de sport pour aborder fièrement des abdominaux en béton lors d’une scène éprouvante et s’entraîne au tir ainsi qu’au combat, réalisant finalement ses cascades avec une facilité presque déconcertante. De son côté, Sofia Boutella apprend la boxe, la boxe thaï, le taekwondo et autres techniques de jambes bien évidement, ainsi que le maniement des câbles. Aidée par ses années de danse et apprenant ses combats comme des chorégraphies, elle admet pourtant que l’énergie demandée est totalement différente. Pour le plus grand plaisir des spectateurs, la réussite de chacun est totale.
Difficile mais pas impossible, Kingsman : Services Secrets réussit l’exploit de rivaliser avec ses semblables et réinventer l’action. Combats à mains nues, fusillades, courses-poursuites, ascensions atmosphériques et autres exploits nautiques sont de la partie, mais ces grands classiques sont mis en scène avec beaucoup d’innovation. Hormis le travail fourni par l’ensemble du casting, c’est un travail technique minutieux qui s’opère en coulisses. La terrifiante scène de l’église réalisée en plan faussement séquence dont Harry est l’élément central, nécessite à elle seule une semaine de préparation, 20 cascadeurs, 30 figurants spéciaux et 80 secondaires, pour un tournage en sept jours. Méticuleux, Matthew Vaughn - qui sait exactement ce qu’il veut et n’hésite pas à modifier ses plans durant les prises de vues - demande aux caméramans et à l’équipe du montage de collaborer et définir ensemble les angles de camera avant la capture de la séquence. Tout ceci afin d’anticiper les raccords nécessaires pour donner l’illusion d’une prise unique. Une véritable prouesse technique !
Toujours de manière artisanale c’est une autre scène qui aurait pu tourner à la catastrophe, aussi bien pour le casting que l’ensemble de l’équipe, qui voit le jour. Quand le dortoir des nouvelles recrues prend l’eau durant leur sommeil (volontairement, car Merlin est quelque peu sournois), ce sont réellement des tonnes de liquide qui envahissent l’imposant décor. Le mauvais calibrage de l’énorme mécanisme mis en place noie les caméras et finit par terrifier les acteurs en pleine action. Vaughn détestera chaque seconde du tournage de cette scène qui durera onze jours au lieu des quatre prévus. N’est pas le prochain Kingsman qui veut ! Pour leur prochaine mission, ce ne sont cependant pas les véritables comédiens qui effectuent le saut en parachute mais des caméramans spécialisés. Au niveau numérique, les jambes de Gazelle (son interprète tournant en chaussettes vertes), le bouquet final du repaire de Valentine, ainsi que les exploits surhumains et les divers gadgets des espions prennent vie grâce à des effets spéciaux incontournables pour ce genre de production, mais très bien incorporés.
À ce sujet, un gentleman n'est rien sans son costume et sa complète panoplie « Made in England » bien évidemment. Le costume est l'armure du chevalier moderne ! La façade de la boutique Kingsman est celle de Huntsman & Son (qui habille des célébrités) et l'intérieur reproduit en studio s’inspire des réelles boutiques de la rue Savile Row, réputée pour ses tailleurs traditionnels. C’est pourtant la chef-costumière américaine Arianne Phillips (née en 1963 à New York) - The Crow (1994) pour Miramax et trois fois nommée aux Oscars - qui, fascinée par la qualité et l’histoire de ces costumes qui sont de véritables symboles de l’élite britannique depuis des générations, supervise le travail sur-mesure réalisé par les meilleurs tailleurs et cordonniers du pays. S’il délaisse jogging, casquette et baskets tardivement (contrairement au très coloré Valentine), Taron Egerton estime que le costume fait tout ! Hormis le fait de l’aider à se sentir pleinement dans la peau de son personnage, celui-ci lui permet de se tenir autrement et d’adopter la posture d’un véritable gentleman.
Autre élément indispensable du raffinement, les hommes de bonne éducation ne se déplacent jamais sans parapluie à Londres. Impossible de déroger à la règle. Les Kingsmen abordent donc de classiques Swaine Adeney Brigg, marque fondée sans certitude aux alentours de 1750. Mais avec une gâchette ! Véritable instrument de combat et protection par-balles, cet ustensile fait partie des plus de 200 armes créées ou customisées pour les besoins de Kingsman : Services Secrets. Pour le reste et une nouvelle fois, le passé se mêle au contemporain. Les stylos disposant d’autres fonctions surprises que l'écriture sont de la maison Conway Stewart, fondée en 1905, très appréciée du Premier ministre Winston Churchill dont le nom fut repris pour une collection. Quand leurs montres tout autant multifonctionnelles sont de marque Bremont, créée en 2002, spécialisée dans l'aviation de luxe et appréciées des membres des forces armées. Paré de tout cet attirail, héros et Kingsman en apparence - mais non dispensé d’une rude concurrence - Eggsy sera-t-il finalement le nouveau Lancelot ?
Pour l’accompagner dans ses péripéties, tout bon espion doit enfin disposer d'une partition originale à la hauteur de son talent et de la dangerosité de ses périlleuses missions. Composée par Henry Jackman (né en 1974 à Hillingdon) et Matthew Margeson (né en 1980 dans le New Jersey), fidèles compagnons de Matthew Vaughn et de l'ensemble de la saga Kingsman, elle apporte à Kingsman : Services Secrets une dimension sérieuse et épique digne d'un véritable James Bond. Après avoir collaboré sur les musiques additionnelles de Pirates des Caraïbes : Le Secret du Coffre Maudit (2006) et Pirates des Caraïbes : Jusqu'au Bout du Monde (2007), le premier travaille à maintes reprises pour Disney au sein d’univers variés avec Winnie l'Ourson (2011), Les Mondes de Ralph (2012), Les Nouveaux Héros (2014), Captain America : Le Soldat de l'Hiver (2014) et Captain America : Civil War (2016), puis The Predator (2018). Outre son travail à plein temps pour le cinéma, il a également composé la musique de jeux vidéo tels que les deux derniers volets d’Uncharted.
Membre de la Remote Control Productions de Hans Zimmer, le second collabore avec Disney pour Le Secret de la Petite Sirène (2008), Le Chihuahua de Beverly Hills (2008), Prince of Persia : Les Sables du Temps (2010), Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence (2011) et déjà avec Jackman sur Les Mondes de Ralph puis Captain America : Le Soldat de l'Hiver. Il compose intégralement pour Eddie the Eagle (2016) et Rocketman (2019) de nouveau avec Taron Egerton. Des musiques additionnelles qui contrastent vis-à-vis de la solennité de la composition originale et de la dureté des images qu’elles accompagnent sont aussi de la partie, permettant ainsi de montrer avec un incroyable second degré les pires atrocités visibles à l'écran. Le très rock Money for Nothing de Dire Straits sert de furtive introduction, le rock et country Free Bird de Lynyrd Skynyrd rythme le massacre de l'église, quand le disco et funky Give it Up de KC & The Sunshine Band ambiance sur reflets de boule disco le combat final entre Eggsy et les jambes affûtées de Gazelle, ainsi que les émeutes mondiales.
Le tournage débute en octobre 2013. Britannique dans l'âme, il se déroule pour quelques scènes à Londres et principalement au sein de sa verte périphérie dans les comtés de Hertfordshire, de Surrey et du Sussex, ainsi que dans les incontournables et fameux Pinewood Studios. Trois années sont finalement nécessaires entre la conception de Kingsman : Services Secrets et sa sortie sur les écrans. Initialement prévue pour novembre 2014, elle se voit finalement repoussée au 29 janvier 2015 pour le Royaume-Uni, terre d'accueil bien évidement priorisée, avant de débarquer le 13 février aux États-Unis puis le 18 février en France. La violence et l'agressivité du long-métrage entraînent bien évidemment une certaine censure. Sur le sol américain, les enfants de moins de dix-sept ans doivent être accompagnés d'un adulte, tandis que le sol français se montre plus clément avec le simple avertissement « des scènes, des images ou des propos peuvent heurter la sensibilité du jeune public » (avant d'être déconseillé aux moins de seize ans sur Canal+ et douze ans à la télévision).
Au Royaume-Uni, des scènes entières sont réduites pour limiter l'accès aux moins de quinze ans seulement. Dans certains pays, la sanglante séquence de l'église est tout simplement et entièrement coupée. Lors de sa diffusion sur la télévision allemande, la récompense (non racontable sur Chronique Disney) promise par la princesse et otage Tilde à Eggsy s'il sauve le monde est elle aussi supprimée. Un effet comique qui choqua les spectateurs lors de la projection test, mais que Matthew Vaughn décide de conserver tout de même. Bien hypocrite d'accepter et de savourer tant de violence mais de s'offusquer face à une blague salace, certes dispensable ! Mais c'est après tout ce décalage qui fait tout le charme des Kingsmen. Les critiques sont cependant largement positives, vantant la folie du film et le dépoussiérage du monde de l’espionnage déjà bien connu et bien trop sérieux. Malgré une audience restreinte, les recettes mondiales s'élèvent à plus de 414 millions de dollars (dont 128 millions aux États-Unis), pour un budget initial de 81 millions de dollars. Mission accomplie !
Ce véritable succès critique, artistique et commercial promet des beaux jours au si particulier Kingsman : Services Secrets. C’est en effet un déluge d’action survitaminée et de personnages hauts en couleur qui attendent les cinéphiles pourtant aguerris, non préparés à autant de bonne humeur et de panache. Sa violence extrême est largement compensée (autant qu'elle puisse l'être) par un humour féroce et omniprésent, qui permet d’alléger la gravité des images et détendre l'atmosphère. Des rictus de dégoûts sont possibles, mais toujours suivis de rires non coupables. Le voir et le revoir avec toujours autant de plaisir permet également d'apprécier chaque seconde de ses plans dynamiques et léchés, pas toujours perceptibles au premier coup d’œil de par leur rythme accéléré et son montage frénétique, qui en font pourtant toute la beauté. Totalement décalé, s'amusant délicieusement et avec justesse des clichés de ses compatriotes et du monde bien trop sérieux des espions, jamais au grand jamais le public n'assiste à une parodie insipide et maladroite du genre.
De nombreuses nominations à des cérémonies populaires pleuvent, que ce soit dans la catégorie du meilleur film, scénario, musique, action ou encore costumes. L'œuvre remporte l'IGN Summer Movie Award de la Meilleur Adaptation de Comic Book, l'ASCAP Film and Television Music Award du Meilleur Film au Box-office, le Golden Schmoes Award de la Meilleure séquence d'action (celle de l'église) ainsi que l'Empire Award du Meilleur Film Britannique, tandis que Taron Egerton reçoit celui de la Meilleure Révélation Masculine. Avant même ce foudroyant succès, une suite est envisagée dès le début de l'année 2015 par le duo formé par Mark Millar et Matthew Vaughn. Son attachement aux personnages est tel que le réalisateur accepte de mettre de côté son désintérêt pour les suites et déroge à la règle pour la première fois afin de tourner très rapidement Kingsman : Le Cercle d’Or (2017) puis The King's Man : Première Mission (2020), qui fait finalement office de préquel au lieu d'être le troisième volet d'une trilogie annoncée, mais pas abandonnée...
« C'est à ses manières... qu'on juge... un homme ».
Trip psychédélique nerveux et irrévérencieux, audacieux et généreux, mais respectueux des codes qu'il se permet de remettre au goût du jour, Kingsman : Services Secrets combine à merveille le charme, les bonnes manières et le flegme britannique avec l’efficacité, l'impertinence et l’énergie d’une grande production américaine. Entendre Colin Firth jurer relevait du fantasme et s’avère être un pur plaisir pour les oreilles. Véritable mise en image des planches du roman graphique au final explosif digne d'un vrai feu d'artifice (littéralement), ce pari fou et osé qui aurait pu tout simplement vriller et tomber dans la caricature, l’absurde ou le mauvais goût, offre au final une expérience unique et une aventure terriblement jouissive.
Tel le gentleman dont il s'inspire et auquel il rend dignement hommage, Kingsman : Services Secrets est pratiquement, non, tout simplement « parfait en tout point » !