Ours Polaire
Le Making-Of
Titre original : Bear Witness Production : Disneynature Date de mise en ligne USA : Le 22 avril 2022 (Disney+) Genre : Documentaire |
Réalisation : Alastair Fothergill Jeff Wilson Musique : Ho Ling Tang Durée : 83 minutes |
Le synopsis
Les réalisateurs d'Ours Polaire proposent aux spectateurs de découvrir l'envers du décor de la réalisation du film en les suivant dans leur périple proche du pôle Nord. L'équipe, qui a créé sur place un campement révolutionnaire, s'est en effet frayée un chemin à travers les congères infranchissables et la banquise fragile, recueillant ainsi des images inédites et spectaculaires... |
La critique
Ours Polaire : Le Making Of s'inscrit dans la lignée de La Reine de la Montagne et de Nés en Chine : Histoires d'un Tournage, un film sur un film. Il propose ainsi de plonger dans les coulisses du tournage d'Ours Polaire en revenant sur l'incroyable aventure humaine qu'ont vécue les cinéastes tout en montrant leur immense respect envers cet animal qu'est l'ours blanc.
En 2008, The Walt Disney Company renoue avec le genre du documentaire animalier que le papa de Mickey lui-même avait décidé de populariser quelques 60 ans auparavant. Passionné de flore et de faune, Walt Disney peut, en effet, être considéré comme le pionnier du documentaire animalier grand public. Dès 1948, il met, ainsi, en chantier la collection des True-Life Adventures dont les courts et longs-métrages seront multi-oscarisés. Cette série, inaugurée avec le mini documentaire L'Ile aux Phoques, constitue d'ailleurs la première véritable incursion de la compagnie au château enchanté dans la production de films "live". Elle comporte un total de sept courts-métrages dont La Vallée des Castors (1950) ou La Terre, Cette Inconnue (1951) avant de s'ouvrir, en 1953 avec Le Désert Vivant, au format des longs-métrages. Ce dernier devient, à partir de cette date, la norme de production des True-Life Adventures et concerne au final six œuvres dont La Grande Prairie (1954) ou Le Grand Désert Blanc (1958). Au total, en comptant les courts et longs-métrages, la série aura gagné en tout pas moins de huit Oscars !
La renaissance de la production de documentaires axés sur la nature et les animaux sauvages au sein du catalogue Disney est due à l'initiative du français Jean-François Camilleri. Alors manager de la filiale hexagonale de Walt Disney Studios Motion Pictures, il a en effet en 2005 la brillante idée d'accorder sa confiance à un jeune réalisateur tricolore, Luc Jacquet, en acceptant de produire son premier film, La Marche de l'Empereur. Le pari est osé. Proposer sur grand écran et à destination du grand public un long-métrage documentaire animalier sur la vie des manchots empereurs vivant en Antarctique apparaît, il est vrai, à l'époque comme un rêve doux-dingue, caprice d'un producteur en mal de respectabilité auprès de l'intelligentsia hexagonale, sacrifiant pour une fois la recherche du seul profit commercial sur l'autel de l'expérimentation cinématographique. L'avenir prouvera le parfait contraire. Seul contre tous, Jean-François Camilleri démontre l'incroyable potentiel du genre, confirmant son rang dans le milieu du cinéma français de producteur hexagonal à part entière, véritable découvreur de talents. La réussite commerciale de La Marche de l'Empereur est, en effet, loin d'être un succès d'estime. En France, le film taquine allègrement les deux millions d'entrées ! Le résultat est tel que l'intérêt de proposer le documentaire à l'export apparaît vite évident. Comble de l'ironie, le marché américain lui ouvre rapidement ses portes, mais sans Disney. La maison mère de la filiale française menée par Jean-François Camilleri fait, en effet, la fine bouche et refuse cette histoire de manchots incongrue. Warner Bros., elle, sent le joli coup venir et accepte de distribuer le film sur le sol américain. Il devient vite à l’époque le plus gros succès pour un long-métrage français en Amérique du Nord. Il remporte même l'Oscar du Meilleur Documentaire, véritable pied de nez à la France qui lui a refusé le moindre César. Devant l'ironie de l'histoire, Jean-François Camilleri ne prend pas ombrage et pardonne à sa tutelle son erreur d'appréciation. Il la comprend même tant son pari était osé... Il entend d'ailleurs l'aider à la réparer et à l'amener à occuper enfin le terrain du documentaire grand public, à destination des salles obscures. Il crée pour cela une société de production spécifique, Disney Nature Productions, qui présente ainsi un premier long-métrage en 2007, Le Premier Cri, film ethnologique sur la naissance à travers le monde, beaucoup moins abordable qu'un simple documentaire animalier. Il continue ensuite de faire confiance à Luc Jacquet et distribue son deuxième long-métrage, Le Renard et l'Enfant, un docu-fiction axé sur l'amitié entre une petite fille et une renarde. L'œuvre très personnelle séduit à nouveau le public français.
Patiemment, le patron alors remuant de la filiale française convainc sa maison-mère d'investir le marché. Elle accepte finalement de créer un nouveau label de films à l'instar de Disney, Touchstone Pictures ou Hollywood Pictures. Disneynature est ainsi présenté mondialement en avril 2008. Basé en France, il est logiquement dirigé par Jean-François Camilleri et poursuit deux objectifs : distribuer des productions "maison" à l'international et productions étrangères aux États-Unis. Les premiers chantiers sont déjà sur les rails. Le programme est alléchant. Les Ailes Pourpres, Le Mystère des Flamants sort ainsi en décembre 2008 suivi par Pollen et Félins en 2011, Chimpanzés en 2012, Grizzly en 2014, Au Royaume des Singes en 2015, Nés en Chine en 2016, L'Empereur en 2017, Blue en 2018 et Penguins en 2019. Par ailleurs, le film britannique Un Jour sur Terre est distribué aux États-Unis en 2009 sous label Disneynature, ainsi que le film français Océans en 2010. Enfin, en 2016, il propose son premier film directement en sortie digitale, Grandir, suivi un an plus tard par La Reine de la Montagne et Nés en Chine : Histoires d'un Tournage.
Malgré la qualité de ses films, Disneynature voit irrémédiablement les résultats au box-office diminuer de sortie en sortie ; le tout dernier, Penguins, atteignant à peine sept millions de dollars. Son échec financier semblait ainsi entériner un avenir bien sombre pour le label Disneynature né en France. Déjà, le public s'était visiblement lassé des documentaires animaliers au cinéma. Ensuite, le rachat d'une partie de 21st Century Fox par The Walt Disney Company, acté en mars 2019, faisait entrer dans le giron de Disney la très forte et iconique marque National Geographic. Il paraissait alors évident que Disney n'avait aucun intérêt à garder deux labels de documentaires, surtout quand l'un des deux est largement moins connu que l'autre. Le départ de The Walt Disney Company de Jean-François Camilleri, créateur du label à l'iceberg, en mars 2019 semblait d'ailleurs valider ce constat. La mort de Disneynature ne serait sans doute jamais officielle mais le label aurait pu s'éteindre en catimini comme d'autres anciens à l'image de Touchstone ou Hollywood Pictures ; ses sorties au cinéma n'étant désormais plus rentables malgré ses faibles coûts de production. Coup de théâtre, le salut vient en 2020 après l'ouverture de la plateforme Disney+ !
L'ouverture historique le 12 novembre 2019 de Disney+, une plateforme de service de vidéo à la demande par abonnement créée par The Walt Disney Company, est en effet un tournant aussi stratégique qu'historique pour le studio aux grandes oreilles. Actant le nouveau comportement des (télé)spectateurs qui délaissent la télévision linéaire pour un nouveau type de consommation de flux audiovisuels, Disney+ a alors deux objectifs. D'une part, elle remplacera à terme les sorties en vidéo des films cinéma sur support physique dont le grand public s'est détourné, préférant en majorité l'achat en digitalisé. D'autre part, elle permettra à Disney de revenir sur des genres de films qu'il avait désertés en salles faute de succès ou d'appétit suffisant des spectateurs. Les films à petit budget, qui étaient proposés il y a encore quelques années sur grand écran, sont donc désormais réorientés pour une sortie directement sur la plateforme. Le choix est compréhensible car le public préfère malheureusement se déplacer en salles de plus en plus pour des franchises qu'il connaît bien. Les studios Disney se contentent alors de lancer uniquement au cinéma des films à gros budgets, certes aux risques plus importants mais aux retours sur investissement conséquents. Disney+ est donc l'écrin idéal pour accueillir les films Disneynature, ce qui paradoxalement leur donnera plus de visibilité ; les familles hésitant à dépenser le prix d'une place de cinéma pour un "simple" documentaire. Ainsi, le 3 avril 2020, ce sont pas moins de quatre films originaux du label qui se voient proposés sur la plateforme ; Éléphants et les documentaires making-of comme le fut La Reine de la Montagne : Plongée dans le Monde des Dauphins, Les Manchots : Une Vie à Risque, Sur la Route des Éléphants. Sont également ajoutés Penguins qui n'avait pas eu droit à une édition vidéo ainsi que Blue qui était sorti au cinéma uniquement en France (et qui donc doit patienter pour intégrer le catalogue de Disney+ dans l'hexagone compte tenu de l'effet de l'anachronique règle de la chronologie des médias). Le label continue ensuite son petit bonhomme de chemin comme le prouvent les sorties en 2022 d'Ours Polaire et de son secret de tournage, Ours Polaire : Le Making-Of.
Ours Polaire : Le Making Of est donc réalisé par Alastair Fothergill et Jeff Wilson.
Alastair Fothergill débute à la télévision anglaise sur des documentaires animaliers. Il investit ensuite vite le grand écran, sur le même créneau et toujours avec succès. Ce scénariste et réalisateur britannique est ainsi à l’origine du long-métrage La Planète Bleue, de la série télévisée Planète Terre ainsi que de son film dérivé, Un Jour sur Terre (celui-là même distribué par Disneynature aux États-Unis). L’homme et le label commencent alors une jolie collaboration qui aboutit aux réalisations de Félins, Chimpanzés, Grizzly, Au Royaume des Singes, Blue, Penguins, Les Manchots : Une Vie à Risque, Éléphants et Ours Polaire.
Sur Ours Polaire : Le Making Of précisément, Alastair Fothergill est secondé par Jeff Wilson qui réalise ici son quatrième long-métrage pour le label après Penguins, Les Manchots : Une Vie à Risque et Ours Polaire. Avant cela, l'homme se cantonnait à la seule production de documentaires animaliers pour la télévision.
Ours Polaire : Le Making Of est donc, comme son nom français l'indique, un film documentaire sur les coulisses de tournage du long-métrage Disneynature Ours Polaire. Et ce qui frappe surtout en comparant les deux films est peut-être la pirouette scénaristique que développe le film original d'après le making-of. Ours Polaire laisse, il est vrai, croire naïvement aux spectateurs qu'ils suivent une oursonne de sa jeunesse à l'âge adulte jusqu'à la voir devenir elle-même mère à son tour. Le public pense alors que les images ont été tournées sur plusieurs années en suivant la même famille. Surtout, grâce à l’anthropomorphisme des personnages caractéristique du label Disneynature, le long-métrage insiste bien sur les changements intervenus sur une petite génération depuis l'enfance de l'héroïne. Le film dénonce ainsi les dégâts causés par le changement climatique et les conséquences désastreuses sur les ours polaires, notamment via les dégradations rapides subies par leur milieu naturel. Or, au final, Ours Polaire : Le Making Of montre que le tournage du film a duré trois ans : deux de préparation et seulement plusieurs mois de tournage, de la fin de l'hiver en février jusqu'au milieu de l'été boréal suivant en juillet. De plus, le public comprend que les ours rencontrés dans le premier film ne sont en fait jamais les mêmes : ce n'est donc pas la même famille qui est présentée d'un plan à un autre. Ours Polaire doit ainsi, plus que tout autre film Disneynature, beaucoup au montage permettant de proposer une histoire, certes pas construite de toutes pièces mais presque.
Ce bémol mis à part, le making of et son film de référence n'en proposent pas moins des images magnifiques, montrées au public grâce à une aventure humaine incroyable contée à merveille dans Ours Polaire : Le Making Of. Le tournage a eu ainsi lieu dans l'archipel du Svalbard, en Norvège, à 480 kilomètres du pôle Nord, où les cinéastes du documentaire ont dû relever de nombreux défis pour filmer l'une des créatures les plus fascinantes de la planète. L'équipe commence son périple dans la ville de Longyearbyen, la plus septentrionale de la Terre. Pendant plusieurs mois, avant même le début du tournage, elle va concevoir un campement spécialement pour l'Arctique : écologique, autonome, mobile, doté d'une cuisine, d'une salle de repos, de toilette recyclable et de cabines pour dormir. Le but est de pouvoir rester plusieurs mois sur le terrain, au plus près des animaux, afin de rapporter des images jamais vues auparavant. Une fois que le convoi part de la ville polaire, l'aventure peut alors commencer. Rien qu'apporter le matériel et le campement au point de chute est un parcours semé d'obstacles. Les engins de transports, notamment, s'enfoncent dans la glace molle et risquent de s'enliser à tout moment. Il faudra donc bien des efforts pour que tout soit enfin prêt pour commencer à filmer les ours.
Ours Polaire : Le Making Of met en avant plusieurs membres de l'équipe. Naturellement, le réalisateur Jeff Wilson est présent mais étrangement pas plus - voire moins - que les autres. Ainsi, ceux qui se démarquent sont d'abord le cinéaste Rolf Steinmann et le chef logistique Oskar Strøm puis, dans une moindre mesure, la cinéaste Erika Tirén, le chef opérateur Jamie McPherson nommé aux Bafta et primé aux Emmy Awards ou encore l'opérateur de drone Florian Ledoux récompensé également par de nombreux prix. Il est d'ailleurs particulièrement intéressant de voir l'équipe interagir ensemble et résoudre les nombreux problèmes qu'elle va rencontrer durant les mois passés ensemble. Le tournage montre enfin que les cinéastes ont utilisé de nombreux outils et techniques dernier cri pour réussir leurs prises d'images comme par exemple un système de stabilisateur gyroscopique pour caméras ou encore l'emploi d'un véhicule ultra-léger permettant de se déplacer à l'abri sur la banquise, au plus près des ours.
Au-delà de l'aventure humaine, Ours Polaire : Le Making Of montre, encore plus que son film de référence, les incroyables et terrifiantes mutations que subit l'Arctique à cause du réchauffement climatique. Les cinéastes et les experts de la région vivent presque en direct les changements profonds de la région : la fonte des glaces bien trop précoce, la disparition quasi complète de la banquise en été, les records de chaleur montant parfois jusqu'à 20°C au-dessus des normales de saison, les météos étonnantes dans la région comme la pluie drue, les brouillards épais ou encore des tempêtes plus fortes et plus longues que d'habitude. Le spectateur est ainsi le témoin de ces catastrophes, et comme les cinéastes, se demande quelles sont les solutions qui restent pour sauver l'habitat des ours polaires. L'espèce est, elle, obligée de s'adapter drastiquement à ces changements, en modifiant notamment ses méthodes de chasse. Mais les membres d'une espèce ne sont pas tous capable d'évoluer... ou du moins, pas assez rapidement par rapport aux changements de leur environnement. Cet état de fait pourrait ainsi faire disparaître les ours polaires dans à peine quelques décennies. Ce serait alors une perte incommensurable pour la bio-diversité !
Ours Polaire : Le Making Of est un documentaire qui montre une belle aventure humaine ainsi que de beaux secrets de tournage. Il permet aussi de voir les astuces narratives du film originel qui transforment les magnifiques images rapportées en une histoire fictive où l'anthropomorphisme gomme les aléas de production.